Илья Варшавский

Ilya Varchavsky
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­Для писа́телей-фанта́стов

Aux écrivains de science-fiction

Четвёртый эпизо́д - Episode quatre

e) Dauphins et Science-fiction

Les opposants à la science-fiction prétendent souvent que le genre a déjà épuisé tous ses thèmes et ne perdure qu’en ressassant sans cesse les mêmes antiennes. Il s’agit là d’un point de vue totalement dénué de fondement. Ne serait-ce que, par l'exemple, l’irruption des dauphins dans les œuvres d’anticipation.

Tout au long de son histoire l'humanité a coexisté avec les dauphins, mais c'est seulement récemment, au moment où ces animaux ont déjà été presque tous exterminés, que les scientifiques ont découvert que le rapport entre le poids de leur cerveau et leur poids corporel était plus élevé que chez l'homme. Cela a engendré tout un tas de spéculations concernant l’univers mental dans lequel baignent les cétacés et, particulièrement, les grands dauphins.

Si l'on systématise tout ce qui paraît dans la presse sur ces animaux, alors on peut certifier avec un degré de certitude suffisant que :

Premièrement, les dauphins aiment les gens. Bien que l'amour soit difficile à évaluer sur une échelle absolue ou même relative, il y a de bonnes raisons de croire que les sentiments d’affection d'un dauphin envers les humains sont un peu plus faibles que ceux d'un chien mais un peu plus forts que ceux d'un cochon.

Deuxièmement, les dauphins sont faciles à dresser. (Ni plus ni moins, semble-t-il, que les otaries, mais comme ces dernières ont un volume cérébral inférieur à celui des dauphins, elles n'intéressent ni la science ni les auteurs de science-fiction).

Troisièmement, ils communiquent entre eux par des sifflements. Apparemment, leur langage, en terme de richesse de concepts et de pittoresque, n'est en rien inférieur au langage des oiseaux chanteurs. Cependant, cette question mériterait d’être éclaircie, car personne n'a encore compilé de dictionnaires en langues dauphin ou canari.

Malheureusement, c'est presque tout ce qu'on peut dire à propos des dauphins car comparés aux ours apprivoisés portant culottes à carreaux qui conduisent des motos dans les cirques, les capacités de ces braves cétacés semblent plus que modestes. Mais les écrivains de science-fiction se doivent de disserter à l’envi sur le thème des dauphins, sinon pourquoi la Nature les aurait-elle dotés d’un cerveau si puissant ? (Encore une fois, je fais ici référence aux dauphins.)

f) Des monstres et autres créatures

Le lecteur de science-fiction aime tout ce qui est inhabituel. Plus il y a de monstres dans le texte, mieux c'est.

A l'heure actuelle, toutes les créatures mythologiques ont déjà été utilisées : centaures, dragons, pégases, cyclopes et même les anges : les simples, à deux ailes, et les séraphins aussi.

Fabriquer des monstres pour des œuvres fantastiques peut être réalisé de manière quasi industrielle. Il existe pour cela deux façons :

1. L’hybridation. Dans ce cas, on préférera des hybrides entre espèces végétales et animales particulièrement éloignées. Un rosier qui, au lieu de bourgeons, porte sur ses branches des têtes de tigre, une jeune fille avec un corps de serpent, des méduses avec des ailes, voire même le croisement d’une araignée et d’un faucon. Plus la combinaison est inattendue, plus elle fera forte impression au lecteur !

2. Le changement de taille. Ce moyen, des plus simples et des plus efficaces, ne nécessite d’amples explications. Une punaise de lit de la taille d'un cheval ou un dinosaure qui tient dans une boîte d'allumettes ouvrent des possibilités inépuisables pour créer une intrigue aux multiples rebondissements.

En conclusion

Voici, en substance, toutes les règles de base qui président à la bonne composition d'œuvres fantastiques. Nous conclurons en disant que cet énorme travail de systématisation facilitera grandement la tâche des écrivains de science-fiction dans leur choix. Ils pourront ainsi toujours piocher quelques thèmes au hasard et puis les combiner. En science-fiction, les recombinaisons possibles sont si nombreuses qu’elles suffiront longtemps à inspirer d’innombrables générations d'écrivains.

Source (en russe) :RoyalLib.com

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Aux écrivains de science-fiction

Третий эпизо́д - Episode trois

c) Au sujet de l’époque où se déroule l’action et questions connexes qui en découlent

Les écrivains d’anticipation évitent généralement de s’aventurer dans le passé, car cela nécessite une certaine connaissance de l'Histoire, au moins équivalente à celle d’un élève de collège. C’est pour cela que leur attention se portent principalement sur l'avenir.

Ici, en règle générale, sur Terre les questions se limiteront à décrire en quelques lignes le contexte local, tandis que l'action principale se déroulera quelque part, très loin, dans d'autres galaxies.

Cependant, ici les avis ne sont pas unanimes : comment et par qui notre planète sera-t-elle gouvernée ? Certains pensent qu’une haute maîtrise des mathématiques serait en soi la clé d’un bon gouvernement. Mais il n'est guère possible d'accepter pleinement ce point de vue. Demandez ce que l’épouse de n’importe quel scientifique pense du sens pratique de son mari et vous comprendrez ce que vaudrait un gouvernement mondial composé uniquement de professeurs et d'universitaires...

Par conséquent, les auteurs de science-fiction seront plus enclins à confier à des machines électroniques toutes les tâches d’organisation et de gestion des affaires courantes. Ainsi, l'humanité, libérée du fardeau de devoir prendre quelque décision que ce soit, pourra entièrement se consacrer à l’exploration spatiale, aux jeux de société et à la danse.

Une grande importance sera accordée aux vertus anoblissantes des arts, et en particulier à la musique. (Bien qu’à vrai dire une enquête auprès de notre entourage ne nous ait point permis de révéler de plus hautes valeurs morales chez les abonnés aux concerts philharmoniques que chez ceux qui détestent la musique classique.)

(...)

d) A propos des hypothèses scientifiques

La littérature de science-fiction se distingue des ouvrages de vulgarisation scientifique par son droit institutionnalisé à aller à l’encontre des lois fondamentales qu’impose la Nature.

Ainsi la réfutation des Première et Deuxième Lois de la Thermodynamique est absolument obligatoire. (L'auteur de science-fiction peut même ne pas être au courant de l'existence d’une troisième loi en ce domaine¹.)

L’écrivain de science-fiction aura le droit de démontrer - ou simplement d’affirmer - que ses personnages peuvent se déplacer plus vite que la vitesse de la lumière, tirer de la matière plus d’énergie que ne le prédit l’équation d'Einstein². Ils pourront courber l'espace par un simple effort de concentration mentale et créer des champs de force dont les noms restent indéchiffrables, même à l’aide des meilleurs dictionnaires de mots étrangers.

Le fait que l'effondrement complet de pans entier de la science moderne en soit la condition sine qua non ne dérange personne, puisqu'il s'agit de science-fiction, elle-même fille légitime du progrès scientifique.

Certains auteurs sont parfois tentés d’adoucir le triomphe évident de l'imagination sur les lois de la Nature en introduisant dans leurs histoires quelques équations différentielles. Mais ce subterfuge est clairement incorrect aussi bien par rapport à leurs confrères écrivains que par rapport à leurs lecteurs. Une telle prétention à vouloir exhiber un quelconque bagage scientifique doit être combattue résolument.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Aux écrivains de science-fiction

Второй эпизо́д - Episode deux

b) Lieu où se déroule l’action

Le champ spatial est le principal terrain de labour des écrivains de science-fiction. Cependant, il ne peut être utilisé qu'à des visées purement civilisatrices. Afin de ne pas perdre le sens de l’intrigue, les Terriens bien armés se voient confier la valeureuse destinée d’être les vecteurs des hautes valeurs morales de l’humanité, aidés en cela par des armes à rayon-laser, des bombes à fragmentation et autres moyens d’annihiler, si nécessaire, l’univers tout entier.

En ce qui concerne les créatures particulièrement malveillantes, mâchouillant placidement du plasma stellaire comme des ados leur chewing-gum, des moyens de persuasion plus coercitifs encore sont également à envisager.

L’écrivain de science-fiction pourra se permettre de décrire des mondes aux mœurs les plus noires pourvu qu’à un moment donné son héros venu de la Terre secoue tristement la tête en se fendant d’une longue tirade expliquant que de pareilles horreurs n’ont plus cours sur sa planète natale. C'est ce qu'on appelle incrémenter une variable positive au sein d’une thématique éminemment négative. Souvent, dans ce cas, notre héros, mal armé, s’éclipsera en catimini de la dite vile planète sans éprouver le moindre remord. En effet, il aura atteint son but, ayant su démontrer au lecteur combien cela aurait été différent si…, si… et ainsi de suite.

Afin d'éviter les reproches d’inconsistance qui pourraient lui être adressés, il est recommandé à l'auteur de science-fiction de faire varier les deux thèmes précédents au sein de ses différents ouvrages. Ainsi, par exemple, si dans l’un il préconise une non-ingérence totale dans les affaires d’autres mondes, alors dans le suivant, il lui sera nécessaire de pourfendre impitoyablement les Extraterrestres par tous les moyens qu’il aura sous le coude, y compris l'espionnage, le sabotage et les armes de destruction massive.

Aucune de ces deux options ne devrait conduire à un heureux dénouement, car cela priverait l'auteur de la possibilité d'écrire une suite. Il est préférable de laisser entendre que tout se terminera bien... quand les poules auront des dents. C’est une façon de faire qui conviendra à tous. Aux optimistes parce que l'accent principal sera mis sur l’inéluctable bonne fin à venir, et pour les pessimistes parce qu’ils connaissent bien les spécificités propres à ces volatiles (que les poules n’ont ni n’auront jamais de dents) et même peuvent prédire à quelle sauce ils seront mangés…

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Aux écrivains de science-fiction

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(­Отры́вок - Extrait)

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(1973)

(Les notes de bas de page et l’annexe en fin du quatrième épisode sont du traducteur)

Назида́ние для писа́телей-фанта́стов всех времён и наро́дов, от начина́ющих до масти́тых включи́тельно.

Юморе́ска

Pour l’édification des écrivains de science-fiction de tous les temps et de tous les peuples, des jeunes débutants jusqu’aux plus vénérables.

Avec humour…

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

Il est difficile d'énumérer toute la richesse des thèmes explorés par la science-fiction moderne. On y trouve des plantes intelligentes, des animaux qui parlent, et bien plus encore. (Soit dit en passant, il s’agit-là de symptômes bien étudiés par les psychiatres de formes sévères de paranoïa.)

Le nombre d'amateurs de science-fiction ne cesse de croître. Avec les fans de foot, ils représentent le summum intellectuel de la population de la planète.

Ce n'est donc pas pour rien que la science-fiction a été qualifiée de « littérature du siècle ».

Malheureusement, l'absence d'une théorie globale du genre tend à réduire drastiquement la productivité des auteurs travaillant dans ce domaine et prive les critiques de méthodes objectives d'évaluation.

Avant de développer une telle théorie, il est nécessaire de systématiser les principales tendances de la science-fiction afin de définir au moins quelques critères scientifiques pour déterminer la qualité des œuvres en chantier.

a) Le choix des noms

Le nom des personnages doit correspondre à leur caractère. Si l'action se déroule dans un futur lointain ou dans une autre galaxie, alors les héros reçoivent des noms positifs : Le Sage, Le Courageux, Le Généreux, Le Bon, ou La Volupté, s’il s’agit d’une femme. (Pour les héroïnes, on pourra tout aussi efficacement opter pour des noms de marques de lessives connues).

Les héros négatifs quant à eux se verront attribués des sobriquets tels que Le Puant, L’Obscur, Le Mauvais, Le Malade, Le Fétide. Cependant, les personnages féminins, même les dames les plus viles, ne doivent pas être affublées de noms trop injurieux, car de telles grossièretés, faisant partie du vocable habituel des scientifiques, - en particulier des jeunes doctorants -, pourraient créer à la lecture une certaine confusion sémantique.

Les êtres issus de civilisations émergentes - qui peuvent encore prendre le bon chemin - seront nommés par la méthode dite de la ‘guillotine’. Par exemple, il suffira de prendre deux mots courants dans le dictionnaire, disons « menhir » et « corridor ». En coupant la première lettre de chacun, nous pouvons ainsi nommer le héros Enhir Orridor. C’est simple et élégant !

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Молекулярное кафе - Le Café moléculaire

Тре́тий эпизо́д - Еpisode trois

Alors que nous rentrions par la navette psycho-virtuelle, Lioulia a déclaré que ces vieux Cafés Moléculaires étaient une très bonne chose et que la nourriture qu'ils proposaient était bien plus appétissante que celle qu’on nous synthétisait à la maison, depuis la cantine centrale.

« Cela est probablement dû aux diverses interférences lors de la téléportation des aliments par câbles, ai-je pensé... »

A la maison, ce soir-là, Lioulia soudainement a fondu en larmes. Elle a dit que la nourriture synthétique était une chose tout à fait dégoûtante, qu'elle détestait la cybernétique et voulait vivre dans la Nature : qu’elle désirait savourer de délicieuses tranches de pain de seigle, marcher, traire des chèvres et boire du lait cru. Et elle a ajouté aussi que les ‘Suggested Sensations’ n’étaient qu’une parodie des sentiments humains.

Michka a également éclaté en sanglots en nous soutenant que le calculateur comportemental n’était qu’un imposteur et un tricheur, et qu'un garçon d’il y a longtemps, nommé Tom Sawyer¹, qui vivait dans l'Antiquité, avait su très bien se débrouiller sans. Puis il nous a avoué que s’il s’était inscrit au club informatique ce n’était que pour apprendre à tromper le calculateur, et que s'il n’y parvenait pas, il se fabriquerait un lance-pierre afin d’abattre définitivement ce stupide automate.

J’ai tenté de calmer tout ce petit monde du mieux que j’ai pu, même si, intérieurement, je pensais aussi que le Musée Olfactif n'était peut-être pas, après tout, une si belle invention, et qu’en ce qui concernait les pseudo-steaks...

Finalement, me suis-je dit, c'est que nous étions tout simplement fatigués d'avoir eu à commander notre nourriture par nous-mêmes…

Et puis nous sommes allés tous nous coucher.

Cette nuit-là, je me rappelle avoir rêvé que je me battais avec un ours et qu’ensuite, Lioulia, Michka et moi, assis autour d’un feu de bois, dévorions avec délectation la viande de l’animal. Une viande qui fleurait bon le sang et la fumée.

Michka portait d'énormes morceaux à sa bouche tandis que Lioulia me souriait, avec son magnifique sourire. Ce sourire toujours légèrement gêné qui tellement me ravit.

Il est difficile d'imaginer à quel point j'étais heureux dans mon rêve. Je ne me souviens pas..., vous ai-je dit combien j’aime Lioulia et Michka ?

Source (en russe) : Books.rusf.ru

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Молекулярное кафе - Le Café moléculaire

Второ́й эпизо́д - Еpisode deux

Une fois installés autour d’une table blanche (où l’on ne servait que des aliments synthétisés à partir de pétrole léger), l'image d'un robot portant une toque blanche et une blouse toute aussi blanche est alors apparue sur l’écran. Sourire aux lèvres, il a commencé à nous expliquer que le Café Moléculaire proposait trois cent soixante plats synthétiques différents.

- Pour obtenir le plat désiré, il vous suffit de composer son code sur le cadran et il sera directement synthétisé dans votre assiette, a-t-il ajouté.

Il nous a précisé également que si nous voulions quelque chose qui n’était pas sur la carte, nous devions juste ajuster une antenne sur nos têtes et imaginer ce plat, et qu’ensuite la machine se chargerait d’exécuter la commande.

Jetant un coup d’œil vers Michka, j’ai tout de suite compris que justement nous n’allions prendre que des choses qui ne figuraient pas sur la carte.

Lioulia a commandé une assiette de nuggets¹ et, quant à moi, un steak synthétique. La viande était dorée à point et semblait très appétissante. Lioulia a dit qu'elle ne pourrait manger autant de beignets et m’a laissé en prendre la moitié. A mon tour, je lui ai proposé la moitié de mon steak.

Pendant que nous étions occupés à tout cela, Michka, de son côté, piquait tristement sa fourchette dans le plat qu'il avait imaginé - une composition, mélange de cornichons aigres-doux, de hareng, de crème fouettée et de confiture de framboises -, tout en essayant de comprendre pourquoi la combinaison des meilleures choses peut parfois prendre un goût si écœurant.

Il faisait peine à voir.

J’ai donc pris son assiette et l’ai déposée dans le broyeur tandis que Lioulia lui expliquait que lorsqu’on imagine la nourriture que l'on veut manger alors il faut se concentrer davantage.

Pendant que Michka (après s’être bien concentré) commençait à se synthétiser un cookie² ressemblant à une navette spatiale, de mon côté je tentais d’imaginer le goût de la boisson qu’on m’avait servie en y ajoutant mentalement une goutte de cognac. J’avais presque réussi le mélange, quand tout à coup un signal rouge sur l’écran s’est allumé, et le robot-serveur est apparu pour m’avertir que de tels cocktails n’étaient pas autorisés au Café Moléculaire.

- Mon pauvre chéri..., m’a dit doucement Lioulia en me caressant la main, et elle a suggéré que Michka et elle rentrent ensemble afin que je puisse, quant à moi, me rendre au Musée Olfactif des vins et spiritueux.

Ma douce Lioulia ! qui se soucie toujours des autres plus que d'elle-même. Je savais bien qu'elle désirait assister au concert des ‘Suggested Sensations’… Je lui ai dit que c’est moi qui rentrerais avec Michka et qu’ainsi elle pourrait aller profiter du spectacle. Elle m’a alors répondu que le mieux était que nous rentrions tous les trois à la maison et qu’ensemble nous passions une soirée bien tranquille.

Je voulais tant qu’elle soit heureuse. Alors j’ai imaginé un fruit ayant la forme d’une orange, au goût de crème glacée et à la fragrance de son parfum préféré. Elle a souri et hardiment en a croqué une pleine bouchée.

Lioulia me ravit tant quand elle sourit, parce qu’alors je l'aime encore davantage…

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Молекулярное кафе - Le Café moléculaire

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(1963)

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

De toute la semaine, l’indicateur électronique comportemental de Michka¹, notre garçonnet, avait pointé son curseur sur la note : ‘Excellent’. Nous avions donc décidé de célébrer l’événement.

Lioulia a proposé d’assister au spectacle des ‘Suggested Sensations’². Je lui ai répondu que peut-être on pourrait plutôt se rendre au Musée Olfactif des vins et spiritueux. Mais Michka a insisté pour que nous allions au Café Moléculaire.

Alors, bien sûr, nous sommes allés au Café Moléculaire car, au bout du compte, c’était Michka qui s’était bien comporté et il aurait été injuste de le contrarier. D’une traite nous nous sommes donc engouffrés dans une navette psycho-virtuelle.

Durant le trajet, nous n’avons été secoués qu'une seule fois, quand l’idée m’a traversé l’esprit que nous pouvions peut-être faire un petit détour par le musée. Heureusement, Lioulia et Michka ne se sont rendu compte de rien.

Arrivés au café, alors que nous allions nous installer à une table rouge, Lioulia nous a dit qu'elle préférait les aliments synthétisés à partir de pétrole léger plutôt que de gasoil.

Je me suis permis de lui rappeler que, selon les gazettes, tout ça était du pareil au même. Elle m’a répondu que c'était là peut-être un caprice de sa part, mais si l’on décide d’aller quelque part par plaisir, alors pourquoi ne pas satisfaire à ses propres caprices ?

Je n’ai pas voulu la contredire davantage, car nous aimons vraiment beaucoup Lioulia et je désirais qu’elle éprouve les meilleures sensations en venant au Café Moléculaire.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Фиа́лка - Une violette

Шесто́й эпизо́д - Episode six

Le garçon s’apprêtait déjà à passer la porte quand le miracle se produisit. Derrière lui, il sentit qu’on lui tirait la manche. Il se retourna. C’était le jardinier qui lui tendait la violette qu’il venait de cueillir. En même temps, le vieux porta son doigt à ses lèvres :

- Chut... fit-il, d’un air conspirateur.

- C'est… c’est pour moi ?! demanda doucement le garçonnet.

Le jardinier hocha la tête.

- Allons ! nous t'attendons ! cria l’enseignante. Toujours en retard celui-là !

- J'arrive, Maîtresse ! Et l’enfant glissa la fleur sous le col de son tablier puis s'élança dans le couloir.

Ce soir-là, il se coucha plus tôt que d’ordinaire. Éteignant sa lumière de chevet, il plaça la violette à côté de lui sur l'oreiller et resta longtemps les yeux ouverts, comme perdu dans ses pensées.

***

Le jour était déjà levé quand sa mère entendit des sons inhabituels provenant de la chambre de l’enfant.

- On dirait que notre poussin pleure, dit-elle à son mari couché près d’elle.

- Probablement que l’excursion d’hier l’a trop fatigué, marmonna le père en se retournant de l'autre côté. N’as-tu pas remarqué qu’hier soir il semblait un peu bizarre.

- Je vais voir ce qu’il a, déclara la mère en enfilant sa robe de chambre.

Le garçon était assis sur son lit et pleurait à chaudes larmes.

- Qu’est-ce qu’il t’arrive mon bébé ? Elle s'assit à côté de l’enfant et le prit dans ses bras.

- Regarde ! Il desserra le poing qu’il tenait fermé.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Une violette ! Dans sa paume gisaient quelques pétales froissés et une tige molle. C’est une violette. Le jardinier me l’avait donnée. Elle sentait si bon !

- Eh bien, c’est pour ça que tu pleures ? lui répondit sa mère. Bêta que tu es ! Nous avons de si belles roses à la maison…

Elle se leva et alla chercher dans la pièce voisine un grand vase de fleurs.

- Veux-tu que j’augmente l’intensité de leur parfum ?

- Non ! Je veux pas ! Je n'aime pas ces fleurs !

- Mais elles sont bien plus jolies que ta violette, et elles sentent bien meilleur...

- Non ! C’est pas vrai ! répondit l’enfant en frappant l'oreiller de son poing. C’est pas vrai ! La violette, elle, elle… elle… Et il se remit à pleurer, car il ne parvenait pas à trouver les mots justes.

Source en russe : RoyalLib.com

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Фиа́лка - Une violette

Пя́тый эпизо́д - Еpisode cinq

Le jardinier était un homme très vieux et paraissait bien étrange. Il était petit de taille et portait une longue barbe blanche qui lui tombait jusque sous la ceinture. Ses yeux étaient très minces : comme deux petites fentes, au-dessus desquelles buissonnait une paire de sourcils gris. Il était vêtu d'une sorte de drôle de blouse blanche.

- Est-ce un pantin ? demanda le garçon.

- Chut... lui dit l’enseignante dans un murmure. Tu ferais mieux de moins parler et d’ouvrir plus grand les yeux...

- Je peux regarder et parler en même temps ! affirma le garçonnet.

A cet instant, il lui sembla que le jardinier avait entrouvert une paupière et lui faisait un clin d'œil. Mais, il n'en était pas sûr.

- Ici, débuta le jardinier d’une petite voix fluette, voici des céréales comestibles. Cinquante plants de blé, au total. Maintenant, ils ne sont pas encore matures, mais dans un mois, chaque tige donnera plusieurs épis porteurs de grains. Il y a longtemps, ces céréales étaient utilisées comme nourriture : on en faisait du pain...

- Et c’était bon ? demanda la fille au ruban.

- Ça, personne n’en sait rien, répondit le vieil homme. La recette pour faire du pain à partir de végétaux s’est depuis longtemps perdue.

- Que faites-vous des graines que vous récoltez ? interrogea l’enseignante.

- Une partie est utilisée comme semence, pour la prochaine récolte, une autre va alimenter le fonds permanent du musée botanique. Quant au reste... Il écarta les bras. Le reste est jeté. Nous avons très peu de sol cultivable : cette emblavure, deux arbres, quelques fleurs et une petite pelouse avec de l'herbe.

- Allons, les enfants, à présent allons voir les fleurs, proposa l’institutrice.

Le jardinier les conduisit vers un petit parterre où poussaient quelques fleurs.

- Ce sont des violettes : la seule espèce de fleurs qui ait survécu. Il se pencha pour redresser soigneusement une de leurs petites feuilles. Avant, savez-vous, quand il y avait encore des insectes, la pollinisation était possible...

- Ils n'ont pas encore étudié cela, l'interrompit l’enseignante.

- Puis-je les toucher ? interrogea le garçon.

- Penche-toi et sens-les, dit le jardinier. Tu vas voir : elles sentent merveilleusement bon.

Le garçon s'agenouilla et inhala la douce fragrance de la fleur, mêlée aux parfums de la terre humide et chaude.

- Oh ! murmura-t-il en se penchant encore plus bas. Oh, c'est comme… Il lui était très difficile d'exprimer ce qu'il ressentait. L'odeur évoquait en lui quelques souvenirs, vagues et troublants.

Le reste des enfants était déjà en train d’examiner l'herbe et les arbres, pendant que le garçonnet, toujours à genoux, pressait encore son visage contre les pétales de la violette, doux et parfumés .

- Eh bien, ça va être l’heure ! La maîtresse jeta un coup d'œil à sa montre. Il est temps pour nous d'y aller. Les enfants, remerciez le jardinier pour cette passionnante visite.

- Merci ! s’exclamèrent les enfants à l'unisson.

- Au revoir ! leur répondit le jardinier en retour. Revenez une prochaine fois !

- Sans faute ! répondit l’enseignante. Cette excursion fait partie du programme du cours élémentaire. Nous nous reverrons l'année prochaine, avec de nouveaux élèves…

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Фиа́лка - Une violette

Четвёртый эпизо́д - Еpisode quatre

Le puits sans fin au fond de la mine dans laquelle le groupe se trouvait était envahi de soleil. Le flux de lumière provenant d'en haut éclairait les parois de flammes jaunes et scintillait comme des arcs-en-ciel dans les petites éclaboussures d’eau d'une petite fontaine, soulevant du sol humide des vapeurs lourdes et denses.

- C'est le soleil, dit l’enseignante. Je vous en avais parlé. Des miroirs spéciaux depuis le sommet de la ville captent ses rayons et les dirigent jusqu’ici pour permettre aux plantes de croître dans les mêmes conditions qu’il y a plusieurs siècles.

- Il est chaud ! s’exclama le garçon en tendant les mains. Comme il est chaud ce soleil ! Regardez, maîtresse, je l'attrape dans mes mains !

- Oui, il est tout brûlant, lui sourit l’enseignante. La température à sa surface atteint six mille degrés, et encore plus dans ses profondeurs.

- Non, pas brûlant, chaud, chaud ! objecta le garçon. Comme les murs de notre maison, mais complètement différent, bien mieux ! Et pourquoi en ville on n’y a pas droit ?

L’enseignante grimaça légèrement. Elle savait que c’était là le genre de questions qui allait en appeler une avalanche d'autres. Après tout, c’étaient des enfants et il leur était bien difficile de comprendre que certains raisonnements conduisent parfois, même les plus grands philosophes, à une impasse. Comment expliquer que pour permettre à quarante milliards de personnes de... Et pourtant, chaque question doit trouver sa réponse, d'une manière ou d'une autre...

- Nous n’existerions pas sans le soleil, dit-elle, passant doucement sa main sur la tête du garçon. Toutes nos vies dépendent du soleil. Mais seules les plantes utilisent directement sa lumière. Nous, nous nous en servons pour faire fonctionner nos centrales de régénération et recharger nos batteries solaires. Quant à ses rayons, nos corps n’en ont pas du tout besoin. Nos lampes ne nous fournissent-elles pas déjà suffisamment de lumière ?

- Leur lumière ne ressemble pas du tout à celle du soleil ! Elle est froide ! insista obstinément le garçon. On ne peut pas l’attraper dans nos mains. Celle du soleil, on peut !

- C’est juste une impression. L’an prochain, vous commencerez les leçons de physique et vous comprendrez que cela n’est qu’une impression... Allons trouver le jardinier afin qu’il nous montre les plantes…