Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Ле́кция по парапсихоло́гии

Leçon de parapsychologie

Четвёртый эпизо́д - Episode quatre

В заключе́ние - En conclusion

Je viens de vous présenter ici quelques faits capables de dissiper la méfiance que, malheureusement, persistent à avoir de nombreux sceptiques envers la parapsychologie considérée en tant que science. Juste les faits, comme disait Ampère.

En conclusion, je voudrais m'attarder sur l'importance que peut avoir le développement futur de la parapsychologie.

Nous vivons à une époque caractérisée par une diminution constante de la part de l'énergie humaine au rapport de la quantité totale de travail produit.

L'ouvrier n’a qu’à appuyer sur un bouton et de puissants jets d’eau se déversent sur des monceaux de charbon, jusqu’à les broyer. Par une simple pression, des grues de plusieurs tonnes peuvent être manœuvrées, soulevant les charges les plus lourdes.

Il est temps à présent de soulever une nouvelle question : comment réduire le coût énergétique mental par unité de production scientifique ?

Le travail d'un chercheur ne se résume pas toujours à des réalisations aussi concrètes que la conception d’un vaisseau spatial ou d’une centrale nucléaire. Parfois, son champ d’activité est beaucoup plus modeste : il s’agit d’articles, de conférences ou de communications. Arriver à lire dans l'esprit d’autrui rendrait un service inestimable aux scientifiques, facilitant de nouvelles formes de coopération, de partage et de compilation des savoirs.

Les physiciens nous interpellent souvent :

« Comment, à votre avis, la pensée peut-elle se propager à travers l’espace ? »

Les parapsychologues se bornent à leur répondre :

« Dites-le-nous vous-mêmes, Messieurs ! c'est pour ça que vous êtes physiciens ! »

Source (en russe) : books.rusf.ru.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Ле́кция по парапсихоло́гии

Leçon de parapsychologie

Тре́тий эпизо́д - Episode trois

О пробле́ме внуше́ния о́бразов - De la suggestion d’images

Il est nécessaire à présent de s'attarder plus en détail sur la question de la suggestion d'images, car, apparemment, ce type de connexion parapsychologique est le plus courant.

L'expérience suivante a été réalisée dans notre laboratoire :

Nous avons enfermé l'inducteur et le percipient dans des chambres isolées et les avons privés de nourriture pendant une longue période. Ensuite, nous leur avons demandé de décrire les images qui leur venaient spontanément à l’esprit. Naturellement, les particularités de l'état physiologique dans lequel ils étaient les prédisposaient principalement à l’évocation d'images alimentaires.

En conséquence, voici les données que nous avons obtenues ; des taux de coïncidences de réponses largement supérieurs à de simples correspondances d'ordre purement aléatoire (cf. la théorie des probabilités) :

- Petits pains et autres produits boulangers – 75 %.
- Plats de viande – 83 %.
- Soupes chaudes et bouillons gras – 87,3 %.

Il convient de noter que le test du percipient effectué au travers d’un écran métallique n'a pas modifié de manière significative la distribution des corrélations.

Un autre point à signaler : il a été constaté que l'exposition du cortex cérébral à certains agents chimiques améliore considérablement la connexion parapsychologique.

L'inducteur et le percipient, placés dans des chambres noires isolées, après avoir ingéré une dose importante d'alcool, déclaraient voir clairement des êtres démoniaques et les décrivaient dans les mêmes termes. L'effet se trouvant significativement renforcé par l’ajout à l'alcool de colloïdes végétaux extraits de poivron rouge, en même temps qu’affaibli par la consommation de nourriture. Ce dernier élément s'explique facilement si l'on se rappelle à quel point celle-ci – la nourriture - est, comme nous l’indique Pavlov, un puissant perturbateur endocrinien.

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Ле́кция по парапсихоло́гии

Leçon de parapsychologie

Второ́й эпизо́д - Episode deux

Не́сколько поучи́тельных приме́ров - Quelques exemples édifiants

Un exemple exceptionnellement convaincant de suggestion de sensations a été rapporté par le célèbre parapsychologue français Henri Trompluër dans son ouvrage retentissant "Et si peut-être…" :

Voyageant avec un ami, il s’arrêta un jour, écrit-il, dans un petit hôtel de province. Il s'avéra que le lit dans lequel il coucha regorgeait littéralement de punaises de lit. Toute la nuit, le professeur Trompluër ne put fermer l’œil à cause des sensations de brûlure et de démangeaisons. Quelle ne fut pas sa surprise quand au matin il s'avéra que son ami, qui dormait dans une autre chambre (j'insiste particulièrement sur ce point), avait éprouvé les mêmes sensations durant cette même nuit !

Un autre exemple très intéressant de phénomène télépathique - ...excusez-moi, parapsychologique -, fut rapporté lors d'une réunion de la Société des télépathes de Saint-Pétersbourg, le 12 juillet 1895 :

Le capitaine d'Etat-major Valiétov, qui partageait sa vie avec sa femme depuis quinze ans, s’était rendu dans le Caucase sans son épouse. Dix jours plus tard, alors qu'elle offrait le café à ses amies, à deux heures de l’après-midi précises, madame s'exclama soudain :

« Colas, mon ours de mari, a dû encore perdre aux cartes ! »

Lors de la réunion que nous avons évoquée, il fut rapporté – un fait confirmé et certifié devant notaire par des témoins dignes de foi - que ce fut précisément à ce moment-là que le capitaine Valiétov – qui se trouvait, rappelons-le, à des centaines de kilomètres -, ayant annoncé un grand chelem à cœur, s’était retrouvé sans aucun pli à la quatrième main.

Enfin, quant à la forme de communication parapsychologique la plus rare, à savoir la lecture dans les pensées d'autrui, il me fut donné de l'observer moi-même en 1912. J’étais, en ce temps-là, étudiant à l'Université de Moscou et je passais un examen de philosophie devant un savant bien connu, le professeur B.

Après m'avoir écouté attentivement, il s’exclama soudain :

« Je vois que vous n'avez pas lu Kant et que vous ne pensez qu’aux bars à bière et aux salles de billard ! »

Une telle capacité à lire si précisément dans les pensées d’autrui frappa tellement mon imagination que cet incident marqua à jamais un tournant décisif dans ma vie, déterminant toutes mes futures recherches dans le domaine de la parapsychologie.

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Ле́кция по парапсихоло́гии

Leçon de parapsychologie

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(1964)

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

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Введе́ние – Introduction

La parapsychologie - science qui étudie les phénomènes de transmission et de lecture des pensées à distance - appartient au domaine le plus ancien et le moins étudié des connaissances humaines, couvrant une large gamme de questions complexes touchant à la fois à la psychologie, à la physiologie et à la propagation des ondes électromagnétiques.

Nous avons réuni des preuves irréfutables que déjà, à l'aube de son développement, l'humanité connaissait l’existence de phénomènes mystérieux de transmission de pensées sans besoin de recourir à la parole - qui, selon Pavlov, est le second système de signes. C’est ce que nous prouvent de nombreux récits, contes et légendes qui nous sont parvenus depuis ces temps anciens.

A cette époque, dans ces phases primitives des sociétés humaines, le faible niveau des savoirs induisait inévitablement à ce que les phénomènes parapsychologiques observés demeurassent enveloppés de mystères et de brumes mêlant mythes et religion.

Écartant résolument toute dimension religieuse, nous sommes aujourd’hui en droit d'en extraire un chapelet d’éléments factuels qu’il nous faut examiner de manière purement scientifique.

Nous rencontrons une première mention de ces phénomènes dans le mythe de la Chute qui rapporte comment le Serpent inspira à Eve l'idée de dérober la pomme sur l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Il est de bon sens de considérer qu'entre le serpent muet et Eve, toute possibilité de communication par la parole était exclue. Nous devons également écarter l’idée d’un geste suggestif qui aurait permis au reptile d’influencer la psyché d'Eve, puisque les serpents n'ont ni bras ni jambe. Ainsi, il ne nous reste plus qu'à supposer que l'image de la pomme s’est matérialisée dans la conscience d'Eve par l’entremise d’une suggestion à distance.

Depuis, parallèlement à l'accumulation de connaissances humaines dans le domaine des sciences appliquées, l'éventail des faits relevant de la transmission de pensées n’a cessé de s’élargir.

Tout comme l'alchimie peut être considérée comme l’ancêtre de la chimie moderne, la parapsychologie tient ses origines de la télépathie. Cependant, en lui empruntant son objet d'étude, la parapsychologie a radicalement modifié les représentations idéalistes sur lesquelles reposait cette proto-science. A la notion d’"âme", utilisée par les télépathes, les parapsychologues préfèrent le concept de "personnalité". Le terme de "médium" a cédé la place à celui, plus scientifique, de "percipient". Enfin, la conception mystique des télépathes d’une supposée "force magnétique" a été remplacée, dans le cadre de la parapsychologie moderne, par le concept de "capacité inductive de l'inspirateur".

Les différentes approches des parapsychologues nous permettent de subdiviser les manifestations parapsychologiques en diverses catégories :

1. Suggestion de sensations.

2. Prémonitions éprouvées par une personne à propos d’une autre. Les deux sujets ayant été auparavant en lien parapsychologiquement.

3. Suggestion d'images et de représentations.

4. Lecture des pensées d’autrui.

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Челове́к, кото́рый ви́дел антими́р

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L’homme qui avait vu l’anti-monde

Тре́тий эпизо́д - Episode trois

Gorst logeait dans une vieil immeuble délabré sur les quais du canal Obvodny¹. Lui et moi traversâmes plusieurs cours sombres, encombrées de piles de bois de chauffage, jusqu'à ce qu’enfin nous arrivions devant une porte située sous un des nombreux porches.

- Il n'est pas nécessaire d’aller plus loin, me dit-t-il en me tendant la main. Désolé de ne pas vous convier d’entrer, mais pour le moment ce n'est tout simplement pas possible. Je pense que vous me comprendrez sans en être froissé...

Deux semaines passèrent sans que Gorst ne réapparût.

J'étais persuadé qu'il était souffrant, mais je n'osais me rendre chez lui sans y être invité.

Il me semblait que sa réticence à me recevoir était en quelque sorte liée au secret de cet objet mystérieux qu’il avait évoqué, ce talisman qu'il protégeait soigneusement.

Plusieurs jours, je réfléchis à la façon de lui rendre visite sans risquer d'être malvenu.

Un soir, après l'avoir attendu en vain plus de deux heures dans le parc de nos rencontres, je pris mon courage à deux mains et me rendis chez lui.

Avec beaucoup de difficulté, dans la pénombre d’une cage d’escalier, je trouvai une porte portant un nom mal griffonné : « I. P. Gorst. »

Une fillette d'environ douze ans m’ouvrit. Je lui demandai des nouvelles d'Izéchiel Pétrovitch, comment se portait-il ? Elle me conduisit sans un mot au bout du corridor et tout aussi silencieusement me désigna une porte.

Je frappai... Aucune réponse. Je me décidai à entrer.

Dans la chambre, je vis Gorst, assis dans un fauteuil près d’une table. Au début, son regard étrangement fixe me fit peur. Je pensai qu'il était mort. Cependant, cette première impression s’estompa. Ses narines se dilataient au rythme lent de la respiration d’un yogi. De toute évidence, il était en transe, complètement plongé dans la contemplation d’un de ses mystérieux anti-mondes.

Je compris que mon arrivée complètement inopportune pouvait le déranger dans son voyage et je me tournai déjà vers la porte, mais une curiosité irrésistible me poussa à porter mon regard vers le talisman mystérieux sur lequel ses yeux étaient rivés.

C'était un verre, un verre bien ordinaire, rempli à ras bord. Son contenu se laissait facilement deviner d'après les étiquettes des nombreuses bouteilles vides qui trônaient sur la table.

Source (en russe) : books.rusf.ru

En 2015, le studio 'Skalnaïa 20' (Скальная 20) réalise un court-métrage directement inspiré de la nouvelle d'Ilya Varchavsky...

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Челове́к, кото́рый ви́дел антими́р

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L’homme qui avait vu l’anti-monde

Второ́й эпизо́д - Episode deux

Pendant plusieurs jours, je l'attendis en vain à l'endroit habituel de nos rencontres. Quand enfin il réapparut, il avait l'air éreinté.

Selon lui, il avait occupé toute ses dernières journées à établir la connexion avec la mystérieuse image-miroir de notre monde. Les résultats avaient été au-delà de toute attente, me confia-t-il. Il avait réussi à y croiser son double et même à lui parler, mais cela lui avait demandé un effort si colossal qu’il en était tombé évanoui, restant plusieurs heures dans une sorte de coma.

Ce soir-là, notre conversation s’éternisa. Il me raconta que l'univers lui apparaissait comme une collection de plusieurs mondes partageant un espace commun. Ces mondes s'interpénétraient, mais tout contact entre eux était impossible.

- ...Évidemment, chacun existe soit dans son propre rythme temporel ou bien ils sont complètement perméables les uns aux autres. Les phénomènes en eux se reflètent inversement, comme dans un miroir. Cela s'applique non seulement aux images, mais aussi aux concepts... 

Ses derniers mots me laissèrent dubitatif. Je lui dis que je ne pouvais pas me représenter l’image-miroir d’un concept.

- Je ne saisis pas ce qui vous tracasse, protesta-t-il. Prenons les concepts du bien et du mal. Ils sont la somme des idées sur tout ce qui est bon et sur tout ce qui est mauvais. Le sauvage ne fait que diviser en deux classes les phénomènes du monde qui l’entoure : un tigre vivant est mauvais, un tigre mort est bon. L'homme moderne a ajouté à cela nombre d’autres catégories éthiques et morales, mais l'essence reste la même : ce qui nous est nuisible est mauvais, ce qui nous est favorable est bon. Dans l'anti-monde, ce sont d'autres interactions qui relient ces termes.

- Alors un tigre mort là-bas c'est mal, et un tigre vivant c'est bien ? me hasardai-je.

- Pourquoi pas, si dans ce monde-là le tigre n'est pas un ennemi, mais un ami ?

- Eh bien, dites-moi, à quoi ressemblent donc ces autres mondes ? demandai-je intrigué.

- Ils sont au-delà de toute imagination, répondit-il après un moment de réflexion. Il est impossible d'imaginer quelque chose pour laquelle aucune analogie n’existe, même négative. Seul notre propre anti-monde peut être appréhendé, d’une certaine manière, par le cerveau humain, encore que cela nécessite des organes sensoriels complètement nouveaux, comme ceux dont la Nature m'a doté.

Il me paraissait gravement malade. Je fus surtout frappé par ses yeux, enflammés, parcourus de traînées sanglantes. Ils semblaient être consumés par la vision de ce qui est ‘au-delà de toute imagination’.

Je lui conseillai d’arrêter un certain temps toutes ces expériences et de se préoccuper de sa santé. Il me semblait que le stress qu’il avait accumulé durant les derniers jours avait un effet néfaste sur son système nerveux…

- Croyez-vous vraiment que je puisse m'arrêter à mi-chemin maintenant ?... Il eut un rire sans joie. Je suis convaincu que je suis arrivé au seuil du mystère le plus fascinant de l'univers. Dans quelques jours, je pourrai peut-être découvrir ces secrets avec l’aide de mon anti-double.

Il se leva, tout chancelant et faible, et je fus obligé de lui offrir mon bras afin de le soutenir. Pour la première fois depuis notre première rencontre, je le raccompagnai jusqu’à chez lui.

Илья Варшавский

Челове́к, кото́рый ви́дел антими́р

Расска́з-шу́тка

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Ilya Varchavsky

L’homme qui avait vu l’anti-monde

Bouffonnerie

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(1965)

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

Son nom de famille était Gorst. Izéchiel Pétrovitch Gorst . Il répéta son nom deux fois, en le scandant soigneusement syllabe par syllabe. En général, c'était un homme très scrupuleux, enclin à l'introspection. Je l’avais ressenti dès le début, quand il m’avait parlé pour la première fois de son don. Un don qu’il s’était découvert environ trois ans auparavant.

- C'est très difficile d'arriver à expliquer comment ça marche, m’avait-il confié, tout en dessinant une sorte de motif dans le sable à l’aide d’une brindille. Imaginez le monde qui vous entoure (la pointe de la brindille dessina un grand cercle), et là, c'est vous (il fit une croix en son centre). Tous les gens voient l'espace autour d'eux comme ceci (il traça des rayons allant de la croix jusqu’au bord du cercle). Moi, je suis à la fois à l'intérieur et à l'extérieur (qu’il symbolisa par des flèches partant de l'extérieur du cercle et dirigées vers le centre). Cependant, il n'est guère possible de représenter tout cela aussi simplement.

- C'est effectivement bien difficile, en convins-je, de comprendre comment vous pouvez voir les objets en même temps par devant et par derrière.

- Pas vraiment comme ça. Plutôt, de l'extérieur et de l'intérieur. Mais cela ne signifie pas du tout que je vois ce que vous avez ici… Et il pointa le bout de sa brindille sur ma poitrine. L'extérieur et l'intérieur ne sont pas des objets séparés, mais le monde dans son ensemble. Je vois le monde et tous ses contraires à la fois, ajouta-t-il après une pause. Je ne me suis peut-être pas exprimé suffisamment clairement. Très probablement : je vois en même temps les modèles droit et gauche du monde.

— Et à quoi tout cela ressemble-t-il ?

- C’est une très petite zone d'espace dans laquelle les objets que j'observe et leurs images-miroirs coexistent. Parfois les deux se superposent complètement, et parfois seulement partiellement, mais en même temps toujours séparés par un milieu matériel qui nous est inconnu, dans lequel ils baignent, comme dans un liquide...

Ce fut là notre première conversation. Après cela, nous nous recroisâmes plusieurs fois sur cette même petite place, comme égarée entre une forêt d'immeubles, et chaque fois nous bavardions de son incroyable capacité à percevoir le monde. J'eus le sentiment que lorsque cela lui arrivait, il entrait dans un état proche de la transe.

Il me dit à plusieurs reprises que son don était lié à sa capacité de se concentrer sans se laisser distraire par ce qui l’entourait. Pour ce faire, me confia-t-il, il portait toute son attention sur un objet particulier, brillant, qu’il fixait longuement. Un objet à propos duquel, réticent, il ne voulait m’en dire plus, lui attribuant apparemment le pouvoir d’un talisman.

Une fois, je lui rappelai qu'une telle technique était loin d'être nouvelle et qu'elle était connue des yogis depuis des millénaires. Pour une raison que j’ignore, cela le mit très en rogne.

- Aucun yogi ne voit plus loin que le bout de son nez, me répondit-il sèchement en se levant du banc. Ce jour-là, il partit sans même me dire au revoir.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Пантео́н бессме́ртия

Le Panthéon de l'immortalité

Тре́тий эпизо́д - Episode trois

Développant leurs capacités télépathiques, les âmes des défunts commencèrent de manière inexplicable et incontrôlée à rendre visite à leurs proches et même à fréquenter divers établissements publics.

Si leurs visites familiales, qui se résumaient généralement à des conseils pour réorganiser l’ameublement du logis ou pour mettre en garde une épouse face aux fréquentes absences, le soir, de son conjoint ne provoquèrent que des conflits d'ordre purement conjugaux, leur nouvelle habitude d'errer dans les couloirs des bâtiments officiels déboucha sur une catastrophe d’envergure planétaire.

Les premiers à s’en émouvoir furent les employés des maisons d'édition et ceux des bureaux des brevets contraints du matin au soir de supporter de délirants récits et d’étudier de folles inventions.

Lorsque les morts les plus impudents commencèrent, tout pleins de ‘bons’ conseils et de recommandations, à monter au sein des échelons des institutions et même à apparaître en rêve aux plus hauts responsables de l’Etat, il devint urgent de décréter des mesures coercitives.

Par décision du Comité permanent aux Affaires des Ames Mortes, toute la population des panthéons – aussi bien celle des Panthéons du Paradis que celle des Réserves de l’Enfer - fut déportée dans l'espace.

Cependant, ce choix radical n’eut pas les effets escomptés.

Premièrement, les âmes désormais sans surveillance devinrent complètement incontrôlables, terrorisant les passagers et les hôtesses des vols spatiaux et menaçant d’affreuses représailles les populations des planètes sous-développées. Plus que tout, éclata au ciel une guerre sans fin entre les Justes d’un côté et les Pécheurs de l’autre, provoquant de continuels orages magnétiques et perturbant ainsi les communications radio intersidérales.

Deuxièmement, à nouveau l'absence de perspective claire concernant l'Au-delà provoqua des troubles dans plusieurs pays. Bien que le Conseil se résolût à mettre un terme au projet des Ames mortes, il se trouva quelques hommes d'affaires avisés qui promirent à qui voulait les croire le bonheur éternel dans l'Espace – moyennant, bien entendu, une très modique contribution. Comme toujours en pareil cas, le désir d'immortalité propre à l’être humain fut utilisé par toutes sortes d’aigrefins et d’affabulateurs afin d’ourdir de sombres machinations.

En cette difficile époque que traverse la planète, et alors que les scientifiques ont renoncé à tenter d’améliorer le monde, les auteurs de science-fiction ont repris à leur compte la question du devenir des Ames Mortes. Y parviendront-ils ? Seul l'avenir nous le dira. Très probablement ils sauront bien s’en débrouiller, bien que l’âme humaine - vivante ou morte – demeure à jamais un abîme de ténèbres.

Source (en russe) : RoyalLib.com.

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­Пантео́н бессме́ртия

Le Panthéon de l'immortalité

Второ́й эпизо́д - Episode deux

Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les mystérieuses caractéristiques propres à chaque individu purent ainsi être codées dans des conteneurs de plasma. Gainées par de fines coques magnétiques, ces molécules portaient en elles l’ensemble des informations collectées au sein des dix milliards de cellules nerveuses du cerveau. Ainsi, un millimètre cube gazeux, protégé au sein d’un nuage magnétique, devint miraculeusement capable de conserver la personnalité propre de chaque individu.

Ce fut là un grand jour : enfin le vieux rêve d'immortalité devenait réalité. L'esprit, libéré de son enveloppe charnelle, n'avait plus besoin ni de nourriture ni de vêtements. Sans plus ressentir de fatigue, il conservait non seulement ses capacités de penser et de création, mais aussi une certaine liberté de mouvement, certes limitée par l’exiguïté du columbarium où il reposait. De plus, l’entreposage de ces âmes synthétiques ne posait aucune difficulté, car leur infime volume nécessitait bien moins de place que des urnes funéraires contenant des cendres.

Une telle avancée scientifique ne pouvait pas n’être réservée qu’à certains, limitée par des frontières sociales, politiques ou géographiques. Il n'est donc pas surprenant que la Déclaration des Droits des Morts, adoptée par le Congrès mondial des Vivants, reconnût à chaque habitant de la planète le droit fondamental à l'immortalité, quels que soient son sexe, sa couleur de peau ou ses opinions politiques et religieuses.

En moins d'un an, d'élégants bâtiments blancs avec sur leurs portes noires une pancarte où était écrit : "Panthéon communal"¹ sortirent de terre jusqu’aux endroits les plus reculés.

Selon des jours décrétés à l’avance, les parents des morts pouvaient venir converser avec les âmes défuntes, car ces esprits, libérés du poids de la chair, possédaient en outre des facultés télépathiques.

En temps normal, ces chères âmes allaient et venaient librement dans leur columbarium, se livrant à des activités récréatives, à des flirts sans conséquence, ou bien se racontant des souvenirs de leur vie antérieure.

L'existence future, éternelle et sans nuages dans les ‘Panthéons du paradis’ comme on les appelait, désinhiba complètement les humains face à la mort : ils ne la craignaient plus. Une partie d’entre eux, convaincue que chaque mortel était destiné à la béatitude éternelle, commença à négliger ses obligations d’honnête citoyen, à se laisser aller à l'ivresse et la débauche et même à se permettre des extravagances carrément antisociales. Par conséquent, une réunion exceptionnelle du Congrès Extraordinaire des Vivants fut contraint d'adopter le Premier amendement à la Déclaration des Droits des Morts qui promulgua la création de Panthéons de Haute Sécurité (PHS) pour tous ces nouveaux délinquants.

Alors, à côté des bâtiments de marbre blanc accueillant les âmes qui méritaient la véritable immortalité, des constructions noires et sans fenêtre virent le jour portant l’enseigne : "Réservé aux Ames antisociales". Lors de la prise d’empreintes des âmes de chaque défunt, son dossier personnel était dès lors soigneusement épluché, après quoi un coup de tampon "Paradis" ou "Enfer" était apposé sur sa carte d'enregistrement pour l’au-delà.

Dans les PHS – les Panthéons de Haute Sécurité -, les visites étaient interdites, et au lieu de la libre autonomie qui avait cours dans les Panthéons du Paradis, les âmes coupables étaient soumise à la férule de surveillants-défunts spécialement désignés par l'Administration pénitentiaire.

Il sembla alors que tout redevînt pour le mieux dans le meilleur des mondes, sinon qu’un événement bien imprévu survint...

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Пантео́н бессме́ртия

Le Panthéon de l'immortalité

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(1964)

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

Les premiers, comme toujours, furent les écrivains de science-fiction. Cela coïncida, en littérature, avec la fin de l’époque spatiale. La version intersidérale des ‘Trois Mousquetaires’ avait déjà été écrite, on avait transposé les aventures des héros des épopées de l’ancienne Russie et des mythes grecs dans de lointaines galaxies, "Rocambole sur Mars" avait été publié et la douzième chaise de Madame Petoukhova¹ ainsi que ses trésors expédiés vers les anneaux de Saturne².

La crise du genre couvait.

La facilité d’adapter n'importe quelle œuvre littéraire en science-fiction en déportant ses personnages à quelques parsecs³ de la Terre attira des milliers de nouveaux auteurs. Ainsi, durant de nombreuses années, retravaillèrent-ils tout ce qu'avaient écrit avant eux les prosateurs, les dramaturges et les poètes, et, comme des nuées de sauterelles affamées, à la recherche de nouvelle nourriture, dévorèrent-ils tous les ouvrages qui leur passaient entre les mains.

Comme toujours dans les périodes de transition, l'idée était déjà dans l'air, et rétrospectivement il est bien difficile d'établir qui fut le pionnier du renouvellement du genre. C’est ainsi que d’une façon ou d’une autre un flot de nouveaux ouvrages traitant de l'âme humaine se déversa sur le marché.

Ce n'était pas là qu’un retour aux vieilles traditions de Flammarion ou d’Hoffmann⁴ : affublée des technologies les plus modernes, l'âme humaine perdait dans ces nouveaux récits toute la coloration mystique qui auparavant la caractérisait pour devenir prosaïquement matérielle.

Les auteurs l’extrayaient par des dispositifs ingénieux des tréfonds des cellules cérébrales. Ils l’enregistraient sur des bandes magnétiques, la concentraient et la cristallisaient au sein de semi-conducteurs, la matérialisaient en code binaire dans des molécules de polymère, la faisaient voyager sur des distances incommensurables par transmission radio.

Ainsi, des années durant, l'espace cosmique de la littérature de science-fiction se trouva-t-il peuplé par les âmes des vivants, des morts, et de ceux encore à naître, leur prolifération dépassant toutes les normes sanitaires communément admises.

Cependant, chacun sait que l’aile rapide de la fantaisie la plus débridée ne devance guère longtemps le pas confiant et tranquille de la science. Le moment arriva où ce qui semblait n’avoir été que d’amusantes élucubrations sorties de la tête d’écrivains de romans de science-fiction se concrétisa et se matérialisa au sein des laboratoires scientifiques.