La séparation de Boris Pasternak

Petites nouvelles russes - Edvard Munch, 'Separation II' 1896
Edvard Munch, 'Separation II' 1896

Boris Pasternak - La séparation

(1949)

Борис Пастернак - Разлука

С порога смотрит человек,
Не узнавая дома.
Её отъезд был как побег.
Везде следы разгрома.

Повсюду в комнатах хаос.
Он меры разоренья
Не замечает из-за слёз
И приступа мигрени.

В ушах с утра какой-то шум.
Он в памяти иль грезит?
И почему ему на ум
Всё мысль о море лезет?

Когда сквозь иней на окне
Не видно света божья,
Безвыходность тоски вдвойне
С пустыней моря схожа.

Она была так дорога
Ему чертой любою,
Как моря близки берега
Всей линией прибоя.

Как затопляет камыши
Волненье после шторма,
Ушли на дно его души
Её черты и формы.

В года мытарств, во времена
Немыслимого быта
Она волной судьбы со дна
Была к нему прибита.

Среди препятствий без числа,
Опасности минуя,
Волна несла её, несла
И пригнала вплотную.

И вот теперь её отъезд,
Насильственный, быть может!
Разлука их обоих съест,
Тоска с костями сгложет.

И человек глядит кругом:
Она в момент ухода
Всё выворотила вверх дном
Из ящиков комода.

Он бродит и до темноты
Укладывает в ящик
Раскиданные лоскуты
И выкройки образчик.

И, наколовшись об шитьё
С не вынутой иголкой,
Внезапно видит всю её
И плачет втихомолку.

Depuis le seuil il regarde l’intérieur
Sans rien y reconnaître. Elle était partie.
Et son départ avait été comme une fuite :
Partout les traces du saccage,

Dans toutes les pièces le même chaos.
A cause des larmes
Et de la migraine qui le gagne
Il ne se figure pas l’ampleur de la ruine.

Depuis le matin, dans sa tête, le même bruit.
Est-il conscient ou bien rêve-t-il ?
Pourquoi en ce moment dans son esprit
Tout l’entraîne vers la mer ?

A travers les vitres couvertes de givre,
Quand il n’y a plus aucune lumière,
Le désespoir sans issue
Ressemble deux fois plus à un désert marin.

Elle lui était pourtant si chère
Par tous les traits de son visage,
Qui, comme les lignes du ressac
Dessinent le rivage.

Comme des roseaux noyés
Après la tempête,
Ses traits et sa silhouette
Avaient sombré jusqu’au tréfonds de son âme.

Au cours de ces années agitées
Où plus rien n’avait de sens,
Le destin, comme une vague,
L’avait ramenée vers lui.

Parmi les obstacles sans nombre,
Et les dangers évités,
Une vague l’avait portée, l’avait emportée
Et puis l’avait ramenée, tout contre lui.

Et voilà qu’à présent elle était partie,
- Contre sa volonté, peut-être ! -
Et la séparation va les détruire l’un et l’autre,
Et le chagrin les rongera.

Il regarde tout autour de lui :
Au moment de s’en aller
Elle avait tout sorti des tiroirs de la commode,
Tout traînait là sens dessus dessous.

Il s’attarde et, dans l’obscurité,
Il replace dans le tiroir
Des chiffons éparpillés
Et quelques coupes de tissus.

Et, en se piquant avec une aiguille
Tapie dans une couture,
Soudain il l’a revoit toute entière.
Et, en silence, il pleure.

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