M. Lermontov – deux berceuses

Voici deux berceuses dont les paroles furent écrites par l’un des plus grands poètes russes du XIXe siècle : Mikhaïl Lermontov (Михаил Юрьевич Лермонтов) (1814—1841).

Selon la légende, le premier poème, 'La berceuse cosaque' (Казачья колыбельная) lui aurait été inspiré par le chant d’une jeune femme cosaque sur le berceau de son enfant. Le second, 'L'ange' (Ангел), écrit par le poète à l’âge de 21 ans, serait basé sur une berceuse que Lermontov avait entendue de sa mère (celle-ci mourut alors que le poète n’avait que trois ans).

Каза́чья колыбе́льная – Une berceuse cosaque

Poème de Mikhaïl Lermontov (Михаил Лермонтов), 1838-40

Sur une musique de Sergueï Dotchevsky (Сергей Дочевский), 1901 ?

 à Kristel T., en toute amitié...

Спи, младе́нец мой прекра́сный,
Ба́юшки-баю́¹.
Ти́хо смо́трит ме́сяц я́сный
В колыбе́ль твою́.
Стану́ ска́зывать я ска́зки,
Пе́сенку спою́;
Ты ж дремли́, закры́вши гла́зки,
Ба́юшки-баю́.

По камня́м струи́тся Те́рек,
‎Пле́щет му́тный вал;
Злой чече́н ползёт на бе́рег,
‎То́чит свой кинжа́л;
Но оте́ц твой — ста́рый во́ин,
‎Закалён в бою́:
Спи, малю́тка, будь споко́ен,
‎Ба́юшки-баю́.*

Сам узна́ешь, бу́дет вре́мя,
‎Бра́нное житьё;
Сме́ло вде́нешь но́гу в стре́мя
‎И возьмёшь ружьё.
Я седе́льце боево́е
‎Шёлком разошью́...
Спи, дитя́ моё родно́е,
‎Ба́юшки-баю́.*

Бога́тырь ты бу́дешь с ви́ду
И каза́к душо́й.
Провожа́ть тебя́ я вы́йду -
Ты махнёшь руко́й...
Ско́лько го́рьких слёз укра́дкой
Я в ту ночь пролью́!..
Спи, мой а́нгел, ти́хо, сла́дко,
Ба́юшки-баю́.

Ста́ну я тоско́й томи́ться,
Безуте́шно ждать;
Ста́ну це́лый день моли́ться,
По ноча́м гада́ть;
Стану́ ду́мать, что скуча́ешь
Ты в чужо́м краю́...
Спи ж, пока́ забо́т не зна́ешь,
Ба́юшки-баю́.

Дам тебе́ я на доро́гу
Образо́к свято́й:
Ты его́, моля́ся Бо́гу,
Ставь перед собо́й;
Да, гото́вясь в бой опа́сный,
По́мни мать свою́...
Спи, младе́нец мой прекра́сный,
Ба́юшки-баю́.

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Dors mon enfant, ma merveille
Dors mon enfant, dors¹.
Les rayons clairs de la lune
Veillent sur ton berceau.
Je te dirai des contes
Je chanterai pour toi ;
Ferme les yeux, rêve,
Dors mon enfant, dors.

Sur les pierres coule le Terek²,
Et sa vague turbulente est boueuse ;
Un méchant Tchétchène rampe jusqu'au rivage,
‎En aiguisant sa dague ;
Mais ton père est un vieux brave,
‎Aguerri au combat :
Dors, mon tout petit, sois tranquille,
‎Dors mon enfant, dors.*

Le temps viendra où toi-même apprendras
La vie guerrière ;
Et, hardiment, tu monteras ton cheval
Et prendras les armes.
Moi-même ta selle de combat
Je la broderai de soie...
Dors, mon cher enfant,
Dors mon enfant, dors.*

Tu auras les traits d’un héros de légende³
Et l’âme d’un Cosaque.
Je viendrai te voir partir -
Tu me feras un signe de la main...
Combien, secrètement, de larmes amères
Verserai-je cette nuit-là !...
Dors, mon ange, calmement, doucement,
Dors mon enfant, dors.

Je languirai de chagrin,
Inconsolable d'attendre ;
Je prierai toute la journée,
La nuit, doutant, m’interrogeant ;
Je me dirai alors que je te manque
Toi, loin, en terres étrangères...
Dors, ignorant ces soucis,
Dors mon enfant, dors..

Je te donnerai pour la route
Une icône bénie :
Et quand tu prieras Dieu,
Garde-la contre toi ;
Et quand viendra l’heure du dangereux combat,
Souviens-toi de ta mère...
Dors, ma merveille,
Dors mon enfant, dors.

* Les strophes en italiques ne sont pas interprétées dans la version sonore présentée.

1- ‘Bayouchki-bayou’ (Баюшки-баю), traduit ici par ‘Dors mon enfant, dors’, se retrouve dans nombre de berceuses. Lire (en russe) : dic.academic.ru.

2- Le Terek (Терек) est l'un des principaux fleuves du Caucase. Il traverse les territoires de la Géorgie et de la Russie et se jette dans la mer Caspienne.

3- Bogatyr (Богатырь) – héros des légendes (bylines) de l’ancienne Russie – Pour en savoir plus, lire : Les bylines.

Ecouter le poème dans son intégralité :

Plus d’une trentaine de versions chantées :

Il existerait plus d’une trentaine de mélodies basées sur les paroles de ce poème. Lermontov lui-même s’y serait essayé. Une version dont les notes sont perdues. Il est fort possible que parmi ces nombreuses versions une d’entre elles soit celle du poète !

Ecoutez sur Youtube le poème mis en musique en 1892 par Alexandre Gretchaninov (Александр Тихонович Гречанинов) (1864-1956), et une version ‘jazzy’, plus moderne, interprétée par Svetlana Panova (Светлана Панова), en 2011 : Ecouter.

Et celle, plus récente, interprétée par Oleg Pogoudine (Олег Погудин) en 2021 :

'Une berceuse cosaque', Oleg Pogoudine (Олег Погудин), 2021.

***

Dors dans les plis de mon voile... La version française :

Le poème de Lermontov, traduit en français par Louis Pomey (lire les paroles), fut mis en musique par Pauline Viardot-Garcia (1821-1910) en 1866, l’égérie d’Ivan Tourguéniev. Un an auparavant, en 1865, Pauline Viardot-Garcia avait mis en musique le poème dans ses paroles russes originales.

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'Une berceuse cosaque', extrait du film 'Retour à Kotelnitch', 2008

La berceuse conclut le film documentaire ‘Retour à Kotelnitch’ (2005), racontant le voyage de l’écrivain Emmanuel Carrère dans petite ville située à 800 kilomètres à l’est de Moscou. Un documentaire dont le tournage a inspiré à l’auteur son ouvrage “Un roman russe” (2008). Pour en savoir plus :Retour à Kotelnitch.

Pour en savoir plus sur la Berceuse cosaque : lire (en russe).

Et écouter d'autres versions : lubit.me.

Voici, enfin, une dernière, interprétée par Sumi Jo,  pour s'endormir tout doucement...

'Une berceuse cosaque', interprétée par Sumi Jo, 2008

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Petites nouvelles russes : Le berceau, Berthe Morisot, 1872
Le berceau, Berthe Morisot, 1872

А́нгел – L'ange

Poème de Mikhaïl Lermontov (Михаил Лермонтов), 1831

Sur une musique d'Alexandre Varlamov (Александр Варламов)

Interprété par Oleg Pogoudine (Олег Погудин), 1998

По не́бу полу́ночи а́нгел лете́л
И ти́хую пе́сню он пел;
И ме́сяц, и звёзды, и ту́чи толпо́й
Внима́ли той пе́сне свято́й.

Он пел о блаже́нстве безгре́шных духо́в
Под ку́щами ра́йских садо́в;
О бо́ге вели́ком он пел, и хвала́
Его́ непритво́рна была́.

Он ду́шу младу́ю в объя́тиях нёс
Для ми́ра печа́ли и слёз,
И звук его́ пе́сни в душе́ молодо́й
Оста́лся — без слов, но живо́й.

И до́лго на све́те томи́лась она́,
Жела́нием чу́дным полна́;
И звуко́в небе́с замени́ть не могли́
Ей ску́чные пе́сни земли́.

Séparateur 3

Un ange a volé dans le ciel de minuit
Et il a chanté une douce chanson ;
Et la lune, et les étoiles et les nuages en foule
Ont écouté ce chant sacré.

Il a chanté le bonheur des esprits sans péché
Sous les buissons du jardin d'Eden ;
Il a chanté le grand Dieu,
Et ses louanges étaient sincères.

Il portait une jeune âme dans ses bras
En ce monde de tristesse et de larmes,
Et le son de sa chanson dans cette jeune âme
Demeurait, sans aucun mot, mais vivant.

Et longtemps l’âme a langui en ce bas-monde,
Plein de désirs merveilleux ;
Les chants terrestres ennuyeux
Ne pouvaient remplacer pour elle ceux des cieux.

Ecouter une autre version chantée du même poème de Lermontov, sur une musique de Viktor Zakhartchenko (Виктор Захарченко), interprétée par Tatiana Petrova (Татьяна Петрова)...

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