Nikolaï Oleïnikov – Poèmes

Nikolaï Oleïnikov - Poèmes
Николай Олейников - Стихи
Poèmes traduits par Anne Puyou de Pouvourville,
extraits de l'ouvrage en édition bilingue 'Un poète fusillé',
paru chez Gallimard en 1996 - visitez

Nikolaï Oleïnikov (Николай Макарович Олейников) (1898-1937) fut une des nombreuses victimes des purges staliniennes. En 1937, à peine âgé de 39 ans, il fut déclaré "ennemi du peuple" comme de nombreux intellectuels et écrivains russes de l'époque. Il est fusillé n’ayant publié seulement que trois poèmes de son vivant.
En tant que poète, Oleïnikov est proche du cercle des Obérioutes (dont Daniil Harms est le représentant le plus connu), un mouvement comparable aux dadaïstes voire aux surréalistes en France. Et quand le "réalisme socialiste" devient le seul dogme littéraire acceptable aux yeux du Parti, l'étau se referme lentement autour de lui. Oleïnikov est arrêté le 20 juillet 1937, torturé puis fusillé le 24 novembre de la même année.
C’est bien plus tard, grâce à des éditions clandestines que la poésie ironique et tendre, parfois déconcertante, d'Oleïnikov commence à circuler en Union Soviétique, et que, petit à petit, le poète et son œuvre seront reconnus.
Anne Puyou, traductrice*
Pour en savoir (en russe) sur la vie et l'œuvre de Nikolaï Oleïnikov : liricon.ru.
Lire (en russe) l'intégralité (?) des poèmes de Nikolaï Oleïnikov : imwerden.de.

Перемена фамилии
Changement d’Etat-civil
(1934)
Lecture : Oleg Lekmanov (Олег Лекманов)
Пойду я в контору «Известий»,
Внесу восемнадцать рублей
И там навсегда распрощаюсь
С фамилией прежней моей.
Козловым я был Александром,
А больше им быть не хочу!
Зовите Орловым Никандром,
За это я деньги плачу.
Быть может, с фамилией новой
Судьба моя станет иной
И жизнь потечёт по-иному,
Когда я вернуся домой.
Собака при виде меня не залает,
А только замашет хвостом,
И в жакте меня обласкает
Сердитый подлец управдом…
***
Свершилось! Уже не Козлов я!
Меня называть Александром нельзя.
Меня поздравляют, желают здоровья
Родные мои и друзья.
Но что это значит? Откуда
На мне этот синий пиджак?
Зачем на подносе чужая посуда?
В бутылке зачем вместо водки коньяк?
Я в зеркало глянул стенное,
И в нём отразилось чужое лицо.
Я видел лицо негодяя,
Волос напомаженный ряд,
Печальные тусклые очи,
Холодный уверенный взгляд.
Тогда я ощупал себя, свои руки,
Я зубы свои сосчитал,
Потрогал суконные брюки —
И сам я себя не узнал.
Я крикнуть хотел — и не крикнул.
Заплакать хотел — и не смог.
Привыкну, — сказал я, — привыкну.
Однако привыкнуть не мог.
Меня окружали привычные вещи,
И все их значения были зловещи.
Тоска моё сердце сжимала,
И мне же моя же нога угрожала.
Я шутки шутил! Оказалось,
Нельзя было этим шутить.
Сознанье мое разрывалось,
И мне не хотелося жить.
Я чёрного яду купил в магазине,
В карман положил пузырёк.
Я вышел оттуда шатаясь,
Ко лбу прижимая платок.
С последним коротким сигналом
Пробьёт мой двенадцатый час.
Орлова не стало. Козлова не стало.
Друзья, помолитесь за нас!

Je vais au siège des « Izvestia »¹
J’ai pris dix-huit roubles avec moi.
Je veux dire adieu à jamais
A mon ancienne identité.
Je m’appelle Alexandre Kozlov
Mais de ce nom, je ne veux plus.
Appelez-moi Nikandre Orlov,
C’est pourquoi je vous donne des sous.
Peut-être qu’avec un nouveau nom
Mon destin basculera,
Et quand je rentrerai chez moi,
Ma vie changera à la maison.
Le chien n’aboiera plus sur moi,
Mais remuera seulement l’derrière,
Le concierge toujours en colère
Dans sa loge me caressera.
***
C’est fait ! Je ne suis plus Kozlov.
On ne peut plus m’appeler Sasha
Toute ma famille autour de moi
Me félicite et porte des toasts.
Mais, qu’est-ce que c’est ? D’où vient sur moi
Ce nouveau gilet bleu foncé ?
Et cette vaisselle, sur le buffet
Et ce cognac, plus de vodka ?
Je me regarde dans le miroir
Et je découvre une autre mine :
Le visage d’un vrai salopard,
Les cheveux gras de brillantine
Des yeux privés de vie sans joie
Un regard dur et plutôt froid.
Alors je me tâte partout
J’ai même recompté toutes mes dents,
J’ai palpé mon pantalon blanc
Mais je n’me connais pas du tout..
Je veux crier - j’ai pas crié.
Je veux pleurer mais j’ai pas pu.
Je me suis dit - je m’habituerai.
Mais m’habituer j’ai pas pu.
Les objets n’avaient pas changé,
Mais ils avaient tous l’air mauvais.
Alors mon cœur s’est resserré,
Et ma jambe m’a menacé.
J’ai plaisanté ! Mais il paraît
Qu’avec ça il ne faut pas rire.
Alors mon cœur s’est déchiré,
Et j’en ai eu assez de vivre.
Dans un magasin j’ai acheté
Une fiole de poison.
Je suis sorti mal assuré,
En m’essuyant le front..
Ma douzième heure va sonner
Très rapidement, Orlov n’est plus.
Kozlov non plus, veuillez prier
Mes amis, pour les disparus !
1- ‘Les Izvestia’ (Известия) — ‘Les nouvelles’ -, journal soviétique économique et politique fondé en 1917.

