Rendez-vous de Boris Pasternak

Petites nouvelles russes - Rendez-vous de Boris Pasternak

Voici une traduction de trois poèmes extraits du célèbre roman 'Docteur Jivago', traduction qui ne saurait rendre la rythmique et l'émotion des vers originaux du grand auteur soviétique.

Boris Pasternak - Rendez-vous

(1949)

Борис Пастернак - Свидание

Засы́пет снег доро́ги,
Зава́лит ска́ты крыш.
Пойду́ размя́ть я но́ги:
За две́рью ты стои́шь.

Одна́, в пальто́ осе́ннем,
Без шля́пы, без кало́ш,
Ты бо́решься с волне́ньем
И мо́крый снег жуёшь.

Дере́вья и огра́ды
Ухо́дят вдаль, во мглу́.
Одна́ средь снегопа́да
Стои́шь ты на углу́.

Течёт вода́ с косы́нки
По рукаву́ в обшла́г,
И ка́плями роси́нки
Сверка́ют в волоса́х.

И пря́дью белоку́рой
Озарены́: лицо́,
Косы́нка, и фигу́ра,
И э́то пальтецо́.

Снег на ресни́цах вла́жен,
В твои́х глаза́х тоска́,
И весь твой о́блик сла́жен
Из одного́ куска́.

Как бу́дто бы желе́зом,
Обмо́кнутым в сурьму́,
Тебя́ вели́ наре́зом
По се́рдцу моему́.

И в нём наве́к засе́ло
Смире́нье э́тих черт,
И оттого́ нет де́ла,
Что свет жестокосе́рд.

И оттого́ двои́тся
Вся́ эта ночь в снегу́,
И провести́ грани́цы
Меж нас я не могу́.

Но кто мы и отку́да,
Когда́ от всех тех лет
Остали́сь пересу́ды,
А нас на све́те нет?

Alors que la neige envahit les chemins
Et encombre les toits.
Je sors me dégourdir les jambes
Et toi, tu te tiens là devant la porte :

Seule, dans un manteau d'automne,
Sans chapeau, sans galoches,
Tu tentes de surmonter ton trouble,
Mâchant la neige mouillée qui recouvre tes lèvres.

Les arbres et les clôtures
Se perdent au loin dans la brume.
Seule, cernée par cette neige qui ne cesse de tomber,
Tu te tiens là, au coin de la rue.

De l'eau s’écoule de ton foulard
Le long de ta manche et jusqu’à son revers,
Des gouttes de rosée
Etincellent dans tes cheveux,

Et, illuminés de mèches blondes,
Ton visage,
Ton foulard, ta silhouette,
Ton petit manteau...

La neige mouillée se pose sur tes cils,
Et sur tes yeux pleins de mélancolie.
Ton apparence toute entière
Est si harmonieuse et parfaite,

Comme si une lame d’acier
Trempée à l’ocre rouge
Avait ciselé sa marque
Dans mon cœur.

Dans ce cœur où pour toujours demeure
L'humilité des traits de ton visage.
Et peu importe alors
Que le monde soit si impitoyable,

Et que cette nuit, dans cette neige,
Tout se trouble et se brouille :
Je ne puis laisser se dresser
De frontières entre nous !

Mais que sommes-nous et d'où venons-nous
Quand de toutes nos années
Il ne restent que de méchantes rumeurs,
Et que pour ce monde nous n’existons déjà plus ?

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