M. Zochtchenko – L’Infortune, introduction (7)

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко

L'Infortune, introduction
Кова́рство (введе́ние)

7- De nos petits revers de fortune personnels

Petites nouvelles russes : James Ensor, Les masques singuliers, 1892
James Ensor, Les masques singuliers, 1892

51. А что каса́ется как у нас, то, коне́чно, у нас неудач́и име́ются. Всё-таки прошло́ не так-то уж мно́го лет по́сле перестро́йки. И у нас, есте́ственно, име́ются са́мые разнообра́зные неуда́чи. Но у нас тем хорошо́, что не́которые неуда́чи у нас, напри́мер, уже́ исче́зли. Наприме́р, хотя́ бы у нас лу́чше други́х живёт не тот, кото́рый, наприме́р, уме́ет ли́хо продава́ть ни́тки, и не тот, кото́рый мо́жет во́время купи́ть карто́фель с тем, что́бы его́ пото́м с надба́вкой перепрода́ть, как всё э́то быва́ет за грани́цей, а тот, кото́рый уме́ет изуми́тельно рабо́тать, име́ет спосо́бности, игра́ет на роя́ле, танцу́ет и́ли мо́жет петь. И́ли там, что ли, он хорошо́ деклами́рует, рису́ет и так да́лее. И́ли к нау́ке он име́ет тала́нт, и́ли, наконе́ц, он хорошо́ лета́ет, и́ли беззаве́тно лю́бит свою́ ро́дину.

А че́рез э́то со счето́в жи́зни снята́ одна́ из самы́х опа́сных неуда́ч. С чем мы всех и поздравля́ем.

А что каса́ется не́которых други́х вопро́сов, то, коне́чно, ещё слу́чаются неуда́чи. И от э́того у нас не отка́зы́ваются. И с э́тим бо́рются.

52. Мы, зна́ете, как-то лежа́ли вечерко́м в гамаке́ и ду́мали о себе́: каки́е, наприме́р, неуда́чи име́ются, ну, хотя́ бы в на́шей ли́чной жи́зни.

Стал ду́мать. Снача́ла в го́лову лезла́ вся́кая ме́лкая чушь. Так что да́же поду́малось: уж не впал ли я, чего́ до́брого, в меща́нство.

Вот, поду́мал, за́втра на рабо́ту на́до сли́шком уж ра́но встава́ть. Неохо́та. Ра́дио у сосе́дей греми́т до по́здней но́чи – не высыпа́юсь. Жена́ всё вре́мя де́нег тре́бует – на́до, говори́т, долги́ плати́ть. А э́то не так-то легко́ достаётся. Управдо́м стал что-то выска́зывать неудово́льствие насчёт антисанитари́и. То есть, говори́т, гря́зно. Придира́ется. Не уважа́ет меня́ как челове́ческую едини́цу. Но сам лю́бит, чтоб его́ уважа́ли и хвали́ли. Тогда́ ещё ничего́. Интересова́лся бы о́сенью пое́хать в Я́лту, но неизве́стно, что за́втра бу́дет. Родно́й сестре́ уда́рило соро́к лет – муж её бро́сил, жени́лся на моло́денькой. Она́ горю́ет. И её настрое́ние нам передаётся. Приволокну́лся за одно́й осо́бой – муж хо́чет её с кварти́рной пло́щади погна́ть. Пришло́сь отказа́ться от чу́вства к ней.

Вот каки́е мы́сли нам явля́лись, когда́ мы, лёжа в гамаке́, ста́ли поду́мывать о недочётах ли́чной жи́зни.

Но э́ти недочёты, в су́щности, невелики́. Э́то сравни́тельно ме́лкие бытовы́е неуда́чи, и они́ с ка́ждым мо́гут слу́читься. В э́том нет ничего́ осо́бенного.

53. А е́сли с кем-нибудь и быва́ет бо́лее кру́пная неуда́ча, то, мо́жет быть, он и сам винова́т. И́ли уж о́чень он глуп. А не́которые умны́ и на неуда́чу наскочи́ли без вины́, то, зна́чит, по́просту с ни́ми бы́ло недоразуме́ние. И оно́ рассе́ется. А е́сли и не то и не друго́е, то, зна́чит, о чём же и толкова́ть.

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Quant à ce qui touche à des gens comme nous, certes, nous avons aussi nos revers de fortune. De fait, peu d’années se sont écoulées depuis la Révolution¹. Et nous sommes naturellement toujours confrontés à un vaste panel d’échecs en tout genre. Mais ce qu’il y a de bien chez nous, c’est que certains de nos échecs, par exemple, ont déjà disparu.

Par exemple, celui qui vit mieux que les autres dans notre pays n'est plus celui qui, disons, vend du fil à coudre, ni celui qui peut acheter des pommes de terre au bon moment pour les revendre plus tard à un prix plus élevé - comme cela se passe à l'étranger -, mais celui qui sait travailler admirablement, qui a des capacités, sait jouer du piano, danser ou chanter. Ou peut-être sait-il déclamer de beaux textes, dessine-t-il, etc. Peut-être a-t-il un talent scientifique, ou bien est-il un excellent aviateur, ou, enfin, tout simplement, aime-t-il sa patrie de tout son cœur.

Et grâce à cela, l’un des écueils les plus dangereux a disparu de nos vies. Et pour cela nous nous devons de féliciter tous nos compatriotes.

Comme en d’autres choses, bien entendu, des échecs surviennent encore. Et nous ne pouvons y échapper. Mais on lutte contre cela.

Vous savez, le soir, quand étendu dans notre hamac, nous nous demandons : « Quels sont, par exemple, nos échecs, enfin, au moins ceux qui concernent notre propre vie ?»

J'ai commencé à y réfléchir. Et, au début, des pensées plus bêtes les unes que les autres m’ont traversé l’esprit. Sur le coup, je me suis même dit que peut-être j’étais devenu moi-même un petit bourgeois.

Voilà, et je me suis dit que demain je dois me lever bien trop tôt pour aller travailler. Et j’en ai pas envie. La radio des voisins résonne jusque tard dans la nuit – je n'arrive pas à dormir suffisamment. Ma femme me réclame tout le temps de l’argent : il faut payer ce qu’on doit, qu’elle me dit. Et c'est pas du gâteau.

Le gérant de l’immeuble a commencé à exprimer son mécontentement face à l’insalubrité des lieux. Autrement dit, ‘c'est crasseux ici’, a-t-il dit. Il chicane. Il n’a aucun respect pour moi en tant qu'individu. Mais lui-même aime qu’on le respecte et qu’on le flatte. Et alors il sera satisfait.

J’aimerais à l’automne faire un tour à Yalta², mais je ne sais de quoi demain sera fait. Ma propre sœur vient de fêter ses quarante ans. Son mari l'a laissé tomber pour une nana plus jeune. Elle est toute déprimée. Et son humeur est contagieuse. J’ai fait un brin de causette avec une jeune femme. Son mari veut la foutre dehors de leur appartement. J’ai dû abandonné tout sentiment pour elle.

C’est ce genre de pensées qui nous traverse l’esprit lorsque, allongé dans notre hamac, nous commençons à réfléchir à ce qui ne va pas dans nos vies.

Mais ces manques sont, en somme, bien mineurs. Ce sont des échecs quotidiens relativement triviaux, et qui peuvent être le lot de chacun. Il n’y a là rien de remarquable.

Et si un revers de fortune plus grave arrive à quelqu'un, alors peut-être en est-il lui-même coupable. Ou alors c’est qu’il est vraiment stupide. Et pour ceux, plus intelligents, qui ont échoué sans qu’ils en soient responsables, il faut se dire simplement qu'il y a dû y avoir quelques malentendus, des malentendus qui devraient se dissiper.

Et si ce n’est ni l’un ni l’autre, alors cela signifie qu’il n’y a rien de plus à en dire³.

1- Zochtchenko utilise ici le terme de ‘perestroïka’ (перестройка) qui signifie ‘reconstruction’, ‘réorganisation’, que nous associons de nos jours à la période de la fin de l’Union soviétique (1985-1991), et qu'ici nous avons préféré traduire par 'Révolution'.
2- Yalta (Ялта), station balnéaire réputée de Crimée.
3- Ludwig Wittgenstein a écrit de son côté : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. » (Wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen.) in Tractatus Logico-philosophicus, 1921.