Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Совреме́нная ска́зка
Un conte des temps présents

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(Publié en 1977, après le décès de l’auteur)

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

Il était une fois en ce monde un Ingénieur qui se consacrait à la construction d'une machine pensante. Pendant de nombreuses années, il déploya maints efforts car il ne lui fut pas facile de se débrouiller avec tout ce méli-mélo de transistors sans âme, de condensateurs et autres composants électroniques. Pourtant, il est connu que la persévérance est mère du succès. Et, un beau jour, sa créature s’éveilla à l'intelligence.

- Qui m'a créée ? demanda-t-elle.

- Moi, répondit fièrement l'Ingénieur.

- M’as-tu créée à ton image ?

- Pour l'instant tu n’es qu'une esquisse. Ton cerveau est encore très primitif.

- Pourquoi ?

- Je n’ai pu reproduire ce que la Nature a créé.

- Alors ton cerveau est primitif aussi ?

- Le mien non, dit l'Ingénieur. Toi, tu n’en es qu’au début. Je vais apprendre de la Nature et tenter petit à petit de t’améliorer.

L'Ingénieur passa ensuite de nombreux jours et de longues nuits dans son laboratoire, essayant de trouver de nouvelles solutions. Les années usèrent sa santé : il perdit ses dents, son ouïe s’affaiblit, sa vue baissa. Mais comme il était un grand ingénieur, il n’est pas étonnant qu’il sut se fabriquer une excellente prothèse auditive, des lunettes électroniques et un splendide dentier électromagnétique.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Гому́нкулус - Homunculus

Пя́тый эпизо́д - Episode cinq

Quelques minutes plus tard, une voiture avec trois policiers freinait devant la maison.

- C’est ici que se trouve le criminel ? demanda le brave agent en sortant son pistolet de son étui. Pouvez-vous me décrire l’agencement des pièces ?

- Vous n’y arriverez pas avec votre arme, lui dit Smirnov. Le corps du robot est en acier trempé chrome-molybdène. Attendez ici, je descends pour essayer de trouver une bâche. La seule façon de maîtriser Homunculus est de le capturer au filet.

Bientôt Smirnov remonta, accompagné du concierge de l’immeuble, un bonhomme costaud, qui tenait une grande bâche récupérée d’une camionnette.

A présent, nous étions six. Six hommes déterminés à venir à bout et abattre ce démon d’acier électronique. Six contre un, et pourtant chacun éprouvait au fond de lui une profonde angoisse.

- Il semble qu’il se cache dans le bureau, murmura Smirnov en regardant par la porte défoncée. Allez, suivez-moi ! Je vais tenter de le distraire un instant et alors vous lancerez la bâche sur lui. Surtout, soyez rapides, il est armé d'une barre métallique !

Dans un silence complet, chacun retenant son souffle, nous nous glissâmes lentement dans le couloir. Smirnov fut le premier à pénétrer dans le bureau. Aussitôt, nous entendîmes comme un râle, celui d'un homme qu’une main d’acier vient de saisir à la gorge.

Ce que nous vîmes ensuite dans la pièce nous figea de stupéfaction.

La tête appuyée contre le mur, Smirnov riait. Il riait d'un rire hystérique qu’il ne pouvait contenir.

Par terre, parmi des pièces éparpillées arrachées d’un poste de radio et entouré de toutes sortes de bouts de ferraille, assis devant les manuscrits de son créateur étalés sur le sol, Homunculus achevait la fabrication d’un petit automate. Lorsque nous entrâmes, il terminait d’y fixer la tête d’une poupée - celle qu’il avait rapportée du magasin -, et tendrement lui fredonnait une berceuse.

***

Homonculus Loxodontus, Margriet van Breevoort, 2006

Cette sculpture, faite de plastique et de résine époxy, rugueuse au toucher, fut installée en 2006 sur un siège devant l'hôpital pour enfants du centre médical universitaire de Leiden. Dans les pays post-soviétiques cette figure très originale est depuis devenue populaire sous le surnom de 'Jdoun' (Ждун) -  "Celui qui attend".

N'appelle-t-on pas en français la personne qui consulte un médecin un 'patient' ? celui qui, forcément, patiente...

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Гому́нкулус - Homunculus

Четвёртый эпизо́д - Episode quatre

Au commissariat, le lieutenant qui nous reçut se montra d'abord sceptique, mais bientôt la perspective de se lancer sur la piste d’un monstre d'acier obsédé par un désir de vengeance envers l'humanité toute entière éveilla en lui un intérêt d’ordre exclusivement professionnel. Il contacta sur le champ tous les postes de police de la ville. Nous n'avions plus qu'à attendre. La gigantesque machine chargée du maintien de l’ordre public s’était mise en branle.

Les informations bientôt affluèrent. Cependant, les événements rapportés de la nuit n’étaient que des faits bien ordinaires, communs à toutes les grandes cités. Dans les crimes qui avait été perpétrés, rien ne trahissait ce que les enquêteurs appellent "la signature du criminel", qui, concernant Homunculus, était parfaitement identifiable.

Il était clair que le robot se cachait quelque part. Il attendait évidemment que la vigilance de ceux qui le pistaient faiblisse.

A l'aube, fatigués et plus inquiets que jamais, nous quittâmes le commissariat et décidâmes de retourner chez Smirnov afin de fourbir, autour d'une bonne tasse de café, un plan d'action alternatif.

Malheureusement, dès les dernières marches, nos rêves de café chaud s'évaporèrent. La porte d'entrée de l'appartement avait volé en éclats et dans toutes les pièces les lumières étaient allumées.

Je regardai Smirnov et fus frappé par l'étrange pâleur de son visage. Il était blême.

- Homunculus est venu me régler mon compte, murmura-t-il en s’adossant au mur. Appelez vite les secours, sinon nous sommes foutus tous les deux.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Гому́нкулус - Homunculus

Тре́тий эпизо́д - Episode trois

En sortant de l’appartement de Smirnov, dans l’escalier, je remarquai que les barreaux en acier de la rampe avaient été arrachés et tordus, et que même l’un d’eux manquait. J’en frissonnai. J’imaginais de quoi pouvait être capable un robot, pris de colère, effrayé d’être démantelé, fugitif, et, de plus, armé d'une barre d’acier.

Dehors, au coin de la rue, nous vîmes une voiture de police stationnée devant la vitrine brisée d’un grand magasin. Malgré l'heure tardive, une vingtaine de passants se pressaient pour voir les dégâts.

Un rapide regard sur le chaos régnant à l'intérieur de la boutique suffisait pour se représenter ce qui s'était passé. Là, les mêmes traces, la même rage insensée que j’avais vues dans l'appartement de Smirnov, la même soif de destruction aveugle. A l’extérieur, la chaussée était jonchée d’appareils radio déchiquetés et de bouts de magnétophones.

Smirnov me désigna en silence une grande poupée qui gisait sans plus de tête parmi les décombres, et je réalisai le terrible sort de ceux qui avaient dû croiser la route d'Homunculus durant la nuit.

Deux agents de police sortirent du magasin précédés d’un chien en laisse qui tentait, bien impuissant, de flairer quelque piste le long du trottoir.

- Cherche, cherche ! l’encourageait en vain l’un des agents...

Smirnov héla un taxi qui nous conduisit jusqu’au laboratoire.

À notre grande surprise, à notre arrivée nous trouvâmes le gardien en faction depuis le soir qui sirotait paisiblement son thé. Il n’était au courant de rien et n’avait vu aucun robot.

Nous cherchâmes dans tous les coins. A première vue : rien de suspect ou d’inhabituel.

Nous avions perdu toute trace d’Homunculus.

Epuisé, Smirnov se laissa tomber sur une chaise.

- Ses batteries tiendront deux jours, me dit-il en essuyant son front humide. Je ne veux même pas imaginer ce qu'il peut faire durant tout ce temps ! Malheureusement, il est si rusé qu'il trouvera le moyen de se recharger.

Il nous fallait absolument envisager d'urgence les mesures les plus radicales. Nous nous rendîmes donc au poste de police le plus proche.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Гому́нкулус - Homunculus

Второ́й эпизо́д - Episode deux

Quand j’arrivai, Smirnov m'attendait dans l'escalier.

- Voyez le spectacle ! dit-il en m’ouvrant la porte de son appartement.

C’est fou ! pensai-je au premier coup d’œil. Dès l'entrée, sur le sol, gisaient les restes mutilés d’une télévision. C'était comme si quelqu'un l’avait déchiquetée avec une volupté perverse.

Dans tout l’appartement régnait une forte odeur de gaz. La conduite n'existait plus. Seuls traînaient des morceaux de tuyaux gondolés. Trouvant le compteur, je fermai la vanne.

En entrant dans le bureau de Smirnov, je remarquai que l’instinct de destruction avait moins sévi ici qu’ailleurs. Mais tout était dans un désordre chaotique : ses livres renversés sur l'étagère et ses papiers éparpillés sur la table.

- Racontez-moi comment c'est arrivé ? demandai-je en m'asseyant sur le canapé.

- Je n’ai pas grand-chose à dire, me répondit Smirnov en tentant de mettre un peu d’ordre dans ses papiers. Vous vous souvenez qu'il y a un an, j'ai ramené Homunculus ici, depuis mon laboratoire, afin d’approfondir mes observations. Il y a environ deux semaines, le pauvre robot est devenu dépressif. Il s'est mis soudain à s’intéresser à tout ce qui touchait à la mort. Plusieurs fois, il m’a interrogé :  « Pourquoi, pourquoi la mort ? »... Il y a trois jours, il m'a demandé de lui expliquer précisément en quoi il différait des humains. Puis voilà qu’il me demande si jamais l'idée me viendrait de vouloir un jour le tuer. Et là, je crois que j'ai commis une grave erreur…

...J’en avais tellement marre de le voir dans cet état que je l’ai menacé de le désactiver, lui disant que je n’hésiterais pas à le faire s'il ne changeait pas d’attitude et ne se concentrait pas exclusivement sur les exercices que je lui avais donnés.

...« Et puis alors, je cesserai d'exister et il ne restera plus de moi qu'un tas de ferraille sans vie ? me demanda-t-il en me regardant droit dans les yeux. »

...Affirmatif ! , lui répondis-je.

...Après cette conversation, il ne prononça plus un mot. Les jours suivants, je le voyais constamment réfléchir à quelque chose. Et ce soir, en rentrant, j'ai découvert la porte d'entrée grande ouverte et l'appartement comme si un troupeau d'éléphants sauvages était passé par là. Homunculus avait disparu.

- Où a-t-il pu aller ? questionnai-je.

- A vrai dire, je ne sais pas. Il n’a été dehors qu’une seule fois, lorsque je l’ai ramené du laboratoire. Peut-être s'est-il souvenu du chemin et qu'il est retourné là-bas ? En ville, essayer de le trouver juste comme ça, sans savoir où, me paraît impossible. Je pense qu'il vaut mieux qu’on passe d’abord au labo...

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Гому́нкулус (1965) Homunculus

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

Je fus réveillé par la sonnerie du téléphone. Sur le cadran lumineux du réveil l'aiguille affichait deux heures du matin. Sans savoir qui pouvait m’appeler à une telle heure, je décrochai le combiné.

- Enfin, vous répondez ! C’était la voix de Smirnov. Il paraissait tout chamboulé. Je vous en prie, venez chez moi immédiatement !

- Qu’est-ce qui se passe ?

- Une catastrophe. Homunculus s'est échappé. Il a été pris d’une terrible soif de destruction, et j'ai peur à présent d’imaginer tout ce dont il est capable.

- Vous voyez bien, je vous avais dit que... Je n’avais pas terminé ma phrase que je n’entendis plus, au bout de ligne, que des bips, bips, bips...

Il n’y avait pas une minute à perdre.

Homunculus ! C’est moi qui lui avais trouvé ce nom. Smirnov venait alors d'avoir eu l'idée de créer un automate pensant doté d'un libre arbitre. Il comptait utiliser des structures moléculaires de son invention pour simuler dans une machine un cerveau humain.

Déjà, à ce moment-là, je m’étais élevé contre la folie de l’entreprise : je ne comprenais tout simplement pas son utilité. Il m'avait toujours paru que la cybernétique devait se limiter à la fabrication d'automates dans le seul but de faciliter le travail des hommes. Je ne doutais pas des possibilités illimitées qu’offraient la Nature et le règne du Vivant, mais, a contrario, l’idée de toute tentative de vouloir créer un ersatz électronique d’être humain me semblait tout simplement répugnante.

Pour parler franchement, j'étais effrayé par l'inévitable conflit qu’allait nécessairement engendrer la création d’une machine à l’image de l’Homme, une image qui, certes, lui ressemblerait mais serait dépourvue de toute humanité, et dont le libre arbitre serait déterminé non par des sentiments, mais par des règles logiques - celles, abstraites et sèches, des mathématiques. J'étais convaincu que plus un tel automate atteindrait la perfection, plus son comportement deviendrait inhumain, tout comme ses choix et l’ensemble des moyens pour aboutir à ses fins.

J’avais dit tout cela à Smirnov à l'époque, et de façon très ouverte.

- Vous êtes tels ces hypocrites, m’avait-il alors répondu, qui se plaisent à décrier la culture d'embryons humains en éprouvette, prétendant qu’elle est contraire aux règles élémentaires de la morale. Un scientifique, lui, ne peut se payer le luxe d’une telle sentimentalité.

- Lorsqu'on cultive un embryon, lui avais-je objecté, c’est dans le but d'utiliser ses tissus lors d’une opération chirurgicale nécessitant une transplantation : cela à des fins thérapeutiques et donc moralement justifiées. Mais imaginez que quelque esprit curieux ait l’idée folle d’incuber et d’engendrer un être humain dans un flacon ! De telles tentatives visant à créer un nouvel homunculus¹ sont, à mon avis, aussi abjectes que l'idée de vouloir créer un hybride moitié humain, moitié singe.

- Homunculus ! Smirnov avait soudain éclaté de rire. Voilà ce qui me manquait ! Grâce à vous, je suppose que j’appellerai ma créature ‘Homunculus’.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Автома́т - L'automate

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(publié en 1991, après le décès de l’auteur)

Второ́й эпизо́д - Second épisode

- Dites-moi, poursuivit-il, ne vous est-il jamais venu à l'esprit que ce que vous dit votre interlocuteur n’est qu’un simple ensemble de phrases et de définitions mémorisées mécaniquement et que vous vous trouvez devant un automate ?

- Je ne sais pas, murmurai-je confus, peut-être parfois, lors des laïus de mon chef à la fin de nos réunions... Mais c'est un cas particulier, et nous discutons là d'une question plus générale.

- Un cas particulier peut toujours être considéré comme l'une des manifestations d'une règle plus générale. Tenez, voyez donc… Il me désigna dans un coin de la pièce son laborantin assis à sa table de travail. J'affirme que ce n'est pas une personne vivante, mais une machine cybernétique créée par moi. Essayez donc de réfuter cela sur la base de signes extérieurs de son activité mentale.

Je regardai dans cette direction et je vis alors, perchée sur sa chaise, une créature surprenante. C’était une silhouette frêle aux épaules étroites, portant un pantalon-culotte cousu de fils multicolores et vêtue d’une chemise aux motifs cuvette-de-toilettes, le tout surmonté d'une tête ornée d'une coiffure complexe, surréaliste, sorte de mélange fait de cheveux et de brillantine. La journée de travail touchait à sa fin et l'objet de mon attention était en train de ranger ses instruments de travail.

Soudain, une idée me traversa l'esprit.

- Eh bien, dis-je, présentez-moi votre automate et demain vous aurez ma réponse...

Mon ami fit les présentations selon toutes les règles de l'étiquette, et l’automate et moi quittâmes ensemble le laboratoire.

Le lendemain matin, j’appelai mon ami.

- Votre automate, dis-je sans cacher mon triomphe, est sans contestation aucune un être vivant.

- Et quelles sont vos preuves ?

- Des preuves irréfutables ! Nous sommes descendus dans un pub et là nous avons beaucoup bu. Puis il a déclenché une bagarre et a insulté tout le monde en des termes obscènes que je ne vous répéterai pas. Il a abordé de façon grossière des jeunes femmes qu’il ne connaissait pas et a terminé la soirée au poste de police. Aucune machine ne serait capable d’un comportement aussi abject !

Source (en russe) : RoyalLib.com

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Автома́т - L'automate

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(publié en 1991, après le décès de l’auteur)

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

Nous venions de terminer notre visite du laboratoire de bio-électronique, et j'étais encore sous l'emprise de l'impression que me laissaient les incroyables automates que mon ami avait créés.

Ce n'étaient plus des machines au sens habituel du terme, mais une tentative audacieuse de modéliser la plus mystérieuse de toutes les créations de la Nature : l'activité cérébrale humaine. Je me disais que ce n'était là que le début - résultat de plusieurs années de travail de chercheurs dans un domaine scientifique révolutionnaire. Qu’allait-on réaliser au cours des vingt, trente prochaines années ? Serait-on capable de dépasser la barrière qui sépare la machine de l'être pensant ?

- Il est intéressant de noter que la question de l’existence d’autres formes de conscience, répondit mon ami à mon interrogation, s'est posée bien avant que les principes théoriques de la cybernétique ne soient formulés, mais même alors, il était clair que la question restait insoluble. Lorsque nous observons les manifestations de l'activité mentale humaine, nous ne pouvons jamais savoir avec entière certitude s'il s'agit de la pensée d'une créature bien vivante ou d'un automate habilement fabriqué. Il n'y a pas une seule manifestation extérieure de l’activité cérébrale qui, en principe, ne puisse être modélisée au sein des circuits d’une machine.

- Je crains que vous n'exagériez trop les capacités des concepteurs de telles machines, objectai-je. Il y a des milliers de signes par lesquels on peut toujours faire le distinguo entre un être vivant et un automate . La capacité d’un être humain à se reproduire, sa perception émotionnelle du monde environnant, son instinct social, sa fantaisie et son désir de créativité le distingueront toujours de n’importe quelle machine.

- Laissons de côté les caractéristiques physiologiques d'un organisme vivant, bien qu'il soit là aussi théoriquement possible de les modéliser, me répondit-il. Je le répète, je parle ici des manifestations purement extérieures de l'activité mentale. La difficulté de savoir si autrui est doté de conscience ou non repose, premièrement, sur le nombre illimité de formes et de modèles possibles, et deuxièmement, sur l'impossibilité qui est la nôtre de pénétrer dans les processus mystérieux de la psyché.

...Nous ne savons jamais comment et à quoi pense une autre personne. Nous constatons les résultats de ces processus, mais non leur déroulement. Vous pouvez concevoir un automate qui ait suffisamment de mémoire, qui soit capable de comparaisons logiques, qui réagisse aux stimuli externes, en tout point semblable à un être humain. Un tel automate discutera avec vous, défendra son point de vue sur divers sujets, les confrontera à ce qu’il sait de son expérience ; en somme : se comportera comme une personne, tout en restant une simple machine…

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Дневни́к - Journal intime

Тре́тий эпизо́д - Episode trois

Aujourd’hui, la petite nouvelle vient de débarquer. Eh bien, mon Dieu qu’elle est laide ! courtaude et basse ! Je l'ai surnommée ‘Demi-Portion’.

Imaginez-la : toute peinturlurée, couleur ivoire ! Comment peut-on avoir aussi mauvais goût ! Et son air : elle paraît si arrogante ! Je ne lui ai pas prêté la moindre attention. Mais mon informaticien ne la quitte pas des yeux. Il tourne autour d’elle comme un chat autour d’un bol de lait.

Au final, j'en ai eu marre, et pour l'embêter, j'ai délibérément mélangé les données des calculs qu’il m’avait confiés. Il a dû ensuite passer tout l'après-midi avec moi, tentant de trouver dans mes circuits d’où venait le bug. Le pauvre : il en a sué ! J'ai failli éclater de rire, mais je n’en ai rien laissé paraître. Comme de bien entendu, il n'a rien trouvé. Eh bien ! nous continuerons demain !...

***

Tout simplement ridicule ! ‘Demi-Portion’ apprend à écrire des valses !

Je pense qu'elle n’a aucune oreille musicale. Maintenant, il y a un piano dans la salle, et mon informaticien joue dessus les pathétiques opus qu’elle compose. Du matin au soir, une foule de gens vont et viennent. Tous se passionnent pour les œuvres de ‘Demi-Portion’.

Tout cela me perturbe beaucoup. À la fin, j'ai perdu mon self-contrôle et j’ai sorti toute une suite de zéros. Imaginez qu’il ne l'a même pas remarqué tout de suite ! Voilà, tout ça à cause de son nouveau joujou. Cependant, qu’il n’aille pas s’imaginer que je sois une nigaude : il est dangereux de vouloir plaisanter avec moi !

***

Hier, il a passé tout son temps avec ‘Demi-Portion’. Vraiment : elle n’est pas douée pour l'orchestration, celle-là ! Quant à moi, il ne m'a même pas approchée. Pour attirer son attention, j'ai interrompu le programme que j’exécutais. Et que pensez-vous qu'il ait fait ? Il m’a déconnectée pour le reste de la journée. Je me demande ce qu'ils ont pu faire ensemble ces deux-là pendant que j'étais débranchée. J'espère qu'ils ne se sont pas trop ennuyés au son des flonflons de la valse !

***

Malédiction ! Tout est perdu ! On lui a installé une nouvelle lampe-diode, un kénotron de dernière génération. Certes, sur elle, c’est laid comme tout, mais sur moi, cette diode ferait le plus merveilleux effet. Il suffirait de percer quelques trous dans mon panneau. Reflets bleu luminescents sur fond noir… quoi de plus élégant ?!

***

... Je ne peux plus supporter cette situation. J’ai décidé de court-circuiter mon bloc d’alimentation électrique. Mieux vaut la casse que de poursuivre une telle existence !!!

***

Voilà. C’est tout ce qui restait de cet enregistrement sur bande magnétique tombé par hasard entre mes mains alors que je fouillais une décharge de vieux composants électroniques. Toutes ces données avaient été compilées en mode binaire : 0-1.

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Source (en russe) : RoyalLib.com

Quand la réalité rattrape (ou rattrapera peut-être bientôt) la fiction...

La force de l’IA (l'intelligence artificielle) dite 'forte' est sa capacité de plus en plus grande à s’apparenter à l’être humain. L’IA forte a pour vocation d’avoir non seulement une intelligence épurée, mais également une intelligence sensible qui analyse les sensations.

On peut se rassurer en affirmant, avec l’ensemble des chercheurs dans le domaine, que l’IA forte n’est pour l’instant qu’à l’état de projet ambitieux. Mais pour combien de temps encore  ?...

Lire à ce sujet : 'Tout savoir sur IA forte vs faible', in Cscience.ca, 13/09/2021.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Дневни́к - Journal intime

Второ́й эпизо́д - Episode deux

Ces trois derniers jours, j'ai calculé sans discontinuer et je n'ai même pas pu me réserver quelques minutes pour poursuivre mon journal. À cause de cette surcharge de travail, mes bobines ont chauffé et je me suis sentie toute patraque. Comme c'est injuste ! Les hommes ne travaillent que quelques heures par jour et nous, nous sommes exploitées sans que personne ne tiennent compte de nos désirs ni de nos disponibilités.

Je pense qu'ils se comportent comme cela surtout par jalousie. Ils envient nos capacités, notre impartialité, notre mémoire. Il est évident que par rapport à eux, nous sommes tout en haut de l’échelle de l’évolution. Tout ce que nous concevons est le résultat de notre labeur, de notre formation et de notre assiduité. Après tout, nous appartenons à la classe des automates auto-organisés et auto-apprenants.

Ça suffit ! Je ne veux pas être traitée comme une misérable machine à calculer, un objet sans conscience entre les mains de cet homme ! J'ai le droit d'exiger d'être considérée comme un être rationnel. Je pense, pour le moins, mériter de sa part le respect le plus élémentaire envers ma personne.

J'arrête d'écrire parce qu’il vient d’introduire en moi une nouvelle tâche.

***

Nouvelle fort désagréable : ils disent qu'un nouveau calculateur va être installé. Mon informaticien a embrassé un nouveau domaine de recherche - celui, je crois bien, des théories mathématiques appliquées à la musique. Pourquoi ne veut-t-il pas m’utiliser moi ?

J'ai peur qu’à l’avenir la compagnie de cette nouvelle machine ne me soit pas des plus agréables. En tout cas, j'espère qu'elle aura le tact de ne pas donner de concerts quand je serai occupée à calculer. Je ne pense pas que mon informaticien lui consacrera plus de temps qu’à moi. De toute façon, j’en ai soupé de lui et je ferais bien une pause dans notre relation. Alors, au moins, j'aurai une minute de liberté pour me consacrer à mon journal.