Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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Les caissières
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Заба́вное происше́ствие с касси́ршей

Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)

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(1935)

Premier épisode - Первый эпизод

Au sein de la coopérative ‘La Voie du prolétariat’, sans exagérer, vingt-trois caissières se sont succédé en un an et demi.

Vingt-trois caissières en si peu de temps. C'est vraiment quelque chose de bien étrange et surprenant.

Le gérant en a parlé un jour en disant : - Aucune d’entre elles n’était adaptée au poste. Toutes des idiotes. Et j’en ai eu vingt-deux à la suite.

Et, bien sûr, chaque fois ça se terminait en cris, lamentations et argumentations toutes féminines. Mais sans que cela n’y changeât rien. Chacune travaillait auprès de lui une semaine ou une semaine et demie, puis était renvoyée avec pertes et fracas. Réexpédiée à la bourse du travail.

Et lui à chaque fois réclamait, encore et encore : - Si possible, disait-il, adressez-moi un caissier. Un homme.

Mais pour on ne sait quelle raison, on ne lui envoyait chaque fois que des candidats ne faisant pas l’affaire. Autrement dit, des femmes. Des caissières. Il n'y avait probablement pas d'hommes disponibles. Sinon, bien sûr, on les lui aurait adressés.

En général, il s'agit là d'un fait psychologique plutôt étrange. Disons-le : la personne qui se tient derrière le comptoir est nécessairement un homme, et celle derrière la caisse enregistreuse une femme. Précisément une femme.

Et pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi y a-t-il toujours une femme derrière la caisse ? Quelle est la raison de cet étrange phénomène naturel ?

Ou bien nous, les mâles serions-nous incapables de voir défiler avec indifférence de l'argent devant nous ? Ou alors nous mettrions-nous à picoler suite à la pression morale constante que provoque le bruissement de l’argent ? Ou y a-t-il à cela d'autres raisons ? Mais ce n'est que très rarement que vous verrez un brave gars employé à la délicate tâche de compter la monnaie. Et encore, ce sera alors un vieil employé, ressemblant à une femme âgée, aux yeux somnolents et à la voix fluette.

Bref, malgré tous ses desiderata, chaque fois on n’adressait à notre gérant que des demoiselles.

Et donc c’est ainsi qu’il en est venu à en licencier plus de deux dizaines.

Et finalement, voilà qu’il fiche à la porte la vingt-troisième.

Et cette vingt-troisième était bien jolie. Un profil intéressant. Et même presque une beauté... Pour le moins, une jeune femme pimpante et dynamique. Bien habillée. Et c'est pour ça qu'elle avait l'air pas mal. C’est ça : pas mal du tout.

Mais malgré cela, notre gérant, sans même faire cas de son allure, la met également à la porte.

Et voilà que soudain elle fond en larmes. C’est le drame. L’ hystérie. Le scandale.

Bien entendu, une caissière, de nos jours, peut toujours parfois se laisser aller à de telles crises d’hystérie. Sans même comprendre les raisons de ce qui la chagrine. Mais il y a cinq ans, cela était tout à fait compréhensible. À l’époque, le travail se ne trouvait pas sous le sabot d’un cheval. Et une place de caissière en intéressait plus d’une…

Histoire de changer de costume
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Исто́рия с переодева́нием

Second épisode - Второй эпизод

Je poursuis dans mon espagnol toujours aussi approximatif : - Ya-vol, lui dis-je, bitte-zur-bitte. Prendi presto mein valise dans meine chamber-zimmer. Et puis, ajouté-je, nous bafarderons et je vous dirai le pourquoi du comment.

- Ya-vol, ya-vol, répond le réceptionniste, sans souci, grandé Signor !

Mais apparemment, bien vite la visée mercantile reprend le dessus : - Comment allez-vous régler ? me demande-t-il. En devises estrangères oder en valoutas bien de chez nous ?

Et il trace de ses doigts des signes évidents pour tout étranger en villégiature : une suite de zéros et de un.

Je lui dis : - Moi, là tout simplement pas comprendre vous. Peste soit vous ! Porto presto mein valise.

Je me dis qu’il me faut juste qu’il me refile une chambre et, ensuite, ils pourront faire de moi ce qu’ils voudront.

Et donc il saisit ma valise d’une main. Et dans son emportement voilà-t-y qu’elle s'ouvre à cause de son mauvais fermoir.

Elle s'ouvre et là, bien sûr, tout un saint-frusquin de misère dégringole. Et par-ci, des sous-vêtements rapiécés, et par là des demi-caleçons, et puis une savonnette et d’autres conneries tout aussi locales et compatriotiques.

Le réceptionniste voit tout mon fatras, et devient pâle. Soudain il a tout compris.

- Allez, dit-il, espèce de canaille espagnole, montre-moi donc ton passeport.

Je réponds : - Niet comprendo. Et si, ajouté-je, pas de chambre, alors moi ficher la poudre d’escampette.

Le réceptionniste s’adresse au portier : - Non mais t’as vu ça ? Il a tenté de passer sous pavillon estranger !

Je m’apprête à décamper quand le portier me dit : - Ts-ts, camarade, venez par ici. N'ayez pas peur. Dites-moi, désirez-vous vraiment une chambre ?

Je réponds: - Sur le vapeur, j’avais si mal au cœur que je tenais à peine debout. J'accepterais même de verser un surplus, juste pour m'allonger et profiter d’un lit.

Le réceptionniste rétorque : - Nous n'acceptons pas les pots-de-vin. Mais, ajoute-t-il, si vous avez vraiment besoin d’une chambre, je peux vous en fournir une, simplement. Et gratis. Mais elle n'a pas de clé. La clé a été perdue. Pour cela, vous paierez au serrurier quinze roubles pour les réparations. Il vous ouvrira la porte, et vous remettra une clé tirée de son assortiment de vieilleries.

Je m’acquitte de la somme et j'obtiens enfin la chambre.

Et, le soir venu, je découvre que personne n’a jamais perdu de clé : qu’on m’en a juste refilé une bien ordinaire pour une chambre que j’ai payée quinze roubles. Le type de la chambre d’à côté m'en a touché deux mots : à lui, pour la même chose, ils ne lui ont facturé que dix roubles. Et voilà qu’à moi ça m’a coûté cinq roubles supplémentaires en qualité de ci-devant Espagnol.

Mais, dans l’ensemble, j’ai quand même été content d’avoir dégoté une chambre.

Source (en russe) : zoshhenko.ru.

(Nouvelle adaptée d'un récit initialement paru en 1932 sous le titre 'Tombé de la lune' (С луны свалился) - Lire (en russe).)

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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Histoire de changer de costume
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Исто́рия с переодева́нием

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Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)

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(1935)

Premier épisode - Первый эпизод

Bien sûr, tout le monde sait bien que de trouver une chambre d’hôtel n’est pas si facile de nos jours.

Dès mon arrivée dans le sud du pays, j’en ai été immédiatement convaincu.

Je descends du navire, je trouve un hôtel, et là le réceptionniste me dit : - Vous savez, je suis vraiment surpris par les gens. De nos jours, dès qu’un navire vient de débarquer, tous accourent ici directement. C'est comme si nous étions un hôtel. Soit, ici c’est effectivement un hôtel. Mais nous n'avons pas de chambre. Tout est complet.

Alors je décide de recourir à une petite astuce. Je quitte l’hôtel et réfléchis à un plan d’action.

J’ai deux choses en main. L’une bien ordinaire : un sac qui présente peu d’intérêt. Mais l’autre se trouve être une magnifique valise en fibre vulcanisée, ou plutôt faite de bouts de contreplaqué.

Je dépose le sac chez le marchand de journaux du coin, j’enfile mon imper anglais en toile-caoutchouc à l’envers - sa doublure intérieure est à carreaux -, j’enfonce ma casquette sur le nez, j'achète un cigare, je l'allume, et accoutré aussi insolitement je force à nouveau la porte de ce même hôtel, ma valise d'importation à la main.

Le portier me fait remarquer : - C’est bien inutile d’entrer, nous n’avons pas de chambre.

Je m'approche du réceptionniste et m’exprime dans un jargon approximatif : - Ein chamber-zimmer, dis-je, ya-vol ?

Il me répond : - Nom d’un petit bonhomme ! voilà t’y pas qu’un étranger débarque chez nous !

Et il poursuit dans un jargon tout aussi approximatif : - Ya-vol, ya-vol : fous afez bien du bol. Bitte-dritte, eine minute. Schnel, je fais fous choisir la meilleure, une où y a le moins de punaises de lit.

Je conserve ma posture arrogante mais mon cœur tremble.

Le réceptionniste, amateur de langue étrangère, me demande : - Scouzi, dit-il, monsieur, perdonna-mé. Fous zêtes Allemagne, ou peut-être d’ailliors ?...

« Bon sang, que je pense, et si cette peste parle allemand, et qu’il commence à vouloir me baragouiner dans cette langue ? »

- Nein, dis-je, ich bin eine chamber-zimmer d’Espagna. Comprendi ? Fandango d’Espagna.

Oh là là, voilà que le réceptionniste en est complètement bouleversé.

- Nom d’un petit bonhomme ! qu'il dit, voilà pas qu’un Espagnol atterrit chez nous ! Voilà-t-y pas qu’à présent, ajoute-t-il, pour de bon, j’entends parler l’Espagne et son fandango !

Et, évidemment, il a les mains qui tremblent. Et moi aussi je tremble. Et lui, il tremble. Et ainsi nous conversons et tremblons tous les deux...

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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Une ruse au pensionnat
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Хи́трость, допу́щенная в одно́м общежи́тии

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Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)

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(1935)

Dans un pensionnat vivait une certaine Maroussia Korableva. Une jeune demoiselle très coquette. Dix-huit ans environ. Assez remuante et attirée par le confort bourgeois.

Elle étudiait médiocrement, bien sûr. Mais ce qu’elle préférait au plus haut degré était de plaire aux hommes. Et à cet effet, elle se maquillait les yeux et se poudrait le visage. En plus, elle se parfumait à la folie. De parfum ou d’eau de Cologne, cela lui était égal. Et malgré son modeste pécule, elle y dépensait pas mal de ses sous.

Près de son petit lit, sur une table de nuit trônait toujours un flacon de parfum. Et diverses crèmes, et un petit miroir, etc., etc.

Si ce n'est que soudain, un jour, Maroussia commença à remarquer que quelqu'un lui prenait de son parfum. Quelqu'un se servait sans demander.

Elle décida de ranger la fiole dans le tiroir de sa table de nuit. En vain,. Quelqu’un y puisait régulièrement. Peut-être était-ce une de ses camarades qui, n’ayant pas son propre parfum, profitait du sien.

Peu importe que Maroussia planquât son parfum dans sa table de nuit ou l’enfouît sous son oreiller, quelque main invisible, de temps en temps, en chouravait toujours un peu.

Maroussia fit un trait sur l'étiquette pour marquer la hauteur. Mais cela n’aida en rien. Les maraudeurs n’en tinrent pas compte et à la moindre occasion venaient y puiser.

Maroussia imagina alors une astuce : elle colla une étiquette sur laquelle elle avait dessiné une tête de mort et deux tibias, en écrivant dessus le mot « poison » Elle posa le flacon sur la table. Et dès cet instant, plus personne n’y toucha plus.

Sauf une fois cependant. Une fille hystérique prit la fiole et en avala le contenu d’un trait.

Parce que, voyez-vous, elle s’était disputée avec quelqu’un. Et bêtement elle avait ingurgité tout le parfum. Mais, en définitive, sans trop de dommage pour elle.

Et si ce léger incident n’était survenu une telle invention aurait pu s’avérer fort utile. Pour ainsi dire, pour avoir usé de tant de finesse et de ruse, Maroussia aurait dû être gratifiée d’un brevet.

Mais, bien entendu, cette trouvaille, aussi sophistiquée soit-elle, est de nos jours quelque peu démonétisée, car elle ne vise qu’à servir les intérêts petits-bourgeois et à protéger la propriété privée.

En définitive, après ce regrettable incident, Maroussia Korableva changea de tactique. Elle garde désormais son flacon dans son sac à main. Ce qui n’est pas vraiment pratique et l’alourdit, mais qui est bien plus prudent. (...)

Source (en russe) : zoshhenko.ru.

Une histoire d’invités
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Интере́сный слу́чай в гостя́х

Episode trois - Третий эпизод

Un grand silence a envahi la pièce….

Certains invités aussitôt se lèvent et rentrent chez eux.

Plusieurs minutes, ceux encore là se taisent, convaincus que c’était bien inutile d’avoir menti. Qu’il eût fallu simplement dire qu’on appelait pour une affaire personnelle et s’expliquer ensuite. Il est clair qu’on n’aurait pas refusé de leur répondre. Et à présent, voilà qu’on avait menti, et c’était pas bien joli.

Au cours de cette conversation à mots couverts, soudain le téléphone se met à sonner. L’hôte lui-même, le comptable Karavaïev, s’approche de l’appareil et décroche, l’air sombre.

Et il écoute.

D’un coup, ses yeux s’écarquillent et son front perle de sueur. Et le combiné bat la chamade contre son oreille.

Une voix retentit au bout du fil : - Qui a demandé le camarade Rykov ? C’est à quel sujet ?

- C'est une erreur, déclare Karavaïev. Personne n'a appelé d’ici. Désolé…

- Ce n’est pas une erreur ! C'est bien de chez vous qu’on a téléphoné.

Les invités commencent à se glisser en direction du couloir. Et, essayant de ne pas croiser leur regard, l’un après l’autre, silencieusement, quittent l’appartement.

Personne ne s’imaginait que cet appel n’était en fait qu’une méchante blague. Ils ne découvriront la supercherie que le lendemain.

L'un des invités parti immédiatement après le premier appel s’était précipité à la pharmacie du coin, et c’est de là qu’il avait appelé pour mystifier toute la compagnie.

Il l’avouera lui-même dès le lendemain. En s’esclaffant d’un énorme rire.

Mais l’hôte, le comptable Karavaïev, prit la chose sans rire et se brouilla avec lui. Et il eut même envie d’arranger le portrait de ce type qui tels ces voyous voulant se divertir, usent d’arnaques mesquines et jouent de vilains tours à autrui. Et surtout, ce qu’il ne pouvait lui pardonner c’était d’avoir proféré jurons et gros mots au téléphone, juste pour rire, ce que le comptable, naïf, avait pris pour argent comptant. Pour cela, jamais à l'avenir il ne lui pardonna et ne l’invita plus à ses soirées, soirées, d’ailleurs, auxquelles bientôt il mit un terme.

D’ailleurs, l'histoire suivante sera plus amusante pour la ruse de tous les jours qu’elle raconte.

Source (en russe) : zoshhenko.ru.

Une histoire d’invités
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Интере́сный слу́чай в гостя́х

Episode deux - Второй эпизод

Dans ces années-là, le président des commissaires du peuple était, semble-t-il, le camarade Rykov¹.

Voici qu’Anna Sidorovna, devenant plus pâle encore, propose : - Appelons donc le camarade Rykov à son bureau et interrogeons-le. Voilà l’affaire.

Des exclamations s’élèvent, du brouhaha. Beaucoup trouvent l’idée intéressante.

Certains disent : - Y-a rien de mal à ça.

Et d'autres : - Non, non, surtout pas.

Mais l’hôte, Grigori Karavaïev, s’interpose : - Bien sûr, notre appel pourrait le déranger, mais ce serait quand même une discussion sacrément intéressante. J'aime votre jeunesse et je suis d’accord que vous lui téléphoniez d’ici.

Sur ce, Mitrokhine, un énergique camarade, s'approche du combiné d’un pas décidé et déclare : - Je l’appelle illico.

Il décroche le combiné : - S'il vous plaît... Passez-moi le Kremlin...

Les invités, retenant leur souffle, se rassemblent, en demi-cercle, debout autour de l'appareil. La camarade Anna Sidorovna, devient blanche comme un linge et se réfugie à la cuisine se rafraîchir.

Les autres colocataires de l’appartement² ont rejoint la pièce. La responsable, au nom de laquelle l'appartement est enregistré, Daria Vassilievna Pilatova, montre également le bout de son nez. En tant que responsable, elle est venue voir si tout allait comme il faut. Elle s’arrête sur le seuil de la porte et beaucoup remarquent la mélancolie de son regard et son incompréhension du monde moderne.

Mitrokhine, en camarade énergique, poursuit : - Ayez l’amabilité de demander au camarade Rykov de prendre l’appel. ... Comment ?...

Et soudain, les invités remarquent que le camarade Mitrokhine change de figure. Il dévisage d’un regard perdu tous ceux rassemblés autour de lui.

Il serre le combiné entre ses genoux pour en étouffer le son et murmure : - Que dois-je répondre ?... On me demande au sujet de quoi ? D'où est-ce que j’appelle ?... Une secrétaire sans doute... Dites-moi ce qu’il faut dire, que diable !

Ici, s’écartant du téléphone, l’attroupement fait un pas en arrière.

Quelqu'un lui suggère : - Dis que c’est la rédaction... de La Pravda... Parle-lui donc, mon salaud…

- De la part de La Pravda³... reprend Mitrokhine d'une voix sourde. ... Comment ?... Eh bien, à propos de l'article.

Quelqu'un s’exclame : - Bonjour les tracas ! Maintenant, démerdez-vous avec. Fallait pas leur raconter des bobards, dire que c’était La Pravda. Tout était bien, mais maintenant qu’on a raconté n’importe quoi, va savoir comment tout ça va tourner.

Daria Vasilievna Pilatova, la locataire au nom de laquelle l'appartement est enregistré, chancelle et déclare : - Oh, que me voilà patraque ! Ils m'ont poignardée, les canailles. Raccrochez. Raccrochez ce téléphone. Je n’autorise personne à parler à nos dirigeants depuis cet appartement...

Le camarade Mitrokhine jette un regard fuyant sur l’assemblée et raccroche.

Un grand silence envahit la pièce.

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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Une histoire d’invités
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Интере́сный слу́чай в гостя́х

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Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)

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(1935)

Premier épisode - Первый эпизод

C'était il y a pas mal de temps. Il y a huit ans, il me semble. Ou quelque chose comme ça. A cette époque, habitait à Moscou un certain Grigori Antonovitch Karavaïev.

Un employé. Un comptable. Pas si jeune mais aimant la jeunesse. Et dans ses jours de repos, il recevait toujours du monde. Surtout, pour le dire ainsi, de jeunes esprits en herbe.

On causait, on discutait, sur ceci, sur cela. Et ainsi de suite.

On parlait peut-être philosophie, poésie. De ce genre de choses. D’art, probablement. Etc. Probablement aussi on discutait théâtre. Dramaturgie.

Mais un jour, la conversation porta sur la politique internationale.

Donc, probablement l'un des invités, après avoir bu son thé, asséna quelque assertion sur la situation internationale. Un autre ne fut probablement pas de son avis. Un troisième déclara : - Tout ça, c’est l’Angleterre ! L’hôte de la maison sûrement ajouta quelque stupide remarque aussi. En définitive, une dispute infernale éclata : des cris, de l'excitation, etc. En somme : une sacrée discussion.

Le propos se porta ensuite sur l' Afrique, puis déborda en Australie, et ainsi de suite. Bref, une controverse tout ce qu’il y a de plus bête et sans queue ni tête.

Dans le feu de la dispute, soudain l'une des invités, une femme, la camarade Anna Sidorovna, une employée en poste depuis 1923, déclare : - Camarades, plutôt que de débattre nous-mêmes de ces sujets qui nous sont étrangers, appelons, par exemple, un camarade faisant autorité et demandons-lui son avis sur ces questions de politique internationale. Voilà tout.

L’un des invités lui répond comme pour blaguer : - Et pourquoi pas aussi interroger le président des commissaires du peuple ?

La femme, Anna Sidorovna, pâlit un peu et rétorque : - Et comment donc ! Appelons, disons, le Kremlin. Interrogeons quelque camarade compétent. Et discutons-en avec lui.

Là, il y eut comme un certain silence parmi les invités. Tout le monde, en un instant, se tourna vers le téléphone…

Un curieux vol à la coopérative
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Интере́сная кра́жа в кооперати́ве

Episode deux - Второй эпизод

Là, en présence de la milice, l’inventaire commence. On fait parler les chiffres. On compte. On pèse. Et tutti quanti.

Le pauvre gardien lève les bras au ciel, pleure presque. Apparemment l’homme souffre et, en bon citoyen, exprime sa compassion envers l'État se reprochant son sommeil coupable.

Le gérant : - Écrivez : cent cinquante kilos¹ de sucre raffiné. Cent soixante paquets de cigarettes. Deux douzaines de bas pour dames. Huit saucissons...

Il dicte, et le gardien sursaute à chaque chiffre.

Soudain, la caissière intervient : - Dans la caisse, notez bien qu’on a chouravé des bons d'une valeur de cent trente-deux roubles. Trois stylos-encre et une paire de ciseaux.

A ces mots, le gardien se met à grommeler. Il en a les jambes coupées. Visiblement, le bonhomme est bouleversé par l’énormité des pertes.

Le gérant ordonne à la milice : - Ecartez donc ce bonhomme ! Il ne fait que nous gêner avec ses grognements.

Le milicien : - Écoute, tonton², rentre chez toi ! On te convoquera si nécessaire.

A ce moment, le comptable s’écrie depuis l'arrière-boutique : - J’avais une écharpe en soie suspendue au mur et maintenant elle n’y est plus. S'il vous plaît, écrivez cela ! j'exigerai qu’on m’indemnise !

Le gardien rétorque soudain : - Oh, le scélérat ! Son écharpe, je l’ai pas prise. Quant aux huit saucissons, c’est à se moquer du monde ! Juste deux que j’ai fauchés !

Un accablant silence envahit alors le magasin.

Le gardien : - Allez tous vous faire pendre ! J'avoue. J’ai volé. Mais moi je suis un citoyen relativement honnête. Et il se pourrait bien que vos déclarations me révoltent. Je ne vous autoriserai pas à en ajouter tant et plus.

Le milicien : - Comment, comment ? Alors, tonton, c'est donc toi qui t’es introduit par effraction dans le magasin ?

Le gardien admet : - C’est moi l’infracteur, en effet. Mais j’ai pas touché ni aux bons ni aux ciseaux ni à cette putain d’écharpe. Si vous voulez savoir, j'ai chouravé, avoue-t-il, un demi-sac de sucre, une douzaine de bas et deux saucissons. Mais, poursuit-il, je ne saurais couvrir une telle filouterie de leur part. Moi, j’ai le souci des intérêts de l'État. Et, en tant que citoyen soviétique, je suis indigné de ce qui se passe ici et de l’effronterie de certains à vouloir mettre tout ça en sus sur mon compte.

Le gérant intervient : - Bien sûr, nous pouvons avoir fait une erreur. Mais nous allons vérifier. Je me réjouis si moins de choses ont disparu. Nous allons tout de suite réévaluer tout cela.

La caissière ajoute : - Toutes mes excuses, les bons étaient tombés dans un recoin. Aucun ne manque. Mais les ciseaux, si.

Le gardien : - Oh, je vais lui cracher dans les yeux à cette dévergondée ! Ses ciseaux, c’est pas moi qui lui ai fauchés. Eh bien, cherche mieux, cuisse de dinde ! Ou je vais te sortir de derrière ta caisse !

La caissière : - Ah, c'est exact, j'ai remis la main dessus. Là, derrière ma caisse. Les voilà !

Le comptable ajoute : - Mon écharpe aussi, je l’ai retrouvée. Dans la poche intérieure de mon manteau.

Le gérant intervient : - Vous savez quoi : en va réécrire le constat. Il n’y a effectivement qu’un demi-sac de sucre qui manque.

Le gardien proteste : - Recompte aussi tes saucissons, peste que tu es, ou je ne réponds plus de moi ! D'ailleurs, s’il le faut, j'ai un témoin : tata Nioucha.

Bientôt, les marchandises sont recomptées. Il s'avérera que ce qui avait été volé correspondait à ce qu’avait dit le gardien.

On le saisit et on l’emmène au poste.

Et la tata Nioucha sera également appréhendée. C’est chez elle qu’était cachée la marchandise.

Donc, comme vous pouvez le voir, à partir d’un vol à deux sous, certains voulaient en récupérer mille fois plus. On peut là y déceler, pour ainsi dire, le jeu de l’insidieuse fantaisie, et, en quelque sorte, un sens philosophique.

Et sans cela, comme on dit, de nos jours rien n’est possible. Sans ce talent, seul l’imbécile vole et se fait bien vite pincer.

Source (en russe) : zoshhenko.ru.

Pour en savoir plus (en russe), lire : 'Pourquoi Staline a-t-il introduit un décret sur la protection de la propriété socialiste et pourquoi ce décret a-t-il  ensuite été abandonné.'

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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Un curieux vol à la coopérative
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Интере́сная кра́жа в кооперати́ве

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Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)

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(1935)

Premier épisode - Первый эпизод

Le vol existe chez nous. Mais, d’une certaine façon, en bien moindre mesure.

Certains ont réussi à s’amender et à ne plus voler. Mais d’autres ne se satisfont pas, si on peut dire, de l’assortiment proposé. Parmi eux, quelques-uns, ne croisant plus ni propriétaires ni millionnaires, ont modifié leurs habitudes et c’est l’État qu’ils dépouillent désormais.

Mais, bien sûr, ils fauchent à présent différemment.

De nos jours, il n’y a qu’un imbécile pour voler sans comprendre les temps modernes.

Et beaucoup saisissent très bien notre époque et maîtrisent déjà les tendances les plus nouvelles.

Par exemple, récemment, il y a eu un vol dans notre coopérative. Derrière ce méfait, on pourra y voir, pour le moins, une pensée toute philosophique.

Voici les faits.

Il s’agit donc d’un magasin coopératif. En d’autres termes, un lieu de distribution ouvert à tous.

Evidemment, on y trouve beaucoup de marchandises. A la fenêtre des canards d'exportation. Du saumon royal aussi, va savoir pourquoi. De gros porcs, excusez l’expression. Du fromage. Voilà pour ce qui en est de la nourriture. Et il y a beaucoup d’autres choses aussi. Des bas pour dames. Des peignes. Et ainsi de suite.

Tout cela exposé en abondance, trônant, pour le dire, très avantageusement en vitrine.

Et bien sûr, cela a naturellement attiré l’œil d’un quidam.

En bref : quelqu'un s’est introduit comme ça, par effraction, de nuit, par la porte de service, et a pris le temps de faire le coup et se servir.

Et plus important encore : le gardien qui dormait à l’entrée n’y a vu que du feu.

- Effectivement, j’ai fait quelques rêves cette nuit-là, raconte-t-il, mais je n’ai vu ni entendu rien de surnaturel.

Et d'ailleurs, il a été saisi d’une peur bleue lorsque le vol a été découvert. Courant dans tout le magasin, s’agrippant à tout le monde. Suppliant qu’on n'aille pas lui chercher noise. Et ainsi de suite.

Le gérant le rassure : - La chose n’est pas vraiment de ta faute. Bien sûr tu dormais, on va pas te féliciter pour ça, mais il est peu probable que tu sois inculpé. Cesse donc d’avoir peur. Ne viens pas nous gêner et cesse d’irriter les employés de tes lamentations. Rentre chez toi dormir...

Mais le gardien ne part pas. Il reste planté là tout chagrin. Surtout ce qui le contrarie c’est qu’on ait chouravé tant de choses.

- Le truc, dit-il, c’est que je peux vraiment pas comprendre. Je dors que d’un œil et j’étends toujours les jambes le long de l’entrée. C’est pas possible que deux sacs de sucre puissent m’avoir enjambé. Tout ça est bien étrange.

Le gérant lui rétorque : - C’est que tu dormais à poings fermés, fils de pute ! C’est fou tout ce qu’ils ont pu nous chouraver !

Le gardien : - Qu’on nous ait beaucoup chouravé, c’est pas possible. Je me serais réveillé.

Le gérant : - On va faire immédiatement l’inventaire : on va bien voir quelle tête de linotte tu es et mesurer les pertes incroyables que tu as causées à l’État.

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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La Perfidie, introduction
Кова́рство (введе́ние)

5. Le premier geste de l’Humanité

Pour dire les choses : selon les historiens, tous ceux qui étaient bas et vils jusqu'à présent portaient le masque de la perfidie et de la piété, masque dont ces gaillards se débarrassaient à la première occasion. C’est dire à quel point les escrocs sont dangereux de par leur ruse. Vingt-cinq années durant ils ont porté un masque !

Donc, la perfidie. Pour être franc, l’Histoire connaît un grand nombre de récits empreints de perfidie.

Même la première page, le premier geste infantile en marge de l’Histoire, pourrait-on dire, est empreint, dès le début, de ruse et de méfiance.

Ce geste considéré généralement comme si noble, qui émeut aujourd'hui nos cœurs, ce geste aussi admirable que celui de serrer la main d'un ami, avait dans le lointain passé une signification assez différente. Il s'avère que nos glorieux ancêtres voulaient simplement vérifier qu'il n'y avait aucune pierre, aucune arme, entre les mains de celui qui se tenait face à eux. Et c’est ainsi que, bien sûr, ils ont commencé à se serrer la main. S’assurant ainsi qu’aucune ruse ne soit permise.

Et ensuite, avec le temps, ce geste est peut-être devenu une habitude. Et à présent, nous n’avons aucune envie de l’abandonner. Surtout, à notre époque, pourquoi ne pas serrer la main d’une connaissance féminine qu’on apprécie quelque peu ? Sachant qu’elle ne tient dans son sac à main rien d'autre que son poudrier. Bien sûr, au travail, c'est autre chose. Là, il ne sert probablement à rien de vouloir serrer la pince de quiconque - c'est une perte de temps. Et, de plus, ce n'est guère hygiénique.

Et qui aurait pensé qu'un geste si noble et si empreint d’affection - symbole de culture et d’élévation de l'esprit - ait eu de si lourds antécédents ! Vraiment, voilà qui est désagréable ! Cela rabaisse même, d’une certaine façon, ce que nous sommes. (…)

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6. Et aujourd’hui ?

(…) Oui, bien sûr, nous avons discouru sur les siècles et les millénaires passés. Et il est intéressant de savoir où en sont les choses de nos jours.

La vieille Europe, évidemment, a un système bourgeois. Donc la tromperie y triomphe sans aucun doute, à son apogée comme jadis. Et, très probablement, il n’y a rien là-bas de bien différent d' auparavant.

Quant à nous, bien sûr, nous vivons de grands bouleversements dans nos vies. Et divers faits positifs et excellents se sont produits, dont nous avons déjà parlé précédemment. Mais bien sûr, chez nous, la perfidie existe.

La perfidie, ainsi - hélas ! – est-elle chez nous aussi sans doute encore d’actualité, ne fermons pas les yeux. Il y en a à revendre.

Et ce serait chose étrange qu’elle eût complètement disparu. Ne l’a-t-on pas entretenue et chérie des siècles durant  ? Impossible donc, sûrement, d’un simple coup de baguette magique de la voir disparaître.

Evidemment, bien sûr, la perfidie existe chez nous. Et même nous possédons tout un registre de termes pour désigner ses zélateurs : fraudeurs, intrigants, aventuriers, escrocs, flagorneurs, etc. Et il est clair que nous bénéficions plus qu’il n’en faut de leurs ‘bonnes grâces’.

Mais la seule chose de bien est que, chez nous, nous sommes totalement convaincus qu'avec le temps, nous saurons nous en débarrasser. Et pourquoi devrait-on à l’avenir être toujours perfide s’il n’y a plus de raison pour cela ?

Mais pour l’instant, bien sûr, des gens perfides se profilent encore à l’horizon. Voyons à quoi ils ressemblent. Et balayons d’un revers, par la satire, ce qui est nécessaire et peut être balayé.

Ainsi commencent les histoires de nos vies.

Source (en russe) : zoshhenko.ru.