Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Любо́вь и вре́мя - L’amour et le temps­

Пя́тый эпизо́д - Episode cinq

- Eh bien, pourquoi écarquillez-vous les yeux ainsi ? demanda la jeune femme derrière l’écran. Et s'il vous plaît, n'allez pas vous imaginer pas que ce soit vous qui m’avez découverte. C'est juste que la forme de votre antenne correspond à la bonne courbure de l'espace-temps ; sinon, vous ne me verriez pas plus que le bout de votre nez. Je vous observe depuis longtemps déjà. C’est amusant comme vous vivez !

Sans réfléchir, Clarinette jeta un regard autour de lui et se sentit extrêmement gêné. Une chose est de se présenter devant une jolie femme sur son trente-et-un, et une autre est d'être surpris à l’improviste dans sa propre chambre : ses sous-vêtements de l’avant-veille gisaient là, au pied du lit défait ; sur la table, à côté du fer à souder, traînait une feuille de papier journal, huileuse, couverte de croûtons de pain et d’arêtes de poisson fumé - reliefs de son dîner de la veille ; un régiment de bouteilles de lait fermenté, vides et non lavées, montait la garde sur le rebord de la fenêtre. Partout un indescriptible désordre.

Clarinette boutonna sa chemise canadienne, glissa sous la table ses pieds nus dans une vieille paire de charentaises usées, tout en esquissant un semblant de sourire.

- Tiens donc ? Et pourquoi tant d'attention à mon égard ?

La fille fronça les sourcils.

- Qu’essayez-vous de me dire ? De toute façon je ne vous entends pas. Répondez aux questions par des gestes. Pour oui, hochez la tête ; sinon, secouez-la. Avez-vous compris ?

- C’est compris, dit Clarinette, tout perplexe.

- Avez-vous compris ou pas ? répéta la jeune femme.

Clarinette hocha la tête.

- C'est mieux. Pouvez-vous assembler un émetteur radio temporel ?

- Un quoi ?

- Eh bien, ne faites pas le niais ! Pouvez-vous le faire ou pas ?

Clarinette secoua la tête négativement.

- Evidemment ! La fille eut un petit rire. Comment pourriez-vous le savoir ? Après tout, c’est un appareil qui n'existait pas à votre époque. Votre technologie est antédiluvienne. Et c’est certain aussi que vous ne possédez pas les pièces appropriées. Je vais devoir vous en télétransporter un.

...Vous allez mesurer la distance entre le centre de votre antenne et le milieu de la table, verticalement et horizontalement, poursuivit-elle. Écrivez-moi ça sur un bout de papier. J'espère au moins que vous savez prendre des mesures ?

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Любо́вьи вре́мя

 L’amour et le temps­

Четвёртый эпизо́д - Episode quatre

Les ennuis s’effacent, mais les passe-temps demeurent. Cela est connu de tous, du jeune philatéliste au plus âgé des amateurs d'oiseaux chanteurs, en passant par tous ceux dont l'âme brûle d'une passion dévorante pour des occupations qui ne leur rapportent rien.

Il n'est donc pas surprenant que dès le lendemain, Clarinette, sifflotant une chanson, tentât d’effacer les conséquences de son explosion de fureur de la veille. Hélas ! Plus il s’y employait, moins son antenne ressemblait à une gracieuse parabole. Il est difficile de dire dans quelle catégorie, quelle classe, un expert en topologie aurait pu la ranger - peut-être dans celle des espaces à deux dimensions, froissés et rongés par les vers.

Qui peut prédire le moment inconcevable et mystérieux qui préside à une découverte ? Un homme désespéré jette avec colère un morceau de caoutchouc mélangé à du soufre sur le poêle. « Basta ! se dit-il, plus jamais d'expérience ! » Et alors un miracle se produit : il vient de découvrir la vulcanisation¹, jetant ainsi les bases de l'industrie du caoutchouc.

Un neurasthénique souffrant de migraines chaque fois qu’il entend le crissement des roues d'un vélo d'enfant gaine celles-ci de gomme caoutchouc. Plusieurs années passent, et le léger bruissement des pneus parcourt toutes les routes du monde. Un modeste économiste au plan (telle était, rappelons-nous, la profession de notre héros) relie un encorbellement fait de fils torsadés à une télévision antédiluvienne et... rien ne se passe. Absolument rien. L'écran émet toujours une lumière bleutée, mais aucune image, quelle que soit la direction vers laquelle vous tournez l'antenne.

Que feriez-vous, quant à vous, dans ce cas ? Vous débrancheriez probablement l’appareil et iriez vous coucher. Par conséquent, la loi de la gravitation universelle, la première observation des satellites de Jupiter, la désintégration radioactive, les propriétés ondulatoires de l’électron² et bien d’autres découvertes encore n’auraient jamais été les vôtres. Parce que la noble passion du chercheur serait demeurée définitivement pour vous chose étrangère.

Clarinette s’alluma une cigarette et réfléchit. Puis, obéissant à une sorte d'intuition, il tenta de tordre davantage l'antenne, jusqu’à lui donner une forme en spirale. Et soudain, tout bascula comme par enchantement.

D'abord, ce furent des éclairs noirs qui clignotèrent sur l'écran, puis, dans un halo, le visage d’une jeune femme apparut. Un visage d'une beauté indescriptible. Indescriptible, car la beauté ne peut s'exprimer par des mots. Essayez donc de décrire le torse de Vénus, le sourire de la Joconde, l'odeur du jasmin ou les trilles d'un rossignol ! En de tel cas, les poètes ont recours à des comparaisons mais ce n'est là rien de plus qu’une ruse. L'explication d’une image par une autre n’apporte rien. Nous nous bornerons alors simplement à dire qu'elle était belle, belle et rien de plus.

Sa tenue... Là encore je dois avouer mon impuissance à vous la décrire. Tout homme est capable de se souvenir des décennies durant de la forme d’un grain de beauté tout bête sur l'épaule de sa bien-aimée, mais il est incapable de se rappeler quelle robe elle portait la veille encore.

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­Любо́вь и вре́мя - L’amour et le temps­

Тре́тий эпизо́д - Episode trois

- Mon Dieu ! s’écria d'une voix tremblante l’enseignante qui logeait juste à côté de la cuisine, c’est tous les jours maintenant ! Il devrait pourtant y avoir des règles dans cette maison ! des règles contraignantes pour tout le monde ! C’est que j’ai encore vingt copies qui m’attendent !

- Des règles ! grogna Boudilov. Dans cette maison il n’y a ni règle ni principe qui tiennent. Dans un autre appartement, on lui aurait déjà arrangé le portrait, et il aurait immédiatement compris les bonnes manières.

- Lui arranger le portrait n’y ferait rien ! Ces méthodes n’ont plus cours aujourd’hui, objecta un autre locataire à la puissante voix de baryton. Ce qu’il faut c’est alerter la Commission de recours des locataires.

- OK ! lança Clarinette en serrant les dents. Peut-être feriez-vous mieux de me donner un coup de main et m’aider à pousser la table de la cuisine jusqu’ici !

- Quel toupet ! Boudilov pointa un doigt accusateur. Non, mon cher Clarinette, c’est toi qui as tout fait sauter. Alors, la table, tu te la pousseras tout seul !

Clarinette, soufflant et transpirant, traîna la lourde table, y posa dessus une chaise et, sur la chaise, un tabouret.

Le câblage de l'appartement datait de l'époque où le courant électrique était considéré comme aussi dangereux que l’est de nos jours l'énergie nucléaire. Par conséquent, le saint des saints – la boîte à fusibles - était dissimulé aux yeux des non-initiés et se trouvait tout là-haut, sous une hauteur de plafond de quatre mètres.

Ayant acquis auparavant une certaine expérience dans cet exercice, Clarinette demanda à l’enseignante - qui souffrait de rhumatismes – de lui apporter en sus son repose-pied, et, après avoir ainsi achevé la construction de sa pyramide, prudemment s’y hissa.

Juché en équilibre, il tripota au hasard l'un des nombreux fusibles quand on entendit comme un rugissement venant de l'autre bout du couloir :

- Hé ! Qui est-ce qui est en train de jouer avec la lumière ?!

- Désolé ! lança Clarinette. C'est moi qui ai accidentellement touché le mauvais groupe. Mais éclairez-moi donc que diable ! On n’y voit goutte là-dedans !

Une main compatissante souleva vers lui la flamme d’une bougie.

- Voilà... Clarinette tira deux autres fusibles. Je crois que j’ai compris. Est-ce que quelqu'un a un bout de papier-aluminium ?

- Un bout de quoi ?

- Du papier argenté, d’une tablette de chocolat...

- On n’en a rien à carrer de chocolat, grogna Boudilov.

- Attendez, Youri, je vais vous chercher ça, lui répondit l’enseignante.

On ne sait comment se serait déroulée la suite des événements si Clarinette avait fait preuve de plus de prudence en redescendant de sa tourelle. C’est à l’évidence quand sa jambe gauche perdit pied que se produisit le grand basculement, et qu’à ce moment-là le Hasard timide devint Destinée, une destinée obéissant à des lois déterminées, convaincue de ses choix.

En chutant, Clarinette se cogna la tête sur le rebord de la table, ce qui eut le don de le mettre dans une rage folle. En tout cas, si cela ne s’était pas passé ainsi, il n'aurait pas, en regagnant sa chambre, déversé sa colère sur une pauvre antenne innocente : aucune personne sensée n’en viendrait à piétiner l’ouvrage auquel elle aurait consacré tant d'amour, d’efforts et de soirées.

Il fut interrompu dans son élan aussi destructeur qu’improductif par la voix de Boudilov qui se tenait debout dans l'embrasure de la porte :

- Et la table, qui va la remettre à sa place maintenant ?

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­Любо́вь и вре́мя - L’amour et le temps­

Второ́й эпизо́д - Episode deux

Ce soir-là – au moment où commence véritablement notre récit -, devait être pour notre héros l'étape finale, l’aboutissement de longues recherches, ponctuées de doutes et d’échecs.

Clarinette, qui serrait entre ses genoux une délicate structure faite de fils de fer évoquant l'antenne d'un radiotélescope, s’efforçait de souder le câble de la fiche. Il était impatient, espérant enfin arriver au bout de ses différentes tentatives toutes savamment réfléchies. Mais, comme toujours dans de pareils instants, son fer à souder cessa de fonctionner. Clarinette jura, posa son invention par terre et se dirigea vers la prise sur le mur, le fer à souder toujours à la main.

À ce moment, les plombs sautèrent et tout devint noir.

Clarinette débrancha le fil de la prise et à tâtons se dirigea vers la table où devait, se souvenait-il, se trouver une boîte d’allumettes. En chemin, il se prit les pieds dans le tapis près de son lit et s’écrasa de tout son poids sur l’invention paraboloïde sur laquelle depuis plus de deux semaines, avec tant de frénésie et zèle, il trimait.

Dans l’obscurité, Clarinette maudit à nouveau tout son monde et, ayant enfin mis la main sur la boîte d’allumettes, à la lueur d’une petite flamme, rejoignit le couloir commun.

Là aussi tout était noir.

- Vous avez donc encore fait sauter les plombs, brave citoyen¹ Clarinette ?

Le ‘brave’ citoyen Clarinette laissa tomber bien involontairement l’allumette qu’il tenait. La voix qui venait de l’admonester était celle du major à la retraite Boudilov, un raseur misanthrope, ardent fervent de l’ordre le plus strict.

Le major vivait seul et s'ennuyait. Pendant les dix premiers jours du mois suivant le versement de sa pension, il était intenable, dans un état d’excitation malveillante, les vingt autres, il sombrait dans une profonde dépression. Il mangeait on ne sait où, et bien que dans la cuisine collective il possédât son propre coin de table, il ne s’occupait jamais du ménage.

Une fois par mois, sa fille, qui habitait ailleurs, venait lui apporter son linge propre et repartait avec celui à laver. Boudilov n'aimait pas parler de lui. On savait seulement qu'il avait été victime de ‘certaines circonstances’, et sans ces certaines et malencontreuses circonstances, son unique étoile de sergent-major se serait depuis longtemps transformée en une éblouissante constellation l’élevant au grade de colonel. Dans quelle partie du ciel cette constellation eût-elle censée devoir briller ? Cela restait bien incertain, car, apparemment, notre major n'avait jamais pris part à de quelconques batailles.

- Je vous le demande : est-ce vous qui, à nouveau, avez fait sauter les plombs ? Clarinette gratta une nouvelle allumette.

- Je vais tout de suite jeter un coup d’œil aux fusibles.

Pendant ce temps, le long du couloir de nombreuses portes commençaient à s'ouvrir et d’affreuses ombres couraient sur les murs à la lueur fantomatique de lumignons, de lampes-torches, et de bouts de chandelles. Au sein de l’appartement communautaire, les pannes d'éclairage étaient monnaie courante et les résidents y faisaient face équipés comme à la guerre.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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­Любо́вь и вре́мя - L’amour et le temps­
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(1970)

Note du traducteur : cette nouvelle, présentée ici en deux parties et en petits épisodes, plongera le lecteur dans le monde soviétique des années 60. Nous y avons ajouté de nombreuses notes afin d'éclairer les lecteurs contemporains sur cette lointaine époque. Vous trouverez en annexe un plan du cœur de Saint-Pétersbourg, en ce temps-là Leningrad, retraçant l'itinéraire du héros de l'histoire.

Textes lus, en russe, par Alexeï Dik (Алексей Дик), et, en français par Bernard Pollet, que je remercie chaleureusement.

Première partie : Une soudaine apparition

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

Si vous avez 26 ans et que votre vie personnelle est définitivement un échec, si vous avez un tempérament timide, une apparence inexpressive et exercez le prosaïque métier d'économiste au plan¹, si vous portez le drôle de nom de ‘Clarinette’, sûrement a cause de quelque musicien infortuné de passage dont on ne sait ni quand ni comment il vint se produire un jour en Russie, si vous êtes assez économe pour ne rêver que d’accéder à un appartement coopératif² d'une pièce, mais qu’en même temps vous regardez les choses assez sobrement pour comprendre que votre séjour dans la fourmilière de l’appartement communautaire³ où vous vivez actuellement est loin d’être éphémère, si la magie du mot "amour" vous offre plus l'espoir qu’il n’évoque de souvenirs - en un mot, si vous êtes pareil à celui dont j'ai l'intention de faire notre héros, alors vous devez nécessairement posséder un violon d’Ingres.

Un violon d’Ingres est une aumône que le Destin indifférent jette à ses enfants parias afin qu’il ne leur vienne pas à l’idée d’abuser de sa patience.

Peu importe le passe-temps que vous vous choisissez. Cela dépend de vos capacités, de vos moyens et de votre caractère. Vous pouvez ainsi comprendre que des tentatives persistantes bien qu’infructueuses d'établir une connexion TV longue distance ne soient pas un hobby moins pertinent que collecter des chopes à bière ou faire pousser des agrumes sur le rebord de sa fenêtre.

La chose importante est alors de glisser à vos collègues, d’une façon ou d’une autre, à l'heure du déjeuner par exemple, que Paris diffusait hier un film magnifique où jouait Sophia Loren⁴, ou bien, - si vous faites pousser des agrumes -, le visage impénétrable, de découper religieusement dans des verres à thé des tranches d’un citron vert ratatiné que vous offrez aux mêmes pauvres bougres, tout en ajoutant : "Vous savez, ce sont loin d'être les meilleurs que j'ai récoltés cette année, mais j'ai déjà offert tous les autres..."

Ainsi, Youri Clarinette consacrait son temps libre à rechercher sur les ondes hertziennes quelque émission venue de pays étrangers. A cet effet, il avait acheté pour 8 roubles dans une boutique de seconde-main un ancien KVN⁵ à l’écran légèrement plus grand qu'une carte postale. Le choix de ce modèle n'avait nullement été dicté par avarice ou par manque de fonds : tous ceux qui s’y connaissent en matière de réception sans fil longue distance savent parfaitement qu’il n’y a meilleure image que sur un KVN !

Sa tentative d'installer un seau en zinc sur le toit en guise antenne-réflecteur ayant été vertement et catégoriquement récusée par le responsable de l’immeuble, Clarinette dut faire une croix sur les nombreux conseils données dans les revues spécialisées qu’il avait consultées et s’était résolu à inventer autre chose.

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Маскара́д - Un bal masqué

Пя́тый эпизо́д - Episode cinq

Entendant le bruit des nombreuses pattes qui nous poursuivaient, la belle inconnue et moi nous mîmes à courir le long de la route.

Soudain, nous aperçûmes le feu d’une lanterne devant nous. La calèche noire était là, un petit nain en livrée rouge retenant ses chevaux par la bride.

- On est sauvé ! cria la jeune fille en me tirant dans la voiture.

Le nain sauta sur le siège avant et fouetta furieusement les bêtes.

La calèche filait sans se soucier des ornières du chemin. Nous étions bousculés à hue et à dia. Tout à coup, dans un grand fracas, la voiture versa sur le côté.

- Vite, vite ! ne faisait que répéter la fille tout en m'aidant à m’extraire des débris. Il faut essayer de sauver la carte avant que l'Aveugle ne découvre la mort du Maître. C'est effrayant de penser à ce qui pourrait se passer s'ils réussissaient à s’emparer de l'Héritage de Satan !

Dans les rues semi-obscures des faubourgs, de rares passants se retournaient surpris, frappés par l'étrange tenue de celle qui m’accompagnait. Quant à moi, j’avais perdu mon déguisement durant mon combat contre les fourmis.

Je conduisis la jeune fille jusque sous un réverbère afin de lui retirer son masque.

- Qui êtes-vous ?! s'exclama-t-elle en me regardant avec de grands yeux. Et dans un cri, soudain elle s'enfuit. Je me précipitai, courant après elle, tentant de la rattraper.

Ses souliers de bal, tout blancs, semblaient voler dans les airs. Plusieurs fois, je vis son domino noir s’enfuyant par le coin d’une rue. Quelques intersections plus loin, la fille avait disparu.

Je m’arrêtai, il me fallait reprendre ma respiration...

- Eh bien, comment vous sentez-vous à présent ? me demanda le médecin en retirant les électrodes posées sur ma tête.

Je n'arrivais toujours pas à reprendre mon souffle.

- Excellent ! me dit-il, tout en regardant les résultats des données sortant de la machine. A présent, prenez une bonne douche ionique et ensuite vous serez d’aplomb, prêt à reprendre le travail. Ce petit voyage de trois minutes vous aura redonné du tonus au moins pour six mois. Revenez me voir après les vacances.

Source (en russe) : RoyalLib.com.

Илья Варшавский - Ilya Varchavsky
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Маскара́д - Un bal masqué

Четвёртый эпизо́д - Episode quatre

Bientôt, je me sentis tomber et j'entendis le claquement d'une trappe qui se refermait au-dessus de ma tête.

Je me retrouvai allongé sur une couche molle à l’odeur infecte. J’entendais des sanglots étouffés tout près de moi. Je grattai une allumette et je reconnus la fille au masque de velours qui tenait sa tête appuyée contre le mur.

- C'est vous ? me murmura-t-elle en me couvrant le visage de baisers. Je pensais qu'ils vous torturaient déjà ! Vous ne pouvez savoir de quoi ces monstres sont capables, la mort vaut mieux que le terrible sort de tomber entre leurs griffes ! Il faut nous enfuir à tout prix !

Son désespoir me redonna du courage. Avec difficulté, je me défis des liens qui m’entravaient et m’approchai de la paroi. A hauteur d’homme il y avait une grille à travers laquelle on pouvait apercevoir un long corridor.

Rassemblant toutes mes forces, je réussis à desceller les barreaux de notre prison puis j’aidai l’inconnue à grimper et se faufiler par cet étroit passage.

Nous courûmes, courûmes par un interminable couloir au revêtement de marbre noir faiblement éclairé, jusqu'à ce qu’enfin nous aperçûmes le ciel étoilé au-dessus de nos têtes.

Là, étendu sur l'herbe, gisait le cadavre du Pirate. Je me penchai sur lui et retirai sa longue épée de son fourreau.

Trois fourmis, toutes gigantesques, se jetèrent alors sur nous. Et je sentis toute la difficulté qu’avait la pointe de mon estoc pour percer leur carapace de chitine.

- Plus vite, plus vite ! l'inconnue me pressait d’avancer. Bientôt il en viendra des centaines !

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Маскара́д - Un bal masqué

Тре́тий эпизо́д - Episode trois

- Pas question de vous embrasser ! résonna la voix du Pirate. D'abord je dois vous marier après on verra si vous avez encore envie de lui offrir un baiser ! Descendez !

Il saisit brutalement la main de ma compagne de voyage, la tirant hors du véhicule.

Un court instant, je vis briller dans la paume de la jeune fille un petit pistolet. Un coup de feu illumina les buissons du bord du chemin et j’aperçus plusieurs silhouettes qui se dressaient, immobiles, près de la calèche.

- Le Maître a été tué, je vous en prie, fuyez ! me cria la belle inconnue, repoussant les ombres grises qui tentaient de la saisir.

Je me précipitai à son secours, mais aussitôt je me vis attaqué par deux fourmis gigantesques qui me ligotèrent les mains dans le dos et me poussèrent à l’intérieur de la calèche. Une troisième fourmi, tout aussi gigantesque, sauta sur le siège du cocher, et la voiture se mit à rouler à tombeau ouvert, bondissant et rebondissant sur les nids-de-poule de la route.

L’odeur puante de mes geôliers m’étouffait le gosier. Toute cette diablerie n'était plus qu’une mascarade.

Enfin, brusquement, la calèche s'arrêta et je fus entraîné le long d’une pente, dans une sorte de puits sans fond.

Enfin j’aperçus une lumière. Dans une immense salle aux murs roses, cinq fourmis se tenaient dignement assises sur de larges fauteuils.

— Excellence, dit un de mes gardes en s'adressant à la plus imposante d’entre elles aux pieds de laquelle on venait de me jeter, voici le traître !

- Vous jouez à un jeu bien perfide et dangereux ! me hurla la fourmi que mon garde avait honoré du titre d’Excellence. Vos rapports sont faux et truffés d'omissions délibérées ! Où se cache l'Héritage de Satan ?! Pensez-vous vraiment que vos tentatives maladroites puissent retarder ne serait-ce qu'un instant le jour où nous regagnerons la surface ?! Un jour qui se prépare depuis vingt-cinq mille ans ! Sachez que chacun de vos mouvements, chacun de vos gestes sont surveillés. ...Vous vous taisez parce que vous n'avez rien à dire. Ça ne fait rien : demain nous vous délierons la langue, et vous verrez combien nous pouvons être aussi cruels que généreux ! A présent, dit la fourmi se tournant vers mes gardes, qu’on le jette dans la fosse, car c'est aujourd'hui sa nuit de noces...

Tout autour, des éclats de rire couvrirent ces dernières paroles. Je fus à nouveau entraîné au tréfonds des ténèbres...

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Маскара́д - Un bal masqué

Второ́й эпизо́д - Episode deux

Un homme de haute stature et bedonnant, déguisé en pirate, venait de s’approcher. Il portait au côté une épée exagérément longue qui cliquetait contre ses bottes rouges. Sur son visage, un bandeau noir cachait un de ses yeux et couvrait son autre joue ; sous son menton pointait une barbe rousse. Une douzaine de démons et de diablotins composaient sa suite.

- Et bien, c’est donc que vous n’êtes pas un lâche ! me dit-il en me tapant sur l'épaule. Je jure par l’Héritage de Satan que vous l’épouserez aujourd'hui, quoiqu’il m’en coûte !

- Le marié ! le marié ! crièrent les démons en se mettant à danser autour de nous. Qu’on lui offre l'Elixir des étoiles !

Quelqu'un me glissa dans la main une petite fiole d'argent.

- Buvez ! dit sévèrement le Pirate. C'est là peut-être votre dernière chance…

Machinalement, je portai le flacon à la bouche. Un liquide huileux et parfumé me brûla les lèvres et le palais.

- Le marié, le marié ! entonnèrent de plus belle les diables en frappant du pied. Il a bu l’Elixir des étoiles !

D'un geste impérieux, le Pirate leur ordonna de se taire.

- Nous avons du mal à nous entendre dans tout ce vacarme, dit-il en se tournant vers moi, sortons... Et vous, madame, veuillez nous suivre. Et il fit une révérence moqueuse en direction de la jeune fille toute tremblante.

Un long moment, nous traversâmes des pièces vides, poussiéreuses, encombrées de vieilleries.

- Baissez la tête, dit le Pirate en ouvrant une porte basse qui donnait sur une cour.

Dehors, une calèche noire qui me fit penser à un corbillard, attelée de quatre chevaux, nous attendait.

— Voici qui n’est pas un si mauvais wagon pour un voyage de noces ! s’exclama ironiquement le Pirate tout en riant, nous poussant la jeune femme et moi dans la voiture. Lui s'assit à l’avant, et tel un cocher fit claquer sa cravache.

J’entendais le cliquetis des roues cerclées de fer sur les pavés. Bientôt le bruit s’atténua et, à en juger par les secousses, nous avancions sur une route de campagne.

Près de moi, la fille sanglotait doucement. Je passai délicatement mon bras autour de ses épaules. Elle se serra tout contre moi et, de manière inattendue, me tendit ses lèvres...

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Маскара́д - Un bal masqué

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(1964)

Пе́рвый эпизо́д - Premier épisode

J’entendais le bourdonnement de l’appareil qui enregistrait les mesures. J’étais allongé dans un fauteuil profond, les yeux fermés, attendant la fin de l’examen. Enfin la machine s’arrêta en émettant un petit son mélodieux.

-Voyons, déclara mon médecin en regardant les résultats qui s’affichaient sur le ruban : une pression artérielle réduite, une légère arythmie, une grande faiblesse et un tonus qui laisse à désirer. Eh bien, si le diagnostic est correct, il ne s’agit que d’un peu de surmenage. Où partez-vous pour les vacances ?

- Je ne sais pas, répondis-je ; pour être honnête, ces stations balnéaires… En plus, je n'ai pas envie de quitter mon travail en ce moment.

- Le travail c’est le travail, me rétorqua-t-il, mais vous, vous avez besoin de repos. Vous savez quoi ?... Il réfléchit un instant. Peut-être qu’un petit voyage, un changement de décor, de nouvelles rencontres, découvrir une ville inconnue... Une petite dose de romantisme dans quelque lointaine contrées, voilà qui vous serait bien plus profitable que n'importe quel médicament, ajouta-t-il.

- Je tiendrai compte de vos conseils, docteur.

- Ce n'est pas un conseil, c’est une prescription. Et c’est déjà dans votre carnet de santé !...

***

J'ai erré longtemps dans cette ville étrangère.

L'hôtelier m'avait prévenu qu'aucune chambre ne serait disponible avant minuit. Il fallait que je décide ce que j’allais faire de ma soirée.

C’est alors qu’un bâtiment à la façade éclairée attira mon attention. Au fronton était accroché un grand panneau, orné de masques de carnaval :

GRAND BAL MASQUÉ UNIVERSITAIRE DE PRINTEMPS

L’enseigne m’avait attiré.

A l'entrée j'achetai un loup pour masquer mes yeux, et une simple chasuble en papier, rouge elle aussi comme mon masque. Un jeune homme déguisé en Pierrot, tout en riant, me glissa dans la main un œillet rose.

En tortillant ma fleur, je me frayai un chemin entre les couples de danseurs, étourdi par le son de la musique, les lumières vives et le scintillement des masques tourbillonnants.

C’est alors qu’une jeune fille vêtue d'un domino noir se précipita vers moi. Des yeux bleus brillaient sous son loup de velours. Elle paraissait tout excitée et inquiète.

- Je pensais que vous ne viendriez pas ! me dit-elle en me prenant par la main.

Je la regardai avec surprise.

- Ne vous éloignez surtout pas de moi ! me chuchota-t-elle, regardant craintivement autour d'elle. Le maître semble préparer quelque chose. J'ai tellement peur ! Chut... le voilà !