M. Zochtchenko – L’Infortune, introduction (5)

Petites nouvelles russes : James Ensor, Le désespoir de PIerrot, 1910
James Ensor, Le désespoir de PIerrot, 1910

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко

L'Infortune, introduction
Кова́рство (введе́ние)

5- Quand il est mort le Poète

34. Кста́ти, е́сли вы заме́тили, мы неожи́данно перебрали́сь с ва́ми побли́же к жи́зни писа́телей и поэ́тов.

Э́то, коне́чно, поня́тно. Мы э́то зна́ем. И нам э́то досту́пно понима́нию.

Так что так и бу́дем продолжа́ть. В том же ду́хе. Как че́рез ка́плю воды́ мо́жно сообрази́ть ко́е-что о воде́, так и че́рез э́ту гру́ппу мы мо́жем уви́деть, как вообще́ быва́ло. (...)

Знамени́тый ру́сский наро́дный поэ́т Кольцо́в, умира́ющий, лежа́л в ужа́сных усло́виях, в проходно́й ко́мнате, забы́тый все́ми. Причём в кварти́ре происходи́ла чья-то сва́дьба. Поэ́т писа́л в 1842 году́: «Все на́чали ходи́ть и бе́гать че́рез мою́ ко́мнату. Полы́ мо́ют то и де́ло, а сы́рость для меня́ уби́йственна. Тру́бки благово́нные ку́рят ка́ждый день… У меня́ образова́лось воспале́ние в пра́вом боку́. Пото́м – в ле́вом. А в ту по́ру вечери́нка… Прошу́ не кури́ть – ку́рят бо́льше. Прошу́ не благово́нить – бо́льше…»

Поэ́т у́мер, когда́ ему́ бы́ло три́дцать три го́да.

42. Хоте́ли помолча́ть, но ска́жем па́ру слов. После́дний факт уж о́чень характе́рный. Умира́ет прекра́сный поэ́т. И така́я сво́лочь круго́м. И така́я нищета́. А в э́то же вре́мя како́й-нибу́дь пусто́й дура́к, продувна́я бе́стия, содержа́тель ларька́ и́ли ча́йной, поня́тия не знал, что тако́е беда́. Вот что мо́жет огорчи́ть. Вот в чём одна́ из гла́вных неуда́ч у них, у капитали́стов и тракти́рщиков.

А фило́софы! То́лько предста́вьте себе́ карти́ну. Я́ркое со́лнце. Пыль. База́р. Кри́ки. Я́ма, в кото́рой сидя́т фило́софы. Не́которые вздыха́ют. Не́которые про́сятся наве́рх. Оди́н говори́т:

– Они́ в про́шлый раз ско́ро вы́пустили, а ны́нче что-то до́лго де́ржат.

Друго́й говори́т:

– Да переста́ньте вы, Сокра́т Па́лыч, вздыха́ть. Како́й же вы по́сле э́того сто́ик? Я на вас пря́мо удивля́юсь.

Торго́вец с па́лкой о́коло кра́я я́мы говори́т:

– А ну, куда́ вылеза́ешь, подлю́га. Вот я тебе́ сейча́с трахану́ по перено́сью. Фило́соф… Учёная мо́рда…

Чёрт возьми́! Каки́е, одна́ко, бе́шеные неуда́чи выпада́ли на до́лю мы́слящей бра́тии. Мо́жет, э́то случи́лось за то, чтоб поме́ньше ду́мали, что ли. Наве́рно, так и есть. Пря́мо э́то как-то озада́чивает. (...)

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À propos, avez-vous remarqué que nous avons abordé de manière inattendue la vie d’écrivains et de poètes.

Cela est évidemment compréhensible. Nous connaissons le sujet. Et nous sommes susceptibles de comprendre la chose.

Alors, continuons sur cette voie. Dans le même esprit. Tout comme, grâce à une goutte d'eau, nous pouvons saisir quelque chose sur ce qu’est l'eau, de même, grâce à cette gente ???, nous pouvons voir comment, généralement, les choses se sont passées...

Alexeï Koltsov¹, un de nos célèbres poètes nationaux, agonisant, gisait dans des conditions terribles, dans une chambre ouverte à tout venant, oublié de tous. Et un jour, voilà qu'une noce se tient dans cet appartement.

Le poète décrivit la scène en 1842 : « Dans ma chambre, tout le monde a commencé à aller et venir, à courir. Les sols sont constamment lavés et l'humidité me tue. On y brûle des pipes à encens tous les jours... J'ai développé une inflammation du côté droit. Puis - à gauche. Et à ce moment-là, il y avait une fête... S'il vous plaît ai-je demandé, ne fumez pas- voilà qu’ils fument encore plus. S’il vous plaît, ne brûlez pas d’encens – ils en brûlent encore plus… »²

Le poète mourut à l'âge de trente-trois ans.

Nous voulions garder le silence, mais disons quelques mots. Ce dernier exemple est très révélateur. Un merveilleux poète est mort. Et quelle bande de salauds tout autour ! Quelle bassesse ! Et dans le même temps, un imbécile invétéré, un fieffé roublard, propriétaire d'une échoppe ou d'un bar à thé, ne se rendait pas compte du malheur³. Voilà qui est peut être le plus affligeant. Voilà l’un des principaux échecs de tous ces capitalistes et petits bistrotiers.

Et les philosophes ! Imaginez simplement le tableau. Un soleil éclatant. De la poussière. Du bazar. Des cris. Une fosse dans laquelle croupissent les philosophes. Certains soupirent. Certains supplient qu’on les libère.

L'un dit : - La dernière fois, ils vous relâchaient rapidement, mais à présent, ils vous retiennent longtemps…
Un autre intervient : - Arrêtez de soupirer, Socrate Palytch4. N’êtes-vous pas, après tout, stoïque ? Vous m’étonnez vraiment.

Un camelot, un bâton à la main, se tenant près du bord de la fosse, s’adresse ainsi : - Eh bien, voudrais-tu t’en sortir, mon salaud ? Si fait que je te frotte le museau. Philosophe... Gueule d’intello...

Bon sang ! Voilà bien de terribles coups du sort qui ont frappé nos frères les penseurs. Peut-être afin qu'ils réfléchissent moins, ou quelque chose comme ça. C'est probablement ça. Tout de même, comme tout cela est déroutant…

1- Alexeï Koltsov (Алексей Васильевич Кольцов) (1809-1842), poète russe mort de tuberculose à 33 ans. Lire (en russe) : Alexeï Koltsov – une courte biographie.
2- Extrait d’une lettre adressée par Alexeï Koltsov à Vassili Botkine, l’infortuné héros de l’épisode précédent.
3- Zochtchenko ici peut-être fait référence au père d’Alexeï Koltsov qui laissa son fils dans le complet dénuement et qui était un riche commerçant en thé.
4- Zochtchenko affuble Socrate du patronyme ‘Palitch’ (Палыч), contraction de Pavlovitch (Павлович), sans que cette raison en soit claire. Voici ce qu’écrit le critique littéraire Benedikt Sarnov (Бенедикт Сарнов)  : « Zochtchenko est resté au bord du gouffre dans lequel se trouvait son « Socrate Palitch » avec ses confrères philosophes. Bien qu'il ne soit pas mort « comme Socrate », il est mort comme Gogol : dans un état de profonde dépression, il a cessé de manger et, en fait, est mort d’inanition. » Source (en russe) : lechaim.ru.