Ivan Tourguéniev – Assia

Petites nouvelles russes - Assia

Ivan Tourguéniev - Иван Сергеевич Тургенев

(1818-1883)

Voici cinq textes de ce grand écrivain russe : le premier est extrait de la nouvelle Acia (Ася) – la fin-, puis quelques poèmes. Des textes, pour la plupart, profondément nostalgiques, d'essence romantique - d’outre-tombe même...

Ivan Tourgueniev – Assia (extraits)

Иван Тургенев – Ася (отрывки)

(1858)

Assia (extraits), 1858. Lecture : Alexandre Terenkov (Александр Теренков)

[...]

На кро́шечном клочке́ бума́ги стоя́ли сле́дующие слова́, торопли́во наче́рченные карандашо́м:

«Проща́йте, мы не уви́димся бо́лее. Не из го́рдости я уезжа́ю — нет, мне нельзя́ ина́че. Вчера́, когда́ я пла́кала пе́ред ва́ми, е́сли б вы мне сказа́ли одно́ сло́во, одно́ то́лько сло́во — я бы оста́лась. Вы его́ не сказа́ли. Ви́дно, так лу́чше... Проща́йте навсегда́!»

Одно́ сло́во... О, я безу́мец! Э́то сло́во... я со слеза́ми повторя́л его́ накану́не, я расточа́л его́ на ве́тер, я тверди́л его́ среди́ пусты́х поле́й... но я не сказа́л его́ ей, я не сказа́л ей, что я люблю́ её... Да я и не мог произнести́ тогда́ э́то сло́во.
­

[…]
­

...я не уви́дел А́си. Тёмные слу́хи доходи́ли до меня́ о ней, но она́ навсегда́ для меня́ исче́зла. Я да́же не зна́ю, жива́ ли она́. Одна́жды, не́сколько лет спустя́, я мелько́м увида́л за грани́цей, в ваго́не желе́зной доро́ги, же́нщину, лицо́ кото́рой жи́во напо́мнило мне незабве́нные черты́... но я, вероя́тно, был обма́нут случа́йным схо́дством. А́ся оста́лась в мое́й па́мяти той са́мой де́вочкой, како́ю я знава́л её в лу́чшую по́ру мое́й жи́зни, како́ю я её ви́дел в после́дний раз...

Впро́чем, я до́лжен созна́ться, что я не сли́шком до́лго грусти́л по ней: я да́же
нашёл, что судьба́ хорошо́ распоряди́лась,
не соедини́в меня́ с А́сей; я утеша́лся
мы́слию, что я, вероя́тно, не́ был бы сча́стлив
с тако́й жено́й.

Я был тогда́ мо́лод – и бу́дущее, э́то коро́ткое, бы́строе бу́дущее, каза́лось мне беспреде́льным. Ра́зве не мо́жет повтори́ться то, что бы́ло, ду́мал я, и ещё лу́чше, ещё прекра́снее?..

Я знава́л други́х же́нщин, – но чу́вство, возбуждённое во мне А́сей, то жгу́чее,
не́жное, глубо́кое чу́вство, уже́ не повтори́лось.

Нет! ни одни́ глаза́ не замени́ли мне тех,
когда́-то с любо́вию устремлённых на меня́ глаз, ни на чьё се́рдце, припа́вшее к мое́й груди́, не отвеча́ло моё се́рдце таки́м ра́достным и сла́дким замира́нием!

Осуждённый на одино́чество бессеме́йного бобыля́, дожива́ю я ску́чные го́ды, но я
храню́, как святы́ню, её запи́сочки и
вы́сохший цвето́к гера́ниума, тот са́мый цвето́к, кото́рый она́ не́когда бро́сила мне из окна́.

Он до сих пор издаёт сла́бый за́пах, а рука́, мне да́вшая его́, та рука́, кото́рую мне то́лько раз пришло́сь прижа́ть к губа́м мои́м, быть мо́жет, давно́ уже́ тле́ет* в моги́ле… И я сам – что ста́лось со мно́ю?

Что оста́лось от меня́, от тех блаже́нных и трево́жных дней, от тех крыла́тых наде́жд и стремле́ний? Так лёгкое испаре́ние ничто́жной тра́вки переживае́т все ра́дости и все го́рести челове́ка – пережива́ет самого́ челове́ка.

Petites nouvelles russes - Assia - fleur de géranium

Sur un tout petit bout de papier se trouvaient les mots suivants, écrits à la hâte au crayon :

« Adieu ! nous ne nous reverrons plus. Ce n’est pas par fierté que je m’éloigne, c’est que je ne puis faire autrement. Hier, alors que je pleurais devant vous, si vous m’aviez dit un mot, juste un seul mot, je serais restée. Vous ne l’avez pas prononcé. Qui sait ? peut-être est-ce mieux ainsi. Adieu à jamais ! ».

« Un seul mot ! » Insensé que j’étais ! Ce mot, en larmes, la veille je me le répétais, je le jetais au vent, je le criais au milieu des champs désolés, mais je ne le lui avais pas dit, je ne lui avais pas dit que je l’aimais ! Ce mot, alors, je n’avais pu le prononcer.

[…]

… Je ne la revis pas. De sombres rumeurs me parvinrent à son sujet, mais elle avait pour moi disparu à jamais. Je ne sais même pas si elle est toujours de ce monde.

Il y a quelques années de cela, lors d’un voyage à l’étranger, j’entrevis un instant, dans une gare, à la fenêtre d’un wagon, une femme dont les traits me rappelaient vivement son visage ; un visage à jamais inoubliable. Mais sans doute avais-je été trompé par une ressemblance fortuite. Assia est restée dans mon souvenir la jeune fille que j’avais connue au meilleur moment de mon existence, telle que je l’avais vue la dernière fois...

D’ailleurs, je dois reconnaître que je n’ai pas été trop longtemps triste d’elle : j’ai même trouvé que le destin faisait bien les choses, en ne permettant pas de nous réunir ; je me suis consolé en me disant que, sûrement, je n’aurais pas été heureux auprès d’une telle épouse.

J’étais jeune alors – et l’avenir, cet avenir immédiat, cet avenir qui file si vite, me semblait sans limite. De fait, ce qui a été ne pourrait-il pas se répéter, pensais-je alors, et même en mieux, et en plus magnifique encore ?...

Depuis, j’ai aimé d’autres femmes, mais ce sentiment qu’elle avait éveillé en moi, ce sentiment si ardent, si tendre, si profond, je ne l’ai jamais retrouvé.

Rien ! aucun regard ne sut remplacer le sien quand avec amour elle posait ses yeux sur moi. Jamais mon cœur n’a répondu avec une telle joie ni avec une si douce émotion à quelque autre cœur que j’ai depuis serré contre ma poitrine.

Astreint à une vie de vieux garçon, solitaire et sans famille, j’ai vécu des années pleines d’ennui, mais j’ai conservé, comme une chose sacrée, ses petits mots et la fleur séchée de géranium, cette même fleur qu’un jour elle m’avait jetée de sa fenêtre.

Et depuis lors, cette fleur répand son faible parfum ; mais la main qui me l’avait offerte, cette main qu’une seule fois il m’arriva de porter à mes lèvres, repose peut-être depuis longtemps déjà desséchée* dans sa tombe… Et moi-même, que suis-je devenu ?

Que reste-t-il de moi, de ces jours heureux et agités, de mes espoirs ardents et de toutes mes ambitions ? Ainsi survit le parfum subtil d’un brin d’herbe à toutes les joies et à tous les chagrins de l’homme – et survit à l’homme lui-même.

* Tourgueniev emploie ici le verbe ‘тлеть’ [tlet'] - se décomposer. J’en ai atténué le sens par l’emploi de ‘se dessécher’. Aurai-je dû ici aller jusqu’à traduire par ‘moisir’ ? cf. Baudelaire : “Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements.” - Une charogne – in ‘Les Fleurs du Mal’ (1861) – Lire - ?

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