M. Zochtchenko – En agréable compagnie (01)

Petites nouvelles russes : Train dans la nuit

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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En agréable compagnie
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Прия́тная встре́ча

 

Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)

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(1935)

(La nouvelle, publiée initialement en 1929, se rencontre aussi sous le titre : ‘Un incident mineur de ma vie’ (Ме́лкий слу́́чай из ли́чной жи́зни) ; elle présente, comme nombre de nouvelles de Zochtchenko, plusieurs versions.)

nb : il existe une autre nouvelle de Zochtchenko, intitulée ‘En agréable compagnie 2’ (Прия́тная встре́ча 2) : lire (en russe).

Premier épisode - Первый эпизод

Презаба́вная исто́рия произошла́ со мной на тра́нспорте э́той о́сенью. Я е́хал в Москву́...

*Кон́ечно, э́та исто́рия, как бы сказа́ть, не бичу́ет ра́зные тёмные сто́роны на́шей жи́зни и не отклика́ется на урожа́й, на отсу́тствие та́ры, и так да́лее, и тому́ подо́бное. А про́сто в ней говори́тся, чего́ со мной э́тим ле́том произошло́.

*Хотя́, с друго́й стороны́, прочита́вши э́тот расска́з, мо́жно, безусло́вно, заклейми́ть поря́дочки и вообще́ железнодоро́жную администра́цию, заче́м она́ допуска́ет таки́е приско́рбные фа́кты. Так что, вообще́ говоря́, э́та сати́ра не совсе́м беззу́бая. Она́ ко́е-кого́ куса́ет и ко́е-кого́ призыва́ет к поря́дку.

*Тем бо́лее, действи́тельно, нельзя́ же допуска́ть подо́бные обстоя́тельства. Что вы, что вы!

*А е́хал я, коне́чно, в Москву́. Из Орло́вской губе́рнии. Я там был в одно́м совхо́зе. Погляде́л, как и чего́ там де́лается.

*Действи́тельно ве́рно, о́чень грандио́зные карти́ны наблюда́ются. Тра́кторы хо́дят взад и вперёд. Всю́ду на сего́дняшний день пшени́ца поспева́ет. Овёс так и растёт из-под земли́.

*Но, коне́чно, не об э́том речь.

*сажу́сь я в поезд на свое́й ста́нции Петро́вская, что́бы, коне́чно, по́сле незабыва́емых карти́н приро́ды сле́довать в Москву́.

И вот, подхо́дит почто́во-пассажи́рский по́езд в 6.45 ве́чера.

Сажу́сь в э́тот по́езд.

Наро́ду не так что́бы безобра́зно мно́го. Да́же, в кра́йнем слу́чае, сесть мо́жно.

Прошу́ потесни́ться. Сажу́сь.

А де́ло, я говорю́, к ве́черу. Не то что́бы темно́, но темнова́то. Вообще́ су́мерки. И огня́ ещё не даю́т. Провода́ эконо́мят.

Так вот гляжу́ на окружа́ющих пассажи́ров и ви́жу – компа́ния подобрала́сь дово́льно сла́вная. Таки́е все, ви́жу, симпати́чные, ненаду́тые лю́ди. Прошу́ их запо́мнить.

Оди́н тако́й без ша́пки, длинногри́вый¹ субъе́кт, но не поп. Тако́й вообще́ интеллиге́нт в чёрной тужу́рке.

Ря́дом с ним – в ру́сских сапога́х и в фо́рменной фура́жке. Тако́й уса́тый. То́лько не инжене́р. Мо́жет быть, он сто́рож из зоологи́ческого са́да и́ли агроно́м. То́лько – вида́ть – о́чень отзы́вчивой души́ челове́к. Он де́ржит свои́ми ру́чками перочи́нный но́жик и э́тим но́жичком нареза́ет анто́новское я́блоко на кусо́чки и ко́рмит своего́ друго́го сосе́да – безру́кого.

Тако́й с ним ря́дом, ви́жу, безру́кий граждани́н е́дет. Тако́й молодо́й пролета́рский па́рень. Без обе́их рук. Наве́рное, инвали́д труда́. О́чень жа́лко гляде́ть.

Но он с таки́м аппети́том ку́шает. И, поско́льку у него́́ не́ту рук, тот ему́ нареза́ет на до́льки и подаёт в рот на ко́нчике ножа́.

Така́я, ви́жу, гума́нная карти́нка. Сюже́т, досто́йный Ре́мбрандта.

А напро́тив них сиди́т немолодо́й седова́тый мужчи́на в чёрном картузе́. И всё он, э́тот мужчи́на, усмеха́ется.

Мо́жет, до меня́ у них како́й-нибудь сли́шком заба́вный разгово́р был. То́лько, вида́ть, э́тот пассажи́р всё ещё не мо́жет осты́ть и всё хохо́чет по времена́м: «Хе́е и хе́е!»

А о́чень меня́ заинтригова́л² не э́тот седова́тый, а тот, кото́рый безру́кий. Тако́й, ви́жу, молодо́й, а уж безру́кий.

И гляжу́ я на него́ с гражда́нской ско́рбью и о́чень меня́ подмыва́ет спроси́ть, как э́то он так опростоволо́сился и на чём коне́чности потеря́л. Но спроси́ть нело́вко.

1- Или: длинноволо́сый.
2- Или: заинтересова́л

Les phrases précédées d'un astérisque * sont absentes de la version sonore russe.

Petites nouvelles russes : pomme et couteau

Une histoire très drôle m'est arrivée dans un train cet automne alors que je me rendais à Moscou...

Bien sûr, cette histoire, comment dire, ne s’attaque pas aux aspects les plus sombres de nos vies, ne répond pas au problème des récoltes, ni au manque de cartons d’emballages, et j’en passe. Mais elle raconte simplement ce qui m'est arrivé l’été dernier...

Même si, d'un autre côté, après avoir lu cette histoire, on pourra bien sûr fustiger le fonctionnement des chemins de fer et l'administration ferroviaire en général, et se demander pourquoi on permet encore des choses aussi déplorables. Donc, au total, cette satire n’est pas totalement dénuée de mordant. Elle mordra certains et rappellera les autres à la raison.

De plus, affirmera-t-on, de tels événements sont inconcevables et tout bonnement impossibles, allons donc...

Bon, évidemment, je rentrais à Moscou. Depuis le gouvernorat d'Orel¹. J'étais allé là-bas pour visiter une ferme d'État, pour voir ce qu’on y faisait et comment.

Et, en effet, il est vrai que l’on y découvre de nos jours des scènes grandioses. Les tracteurs vont et viennent, les blés mûrissent dans les champs, l’avoine surgit littéralement du sol.

Mais bien sûr, ce n’est pas de cela dont je désire vous parler...

Après tous ces clichés inoubliables sur la nature campagnarde, je m’en vais donc prendre mon train pour rejoindre Moscou.

Et le voilà qu’il se pointe à 18h45.

Je monte dans une voiture.

Il n'y a pas tant de monde que ça. On peut même s’asseoir au besoin. Merci de me faire une petite place...

Et donc, je m'assois...

Sur ces entrefaites, le soir tombe. Non pas qu'il fasse nuit, non, mais déjà un peu sombre. Le crépuscule en quelque sorte. Et les lumières ne sont toujours pas allumées. Ils économisent les fils électriques, me dis-je.

J’observe donc les passagers autour de moi et constate que la compagnie me paraît plutôt de bon aloi. Tous des gens fort sympathiques et sans prétention. (Veuillez vous en souvenir, je vous prie.)

L'un d'eux ne porte pas de chapeau. Il a une tignasse longue comme une crinière, mais il ne s’agit pas d’un pope. Plutôt d’un véritable intellectuel en veste noire.

A côté de lui, un bonhomme chaussé de bottes russes en fourrure et coiffé d’une casquette à la militaire. Et quelle moustache ! Sûrement pas un ingénieur. Peut-être un gardien de zoo ou un technicien agricole. Et apparemment ​​une âme compatissante : il tient un canif avec lequel il découpe une pomme en quartiers et la porte à la bouche de son voisin, un pauvre bougre sans bras.

Et donc là, je découvre un citoyen manchot. Un jeune prolétaire, sans bras ni main. Probablement un travailleur handicapé, me dis-je. Quel spectacle pitoyable...

Mais voyez comme il mange de si bon d’appétit ! Et comme il n'a pas de mains, l’autre lui coupe sa pomme en quartiers qu’il lui met dans la bouche à la pointe de son canif.

Et ce spectacle m’offre une image pleine d’humanité. Une scène digne d’un tableau de Rembrandt.

En face d'eux est assis un homme entre deux âges aux cheveux gris, coiffé d'une casquette noire. Et lui, cet homme, ne cesse de sourire. Peut-être que la conversation avant que je ne m’installe était plaisante et drôle, me dis-je...

Seulement, le type ne semble pas pouvoir s’apaiser et de temps en temps continue à s’esclaffer : « Hi, hi, hi ! »

Mais celui qui m’intrigue le plus, n’est pas le grisonnant, mais le manchot. Si jeune, et pourtant déjà sans bras.

Et je ne cesse de le regarder d’un œil à la fois plein de civilité et compatissant. Je suis même tenté de lui demander quelle connerie il a pu faire pour perdre ainsi ses deux membres. Mais c’est gênant quand même de poser d’emblée une telle question.

Je me dis donc que je vais me familiariser avec le groupe, bavarder avec eux et ensuite je l’interrogerai.

1- Orel ou Oriol (Орёл) : ville située à environ 370 kilomètres de Moscou. (Le gouvernorat d’Orel fondé par la Grande Catherine fut dissout en 1928).