Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Четы́рнадцатый эпизо́д - Еpisode quatorze

Enfin les festivités s’achevèrent. Le roi et la reine, après avoir béni l'heureux couple et lui avoir offert de riches cadeaux, lui souhaitèrent bonne route. (Auparavant, les bons habitants d'Ernoterra avaient, un mois durant, construit à travers la montagne des routes et des ponts temporaires au-dessus des ruisseaux et des gouffres.) Le carrosse du prince Charles et de son épouse, au bout d’un mois de voyage, arriva aux portes de la capitale des ancêtres du jeune homme.

Il est bien connu, depuis longtemps, que le bouche à oreille dépasse les chevaux les plus rapides. Toute la population de la grande ville de Paris se précipita à la rencontre du prince héritier, que tous aimaient pour sa gentillesse, sa simplicité et sa générosité. Et il n'y eut pas un seul homme ce jour-là - ni même une seule femme ! - qui ne reconnut Erna comme la plus belle dame du Royaume, ...et donc de la Тerre entière ! Le roi lui-même, accueillit sa belle-fille aux marches du palais. La prenant dans ses bras, il posa un baiser sur son joli front et lui dit :

– Mon enfant, je n'ose dire ce qu'il y a de mieux en ta personne : la beauté ou la vertu, car toutes deux me semblent en toi parfaites...

Et la modeste Erna, acceptant ces compliments et ces caresses, se dit :

"C'est très bien que le destin m'ait conduite au royaume des monstres : au moins, ainsi, jamais je n’aurai prétexte à jalousie."

Très longtemps, cependant que ménestrels et troubadours glorifiaient partout dans le monde les charmes de son visage et de son caractère, et bien que tous les chevaliers du Royaume eussent revêtu leurs plus bleus atours en l’honneur de la couleur de ses yeux, la princesse ne put se défaire de sa conviction.

Au bout d’un an, au bonheur serein du couple vint s’ajouter une joie nouvelle et merveilleuse : Erna mit au monde un enfant - un garçon braillard et vigoureux. Montrant pour la première fois le nouveau-né à son mari bien-aimé, Erna lui dit timidement :

– Mon amour, j'ai honte de l'admettre, mais je... je le trouve beau, malgré le fait qu'il vous ressemble et me ressemble et qu’il ne ressemble en rien à mes gentils compatriotes. Ou est-ce la cécité de l’amour maternel qui me fait dire cela ?

A ces mots, Charles, souriant joyeusement, répondit avec malice :

– Te souviens-tu, ma divinité, du jour où je t’avais promis de te traduire l'inscription gravée par Ern le Sage sur le mur de la salle des trophées ?

– Oui mon bien-aimé !

- Sache donc qu’il était écrit en vieux latin : "Les hommes de mon pays sont intelligents, loyaux et travailleurs, les femmes sont honnêtes, gentilles et pleines d’attentions. Mais que Dieu pardonne leur laideur !"

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Трина́дцатый эпизо́д - Еpisode treize

Aussi Erna, du mieux qu'elle put, raconta à Charles l'histoire d'Ernoterra et de la maison royale. Non sans fierté, une fois elle lui montra l'armure et l’estoc du Grand Ern. Charles les regarda avec respect. Prenant la lourde épée royale dans sa main, il exécuta aisément plusieurs figures d'escrime. En découvrant les portraits de l’ancêtre d’Erna il put y percevoir tout ce qu’il y avait en lui de beau, de sage et de grand. Et après avoir lu l’inscription sur le mur, qu'Ern Premier avait jadis gravée, il ne put dissimuler un petit sourire joyeux et narquois.

– De quoi vous moquez-vous, prince ? demanda la princesse troublée.

– Chère Erna, répondit Charles en lui baisant la main, je vous dirai certainement la raison de mon rire, mais plus tard seulement.

Bientôt, le prince Charles demanda au roi et à la reine la main de leur fille : son cœur lui appartenait déjà depuis longtemps. Sa demande, bien entendu, fut acceptée. Les filles à marier d'Ernoterra étaient libres de choisir leur époux et, de plus, tout dans le comportement du jeune prince démontrait à la fois sa noblesse, sa dignité et son incontestable courtoisie. A l'occasion des fiançailles, de nombreuses célébrations furent données pour les courtisans mais aussi pour le peuple. Célébrations au cours desquelles, des plus jeunes aux plus âgés, chacun se divertit à cœur joie.

Seule la reine mère, silencieuse, restait le cœur empli de tristesse, demeurant seule dans ses appartements. "Malheureux !…", se répétait-elle en pensant aux futurs affreux enfants du jeune couple.

Lors d’une de ces fêtes, en regardant les couples qui dansaient autour d’eux, Erna murmura à son nouvel époux :

– Mon préféré ! Pour ton bonheur, j'aimerais ressembler à la plus laide des femmes d'Ernoterra. Ainsi te paraîtrais-je moins vilaine.

– Que Dieu t’épargne ce malheur, ô mon étoile bleue ! lui objecta Charles effrayé : Tu es magnifique !

– Je sais bien que non, objecta tristement Erna, ne tente pas de me consoler. Je connais tous mes défauts. Mes jambes sont trop longues, mes pieds et mes bras trop petits, j’ai une trop haute taille et mes yeux, exagérément grands, sont d'un méchant bleu et non, comme il siérait, d'un jaune merveilleux. Et mes lèvres : au lieu d'être plates et à peine esquissées, vois comme elles sont dessinées, tel le galbe d’un arc !

Mais Charles ne cessait d’embrasser ses mains blanches aux veines délicatement bleutées ainsi que ses longs doigts, en lui adressant des milliers de compliments exquis. Et regardant les Ernoterriens qui dansaient autour d’eux, il éclata de rire comme un fou.

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Двена́дцатый эпизо́д - Еpisode douze

On examina le blessé : son corps était couvert de graves ecchymoses, il s’était luxé le bras, et la fièvre l’avait pris. La princesse elle-même prit soin de lui et s'occupa de son rétablissement. Personne n'en fut surpris : au palais, chacun savait sa compassion pour les malades et tous avaient une profonde admiration pour ses connaissances en médecine. Le jeune patient, bien qu'il fût très laid, paraissait d’engeance aristocratique.

Devrions-nous parler longuement et en détail de ce qui se passa ensuite ? La façon dont, grâce aux soins vigilants d'Erna, l'étranger sortit de son coma, et comment, avec ravissement, il apprit qu’elle avait été son sauveur ; comment vite il se rétablit ; avec quelle impatience il attendait chaque fois l’arrivée de la princesse et combien il était difficile pour Erna, à chaque fois, de se séparer de lui ? Nous faut-il conter comment il s’apprirent l’un l’autre les mots de leur langue respective ? Comment, un jour, la douce voix de celui qui était venu d’ailleurs prononça le doux mot « amo ! » ? et comment Erna le lui répéta dans un murmure timide, toute rougissante de joie et de honte ? Y a-t-il seulement, quelque part au monde, une jeune fille qui ne comprendrait pas que « amo » signifie « amour », surtout quand ce mot est accompagné d’un tout premier baiser ?

L'amour est le meilleur professeur de langue. Quand le jeune homme put enfin quitter la chambre et parcourir avec la princesse les allées du jardin du palais, ils savaient déjà tout ce dont ils avaient besoin de connaître l'un de l'autre. Le voyageur qu’Erna avait sauvé s'avéra être le fils unique d'un puissant roi qui gouvernait l’une des plus riches et magnifiques contrées du monde : la France. Il s’appelait Charles : sa passion pour les voyages et l'aventure l’avait conduit dans les inaccessibles et redoutables montagnes d'Ernoterra. Là, il avait été abandonné par des guides apeurés, puis était tombé d'une falaise où il avait failli perdre la vie. Il n’omit pas de parler à Erna de l'horoscope que le grand astrologue français Nostradamus avait compilé pour lui à sa naissance, et dans lequel se trouvait écrit le quatrain suivant :

«… Dans les monts du nord-est,
Sauvages et funestes,
Là-haut d’abord la mort, la mort tu croiseras.
Puis une étoile bleue sur ta vie brillera. »

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Оди́ннадцатый эпизо́д - Еpisode onze

Erna était assise là, sans pouvoir bouger, sans relâcher le jeune homme de son étreinte, sans détacher ses yeux bleus - bleus comme les étoiles du ciel - de ce nouveau visage. Secrètement, elle se dit :

"Ce malheureux voyageur… Il est tout aussi laid que moi… Comme il ressemble à mon glorieux ancêtre Ern le Grand ! Apparemment, tous trois sommes gens de même race : atteints d’une difformité physique si fortement et si désavantageusement différente de la beauté classique des habitants d'Ernoterra. Mais pourquoi son regard, lorsqu’il s’est tourné vers moi, était-il si doux ? Devant lui, quelle pitié que les yeux langoureux de nos jeunes hommes pour les demoiselles, lorsque, ensemble, ils dansaient hier ! Ce n’étaient que flammes vacillantes de chandelles comparé à l’éclat du chaud soleil de midi ! Et pourquoi le sang bat-il si vite dans mes veines ? Pourquoi mes joues sont-elles brûlantes ? Pourquoi mon cœur palpite et ma respiration est-elle aussi profonde et si pleine de joie ? Seigneur ! ce fut ta volonté de m’avoir fait si laide, et je ne me plains pas de toi. Mais pour lui seul, j'aimerais être la plus belle jeune fille du monde !"

Pendant ce temps, des voix se faisaient entendre plus haut. La nourrice, avait mis du temps pour surmonter la torpeur où l'ordre impérieux de la princesse l'avait plongée. Mais à peine remise, elle s’en était immédiatement allée à la recherche de sa chère enfant. L’ayant aperçue, alors qu’Erna dévalait la pente raide au secours des gémissements venus de l'abîme, la femme, l’esprit vif, avait immédiatement deviné ce qui se jouait et sut comment elle devait agir.

Elle était descendue au village où elle avait alarmé les voisins. Bientôt tous accoururent, armés de perches, de cordes et d’échelles. Le voyageur était toujours inconscient quand ils le tirèrent de l'abîme. Et, avant que d’aider la princesse à remonter, la nourrice, au bout d’une corde, lui fit passer un de ses plus beaux vêtements afin qu’Erna s’en couvrît. Ensuite, sous les ordres de la princesse, le jeune étranger fut porté jusqu’au palais et installé dans la meilleure des chambres.

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Деся́тый эпизо́д - Еpisode dix

Erna eut alors une inspiration - comme une lumière qui, dans le péril, éclaire les êtres courageux et forts. Rapidement, elle se défit de sa belle robe bleue, tissée dans le lin le plus fin et le plus résistant. De ses mains, de ses dents, elle la déchira en larges et longues bandes qu’elle enroula pour en faire de fines tresses, puis elle les noua les unes aux autres - en les entortillant plusieurs fois pour en augmenter la résistance.

Et c’est ainsi, allongée sur ces pierres acérées qui lui écorchaient les bras et les jambes, qu’elle lança cette corde artisanale. Elle eut un rire de joie quand elle fut certaine que sa longueur était suffisante - plus longue, même, que nécessaire. Après s’être assurée que le voyageur, avec difficulté - toujours chancelant entre la crevasse du rocher et le tronc du pin -, eut réussi à attacher le bout de la corde à son ceinturon de cuir, Erna commença à le hisser prudemment.

L'étranger, de son côté, fit maints efforts, s’agrippant à chaque inégalité de la paroi, se hissant ainsi du mieux qu’il pouvait. Mais lorsque sa tête et sa poitrine dépassèrent du bord de la plate-forme, ses forces l’abandonnèrent, et Erna dut toute seule, avec grande difficulté, le tirer jusqu’à elle.

Comme l’endroit était trop étroit pour deux, Erna, assise en tailleur, posa la tête de l'étranger contre sa poitrine et serra fort son corps affaibli.

– Qui es-tu, ô Créature magique ? chuchota le jeune homme aux lèvres blêmissantes. Es-tu un ange envoyé par le ciel ? Ou la Fée, marraine de ces montagnes ? Ou bien l'une de ces belles déesses païennes ?

La princesse ne comprit pas ses mots mais la douceur des yeux noirs du jeune homme, son regard reconnaissant et admiratif parlaient clairement. Puis aussitôt ses paupières se fermèrent et une pâleur livide recouvrit son visage. Il s'évanouit, la tête posée sur la poitrine de la princesse Erna.

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Девя́тый эпизо́д - Еpisode neuf

La malheureuse Erna gagna le sentier escarpé de la montagne. Le vent faisait voler sa longue robe bleu azur. Elle marchait à même le bord de la falaise abrupte. Au-dessous, sous ses pieds, la brume de l'abîme, d’un bleu sombre, s’obscurcit encore. On entendait le rugissement sourd des chutes d'eau qui semblaient suspendues, comme retenues par des rubans blancs d’écume. Plus bas, les nuages rôdaient, épais et taciturnes.

Mais Erna ne voyait rien et ne voulait rien voir. Ses jambes légères l’entraînaient au-dessus du précipice. Quant aux sentiments orageux, aux pensées mélancoliques qui l’habitaient sur ce chemin solitaire, qui aurait pu les comprendre et en parler vraiment ? Peut-être seulement une autre princesse, la fille d'un autre puissant monarque, qu'un destin aveugle aurait frappée, soudainement, cruellement et sans qu’elle l’eût mérité…

Elle atteignit un coude étroit, sous lequel des roches tombées là, depuis longtemps, s'empilaient dans un terrible chaos. Elle s'arrêta brusquement : un son inhabituel lui parvint d'en bas, à travers le bruit sourd de la cascade.

Elle se pencha sur le bord de la falaise et écouta. Quelque part, au fond, une voix humaine gémissait qui appelait à l’aide. Alors, oubliant son chagrin, poussée uniquement par la bonté de son âme, Erna se mit à dévaler l'abîme, sautant de pierre en pierre, de bord en bord, de corniche en escarpement avec l'aisance d'un jeune cabri, jusqu'à ce qu'elle arrive sur une petite plate-forme un peu plus large que la pierre d’un moulin. Elle ne pouvait descendre plus bas. Il lui aurait été d’ailleurs impossible de remonter, mais Erna, dans son altruisme, n'y pensa même pas.

Elle entendait les gémissements d’un homme quelque part, très près, au-dessous d’elle. Se penchant sur la pierre, elle le vit. Il était à moitié suspendu, à moitié retenu par un escarpement, tentant de se cramponner d'une main à son extrémité, et de l'autre au mince tronc tordu d'un pin sylvestre. Sa jambe gauche s’appuyait contre la fissure de la roche, tandis que sa droite se balançait dans le vide.

Par son habit, Erma vit tout de suite qu’il ne s’agissait pas d’un habitant d'Ernoterra, car la princesse n'avait jamais vu de soie, de dentelles, de manchettes en peau de daim, de bottes de cuir à éperons, ni aucune ceinture sertie d'or.

Elle lui cria à plein poumon :

- Ohé ! Étranger ! Tenez bon, je vais vous aider.

L’inconnu, dans un gémissement, souleva son visage blême, dont les traits se confondaient dans la pénombre, et hocha la tête. Mais comment notre généreuse princesse aurait-elle pu l'aider ? Descendre plus bas lui eût été aussi inconcevable qu’inutile ! Si seulement elle avait eu une corde... Une hauteur de seulement deux grands bonshommes séparait la princesse du voyageur. Que faire ?

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Восьмо́й эпизо́д - Еpisode huit

Au même moment, la nourrice entra. Voyant la princesse, le coffret oublié, l'éclat du miroir, tout de suite elle devina. Elle se jeta à genoux aux pieds d’Erna, se mit à lui dire des mots tendres et pitoyables. La princesse se leva brusquement et droite, les yeux secs, emplis de colère, elle ordonna :

- Dis-moi tout !

Et elle pointa le doigt vers le miroir. Sa voix résonnait d’une volonté si ferme et si inattendue que la brave femme n'osa désobéir, elle raconta tout à la princesse : l’histoire des bons princes laids, le chagrin de la reine qui avait donné naissance à une fille atteinte de la même laideur, le soin qu’on avait pris afin de tenter de conjurer le coup terrible du destin, le décret royal et la destruction des miroirs. Tout en narrant cela, la nourrice pleurait, s’arrachait les cheveux et maudissait l'heure où, pour le malheur de sa chère Erna, elle avait autrefois conservé le fragment du miroir interdit au fond de ce coffret, tout cela à cause de sa stupide faiblesse féminine.

Après l'avoir écoutée jusqu'au bout, la princesse lui dit avec un sourire triste :

– À Ernoterra, personne n'ose mentir !

Et brusquement elle quitta la maison. La nourrice alarmée voulut la suivre. Mais Erna ordonna sévèrement :

– Ne me suis pas !

La nourrice obéit. Et comment aurait-elle pu ne pas obéir ? Dans ces mots, elle n'entendait plus la voix toujours douce de la petite Erna, qui autrefois tétait doucement son sein, mais les ordres d'une fière princesse, dont les ancêtres régnaient sur son peuple depuis mille ans.

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Седьмо́й эпизо́д - Еpisode sept

Assise près de la fenêtre, se reposant de sa marche, Erna replongea dans ses tristes pensées. Les yeux de la princesse s’égaraient sur les meubles et les objets de la maison qu’elle connaissait bien quand, soudain, son attention fut attirée par la boîte à bijoux de la nourrice : un coffret dans lequel celle-ci gardait toutes sortes de petits trésors liés à son enfance, à sa jeunesse, à ses premiers élans d’amour, à son mariage et à ses séjours au palais. Il s’agissait de cailloux multicolores, de broches, de broderies et rubans, de lettres scellées, de bagues et autres babioles naïves et bon marché.

Depuis sa petite enfance, la princesse adorait se plonger dans ces souvenirs, et bien qu'elle les connût par cœur, toujours elle écoutait leur histoire avec un vif plaisir. Seulement, il lui parut un peu étrange que le coffret fût là, à portée de main : d’habitude la brave nourrice prenait toujours soin de le ranger dans un endroit secret, et quand il arrivait qu’elle laissât sa fille de lait l’explorer à satiété, elle s’empressait ensuite de l'envelopper dans un joli linge et de le cacher soigneusement.

"Elle a dû être pressée par le temps, pensa la princesse, elle a dû s’absenter une minute et a oublié de le ranger". Elle s'assit à la table, posa nonchalamment le coffret sur ses genoux et commença à trier les colifichets qu’il contenait. Tout au fond de la boîte, d’un coup, elle remarqua un gros éclat plat de forme irrégulière. Elle le prit dans ses mains et l’examina.

Sur une face, l’objet était rouge, et sur l’autre argenté, brillant et profond comme s’il était sans fond. Elle y plongea le regard et y vit un coin de mur contre lequel on avait posé un balai. Elle le tourna un peu : le pan étroit d’une vieille commode en bois se révéla ; un peu plus... et un visage affreux apparut, un visage plus laid encore que ce qu’Erna eût jamais pu imaginer.

D’étonnement, elle haussa les sourcils – l’affreux visage fit de même. Elle pencha la tête – le visage l’imita. Elle passa ses mains sur ses lèvres - et le même geste se refléta dans l’objet. Erna réalisa soudain que c’était son propre visage qui la regardait depuis cette étrange chose. Elle laissa tomber le miroir, enfouit ses yeux dans ses mains et, saisie de chagrin, s’effondra sur le coin de la table.

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Шесто́й эпизо́д - Еpisode six

Au palais, le jour où la princesse Erna fêta ses quinze ans – âge de la maturité pour une jeune fille selon les lois du pays – on servit un dîner somptueux et on donna un bal magnifique. Le lendemain matin, la bienveillante Erna rassembla quelques mets de choix, reliefs de la fête de la veille, et, avec son panier sous le coude, elle monta à travers les montagnes pour se rendre, quelque six kilomètres plus haut, chez sa nourrice - à laquelle elle était profondément attachée.

Contrairement à l’accoutumée, cette marche matinale et l'air pur des alpages ne la réjouirent pas. Toutes ses pensées tournaient autour de ces étranges observations qu’elle avait faites la veille durant le bal. Son âme était claire et innocente, comme la neige éternelle des montagnes, mais son intuition féminine, son œil perspicace et sa maturité lui en disaient beaucoup : elle ne pouvait se dissimuler les regards langoureux que s’étaient échangés les jeunes danseurs et danseuses. Et pas une fois un seul de ces regards ne s’était posé sur elle : dans les yeux des garçons elles n’avait observé qu'obéissance et dévouement ; dans leurs sourires respectueux et leurs révérences, elle n’avait perçu que les signes d’une politesse raffinée à son égard. Et toujours chez eux cette inévitable, cette terrible nuance de regret !

"Suis-je vraiment si laide ? Suis-je un monstre, un monstre si abominable que personne n'ose même me le dire ?"

Emplie de ces tristes réflexions, Erna atteignit la maison de la nourrice et frappa, mais ne recevant pas de réponse, elle ouvrit la porte (le pays ne connaissait pas encore l’usage des serrures). Elle entra pour attendre, comme elle en avait parfois l’habitude, lorsqu’à son arrivée la nourrice était absente.

Си́няя звезда́ – L’étoile bleue

Пя́тый эпизо́д - Еpisode cinq

La princesse Erna allait sur ses quinze ans. C'était une fille solide, pleine de force et si grande qu'elle dépassait d’une tête entière le gaillard le plus grand du pays. Elle était aussi douée pour broder de fines étoffes que pour jouer de la harpe... Elle n'avait pas de rivaux pour lancer la balle ou gambader telle une chèvre sauvage par les ravins de montagne. La gentillesse, la convivialité, la justice et la compassion rayonnaient d'elle, répandant tout autour lumière, chaleur et joie. Jamais elle ne se lassait de venir en aide aux malades, aux vieillards et aux pauvres. Elle savait panser les plaies et connaissait les herbes médicinales, leurs principes et leurs bienfaits. Le vrai cadeau du Roi céleste offert aux rois terrestres, elle le tenait entre ses mains miraculeuses qui guérissaient des écrouelles et de l’épilepsie. Le peuple la comblait de bénédictions et lui vouait grande dévotion. Mais souvent, très souvent, la sensible et douce Erna surprenait des regards fuyants, dans lesquels elle percevait une forme de pitié silencieuse, une compassion cachée...

"Peut-être que je ne suis pas comme tout le monde ?" pensait alors la princesse, et, un jour, elle demanda à ses demoiselles d'honneur :

– Dites-moi, mes douces amies, suis-je belle ou non ?

Et comme personne à Ernoterra ne mentait jamais, les dames de la cour lui répondirent avec sincérité :

– Princesse, on ne peut pas dire que vous êtes une beauté, mais, sans aucun doute, vous êtes la plus douce, la plus intelligente et la plus gentille de toutes les jeunes filles et dames du royaume. Croyez-nous, l'homme qui est destiné à devenir votre époux vous dira la même chose. Mais nous, qui sommes des femmes, sommes de bien mauvais juges en matière de charmes féminins.

A juste titre il leur était difficile de qualifier l'apparence d'Erna. Ni par la taille, le corps ou la carrure, ni par les traits de son visage, elle ne ressemblait, même de loin, aux autres femmes d'Ernoterra.