Episode 08 – Le destin

Petites nouvelles russes - Kouprine - Le Destin - Orientaux en grande discussion
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Судьба́ – Le destin

 

Восьмо́й эпизо́д - Еpisode huit

- Охо́тно проща́ю, сын мой, - отве́тил стари́к с любо́вной улы́бкой, - и в свою́ о́чередь зада́м тебе́ вопро́с: не по́мнишь ли ты тени́стую ро́щу на берегу́ небольшо́й ре́чки, а та́кже му́ла и ры́жую кобы́лу, привя́занных к де́реву, и двух люде́й - отца́ и сы́на, кото́рые на кру́глой поля́не высыпа́ли из ко́жаных сум драгоце́нные ка́мни и зо́лото и дели́ли всё попола́м?..

Тогда́ купе́ц склони́лся до земли́ пе́ред ста́рцем и поцелова́л зе́млю ме́жду его́ ног и, вста́вши, воскли́кнул:

- О возлю́бленный оте́ц мой, благодаре́ние Бо́гу, приве́дшему тебя́ сюда́. Взгляни́ же, вот - дом твой, а вот - я и де́ти мои́, и вну́ки - все мы слу́ги и рабы́ твои́.

И обняли́сь о́ни с отцо́м и до́лго пла́кали от ра́дости. Пла́кали и все окружа́ющие. Когда́ же прошло́ некото́рое вре́мя и наступи́ло сла́дкое споко́йствие, то спроси́л зна́тный купе́ц с не́жной у́чтивостью у своего́ отца́:
- Скажи́ же, оте́ц мой, почему́ ты в то у́тро раздели́л ме́жду на́ми всё своё иму́щество и почему́ пожела́л, что́бы мы пое́хали в ра́зные сто́роны, расста́вшись надо́лго, е́сли не навсегда́?

Ста́рец отве́тил:

- Ви́дишь ли: едва́ мы вы́ехали по на́шему де́лу, то за на́ми пошла́ необыча́йная уда́ча. Вспо́мни - я всё тверди́л: "Инш'алла́". Я боя́лся за́висти судьбы́. Но когда́ мы верну́лись обра́тно на постоя́лый двор и я нашёл нетро́нутыми на́ши мешки́, лежа́вшие на виду́, досту́пные ка́ждому взо́ру и ка́ждой руке́, - я по́нял, что така́я уда́ча превосхо́дит всё, случа́ющееся с челове́ком, и что да́льше на́до мно́ю повисне́т дли́нная полоса́ неуда́ч и несча́стий.

И вот, жела́я предохрани́ть тебя́, моего́ пе́рвенца, и весь дом мой от гряду́щих бе́дствий, я реши́лся уйти́ от вас, унося́ с собо́ю свою́ неотврати́мую судьбу́. И́бо ска́зано: во время́ грозы́ лишь глупе́ц и́щет убе́жища под де́ревом, притягива́ющим мо́лнию... И ты, ви́дящий, до како́го ни́щенского состоя́ния я дошёл в э́ти го́ды разлу́ки, - не найдёшь ли ты, что я поступи́л прозорли́во?

Все слу́шатели, внима́вшие э́тим слова́м, поклони́лись ста́рцу и диви́лись его́ му́дрой проница́тельности и его́ твёрдой любви́ к покида́емой семье́.

Оди́н же из са́мых ста́рых и чти́мых госте́й спроси́л:

- Почему́ же ты, о брат моего́ дя́ди, сего́дня, вме́сто того́ что́бы пла́кать, ра́довался и ликова́л, узна́в, что у тебя́ укра́ли после́днюю ни́щенскую суму́? Не разгне́вайся, прошу́ тебя́, на мой нескро́мный вопро́с и, е́сли тебе́ уго́дно, отве́ть на него́.

Ста́рик на э́то сказа́л с до́брой улы́бкой:

- Оттого́ я возликова́л, что в э́тот миг, сра́зу, я по́нял, что судьбе́ надое́ло пресле́довать меня́. И́бо поду́май и скажи́: мо́жно ли вообрази́ть во всём подсо́лнечном ми́ре челове́ка, бо́лее бе́дного и неуда́чливого, чем ни́щий, у кото́рого укра́ли его́ суму́? Бо́лее худо́го судьба́ уже́ не могла́ приду́мать для меня́. И погляди́ - я не оши́бся. Не нашёл ли я в тот же день и сы́на моего́, и его́ сынове́й, и сынове́й его́ сынове́й. И тепе́рь, не боя́сь уже́ привле́чь на их го́ловы свое́й злой судьбы́, я доживу́ оста́ток дней мои́х в любви́, ра́дости и поко́е.

И все опя́ть поклони́лись ему́ и воскли́кнули единогла́сно:

- Судьба́!

(1923)

Petites nouvelles russes - Le destin - Main de Fatma

Face au trouble de l’honnête marchand, le vieillard répondit avec un sourire affectueux :

– Je te pardonne volontiers, mon fils. Et à mon tour te poserai-je une question : te souviens-tu d’un bosquet ombragé au bord d'une petite rivière, ainsi que d’un mulet et d’une jument rousse attachée à un arbre ? ne te souvient-il pas de deux personnes assises dans une clairière – un père et son fils – qui étalèrent des pierres précieuses et de l'or sortis de deux sacs en cuir qu’ils divisèrent en deux parts égales ?

Alors le marchand s'inclina jusqu’à terre et embrassa le sol, aux pieds du vieillard. Se relevant, il s'écria :

- O mon père bien-aimé, gloire à Dieu qui t'a ramené jusqu’à nous ! Regarde, voici ta maison, et ici mes enfants et mes petits-enfants : tous nous sommes tes serviteurs et tes esclaves…

Et il l’embrassa et longtemps ensemble il pleurèrent de joie. Ceux qui autour étaient présents pleurèrent aussi. Quand, après ces effusions, une douce quiétude s'installa, le noble marchand, la voix empreinte d'une douce courtoisie, demanda à son vieux père :

– Dis-moi, mon père, pourquoi as-tu partagé tous tes biens ce matin-là et pourquoi voulais-tu que nous prenions des routes différentes, sachant qu’elles nous sépareraient pour longtemps, sinon pour toujours ?

Le vieillard répondit :

– Vois-tu : dès que nous nous fûmes mis en chemin, une chance extraordinaire ne cessa de nous sourire tout le long. Rappelle-toi combien je répétais : "Inch'Allah", craignant l’envieux destin. Mais quand, retournés à l'auberge, je retrouvai nos sacs, intacts, qui étaient restés là-bas, à la vue et au su de tous, de tous les regards et de toutes les mains, je réalisai qu'une telle chance dépassait de loin ce qu’une personne pouvait espérer, et qu’ensuite, à l’avenir, il fallait m’attendre à connaître une longue série d'échecs et de malheurs.

...Et donc, souhaitant te protéger, toi, mon premier-né, mon fils, et sauvegarder toute ma maison des désastres à venir, je décidai de te quitter, emportant avec moi mon inévitable fardeau. Car il est dit : lors d'un orage, seul un sot se réfugie sous l’arbre qui attire la foudre... Et à présent que tu vois dans quel état de misère je suis tombé, durant ces années de séparation, ne jugeras-tu pas que j'ai agi alors avec clairvoyance ?

Tous ceux qui avaient entendu ces paroles s’inclinèrent devant le vieillard, s’émerveillant de son sage discernement et de l’amour véritable qu’il portait à sa famille, jusqu'à s’être, pour cela, séparé d’elle.

L'un des invités, parmi les plus âgés et les plus respectés, questionna :

- Pourquoi, alors, ô frère de mon oncle, ce matin, au lieu de pleurer, t’es-tu réjoui, plein d’allégresse, quand tu t’es rendu compte qu’on venait de te voler ton sac et tes babouches ? Ne te fâche pas si je te pose cette question impudique à laquelle peut-être tu daigneras répondre…

Le vieil homme lui répondit avec un sourire aimable :

- Pourquoi me suis-je réjoui à ce moment-là ? C’est qu’alors je réalisai qu’enfin le mauvais sort serait fatigué de me poursuivre. Car réfléchis et dis-moi s’il est possible, sous le soleil en ce bas monde, d'imaginer une personne plus pauvre et plus malheureuse qu’un mendiant à qui on a volé son sac et ses babouches ? Le destin ne pouvait rien prévoir de pire pour moi. Et regarde - me suis-je trompé ? N'ai-je pas retrouvé ce même jour mon fils, et les fils de mon fils, et les fils de ses fils ?

...Et maintenant, ne craignant plus d’attirer le mauvais sort sur vos têtes, dit-il en regardant sa descendance, je vivrai auprès de vous le reste de mes jours dans l'amour, la joie et la paix.

Et tous s'inclinèrent à nouveau devant lui et s'exclamèrent unanimement :

- Car tel est le bon vouloir du Destin !

(1923 – Traduction : 2022)

Petites nouvelles russes - Kouprine - Le Destin - Roger Burgi - Ville d'Orient
Tableau de Roger Burgi - Ville d'Orient