Bitt-Boy – Chapitre VI.05

Petites nouvelles russes - Bitt-Boy - Guitares et voiles

BITT-BOY, LE PORTE-BONHEUR

Корабли в Лиссе

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Глава шестая- Chapitre six

Пятый эпизод - Episode cinq

Битт-Бой передал руль вахтенному матросу и сошёл вниз к капитану. Они откупорили бутылку. Матросы, выпив тоже слегка «на благополучный проскок», пели, теперь не стесняясь, вверху; пение доносилось в каюту. Они пели песню «Джона Манишки».

 

Bitt-Boy confia la barre au marin de quart et descendit rejoindre le capitaine dans sa cabine. Esquiros déboucha une bouteille. Sur le pont, les matelots qui, eux aussi, avaient bu - …mais juste un peu, ‘pour fêter l’heureuse issue de l’échappée’ -, se mirent à chanter avec entrain. Esquiros et Bitt-Boy entendirent leur chant. C’était la chanson de ‘John Manichka’¹...

Не ворчи, океан, не пугай.
Нас земля испугала давно.
В тёплый край
– Южный рай —
Приплывём всё равно.

Припев:

Хлопнем, тётка, по стакану!
Душу сдвинув набекрень,
Джон Манишка без обмана
Пьёт за всех, кому пить лень!

Ты, земля, стала твердью пустой:
Рана в сердце… Седею… Прости!
Это твой
След такой…
Ну – прощай и пусти!

(Припев)

Южный Крест там сияет вдали.
С первым ветром проснётся компас.
Бог, храня
Корабли,
Да помилует нас!

(Припев два раза)

Ne grogne pas, océan, sois clément !
La terre nous a effrayé bien longtemps.
Sur de lointains rivages
- Paradis sans nuages -
Qu’importe comment, nous accosterons...

Refrain :

Buvons, ma vieille, un dernier verre !
Jetons nos chagrins aux enfers,
John Manichka, sans faire semblant,
Trinque à tous les buveurs fainéants !

Terre ! Terre, devenue un désert aride,
Vois ma blessure au cœur, mes vieilles rides.
Adieu ! Pardonne encore
Ces marques sur mon corps.
Laisse-moi donc partir, meurtri et vide...

(Refrain)

La Croix du Sud loin là-bas nous attend,
La boussole, au premier coup de vent,
Réveille les navires
Qui tressaillent et chavirent.
Que Dieu qui nous regarde
Ait pitié et nous garde !

(Deux fois le refrain)

Когда зачем-то вошёл юнга, ездивший с запиской к Эстампу, Битт-Бой спросил:

– Мальчик, он долго шпынял тебя?
– Я не сознался, где вы. Он затопал ногами, закричал, что повесит меня на рее, а я убежал.

Эскирос был весёл и оживлён.

– Битт-Бой! – сказал он. – Я думал о том, как должны вы быть счастливы, если чужая удача – сущие пустяки для вас.

Слово бьёт иногда насмерть. Битт-Бой медленно побледнел; жалко исказилось его лицо. Тень внутренней судороги прошла по нему. Поставив на стол стакан, он завернул к подбородку фуфайку и расстегнул рубашку.

Эскирос вздрогнул. Выше левого соска, на побелевшей коже торчала язвенная, безобразная опухоль.

– Рак… – сказал он, трезвея.

Битт-Бой кивнул и, отвернувшись, стал приводить бинт и одежду в порядок. Руки его тряслись.

Наверху все ещё пели, но уже в последний раз, ту же песню. Порыв ветра разбросал слова последней части её, внизу услышалось только:

«Южный Крест там сияет вдали…», и, после смутного эха, в захлопнувшуюся от качки дверь:

«…Да помилует нас!»

Три слова эти лучше и явственнее всех расслышал лоцман Битт-Бой, «приносящий счастье».

1918 г

Quand le mousse qui auparavant était revenu de sa course auprès du capitaine Destampe entra, Bitt-Boy lui demanda :
"– Alors mon garçon, il n’a pas été trop dur avec toi ?
"– Je ne lui ai pas avoué où vous étiez ! Il a tapé du pied, il a crié qu'il allait me pendre à la grand-vergue. Heureusement, j’ai réussi à prendre la poudre d’escampette !"

Esquiros était joyeux et tout excité.

"– Bitt Boy... je me disais... Comme vous devez être un homme heureux, si même la bonne fortune d’autrui n’est pour vous que vétille !"

Les mots parfois, sans le vouloir, peuvent tuer. Bitt-Boy devint livide. Son visage se décomposa. Une ombre, comme une convulsion traversa tout son être. Posant son verre sur la table, presque honteusement, il retroussa son pull jusqu'au menton et déboutonna sa chemise.

Esquiros frissonna. Sur la poitrine du jeune pilote, juste au-dessus du mamelon gauche, une excroissance ulcéreuse et répugnante dévorait sa peau blanche.

"– Une tumeur maligne..." dit sobrement le capitaine tout dégrisé.

Bitt-Boy hocha la tête et, se détournant, recouvrit la plaie de son bandage puis remit en ordre ses vêtements. Ses mains tremblaient.

Sur le pont, l’équipage chantait toujours, encore une fois, et pour la dernière fois, la même chanson. Une saute de vent dispersa les dernières paroles et l’on n’entendit plus que : ‘La Croix du Sud loin là-bas nous attend...’, suivi d’un vague écho après que la porte de la cabine, sous l’effet du tangage, eut claqué bruyamment : ‘...Que Dieu ait pitié et nous garde !

Bitt-Boy ‘le Porte-bonheur’ saisit ces derniers mots plus clairement encore que tous les autres...

1918 / Traduction-adaptation 2021 ©

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1- Manichka (en russe Манишка) – littéralement : le plastron. Peut-être pourrait-on traduire par ‘John le Plastronneur’, ou ‘John le Vantard’ ? J’ai préféré ici une transcription fidèle de son nom.