M. Zochtchenko – Un petit vieux bien agité (01)

Petites nouvelles russes : Petits vieux dans le ciel
Petits vieux dans le ciel, Léonid Baranov (Леонид Баранов), détail

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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Un petit vieux bien agité
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Расска́з о беспоко́йном старике́

 

Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)

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(1935)

Il existe (au moins) deux versions de cette nouvelle, celle figurant dans Le Livre bleu ciel et une, antérieure, datant de 1933 (lire en russe), qui diffèrent légèrement sur quelques passages et leur fin. C’est la version conforme au Livre bleu ciel et à l’enregistrement audio que nous avons ici retenue, nous appuyant sur la traduction initiale de Michel Davidenkoff in ‘Contes De La Vie De Tous Les Jours’, (Le petit vieux agité) - Editions Noir sur Blanc, 1987 – avec son aimable autorisation.

Раз на раз, как говори́тся, не придётся...

Si, comme on dit, la chance ne vous sourit pas aujourd’hui,
peut-être vous sourira-t-elle demain...

Premier épisode - Первый эпизод

У нас в Ленингрáде оди́н старичóк заснýл летарги́ческим снoм.

Год назáд он, знáете, захворáл кури́ной слепотóй. Но пото́м попрáвился. И дáже выходи́л на кýхню ругáться с жильцáми по культýрным вопрóсам.

А недáвно он взял и неожи́данно заснýл.

Вот он нóчью заснýл летарги́ческим сном. У́тром просыпáется и ви́дит, что с ним чегó-то такóе нелáдное. То есть, вернéе, рóдственники егó ви́дят, что лежи́т бездыхáнное тéло и никáких при́знаков жи́зни не даёт. И пульс у негó не бьётся, и грýдка не вздымáется, и пар от дыхáния не сади́тся на зеркáльце, е́сли э́то послéднее преподнести́ к рóтику.

Тут, конéчно, все соображáют, что старичóк ти́хо себé скончáлся, и, конéчно, поскорéй дéлают рáзные распоряжéния.

Они́ торопли́во дéлают распоряжéния, поскóльку они́ всей семьёй живýт в однóй небольшóй кóмнате. И кругóм коммунáльная кварти́ра. И старичкá дáже постáвить, извини́те, нéкуда, до тогó тéсно. Тут поневóле начнёшь торопи́ться.

А нáдо сказáть, что э́тот заснýвший старикáн жил со свои́ми рóдственниками. Знáчит, муж, женá, ребёнок и ня́ня. И, вдоба́вок, он, так сказáть, отéц, и́ли, прóще сказáть, пáпа егó жены́, то есть её пáпа. Бы́вший трудя́щийся. Всё, как полагáется. На пéнсии.

И ня́нька девчóнка шестна́дцати лет, при́нятая на слýжбу на подмóгу э́той семьé, поскóльку óба два муж и женá, то есть дочь егó пáпы, и́ли, прóще сказáть, отцá, слýжат на произвóдстве.

Вот они́ слýжат и, знáчит, под ýтро ви́дят такóе грýстное недоразумéние пáпа скончáлся.

Ну, конéчно, огорчéние, расстрóйство чувств: поскóльку небольша́я кóмнатка и тут же ли́шний элемéнт.

Вот э́тот лишни́й элемéнт лежи́т тепéрь в кóмнате, лежи́т э́такий чи́стенький, ми́ленький старичóк, интерéсный старичóк, не могýщий дýмать о кварти́рных делáх, уплотнéниях и дря́згах. Он лежи́т свéженький, как увя́дшая незабýдка, как ску́шанное кры́мское я́блочко.

Он лежи́т и ничегó не знáет, и ничегó не хóчет, и тóлько трéбует до себя́ послéднего внимáния.

Он трéбует, чтóбы егó поскорéй во чтó-нибудь одéли, отдáли бы послéднее прости́ и поскорéй бы где-нибудь захорони́ли.

Он трéбует, чтóбы э́то бы́ло поскорéй, поскóльку всё-таки однá кóмната и вообщé стеснéние. И поскóльку ребёнок вя́кает. И ня́нька пуга́ется жить в однóй кóмнате с умéршими людьми́. Ну, глýпая девчóнка, котóрой охóта всё врéмя жить, и онá дýмает, что жизнь бесконéчна. Онá пуга́ется ви́деть трýпы. Онá дýра.

Séparateur 1

Chez nous, à Leningrad, un petit vieux s'est endormi d’un sommeil léthargique. L’année d’avant, vous savez, il avait attrapé une héméralopie¹. Mais après il s’était rétabli. Et il allait même dans la cuisine pour s'engueuler avec les autres locataires sur des questions de savoir-vivre. Cela dit, il y a quelques jours, plouf, il s'est endormi sans crier gare.

Et voilà, la nuit il s'endort d'un sommeil léthargique et, au matin, il se réveille et constate que quelque chose ne tourne pas rond chez lui. C'est-à-dire plus précisément, sa famille voit un corps couché, sans souffle, et qui ne donne aucun signe de vie. Le pouls ne bat plus, la poitrine ne se soulève plus et la respiration ne se dépose pas sur le petit miroir si on l’approche de sa petite bouche.

Alors, bien sûr, tout le monde comprend que le petit vieux s’est éteint paisiblement et, naturellement, on se dépêche de prendre diverses dispositions.

On les prend à la va-vite, ces dispositions, car la famille tout entière habite dans une seule petite pièce. Et autour, c'est l'appartement communautaire. Et, excusez-moi, on ne sait pas où ranger le petit vieux, tellement qu’on est à l’étroit. Alors, qu'on le veuille ou non, on fait ça en vitesse.

Par ailleurs, il faut dire que ce petit vieux cohabitait avec sa famille, à savoir le mari, la femme, l'enfant et la nounou. Et en plus, c’était le paterfamilias en quelque sorte ou, plus simplement, le père de la femme, c'est-à-dire son papa à elle. Un ancien travailleur. Tout comme il faut. A la retraite.

Puis il y avait la nounou. Une gamine de seize ans, embauchée pour donner un coup de main à ladite famille, car deux d'entre eux, le mari et la femme, - c'est-à-dire la fille de son père à elle (ou plus simplement de son papa) - travaillaient à l’usine.

Donc, ils travaillaient et voilà qu’au petit matin ils constatent ce triste malentendu : le papa a passé l’arme à gauche. Alors, naturellement, c'est le chagrin, les troubles affectifs, car la chambrette n'est pas très grande et en plus il y a un élément surnuméraire.

Eh bien voilà que cet élément surnuméraire repose maintenant dans la chambre : un petit vieux comment dire, propret, gentillet, un intéressant petit vieux bien incapable de penser aux problèmes d’appartement, de promiscuité ou aux chamailleries. Il repose, frais, comme un myosotis flétri, comme une petite pomme de Crimée rongée.

Il est là, ne sait rien, ne désire rien, et ne demande que les derniers soins pour lui-même. Il demande qu'on l'habille dare-dare, qu'on lui souhaite un dernier adieu et qu'on l’enterre rapidement quelque part.

Il demande que ça se fasse dare-dare, puisqu'il n’y a quand même qu’une seule pièce, et que ça coince de partout. Et parce que l'enfant pleurniche. Et que la nounou est effrayée à l'idée de vivre dans la même chambre que des gens qui sont morts. Bref, c'est une demeurée qui n'a qu'une envie : vivre, et qui imagine que la vie est sans fin. Elle est terrorisée à l'idée de voir des cadavres. Elle est conne.

1- Héméralopie : déficience de la vision crépusculaire ou nocturne.