Ivan Tourguéniev – Les chemins qui mènent à l’amour
Les chemins qui mènent à l'amour
Путь к любви
Date de parution 2023
Poèmes en prose d’Ivan Tourguéniev - Стихотворения в прозе И.С. Тургенева
Traduction française - Французский перевод : Charles Salomon
(1946)
Любовь, думал я, сильнее смерти и страха смерти.
Только ей, только любовью держится и движется жизнь.
Иван Тургенев, апрель-май, 1878.
L’amour, je pensais, est plus fort que la mort et que la crainte de la mort. Ce n’est que par lui, ce n’est que par l’amour, que la vie se maintient et que son rythme continue.
Ivan Tourguéniev, avril-mai 1978.
Voici deux poèmes extraits de l'ouvrage bilingue de textes lyriques d'Ivan Tourgueniev 'Les chemins qui mènent à l'amour' (Путь к любви). Ces poèmes en prose, sous une forme condensée, expriment les expériences et les idées auxquelles le grand poète russe est parvenu au cours de sa vie. Les nombreuses illustrations de l'ouvrage sont l'œuvre du talentueux artiste français Robin Szczygiel.
Un livre publié à l’occasion du 205e anniversaire de la naissance d’Ivan Tourguéniev.
Éditions Natania • Parution : octobre 2023 • Format : 13x21 cm • 90 pages – Prix : 14 €
ISBN 979-10-93328-18-8
Pour commander l’ouvrage : natkomarova@yahoo.fr / 06 23 28 14 24
Нас двое в комнате: собака моя и я. На дворе воет страшная, неистовая буря.
Собака сидит передо мною – и смотрит мне прямо в глаза.
И я тоже гляжу ей в глаза.
Она словно хочет сказать мне что-то. Она немая, она без слов, она сама себя не понимает – но я её понимаю.
Я понимаю, что в это мгновенье и в ней, и во мне живёт одно и то же чувство, - что между нами нет никакой разницы. Мы тождественны; в каждом из нас горит и светится тот же трепетный огонёк.
Смерть налетит, махнёт на него своим холодным широким крылом…
И конец !
Кто потом разберёт, какой именно в каждом из нас горел огонёк ?
Нет ! Это не животное и не человек меняются взглядами…
Это две пары одинаковых глаз устремлены друг на друга.
И в каждой из этих пар, в животном и в человеке – одна и та же жизнь жмётся пугливо к другой.
Ферваль, 1878.
Nous sommes deux dans la chambre ; mon chien et moi… Dehors hurle une effrayante tempête.
Le chien est assis devant moi, et me regarde droit dans les yeux.
Moi aussi je le regarde dans les yeux.
On dirait qu’il veut me dire quelque chose. Il ne peut se faire comprendre, il est muet, il ne se comprend pas lui-même. Moi, je le comprends.
Je comprends que dans ce moment, un seul et même sentiment existe en lui et en moi et que rien ne nous sépare. Nous sommes identiques, et dans chacun de nous, c’est la même petite lueur tremblotante qui brûle et qui brille.
La mort viendra et nous balaiera de ses ailes froides, de ses larges ailes…
Et ce sera la fin !...
Et qui, après nous, déchiffrera cette énigme ? Entre ces lueurs qui brûlaient en chacun de nous, quelle est au juste la différence ?
Non ! ce n’est point un animal et un homme qui échangent des regards.
Ce sont deux paires d’yeux, les mêmes yeux, fixés l’un sur l’autre. Et dans chacune – chez l’animal comme chez l’homme – c’est une seule et même vie, qui, craintive, cherche un refuge près de l’autre.
Février 1878.
***
Пир у Верховного существа – Une fête chez l’Être Suprême
Однажды верховное существо вздумало задать великий пир в своих лазоревых чертогах.
Все добродетели были им позваны в гости. Одни добродетели… мужчин он не приглашал… одних только дам.
Собралось их очень много – великих и малых. Малые добродетели были приятнее и любезнее великих; но все казались довольными – и вежливо разговаривали между собою, как приличествует близким родственникам и знакомым.
Но вот верховное существо заметило двух прекрасных дам, которые, казалось, вовсе не были знакомы друг с дружкой.
Хозяин взял за руку одну из этих дам и подвёл её к другой.
«Благодетельность!» - сказал он, указав на первую.
«Благодарность!» - прибавил он, указав на вторую.
Обе добродетели несказанно удивились : с тех пор, как свет стоял – а стоял он давно – они встречались в первый раз!
(Без даты)
Un jour il arriva que l’Être Suprême eut l’idée de donner une grande fête dans les appartements de son Palais d’Azur.
Il invita toutes les Vertus, les Vertus seules, - les messieurs n’étaient pas invités – seulement ces dames.
Elles vinrent en foule – des grandes, des petites. Les petites Vertus étaient plus avenantes et plus aimables que les grandes ; elles s’entretenaient poliment, comme il sied entre proches parents et entre gens qui se connaissent.
Mais voici que l’Être Suprême remarque deux belles dames, qui, semblait-il, ne se connaissaient pas du tout.
Le maître de la maison prit l’une d’elles par le bras et l’amena à l’autre… Désignant la première, il dit :
- La Bienfaisance.
Et montrant la seconde, il ajouta :
- La Reconnaissance.
Combien les deux Vertus furent surprises, on ne saurait le dire ! Depuis que le monde est monde – cela ne date pas d’hier – elles se rencontraient pour la première fois.
(Sans date)