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Zochtchenko – La galoche (01)
Mikhaïl Zochtchenko : la galoche Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
La galoche - Гало́ша
(Расска́з: про гало́шу: Ме́лкий слу́чай из ли́чной жи́зни)Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)
(1935)Les Russes port(ai)ent généralement des surbottes, des ‘caoutchoucs’, sur leur chaussures, leur permettant ainsi de sortir par les rues et les chemins détrempés sous la pluie, la neige et dans la boue.
Premier épisode - Первый эпизод
Конéчно, потеря́ть галóшу в трамвáе нетру́дно. Осóбенно éсли сбóку поднапру́т, да сзáди какóй-нибудь архáровец на зáдник насту́пит, вот вам и нет галóши.
Галóшу потеря́ть пря́мо пустяки́.
С меня́ галóшу сня́ли в два счёта. Мóжно сказáть, áхнуть не успéл.
В трамвáй вошёл, óбе галóши стоя́ли на мéсте, как сейчáс пóмню. Ещё рукóй потрóгал, когдá влезáл, тут ли? А вы́шел из трамвáя гляжу́: однá галóша здесь, как ми́ленькая, а другóй не́ту. Сапóг здесь. И носóк, гляжу́, здесь. И подштáнники на мéсте. А однóй галóши не́ту.
А за трамвáем, конéчно, не побежи́шь.
Снял галóшу, котóрая остáлась, заверну́л в газéту и пошёл так. Пóсле рабóты, ду́маю, пущу́сь на рóзыски. Не пропадáть же товáру. Гдé-нибудь да раскопáю.
Пóсле рабóты пошёл искáть. Пéрвым дéлом посовéтовался с одни́м знакóмым вагоновожáтым.
Тот пря́мо вот как меня́ обнадёжил.
Скажи́, говори́т, спаси́бо, что в трамвáе потеря́л. Э́то тебé óчень попёрло, что ты и́менно в трамвáе потеря́л.
В другóм общéственном мéсте не ручáюсь, а в трамвáе потеря́ть святóе дéло. Такáя у нас существу́ет кáмера для поте́рянных вещéй. Приходи́ и бери́. Святóе дéло!
Ну, говорю́, спаси́бо. Пря́мо горá с плеч. Глáвное, галóша почти́ что нóвенькая. Всегó трéтий сезóн ношу́.
Bien sûr, il n’est pas difficile de perdre une galoche dans un tram. Surtout si on vous presse d’un côté et que quelque petit voyou¹ vous écrase le talon, par derrière. Et voilà : envolée la galoche.
Perdre une galoche est une vétille. Ils l’ont prise, ma galoche, en un rien de temps. Sans avoir eu le temps de dire ouf ! qu’on aurait dit.
Je suis monté dans le tram, et je portais mes deux galoches bien comme il faut, je m'en souviens parfaitement. Je les ai même tripotées de la main, « Sont-elles bien là ? » Et voulant descendre du tram, je vois qu’une galoche est là, bien gentille, mais que l'autre a disparu.
Ma botte, elle est bien là. Et la chaussette aussi, je la vois : à sa place. Et mon caleçon, bien sur moi. Mais il me manque ma seconde galoche.
Mais bien sûr, inutile de vouloir courir après le tram…
J’ai saisi la galoche qui me restait, l’ai enveloppée dans un journal et j’ai marché comme ça. Après le travail, je me dis que j'irai à sa recherche. « Faut pas laisser se perdre la marchandise, que je pense ». Je la débusquerai bien quelque part.
Après le boulot, je me suis mis à sa recherche. Tout d’abord, j’ai questionné un traminot de mes connaissances.
Voici exactement comment il m'a rassuré : - Eh bien, me dit-il, Dieu merci que tu l’aies perdue dans le tram. C’est vraiment ta veine que tu l’aies précisément égarée dans un tram.
...Je ne te garantirai rien de tel dans un autre lieu public, mais dans un tramway, voilà ta veine... Nous avons un local spécialement affecté aux objets trouvés. T’arrives et tu récupères. Voilà tout !
- Eh bien, que je lui réponds, grand merci. Tu m’enlèves un poids des épaules. Surtout qu’elle est presque neuve cette galoche. C’est à peine si c’est la troisième saison que je l’étrenne...
1- M. Zochtchenko emploie ici le terme 'arkharovets' (aрхаровец). Dans le langage moderne, ce mot signifie « bagarreur », « espiègle ». D'où vient-il ? Pour le savoir, il faudra remonter dans l’histoire. Fin XVIIIe – début XIXe siècles. Il y avait à Moscou un chef de la police nommé Arkharov (Архаров), et ses subordonnés étaient appelés les arkharovetses. Soit la police de Moscou était mal dirigée à cette époque, soit elle était confondue avec ceux qu'elle était censée rappeler à l'ordre, mais depuis lors, le mot a pris racine dans la langue russe au sens de « personne dissolue et imprudente ». Source (en russe) : krylov.academic.ru.
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M. Zochtchenko – Bonne fête ! (02)
Paysanne au foulard, Philippe Maliavine (Филипп Малявин), 1926 Bonne fête !
Расска́з об имени́нницеSecond épisode - Второй эпизод
Lecture : Vladimir Samoïlov (Владимир Самойлов)
Мне, городско́му челове́ку, ужа́сно как ста́ло нело́вко е́хать в теле́ге, тем бо́лее что имени́нница кры́ла тепе́рь всё гро́мче и гро́мче и меня́, и мои́х родны́х, и своего́ полупочте́нного супру́га.
Я пода́л мужику́ рубль, спры́гнул с теле́ги и сказа́л:
– Пуща́й ба́ба ся́дет. Я пройду́сь.
Мужи́к взял рубль и, не снима́я с головы́ ша́пки, засу́нул его́ куда́-то под во́лосы.
Одна́ко свою́ имени́нницу он не стал ждать. Он сно́ва зацо́кал языко́м и дви́нул да́льше.
Я му́жественно шага́л ря́дом, держа́сь за теле́гу руко́й, пото́м спроси́л:
– Ну, что ж не сажа́ешь-то?
Мужи́к тяжело́ вздохну́л:
– Доро́га дю́же тяжёлая. Не мо́жно сажа́ть сейча́с… Да ничего́ ей, ба́бе-то. Она́ у меня́ – дья́вол, двужи́льная.
Я сно́ва на ходу́ влез в теле́гу и дое́хал до са́мой дере́вни, стара́ясь тепе́рь не гляде́ть ни на моего́ изво́зчика, ни на имени́нницу.
По доро́ге мужи́к сказа́л:
– Я, ви́дишь ли, со́бственно, ло́шадь жале́ю. Тем бо́лее мы не в колхо́зе. А мы – единоли́чники. А то я ба́бу обяза́тельно бы посади́л. На казённую ло́шадь. А э́ту я берегу́. Тем бо́лее ба́ба у меня́ мо́жет ходи́ть ско́лько уго́дно. По са́мым худы́м доро́гам.
Я говорю́ мужику́:
– Всё-таки она́ имени́нница. На́до бы́ло бы её ува́жить.
– До́ма я её непреме́нно ува́жу, – сказа́л мужи́к. – Но тут доро́га тяжёлая, и ты ещё влез.
Че́рез полчаса́ мы прие́хали. Мужи́к сказа́л:
– Доро́га дю́же тяжёлая, вот что я скажу́. За таку́ю доро́гу на́до троя́к брать с вас, городски́х. Ка́жется, ви́дел, – я ба́бу не посади́л – до чего́ тяжёлый путь.
Я говорю́:
– Проти́в це́ны не спо́рю.
И стал с ним распла́чиваться.
А когда́ расплати́лся, вдруг подошла́ имени́нница. Пот кати́л с неё гра́дом. Она́ одёрнула свои́ ю́бки и, не гля́дя на супру́га, сказа́ла:
– Выгружа́ть, что ли?
– Коне́чно, выгружа́ть, – сказа́л мужи́к, – не до ле́ту лежа́ть това́ру.
Имени́нница подошла́ к теле́ге и ста́ла выгружа́ть поку́пки, унося́ их в дом.
Я подари́л имени́ннице пять целко́вых и с расстро́енной душо́й пошёл по свои́м дела́м.
А когда́ возвраща́лся обра́тно в го́род, то ду́мал о дереве́нской жи́зни. И о таки́х нра́вах, кото́рые да́же и не запи́саны в литерату́ре.
Вот, дороги́е друзья́, како́го со́рта быва́ют неуда́чи. Хорошо́, что они́ сменя́ются уда́чами.
И как э́то, пра́вда, хорошо́ и вполне́ уда́чно, что тепе́решняя переме́на в дере́вне как раз уда́рила по таки́м мужья́м, у кото́рых таки́е имени́нницы. (…)
Moi, venant de la ville, je me sens terriblement gêné d’être assis là, dans cette charrette, d'autant plus que la bonne femme (dont c’est en ce jour la fête) hausse de plus en plus le ton, gueulant contre moi, toute ma famille et son peu vénérable époux réunis.
A celui-ci je tends un rouble et je saute de la charrette tout en disant : - Laisse-la donc s'asseoir à ma place. Ça me fera une promenade.
Le paysan prend le rouble et, sans même retirer sa chapka, le glisse quelque part dans sa tignasse.
Cependant, claquant à nouveau sa langue, sans attendre sa moitié (dont c’est la fête), voilà qu’il poursuit son chemin.
Avec courage, je marche à ses côtés, m’agrippant au véhicule d’une main. Enfin je lui demande : - Eh bien, pourquoi ne la laisses-tu pas monter ?
Le paysan pousse un profond soupir : - La route est fort difficile. Impossible qu’elle monte ici... Mais c’est pas grave pour elle. C’est une diablesse, la bonne femme, elle est increvable !
Alors je remonte dans la charrette, essayant jusqu’au village de ne regarder ni du côté de mon cocher ni vers son épouse dont c’est la fête.
En chemin, l'homme me dit : - Vois-tu, j’ai pitié de mon cheval. De plus, nous on n’est pas du kolkhoze¹. On est des paysans indépendants². Si ça avait été un cheval de l’Etat, ma bonne femme je l’aurais bien définitivement laissée monter. Mais faut que je prenne soin de l’animal. De plus, ma femme, elle, peut marcher à souhait. Et sur des chemins bien pires.
Je dis au bonhomme : - C’est son jour de fête pourtant. Tu pourrais avoir un peu de considération pour elle.
- A la maison, sans problème elle aura toute ma considération. Mais ici la route est difficile et toi aussi t’es un poids...
Une demi-heure plus tard, nous voilà à destination. Le paysan m’interpelle : - La route est diablement difficile, c'est ce que je vous dirais. A vous les gens de la ville, pour une telle route, on devrait vous faire payer trois roubles. T’as bien vu que ma bonne femme je l’ai pas laissée s’asseoir tant le chemin est rude.
Moi : – Je n’ai rien contre à payer ce qui faut.
Et je paie.
Et quand j'ai payé, la commère soudain arrive. Tout en sueur. Elle redresse ses jupes et, sans même regarder son mari, lui demande : - Faut décharger, ou quoi ?
- Bien sûr, faut décharger, lui répond son bonhomme, les marchandises, elles vont pas traîner ici jusqu’à l'été...
La femme s’approche de la charrette et commence à déballer les achats et à les porter à l’intérieur.
A elle, je lui ai donné cinq roubles et, l'âme bouleversée, je suis parti m’occuper de mes affaires.
Et, revenu en ville, j'ai repensé à la vie dans ces villages et à ces mœurs que la littérature n’a même pas consignées.
Voilà, chers amis, le genre d’échecs qu’on y croise. Et ce sera bien qu’à tant d’infortunes succèdent de meilleurs jours.
Et comme il est bon et bienvenu que les changements actuels dans les campagnes touchent aussi de tels maris qui ont de telles épouses, à qui on souhaite bonne fête...
1- Kolkhoze (колхоз) : Exploitation agricole collective, dans l'ex-URSS.
2- La collectivisation des terres agricoles fut officialisée en URSS par un décret du 6 janvier 1930, entraînant la disparition de la paysannerie privée. -
M. Zochtchenko – Bonne fête ! (01)
Mikhaïl Zochtchenko, Bonne fête ! Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
Bonne fête !
Расска́з об имени́нницеExtrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)
(1935)Premier épisode - Первый эпизод
Одна́жды я пое́хал в дере́вню Борки́. Мне туда́ на́до бы́ло по де́лу.
От ста́нции до э́той дере́вни бы́ло не так мно́го. Мо́жет быть, киломе́тра три. Но пешко́м я идти́ не рискну́л. Весе́няя грязь буква́льно доходи́ла до коле́на.
Во́зле само́й ста́нции, у кооперати́ва, стоя́ла крестья́нская подво́да. Немолодо́й мужи́к в зимне́й ша́пке вози́лся о́коло ло́шади.
– А что, дя́дя, – спроси́л я, – не подвезёшь ли меня́ до Боро́к?
– Подвезти́ мо́жно, – сказа́л мужи́к, – то́лько да́ром мне нет расчёту тебя́ подвози́ть. Рубли́шко на́до мне с тебя́ взять, ми́лый челове́к. Дю́же доро́га тру́дная. Воды́ мно́го.
Я сел в теле́гу, и мы тро́нулись.
Доро́га, действи́тельно, бы́ла а́ховая. Каза́лось, доро́га была́ в своё вре́мя специáльно устро́ена с тем то́нким расчётом, что́бы вся весе́няя дрянь со всех окре́стных поле́й стека́ла и́менно сюда́. Жи́дкая грязь покрыва́ла почти́ по́лное колесо́.
– Грязь-то кака́я, – сказа́л я.
– Воды́, коне́чно, мно́го, – равноду́шно отве́тил мужи́к.
Он сиде́л на передке́, све́сив вниз но́ги, и непреста́нно цо́кал на ло́шадь языко́м.
Ме́жду про́чим, цо́кал он языко́м абсолю́тно всю доро́гу. И то́лько когда́ перестава́л цо́кать хоть на мину́ту, ло́шадь поводи́ла наза́д уша́ми и доброду́шно остана́вливалась.
Мы отъе́хали шаго́в сто, как вдруг позади́ нас, у кооперати́ва, разда́лся исто́шный ба́бий крик.
И кака́я-то ба́ба в се́ром платке́, си́льно разма́хивая рука́ми и руга́ясь на чём свет стои́т, торопли́во шла за теле́гой, с трудо́м передвига́я но́ги в жи́дкой грязи́.
– Ты что ж э́то, бродя́га! – крича́ла ба́ба, доходя́ в не́которых слова́х до по́лного ви́згу. – Ты кого́ ж посади́л-то, чёрт рва́ный? Обормо́т, го́ре твоё лу́ковое!
Мой мужи́к огляну́лся наза́д и усмехну́лся в бородёнку.
– Ах, парази́т-ба́ба, – сказа́л он с улы́бкой, – кро́ет-то как!
– А чего́ она́? – спроси́л я.
– А пёс её зна́ет, – сказа́л мужи́к, сморка́ясь. – Не ина́че, как то́же в телегу́ ла́дит. Неохо́та ей, должно́ ста́ться, по грязи́ хлю́пать.
– Так пуща́й ся́дет, – сказа́л я.
– Трои́х не мо́жно увезти́, – отве́тил мужи́к, – дю́же доро́га тру́дная.
Ба́ба, подобра́в ю́бки чуть ли не до живота́, нажима́ла всё бы́стрее, одна́ко по тако́й грязи́ догна́ть нас бы́ло труднова́то.
– А ты что, с ней уговори́лся, что ли? – спроси́л я.
– Заче́м уговори́лся? – отве́тил мужи́к. – Жена́ э́то мне. Что мне с ней зря́ угова́риваться?
– Да что́ ты?! Жена́? – удиви́лся я. – За́чем же ты её взял-то?
– Да увяза́лась ба́ба. Имени́нница она́, ви́дишь, у меня́ сего́дня. За поку́пками мы вы́ехали. В кооперати́в… Э́вон, гляди́, как нажима́ет. Ай, ей-бо́гу, смехота́…
Un jour, je me suis rendu au village de Borki¹. Je devais y aller pour affaires.
Il n'y avait pas beaucoup entre la gare et le village. Peut-être trois kilomètres. Mais je n’osais pas faire la route à pied. La boue printanière me montait littéralement jusqu’aux genoux.
Près de la gare elle-même, devant la coopérative, se trouvait un paysan avec sa charrette. Le bonhomme, plus très jeune, une chapka sur le crâne, s’occupait près de son cheval.
- Dis-moi, tonton², lui ai-je demandé, pourrais-tu me conduire jusqu’à Borki ?
- Т’y conduire je peux, m’a-t-il répondu, mais pas pour rien. Un p’tit rouble que ça t’ coûtera, mon brave. La route est fort difficile. Gorgée d’eau.
Je monte dans sa charrette et nous voilà partis.
La route était vraiment terrible. Il semblait qu’ à l’époque on l’avait spécialement tracée en ayant subtilement calculé que tous les immondices printaniers de tous les champs environnants afflueraient ici. Une boue visqueuse recouvrait presque entièrement les roues.
- Quelle boue, dis-je.
- Y a beaucoup d'eau, c’est sûr, me répond le paysan avec indifférence.
Assis devant, les jambes pendantes, il faisait claquer sans cesse sa langue à l’adresse du cheval.
D’ailleurs, il a claqué sa langue tout le trajet durant. Et ce n'est que lorsqu'un court instant il cessait de la claquer que le cheval d’un coup retroussait ses oreilles et gentiment s’arrêtait.
Nous n’avions pas fait cent pas quand, soudain, derrière nous, depuis la coopérative, on entend le cri déchirant d’une femme.
C’était une bonne femme portant un foulard gris qui agitait follement les bras et jurait à pleins poumons. Tentant de rattraper la charrette, elle avançait péniblement dans la boue visqueuse.
- Qu'est-ce tu fais, clochard ! et d'ajouter jusqu’à en glapir : qui t’as encore fait monter, espèce de diable décrépit ? Crétin que tu es, oiseau de malheur !
Notre paysan se retourne et sourit dans sa fine barbe : - Ah, quel parasite cette bonne femme, dit-il en souriant, et qu’est-ce qu’elle gueule !
- Qu’est-ce qu’il lui arrive ? demandé-je.
- Dieu sait ce qu’elle a, dit le paysan en se mouchant. Pas moyen de moyenner : va falloir aussi la faire monter. Elle n’a pas envie de patauger dans la boue.
- Alors laisse-la donc qu’elle s’assoie, dis-je.
- A trois c’est pas possible, la route est trop dure.
La bonne femme, ayant retroussé ses jupes presque jusqu'au ventre, accélère le pas, mais dans une telle boue il lui est bien difficile de nous rattraper.
- Vous vous étiez entendus, ou quoi ? insisté-je.
- Nous être entendus sur quoi ? me répond le paysan. C'est ma femme. Pourquoi diable devrais-je tenter de m’entendre avec elle ?
- Qu’est-ce que tu dis là ?! Ta femme ? dis-je tout surpris. Pourquoi l'as-tu prise avec toi ?
- C’est elle qui s’est accrochée. C'est sa fête aujourd'hui, tu vois. Nous sommes allés faire des emplettes. À la coopérative... Et voilà... Regarde donc comme elle appuie sur le champignon. Ah, bon sang, c’est à mourir de rire…
1- Borki (Борки) : village située à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Moscou.
2- Tonton (дядя) est un terme largement employé en Russie, avec ou sans connotation familiale, par les enfants et les adultes envers un homme plus âgé. -
M. Zochtchenko – Les souffrances du jeune Werther (03)
L'agent de police Les Souffrances du jeune Werther
Страда́ния молодо́го Ве́ртераTroisième épisode - Третий эпизод
Я иду́ со свои́м велосипéдом, покáчиваюсь. У меня́ шуми́т в головé, и в глазáх мелькáют круги́ и тóчки. Я бреду́ с разворóченной душóй.
Я по дорóге сгорячá произношу́ нелéпую фрáзу: Бóже мой. Я масси́рую себé ру́ки и говорю́ в прострáнство: Фу!
Я выхожу́ на нáбережную и снóва сажу́сь на свою́ маши́ну, говоря́:
Ну, лáдно, чегó там. Поду́маешь нашёлся фон-барóн, ру́ки ему́ не верти́.
Я ти́хо éду по нáбережной. Я позабывáю грубовáтую сцéну. Мне рису́ются прелéстные сцéнки из недалёкого бу́дущего.
Вот я, предполо́жим, éду на велосипéде с колёсьями, похóжими друг на дру́га, как две кáпли воды́.
Вот я сворáчиваю на э́ту злосчáстную аллéйку. Чéй-то смех раздаётся. Я ви́жу стóрож идёт в мя́гкой шля́пе. В рукáх у него́ цветóчек незабу́дка и́ли там осéнний тюльпáн. Он верти́т цветóчком и, смея́сь, говори́т:
Ну, кудá ты заéхал, дружóчек? Чегó э́то ты сду́ру не тудá су́нулся? Э́кий ты, ми́лочка, ротозéй. А ну, валя́й обрáтно, а то я тебя́ оштрафу́ю, не дам цветкá.
Тут, ти́хо смея́сь, он подаёт мне незабу́дку. И мы, полюбовáвшись друг дру́гом, расстаёмся.
Э́та ти́хая сцéнка услаждáет моё страдáние. Я бóдро éду на велосипéде. Я верчу́ ногáми. Я говорю́ себé: Ничегó. Душá не разорвётся. Я мóлод. Я соглáсен скóлько угóдно ждать.
Снóва рáдость и любóвь к лю́дям заполня́ют моё сéрдце. Снóва им хóчется сказáть что-нибудь хорóшее и́ли кри́кнуть: Товáрищи, мы стрóим нóвую жизнь, мы победи́ли, мы перешагну́ли чéрез громáдные тру́дности, давáйте всё-таки уважáть друг дру́га.
С перепóлненным сéрдцем я верну́лся домóй и записа́л э́ту сцéнку, котóрую вы сейчáс читáете.
Э́то случи́лось в прóшлом году́, и с тех пóр подóбных происшéствий с нáми ужé не́ было, из чегó мы заключáем, что подóбное боевóе настроéние среди́ слу́жащих по охрáне зелёных насаждéний идёт на у́быль. И э́то óчень хорóшо. А то э́то сли́шком неприя́тная неуда́ча, с котóрой слéдует боро́ться со всей энéргией. (...)
Je marche tout titubant, poussant mon vélo. Ma tête bourdonne. J’ai des cercles et des points qui clignotent dans mes yeux. J'erre l’âme en peine.
En chemin, je prononce imprudemment une phrase absurde : - Mon Dieu ! Je me masse les poignets et soupire aux quatre vents : - Pouh !
Je débouche sur le quai et remonte sur ma selle, me disant : « Bon, d'accord, peu importe. Dis-toi que t’es pas un néo-baron, et qu’à toi on peut bien te tordre les bras... »
M’apaisant, je roule le long de la berge. J'oublie ce pénible épisode. Je me représente les belles scènes à venir, dans un futur pas si lointain.
Voilà, j’imagine que je conduis un vélo dont les roues comme deux gouttes d’eau font la paire.
Ainsi, je m'engage dans cette malencontreuse petite allée. J’entends un rire. Je vois le gardien qui s’avance, un chapeau de ville sur la tête. Dans ses mains, un myosotis ou une tulipe d'automne. Il fait tournoyer la fleur et me dit tout en riant :
- Eh bien, où t’es-tu fourvoyé, mon ami ? Pourquoi t’es-tu bêtement engagé au mauvais endroit ? Petit polisson, mon tout doux. Allons, allons, fais demi-tour, sinon je devrais te coller une amende et tu n’auras pas la fleur.
Et là, riant doucement, il me tend un myosotis. Et après nous être l’un l’autre amoureusement reluqués, nos chemins se séparent.
Cette douce image soulage ma souffrance. Je pédale d'un bon pas. Je fais tourner mes mollets. Je me dis : « Tout ça n’est rien. Mon âme ne se brisera pas. Je suis jeune. C’est d’accord : j’attendrai tout le temps qu’il faudra. »
Encore une fois, la joie et l'amour pour les gens emplissent mon cœur. Encore une fois, je désire leur dire quelque chose de bien ou leur crier : « Camarades, nous construisons une nouvelle vie, nous avons vaincu, nous avons surmonté d'énormes difficultés. A jamais, respectons-nous les uns les autres... »
Le cœur débordant de joie, je suis rentré chez moi et j’ai rédigé cette saynète que vous lisez actuellement.
Cela s'est produit l'année dernière, et depuis lors, aucun incident de ce type ne s'est produit par chez nous, ce qui nous permet de conclure que parmi les employés aux espaces verts de tels va-t-en-guerre sont en déclin. Et c'est très bien. Sinon, ce serait là un échec trop désagréable, qu'il nous faudrait alors combattre de toutes nos forces.
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M. Zochtchenko – Les souffrances du jeune Werther (02)
« Ils poursuivent quelqu'un, me dis-je », illustration Sergueï Lemekhov (Сергей Лемехов ) Les Souffrances du jeune Werther
Страда́ния молодо́го Ве́ртераDeuxième épisode - Второй эпизод
Lecture : Vladimir Samoïlov (Владимир Самойлов)
Лёшка, кричи́т кто-то, забегáй, свóлочь, слéва. Не выпущáй егó из ви́ду!
Ви́жу слéва бежи́т парни́шка. Он мáшет пáлкой и грози́т кулакóм. Но я ещё не ви́жу, к кому́ отно́сятся егó угрóзы.
Я обора́чиваюсь назáд. Седовáтый почтéнный стóрож бежи́т по дорóге и орёт что есть мóчи.
Хватáй егó, брáтцы, держи́! Лёшка, не выпущáй из ви́ду!
Лёшка прице́ливется в меня́, и пáлка егó ударя́ет в колесо́ велосипéда.
Тогдá я начинáю понимáть, что дéло касáется меня́. Я соска́киваю с велосипéда и стою́ в ожидáнии.
Вот подбегáет стóрож. Хрип раздаётся из егó груди́. Дыхáнье с шу́мом вырыва́ется нару́жу.
Держи́те егó! кричи́т он.
Человéк дéсять доброхóтов подбегáют ко мне и начинáют хватáть меня́ за́ руки. Я говорю́:
Брáтцы, да что вы, обалдéли! Чегó вы с умá спя́тили совмéстно с э́тим постарéвшим болвáном?
Стóрож говори́т:
Как я тебé áхну по зубáм, бу́дешь оскорбля́ть при исполне́нии служéбных обя́занностей… Держи́те егó крéпче… Не выпущáйте егó, су́ку.
Собирáется толпá. Кто-то спрáшивает:
А что он сдéлал?
Стóрож говори́т:
Мне пятьдеся́т три гóда, он, су́ка, пря́мо загнáл меня́. Он éдет не по той дорóге… Он éдет по дорóжке, по котóрой на велосипéдах проéзду нет… И виси́т, мéжду прóчим, вы́веска. А он, как ненормáльный, éдет… Я ему́ свищу́. А он ногáми кружи́т. Не понимáет, ви́дите ли. Как бýдто он с луны́ свали́лся… Хорошó, мой помо́щник успéл останови́ть егó.
Лёшка проти́скивается сквозь толпу́, впивáется своéй клешнёй в мою́ ру́ку и говори́т:
Я ему́, гадю́ке, хотéл ру́ку переби́ть, чтоб он не мог éхать.
Брáтцы, говорю́ я, я не знал, что здесь нельзя́ éхать. Я не хотéл удира́ть.
Стóрож, задыхáясь, восклица́ет:
Он не хотéл удира́ть! Вы ви́дели нáглые рéчи. Веди́те егó в мили́цию. Держи́те егó крéпче. Таки́е у меня́ завсегдá убегáют.
Я говорю́:
Брáтцы, я штраф заплачу́. Я не отка́зываюсь. Не верти́те мне ру́ки.
Ктó-то говори́т:
Пу́щай предъяви́т докумéнты, и возьми́те с него́ штраф. Чегó егó зря волочи́ть в мили́цию? Прови́нность у него́, в сýщности, не так кру́пная.
Стóрожу и нéскольким добровóльцам охóта волочи́ть меня́ в мили́цию, но под давлéнием остальнóй пу́блики стóрож, стрáшно руга́ясь, берёт с меня́ штраф и с ви́димым сожалéнием отпуска́ет меня́ восвоя́си.
- ...Liochka¹, crie quelqu'un, cours donc mon salaud ! à gauche ! Ne l’perds pas d’vue !
J’aperçois un jeune type qui surgit sur la gauche. Il agite son bâton et montre le poing. Mais je ne vois toujours pas à qui s’adressent ses menaces.
Je me retourne. Derrière moi, un gardien grisonnant, d’un âge respectable, galope le long de la rue criant à pleins poumons.
- Attrapez-le, mes frères, arrêtez-le ! Liochka, ne l’perds pas d’vue !
Liochka me vise de son bâton et heurte la roue de ma bécane.
Alors je commence à comprendre que cela me concerne. Je saute de mon engin et j’attends là.
Le gardien accourt. Une respiration sifflante sort de sa poitrine. Il halète bruyamment.
- Tenez-le ! crie-t-il.
Une dizaine de bons samaritains se précipitent sur moi et commencent à me saisir par les bras.
Moi : - Frères, vous perdez la boule ! Avec cette vieille andouille vous déraillez ou quoi ?
Le gardien : - Tu vas te prendre un coup dans les dents d'insulter ainsi un agent dans l'exercice de ses fonctions... Tenez-le fort... Ne le laissez pas s’échapper, ce fils de pute.
La foule se rassemble. Quelqu'un demande : - Qu'a-t-il donc fait ?
Le gardien : - J'ai cinquante-trois piges, et cette petite salope veut m’achever. Il circule sur une voie interdite aux vélos... Voyez d'ailleurs, y’a un panneau accroché là-bas. Et il roule comme un fou... Je le siffle. Et voilà qu’il pédale encore plus vite ! Il est à la masse ce type ! Tombé de la lune... Une chance que mon collègue ait réussi à le coincer.
Liochka, son collègue, fend la foule, et m’enserre le bras de sa puissante griffe, ajoutant : - L’envie me démange de lui briser un membre, à cette vipère, pour qu’il ne puisse pas se tailler.
- Frères, dis-je, je ne savais pas qu’il était interdit de circuler à vélo ici. Je ne voulais pas m'enfuir.
Le gardien, essoufflé, s'écrie : - Et voilà, Monsieur ne voulait pas s'enfuir ! Vous entendez , quelle impudence ! Qu’on l’embarque au poste. Tenez-le bien. Ce genre de gars essaie toujours de prendre la malle.
Je dis : - Frères, l'amende je la paierai, je vous jure. Mais arrêtez donc de me tordre les poignets !
Quelqu'un réagit : - Qu’il vous montre ses papiers et qu’il règle la contravention. Pourquoi vouloir le traîner au commissariat ? Le crime, en somme, n’est pas si grave.
Le gardien et plusieurs types bien intentionnés veulent m'embarquer au poste, mais sous la pression du reste de la foule, jurant grossièrement, il encaisse l’amende et visiblement plein de regret me relâche dans la nature.
1- Liochka : diminutif d’Alexeï (Алексей).
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M. Zochtchenko – Les souffrances du jeune Werther (01)
Les souffrances du jeune Werther, illustration du roman de Goethe, Tony Johannot, 1845 Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
Les Souffrances du jeune Werther*
Страда́ния молодо́го Ве́ртераExtrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)
(1935)* ‘Les Souffrances du jeune Werther’ (Die Leiden des jungen Werthers), 1774/1787, est initialement le titre du premier roman - considéré comme le précurseur du romantisme allemand - de Johann Wolfgang von Goethe. Goethe y dépeint les déconvenues d'un jeune homme amoureux, Werther. Le roman s'achève sur le suicide du jeune homme. (Lire en allemand)
Premier épisode - Первый эпизод
Я éхал однáжды на велосипéде.
У меня́ довóльно хорóший велосипéд. Англи́йская мáрка Б.С.А.
Прили́чный велосипéд, на котóром я иногдá соверша́ю прогу́лки для успокое́ния нéрвов и для душéвного равновéсия.
Óчень хорóшая, слáвная совремéнная маши́на. Жáлко тóлько колёсья не все. То есть колёсья все, но тóлько они́ сбóрные. Однó англи́йское Три ружья́, а другóе немéцкое Дукс. И руль украи́нский. Но всё-таки éхать мóжно. В суху́ю погóду.
Конéчно, откровéнно говоря́, éхать сплошнóе мучéнье, но для душéвной бóдрости и когдá жизнь не осóбенно дорогá я выезжа́ю.
И вот, стáло быть, éду однáжды на велосипéде.
Каменноострóвский проспéкт. Бульвáр. Свора́чиваю на бокову́ю аллéю вдоль бульвáра и éду себé.
Осéнняя прирóда разворáчивается передо мно́й. Пожелтéвшая трáвка. Гря́дка с увя́дшими цветóчками. Жёлтые ли́стья на дорóге. Чухóнское¹ нéбо нáдо мной.
Пти́чки щебéчут. Ворóна клюёт му́сор. Сéренькая собáчка лáет у ворóт.
Я гляжу́ на э́ту осéннюю карти́нку, и вдруг сéрдце у меня́ смягчáется, и мне неохóта ду́мать о плохóм. Рису́ется замечáтельная жизнь. Ми́лые, понимáющие лю́ди. Уважéние к ли́чности. И мя́гкость нрáвов. И любóвь к бли́зким. И отсýтствие брáни и гру́бости.
И вдруг от таки́х мы́слей мне захоте́лось всех обня́ть, захоте́лось сказáть что́-нибудь хорóшее. Захоте́лось кри́кнуть: Брáтцы, глáвные тру́дности позади́. Скóро мы заживём, как фон-барóны.
Но вдруг раздаётся вдалекé свистóк.
Кто-нибудь проштра́фился, говорю́ я сам себé, кто-нибудь, навéрное, не так ýлицу перешёл. В дальнéйшем, вероя́тно, э́того не бу́дет. Не бу́дем так чáсто слы́шать э́тих рéзких свисткóв, напоминáющих о простýпках, штрáфах и правонарушéниях.
Снóва недалекó от меня́ раздаётся тревóжный свистóк и каки́е-то óкрики и гру́бая брáнь.
Так гру́бо, вероя́тно, и крича́ть не бу́дут. Ну, крича́ть-то, мóжет быть, бу́дут, но не бу́дет э́той тяжёлой, оскорби́тельной брáни.
Кто-то, слы́шу, бежи́т позади́ меня́. И кричи́т оси́пшим гóлосом:
Ты чего́ ж э́то, су́ка, удира́ешь, чёрт твою́ двáдцать!
Останови́сь сию́ минýту.
За кем-то гóнятся, говорю́ я сам себé и ти́хо, но бóдро éду.
1 - Чухóнский : устар. относящийся к чухонцам, дореволюционное название финнов и эстонцев, населявших окрестности Петербурга.
Un jour, je faisais du vélo.
J'ai un assez bon vélo. De la marque anglaise BSA.
Un vélo comme il faut, que j'utilise parfois pour me balader afin de me calmer les nerfs et avoir l'esprit tranquille.
Une très bel et bon engin moderne. Dommage qu’il manque les roues. Je veux dire : il a toutes ses roues, mais elles ne sont pas d’origine. L’une est une Three Guns anglaise et l’autre une Dux importée d’Allemagne. Quant au guidon, il est ukrainien. Mais par temps sec l’engin peut rouler.
Bien sûr, à vrai dire, rouler sur cette bécane est un supplice complet, mais pour la vigueur mentale et quand ma vie ne m’est pas particulièrement chère, je sors pédaler.
Et donc, un jour, je sors faire du vélo.
Je prends la perspective Kamennoostrovsky¹. Puis je bifurque et longe une allée latérale et me laisse ainsi emporter.
Une Nature automnale s’offre à moi. Herbe jaunie. Parterre de fleurs fanées. Feuilles jaunes jonchant la chaussée. Et, au-dessus de moi, un ciel de Finlande.
Les oiseaux gazouillent. Un corbeau picore un tas d’ordures. Un chien gris aboie près d’un portail.
Je regarde ce tableau automnal et tout à coup mon cœur s’adoucit et je veux chasser toutes mauvaises pensées. Une vie merveilleuse se dessine devant moi. De braves gens, gentils et compréhensifs. Du respect envers chacun. Des mœurs pleines de douceur. De l'amour pour nos proches. Et plus d’abus ni d’impolitesse.
Et soudain, à cause de toutes ces pensées, j'ai envie de serrer tout le monde dans mes bras, j'ai envie de dire quelque chose de bien. J’ai envie de crier : - Frères, les principales difficultés sont derrière nous. Bientôt, nous vivrons comme des néo-barons².
Mais soudain, un coup de sifflet retentit au loin.
« Quelqu’un a commis quelque infraction, me dis-je, quelqu’un a probablement traversé hors des clous. Cela n’arrivera probablement plus à l’avenir. Bientôt nous n’entendrons plus aussi souvent ces sifflements stridents qui n’évoquent à nos oreilles que délits, amendes et infractions... »
De nouveau, non loin de moi, un coup de sifflet et puis des cris et des mots grossiers.
« On ne criera même plus probablement aussi grossièrement. Bon, peut-être qu’on criera toujours, mais plus de telles offensantes ni graves injures... »
J'entends courir derrière moi. Et quelqu'un qui crie d'une voix rauque : - Pourquoi tu t'enfuis, petite salope, putain d’tes morts ! Arrête-toi tout d’suite…
« Ils poursuivent quelqu'un, me dis-je » et je continue tranquillement et gaiement à pédaler.
1- La perspective Kamennoostrovsky est la plus longue avenue de Saint-Pétersbourg.
2- ‘Von Baron’ (фон-барон) : Zochtchenko emploie ici ce terme ironique – savant mélange d’allemand et de français - qu’on pourrait traduire par ‘parvenu’. -
M. Zochtchenko – Des bains et des gens (03)
La perquisition, illustrateur inconnu Des bains et des gens - Ба́ня и лю́ди
Troisième épisode - Третий эпизод
Бáнщик говори́т:
Хорошó, я опя́ть дам свои́ запасны́е штаны́. Но вообщé нáдо бу́дет сшить, наконéц, казённые. У нас чáсто ворую́т, и в э́тот мéсяц у меня́ пря́мо сноси́ли мои́ штаны́. То оди́н возьмёт, то другóй. А э́то мои́ сóбственные.
Вот бáнщик даёт нáшему тéхнику си́тцевые штаны́, а оди́н из мóющихся даёт ку́ртку и шлёпанцы. И вскóре наш друг, с трудóм сде́рживая рыдáния, облачáется в э́тот музéйный наря́д. И в такóм нелéпом ви́де он выхóдит из бáни, мáло чегó понимáя.
Вдруг пóсле егó ухóда ктó-то кричи́т:
Гляди́те, вон ещё чья́-то ли́шняя жилéтка валя́ется и оди́н носóк.
Тогдá все обступáют э́ти нáйденные предмéты. Оди́н говори́т:
Вероя́тно, э́то вор оброни́л. Погляди́те хороше́нько жилéтку, нет ли там в кармáнах чегó. Мнóгие в жилéтках докумéнты дéржат.
Вывора́чивают кармáны и вдруг там нахóдят удостоверéние. Э́то прóпуск на и́мя Селифáнова, слу́жащего в центрáльной поши́вочной мастерскóй.
Тут всем стано́вится я́сно, что воровски́е следы́ ужé нáйдены.
Тогдá заве́дующая бóйко звони́т в мили́цию, и чéрез два часá у э́того Селифáнова устра́ивается óбыск.
Селифáнов стрáшно удивля́ется и говори́т:
Чегó вы, обалдéли, господá? У меня́ у самогó сегóдня в э́той бáне вéщи укрáли. И я дáже дéлал об э́том заявлéние. А что касáется э́той моéй жилéтки, то её, навéрно, вор оброни́л.
Тут пе́ред Селифáновым все извиня́ются и говоря́т ему́: э́то недоразумéние.
Но вдруг заве́дующий поши́вочной мастерскóй, где слу́жит э́тот Селифáнов, говори́т:
Да, я увéрен, что вы сáми в бáне пострадáли. Но скажи́те, откýда у вас э́тот кусóк дрáпа, что лежи́т в сундукé? Э́тот драп из нáшей мастерскóй. Егó у нас не хвата́ет. И вы егó, навéрно, взя́ли. Хорошó, что я из любопы́тства пришёл вмéсте с óбыском.
Селифáнов начинáет лепета́ть рáзные словá, и вскóре он признаётся в крáже э́того дрáпа.
Тут егó момента́льно арестóвывают. И на э́том закáнчивается бáнная истóрия, и начинáются ужé други́е делá...
Вот, напримéр, поря́дочная неуда́ча, с котóрой мы однáжды столкну́лись в городскóм учреждéнии по охрáне бульвáров и зелёных насаждéний.
Вот что там со мной произошлó.
Le garçon de bain dit : - D'accord, je vais lui refiler mon pantalon de rechange. Mais d’une manière générale, il faudra un jour que l’Administration nous en couse des neufs. Il y a souvent de la fauche ici et, ce mois-ci, le mien tombe en lambeaux. Prêté à l’un d’abord, puis à un autre. Mais ce futal c’est le mien, après tout !
Voici que le gars refile à notre technicien un pantalon de toile, et un des clients une veste et une paire de savates. Et bien vite notre ami, retenant à peine ses larmes, enfile cet accoutrement comme tout droit sorti d’un musée. Et sous cet absurde déguisement, il quitte l’établissement, sans rien comprendre.
Soudain, après son départ, quelqu'un s’écrie : - Regardez, il y a encore un gilet qui traîne et là aussi une chaussette.
Alors tout le monde se rassemble autour de ces trouvailles.
L'un dit : - Le voleur les aura probablement laissées tomber. Regardez bien dans les poches du gilet. Souvent les gens y laissent leurs papiers...
Ils vident les poches et soudain y découvrent une pièce d'identité. Il s'agit d'un document au nom de Sélifanov, employé à l'atelier central de couture.
Il devient alors évident pour tous qu’on tient là la piste du voleur, enfin démasqué.
La gérante appelle alors illico la police et, deux heures plus tard, une perquisition a lieu au domicile de ce Sélifanov.
Le bonhomme est terriblement surpris et déclare : - Vous perdez la tête, messieurs ? On m'a justement volé mes affaires dans ces bains aujourd'hui. J'ai même fait une déclaration à ce sujet. Quant à mon gilet, le voleur a dû probablement le laisser tomber.
Alors, tout le monde s'excuse auprès de Sélifanov et reconnaît le malentendu.
Mais soudain, le chef de l'atelier de couture où travaille le bonhomme s’exclame : - Oui, j’imagine ce que vous avez pu endurer là-bas. Mais dites-moi donc, où avez-vous déniché cette draperie posée dans cette malle ? Une pièce portée manquante à l’atelier. Probablement, c’est vous qui l’avez dérobée. Ça tombe bien que, par curiosité, je me sois joint à l’enquête.
Sélifanov commence à balbutier et finit bientôt par avouer son forfait : cette draperie, c’est lui qui l’avait effectivement volée.
Et voilà qu’immédiatement on l’arrête…
Et c’est ainsi que se termine notre histoire à propos des bains publics et que d’autres commencent.
Voici par exemple un échec incommensurable auquel nous avons été autrefois confrontés au service municipal de protection des espaces verts et des boulevards et ce qui nous est arrivé...
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M. Zochtchenko – Des bains et des gens (02)
Les bains - Баня (illustrateur inconnu) Des bains et des gens - Ба́ня и лю́ди
Deuxième épisode - Второ́й эпизод
[И вдруг все прису́тствующие замечáют, что э́тот заве́дующий жéнщина…]
Тéхник, сняв кéпку с головы́, заду́мчиво говори́т:
Господá, да что же э́то такóе! Ещё тогó чи́ще! Мы все мечтáли уви́деть сейчáс мужчи́ну, но вдруг, предстáвьте себé, прихóдит жéнщина. Э́то, говори́т, чтоб в мужскóй бáне бы́ли таки́е заве́дующие, э́то пря́мо, говори́т, кака́я-то ку́рская аномáлия.
И, прикры́вшись кéпкой, он в изнеможéнии сади́тся на дивáн.
Други́е мужчи́ны говоря́т:
Чтоб заве́дующий жéнщина, э́то, действи́тельно, ку́рская аномáлия.
заве́дующая говори́т:
Для вас, мóжет, я и ку́рская аномáлия. А там у меня́ чéрез площáдку дáмское отделéние. И там, говори́т, я далекó никакáя не ку́рская аномáлия. Попрошý воздержáться от подóбных слов.
Наш тéхник, запахну́вшись в свою́ жилéтку, говори́т:
Мы, мадáм, не хотéли вас оскорби́ть. Что вы ерепéнитесь? Лýчше бы, говори́т, обду́мали, в чём я тепéрь пойду́.
заве́дующая говори́т:
Конéчно, до меня́ тут бы́ли заве́дующие мужчи́ны. И на э́той вáшей полови́не они́ бы́ли óчень хороши́ в своём назначéнии, а в дáмском отделéнии они́ все с умá посходи́ли. Они́ тудá сли́шком чáсто заскáкивали. И тепéрь мужчи́нам назначéния рéдко даю́т. А даю́т всё бóльше жéнщинам. И что касáется меня́, то я захожу́ сюдá по мéре нáдобности и́ли когдá тут что́-нибудь спёрли. И я от э́того не теря́юсь… А что я постоя́нно нарыва́юсь тут у вас на оскорблéния и меня́ кáждый мóющийся непремéнно обзыва́ет ку́рская аномáлия, то я предупреждáю кáждого, котóрый меня́ впредь оскорби́т на моём постý, я велю́ такóго отвести́ в отделéние мили́ции… Что у вас тут случи́лось?
Тéхник говори́т:
Господá, что онá ерепéнится? Ну её к чёрту. Я не предви́жую, как я без штанóв домóй пойду́, а онá мне не позволя́ет называ́ть её ку́рская аномáлия. И онá грози́т меня́ в мили́цию отвести́. Нет, лýчше бы тут заве́дующий был мужчи́на. По крáйней мéре он бы мне мог одолжи́ть каки́е-нибудь свои́ запасны́е брю́ки. А что тут заве́дующая жéнщина э́то меня́ оконча́тельно побивáет. И я, господá, тепéрь увéрен, что из э́той бáни я нéсколько дней не уйду́, вот посмо́трите.
Окружáющие говоря́т заве́дующей:
Слýшайте, мадáм, мóжет, тут у вас в бáне есть муж. И, мóжет быть, он у вас имéет ли́шние брю́ки. Тогда́ дáйте им в сáмом дéле их на врéмя поноси́ть. А то они́ стрáшно волну́ются. И не понимáют, как им тепéрь домóй дойти́.
заве́дующая говори́т:
В дáмском отделéнии у меня́ пóлная тишинá, а на этой полови́не ежеднéвно происхо́дит всё равнó как извержéние вулкáна. Нет, господá, я тут отка́заваюсь быть заве́дующей. У меня́ муж в Вя́тке рабóтает. И ни о каки́х, конéчно, штанáх не мóжет быть и рéчи. Тем бóлее что сегóдня э́то ужé вторóе заявлéние о крáже. Хорошó, что в пéрвый раз укрáли мéлочи. А то бы ко мне опя́ть приставáли с брю́ками. Тогда́, господá, вот что: éсли есть у когó-нибудь каки́е-нибудь запасны́е штаны́, то дáйте им, а то мне на них пря́мо тяжело́ глядéть. У меня́ мигрéнь начинáет разы́грываться от всех э́тих волнéний.
[Et voilà que soudain tout le monde se rend compte que le gérant est une femme...]
Le technicien, retirant sa casquette, dit tout pensif : - Messieurs, qu'est-ce donc encore que ça ! En voilà du propre ! Nous espérions tous voir venir un homme, mais soudain, imaginez donc qu'il nous arrive une femme. C’est incroyable que dans des bains pour hommes les gérants soient des femmes. Franchement, ajoute-t-il, c’est une anomalie sidérale¹ !
Et, se couvrant pudiquement de sa casquette, lessivé, il s'assoit sur une banquette.
D'autres confirment : - Que le gérant soit une femme, c’est vraiment une anomalie sidérale !
La gérante rétorque : - Pour vous, je suis peut-être une ‘anomalie sidérale’. Mais là-bas y’a la section pour dames. Et là-bas, ajoute-t-elle, je suis loin d'être une anomalie sidérale. Je vous demande donc de vous abstenir de tels propos.
Notre technicien, se drapant dans son gilet, lui déclare : - Madame, nous ne voulions pas vous offenser. Pourquoi donc rouspétez-vous ? Il vaudrait bien mieux, ajoute-t-il, réfléchir à comment maintenant je vais pouvoir sortir d’ici.
La gérante poursuit : - Bien sûr, avant moi ici il y avait des hommes comme gérants. Et dans cette section-ci, ils étaient à la hauteur, mais dans la partie réservée aux dames, ils devenaient tous cinglés. Ils y cavalaient pour un oui pour un non. Et désormais, on confie rarement le poste à un homme. On le refile de plus en plus à des femmes. Moi, je ne mets les pieds ici qu' en cas de nécessité ou quand on a fauché quelque chose. Et je ne m’égare pas pour ça.
...Et quant au fait que je me heurte ici constamment à vos insultes, et que tous ceux qui viennent se laver me traitent immanquablement ‘d’anomalie sidérale’, je préviens tout le monde : celui qui à l'avenir m'insultera, sur mon lieu de travail, j'ordonnerai qu’il soit illico traîné au poste de police...
...Et vous, demande-t-elle au technicien, qu’est-ce qui vous arrive ?...
Celui-ci s’insurge : - Messieurs, pourquoi donc rouspète-t-elle ? Eh bien, que le diable l’emporte ! Je ne me vois pas rentrer chez moi sans pantalon. Et voilà qu’elle ne m’autorise même pas à l'appeler ‘anomalie sidérale’. Et qu’elle me menace de la police. Non, mais pour de bon, ça serait mieux si le gérant était un homme. Au moins, il pourrait me prêter un de ses pantalons de rechange. Que la gérante ici soit un femme, ça me tue. Quant à moi, messieurs, je suis sûr et certain que je vais végéter dans ces bains encore plusieurs jours, vous allez voir !
Les hommes autour interpellent la gérante : - Écoutez, madame, qui sait ? Peut-être avez-vous votre mari ici. Et qu'il aurait par chance un pantalon de rechange à lui prêter. Sinon, imaginez sa terrible inquiétude : ne pas savoir comment il va rentrer chez lui…
La gérante poursuit : - Dans la section des dames c’est le calme absolu, mais ici, la moitié du temps, c'est comme le Stromboli. Non, messieurs, je refuse de continuer à travailler dans ces conditions. Quant à mon mari, il travaille à Viatka². Et, bien sûr, il ne peut être question de ses pantalons. D'ailleurs, c'est aujourd'hui déjà le deuxième vol constaté. Heureusement que pour le premier, c’est juste des petites choses qu’on a fauchées. Sinon, on serait venu encore m’enquiquiner pour une paire de pantalons. Alors, messieurs, vous savez quoi : si quelqu'un parmi vous a un futal de rechange, qu'il le lui refile, parce que moi, sinon, j'ai bien du mal à contempler plus longtemps ce spectacle. Et tous ces tracas commencent à me ficher la migraine.
1- Zochtchenko parle ici de ‘l’anomalie de Koursk’ (курская аномалия). La région de Koursk, dans le sud de la Russie, étant connue pour son anomalie magnétique due à ses riches réserves en minerai de fer.
2- Viatka (Вятка), ancien nom de la ville de Kirov (Киров) jusqu’en 1934, située à environ 900 km au nord-est de Moscou. -
M. Zochtchenko – Des bains et des gens (01)
'A propos des bains et de ceux qui les fréquentent', illustrateur inconnu Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
Des bains et des gens
Ба́ня и лю́ди:
Расска́з о ба́нях и их посети́теляхExtrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)
(1935)Premier épisode - Первый эпизод
В своё врéмя мы чего́-то такóе писáли насчёт бань. Сигнализи́ровали опáсность. Дéскать, гóлому человéку номерки́ не́куда деть и так да́лее.
Прошлó пóсле тогó нéсколько лет.
Затрóнутая нáми проблéма вы́звала горя́чие диску́ссии в бáнно-пра́чечном трéсте. В результáте чегó кóе-где в ба́нях отвели́ осóбые я́щики, кудá кáждый пассажи́р мóжет класть свою́, каку́ю ни на есть, одёжу. Пóсле чегó я́щик замыкáется на ключ. И пассажи́р с рáдостной душóй поспешáет мы́ться. И там привя́зывает э́тот ключ к шáйке. И́ли, в крáйнем слу́чае, не выпускáет егó из рук. И как-то там мóется.
Коро́че говоря́, несмотря́ на э́то, вот каки́е собы́тия разверну́лись у нас в однóй из ленингрáдских бань.
Оди́н тéхник захотéл у нас пóсле мытья́, конéчно, одéться. И вдруг он с у́жасом замечáет, что весь егó гардерóб укрáли. И тóлько вор, дóбрая душá, остáвил ему́ жилéтку, кéпку и ремéнь.
Он пря́мо а́хнул, э́тот тéхник. И сам без ничегó стои́т óколо я́щика своегó и пря́мо не имéет никáкой перспекти́вы. Он стои́т óколо я́щика, в чём егó мáма родилá, и рукáми разво́дит. Он ошеломлён.
А он тéхник. Не без образовáния. И он пря́мо не представля́ет себé, как он тепéрь домóй пойдёт. Он пря́мо на ногáх качáется.
Но потóм он сгорячá надевáет на себя́ жилéтку и кéпку, берёт в ру́ки ремéнь и в такóм, мóжно сказáть, совершéнно отвлечённом ви́де хóдит по предбáннику, мáло чегó соображáя.
Нéкоторые из пу́блики говоря́т:
В э́той бáне кáждый день крáжи вору́ют.
Наш тéхник, имéя головокружéние, начинáет говори́ть ужé на какóм-то старорежи́мном нарéчии с применéнием слóва господá. Э́то он, навéрно, от си́льного волнéния, порастеря́л нéкоторые свóйства своéй нóвой ли́чности.
Он говори́т:
Меня́, господá, глáвное интересу́ет, как я тепéрь домóй пойду́.
Оди́н из не мы́вшихся ещё говори́т:
Позови́те сюдá заве́дующего. Нáдо же чегó-нибудь ему́ придýмать.
Тогда́ тéхник говори́т слáбым гóлосом:
Господá, позови́те мне заве́дующего.
Тогдá бáнщик в одни́х порткáх бросáется к вы́ходу и вскóре явля́ется с заве́дующим. И тут вдруг все прису́тствующие замечáют, что э́тот заве́дующий жéнщина….
À une certaine époque, nous avions écrit quelque chose à propos des bains. En en signalant les dangers. Racontant qu'une personne toute nue n'a nulle part où fourrer le petit numéro qu’on lui donne au vestiaire, et tout et tout¹.
Plusieurs années se sont écoulées depuis.
Le problème que nous avions soulevé a provoqué des discussions animées au sein du consortium des bains. En conséquence, certains de ces bains disposent de casiers spéciaux où chacun peut déposer ses vêtements, peu importe lesquels. Après quoi, le casier est verrouillé à clé. Et le bonhomme s'empresse d’aller se laver l'âme joyeuse. Là, il suspend sa clé à son baquet. Ou, au pire des cas, ne la lâche pas d’un pouce. Et ainsi, d’une manière ou d’une autre, il se lave.
Bref, malgré cela, voici ce qui s’est déroulé dans l'un de ces bains, à Leningrad.
Un technicien qualifié voulait se rhabiller - après s’être lavé, bien entendu. Et soudain, il constate avec horreur qu’on lui a volé toutes ses frusques. Le voleur, âme bienveillante, lui ayant laissé seulement gilet, casquette et ceinture.
Notre technicien en reste baba. Debout, sans rien sur la peau, près de son casier, et pour de bon sans aucune perspective. Debout, près de ce casier, comme un nouveau-né. Les bras lui en tombent. Abasourdi qu’il est.
Mais c'est un technicien qualifié. Non sans éducation. Et il ne peut tout simplement pas imaginer comment maintenant il va rentrer chez lui. Il se balance d’un pied sur l’autre.
Mais ensuite, il enfile prestement son gilet, pose sa casquette sur sa tête, ramasse sa ceinture et, dans un état, pourrait-on dire, de complète hébétude, se promène dans le vestiaire, totalement perdu.
Certains s’exclament : - Il y a de la fauche tous les jours dans ces bains...
Notre technicien, pris de vertige, se met à parler dans une langue compassée en utilisant le terme ‘messieurs’. Probablement a-t-il perdu, dans son extrême agitation, certaines valeurs de sa nouvelle identité².
Lui : - Ce qui me préoccupe grandement, messieurs, c’est de savoir comment maintenant je vais rentrer chez moi.
Un de ceux qui ne se sont pas encore lavés, dit : - Appelez le responsable. Il faut vraiment vous trouver quelque chose.
Alors notre technicien dit d'une voix faible : - Messieurs, je vous en prie : appelez-moi le gérant.
Alors le garçon de bain, en simple bas de survêtement, sort en courant et voilà que bientôt il revient accompagné du gérant. Et, soudain, tout le monde se rend compte que le gérant est une femme…
1- Lire sur ce site : ‘Les bains’ (Баня), 1924.
2- En URSS, après la Révolution, le terme ‘Monsieur’ fut banni au profit de ‘Citoyen’ (гражданин) ou ‘Camarade’ (товарищ), afin de signifier l’avènement de ‘l’Homme nouveau’. -
M. Zochtchenko – Un incident sur la Volga (02)
A bord du Korolenko Un incident sur la Volga
Происше́ствие на Во́лгеSecond épisode - Второ́й эпизод
Lecture : Vladimir Samoïlov (Владимир Самойлов)
Прие́хали в Сара́тов. И свое́й гру́ппой вы́шли осма́тривать го́род.
Там мы тóже дóлго не прохлаждáлись. А мы дошли́ до ларькá и купи́ли папиро́с. И осмотрéли пáру здáний.
Возвращáемся назáд опя́ть ви́дим, нéту нáшего парохóда Грозá. И ви́дим, вмéсто негó стои́т другóй парохóд.
Конéчно, испу́г у нас был не такóй си́льный, как в Сама́ре. Ду́маем, шáнсы есть. Мóжет быть, они́ опя́ть заглáвие закрáсили. Но всё-таки нéкоторые из нас опя́ть си́льно испугáлись.
Подбежáли бли́же. Спра́шиваем пу́блику:
Где Грозá?
Пу́блика говори́т:
А вот э́то и есть Грозá. Бы́вшая Пе́нкин. А тепéрь, начинáя с Сара́това, он у них Короле́нко.
Мы говори́м:
Что ж они кра́сок-то не жале́ют?
Пу́блика говори́т:
Не зна́ем. Спроси́те бо́цмана.
Бо́цман говори́т:
Жара́ с э́тими наименова́ниями. Пе́нкин у нас да́ли оши́бочно. А что каса́ется до Грозы́, то э́то бы́ло малоактуа́льное назва́ние. Оно́ отча́сти бы́ло беспринци́пное. Э́то явле́ние приро́ды. И оно́ ничего́ не даёт ни уму́, ни се́рдцу. И капитáну да́ли за э́то вздрю́чку. Вот почему́ и закра́сили.
Тогда́ мы обра́довались и сказа́ли:
Ах, вон что! и сéли на э́тот парохо́д Короле́нко.
И пое́хали.
А бо́цман нам говори́т:
Гляди́те, в А́страхани не пуга́йтесь, е́сли обра́тно найдёте друго́е назва́ние.
Но мы говори́м:
Нет, э́то навря́д ли бу́дет. Поскóльку э́то Короле́нко выдаю́щийся писа́тель.
В о́бщем, до А́страхани дое́хали благополу́чно. А отту́да мы дёрнули по су́ше.
Так что да́льнейшая судьба́ парохо́да нам была́ неизве́стна.
Но мо́жно не сомнева́ться, что э́то наименова́ние так при нём и оста́лось. На ве́чные времена́. Тем бо́лее что Короле́нко у́мер. А Пе́нкин был жив, и в э́том была́ основна́я его́ неуда́ча, дове́дшая его́ до переименова́ния.
Так что тут неуда́ча заключа́ется скоре́й всего́ да́же в том, что лю́ди быва́ют, что ли, жи́вы. Нет, пардо́н, тут вообще́ да́же не поня́ть, в чём кро́ется су́щность неуда́чи. С одно́й стороны́, нам как бу́дто бы ино́й раз вы́годно быть неживы́м. А с друго́й стороны́, так сказа́ть, поко́рно вас за э́то благодари́м. Уда́ча сомни́тельная. Лу́чше уж не на́до. А вме́сте с тем быть живы́м вро́де как то́же в э́том смы́сле относи́тельная неуда́ча.
Так что тут, как бы сказа́ть, с двух сторо́н тесня́т челове́ка неприя́тности.
Вот почему́ э́тот ма́ленький, вро́де недоумéния, пустячо́к мы помести́ли в ряду́ на́ших расска́зов о неуда́чах. (...)
Nous sommes donc arrivés à Saratov¹ et on descend visiter la ville.
Nous n’y sommes pas restés longtemps non plus. Nous nous sommes rendus dans une échoppe et avons acheté des cigarettes. Et puis nous jetons un coup d’œil sur quelques bâtiments.
Au retour, nous constatons que notre Orage n'est plus là. Et nous voyons qu'à sa place il y a une autre embarcation.
Bien entendu, nous avons eu moins peur qu’à Samara. Nous pensons que, peut-être, avec de la chance, ils ont repeint son nom. Mais malgré tout, certains d’entre nous ont eu à nouveau une belle frayeur.
Nous précipitant, nous demandons : - Où est L’Orage ?
On nous répond : - Mais c'est L'Orage. L’ancien Penkine. Et maintenant, au départ de Saratov, ils l'ont rebaptisé « Le Korolenko »².
Nous : - Mais pourquoi dépenser tant de peinture ???
Eux : - Nous n’en savons rien. Demandez au maître d’équipage.
Le maître d’équipage : - C'est chaud avec ces noms. On nous avait donné celui de Penkine par erreur. Quant à L’Orage, c’était un choix mal venu. Un nom sans cause ni principe. Un phénomène naturel, qui n’apporte rien à l’esprit ni au cœur. Et le capitaine en a été réprimandé. C'est pour ça qu'ils l'ont repeint.
Alors nous nous sommes à nouveau réjouis en disant : - Ah, c'est pour ça ! et sommes montés à bord du Korolenko.
Et nous voilà repartis.
Mais le maître d'équipage nous prévient : - Écoutez, arrivés à Astrakhan³, ne vous inquiétez pas de découvrir un autre nom.
Mais nous disons : - Non, il est peu probable que ça arrive. Parce que Korolenko est un écrivain hors pair.
En définitive, nous sommes arrivés à Astrakhan sans dommage. Et de là, nous avons regagné nos pénates par voie terrestre.
Le sort futur du ‘Korolenko’ nous est donc resté inconnu.
Mais il ne fait aucun doute que ce nom lui est resté. Pour l'éternité. De plus, Korolenko est mort. Alors que Penkine, lui, est bien vivant. Voilà son principal échec, qui a conduit à changer le nom du bateau.
L’échec ici réside donc probablement dans le fait que les gens sont bel et bien vivants. Non, désolé, on ne peut même pas comprendre où réside l’essence de cet échec.
D’une part, il semble qu’il serait parfois bénéfique pour nous d’être morts et inanimés. Mais d’autre part, pour le dire... non, grand merci ! Le choix est hasardeux. Il vaut mieux ne pas tenter le diable. Mais, en même temps, en ce sens, rester en vie semble aussi s’avérer une relative infortune.
Et donc ici, comment dire, voilà la personne tiraillée des deux côtés.
C’est pourquoi nous avons placé cette petite bagatelle apparemment déroutante au rang de nos histoires d’infortune et d’échecs...
1- Saratov (Саратов), ville sur la Volga.
2- Vladimir Korolenko (Владимир Галактионович Короленко) (1853-1921), auteur, entre autres, de ‘En mauvaise compagnie’. Lire sur ce site.
3- Astrakhan (Астрахань), ville située aux portes du delta de la Volga, près de la mer Caspienne.Cet amusant petit récit est, en quelque sorte, le pendant fluvial de la nouvelle d’Andreï Nekrassov (Андрей Сергеевич Некрасов) (1907-1987) : 'Les aventures du capitaine Vrounguel’ (Приключения капитана Врунгеля) - lire en russe -, dont le vaisseau ‘L’Impitoyable’ (en russe ‘La Victoire’ – Победа) perd les deux premières lettres de son nom est devient ainsi ‘Le Pitoyable’ (en russe ‘Le Malheur’ — Беда) 🙂