M. Zochtchenko – En agréable compagnie (02)

Petites nouvelles russes : marionnette
Marionnettes de la Galerie Jiřího Trnky

En agréable compagnie
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Прия́тная встре́ча

Deuxième épisode - Второ́й эпизод

Стал посторо́нние вопро́сы задава́ть уса́тому субъе́кту, как бо́лее отзы́вчивому, но тот отвеча́ет хму́ро и с неохо́той.

То́лько вдруг в разгово́р со мной ввя́зывается пе́рвый интеллиге́нтный мужчи́на, кото́рый с дли́нными волоса́ми.

Чего́-то он до меня́ обрати́лся, и у нас с ним завяза́лся разгово́р на ра́зные лёгкие те́мы и за жизнь – куда́ е́дете, почём капу́ста и есть ли у вас жили́щный кри́зис на сего́дняшний день.

Он говори́т:

– У нас жили́щного кри́зиса не наблюда́ется. Тем бо́лее, мы прожива́ем у себя́ в уса́дьбе, в поме́стье.

– И что же, говорю́, вы ко́мнату име́ете и́ли как, соба́чью бу́дку?

– Нет, говори́т, заче́м ко́мнату. Бери́те вы́ше. У меня́ де́вять ко́мнат, не счита́я, безусло́вно, людски́х, сара́ев, убо́рных и так да́лее.

Я говорю́:

– Мо́жет, врёте? Что ж, говорю́, вас не вы́селили в револю́цию, и́ли э́то есть совхо́з?

– Нет, говори́т, э́то есть моё родово́е име́ние, особня́к. Да вы, говори́т, приезжа́йте ко мне. Я ещё дово́льно роско́шно живу́*. Иногда вечера́ устра́иваю. Круго́м у меня́ фонта́ны бры́зжут. Симфони́ческие орке́стры помину́тно соба́чьи ва́льсы игра́ют…

– Что же вы, говорю́, я извиня́юсь, аренда́тор бу́дете и́ли вы есть ча́стное лицо́?

– Да, говори́т, я ча́стное лицо́. Я, ме́жду про́чим, поме́щик.

– То есть, говорю́, как вас, позво́льте, понима́ть? Вы есть бы́вший поме́щик? То есть, говорю́, пролета́рская револю́ция сме́ла же ва́шу катего́рию. Я, говорю́, извиня́юсь, мне чего́-то не разобра́ться в э́том де́ле. У нас, – говорю́, – социа́льная револю́ция, социали́зм, – каки́е у нас мо́гут быть поме́щики.

*...Мо́жет быть, у вас дарстве́нное име́ние за осо́бые заслу́ги перёд револю́цией?

*– Ну да, безусло́вно, за осо́бые заслу́ги…

– А вот, – говори́т, – мо́гут. Вот, – говори́т, – я поме́щик. Я, – говори́т, – суме́л сохрани́ться чере́з всю ва́шу револю́цию, и, – говори́т, – я плева́л на всех – живу́ как бог. И нет мне де́ла до ва́ших, поду́маешь, социа́льных револю́ций.

Я гляжу́ на него́ с изумле́нием и пря́мо не понима́ю, что к чему́.

Он говори́т:

- Да вы приезжа́йте – уви́дите. Ну, хоти́те, – сейча́с зае́дем ко мне? О́чень, говори́т, роско́шную ба́рскую жизнь встре́тите. Пое́дем. Уви́дите.

Что, ду́маю, за чёрт! Пое́хать, что ли, погляде́ть, как э́то он сохрани́лся сквозь пролета́рскую револю́цию. И́ли он бре́шет.

Тем бо́лее – ви́жу – седова́тый мужчи́на смеётся. Всё хохо́чет: «Хе́е и хе́е!»

То́лько я хоте́л сде́лать ем́у замеча́ние за неуме́стный смех, а кото́рый уса́тый, кото́рый ра́ньше нареза́л я́блоко, отложи́л перочи́нный нож на сто́лик, дожра́л оста́тки и говори́т мне дово́льно гро́мко:

– Да вы с ни́ми переста́ньте разгово́р подде́рживать. Э́то психи́ческие. Не ви́дите, что ли?

Les phrases précédées d'un astérisque * sont absentes de la version sonore russe.

Séparateur 1

Je commence d’abord par poser quelques questions futiles au moustachu, le pensant plus ouvert, mais il me répond sur un ton maussade et avec réticence.

Et soudain, voilà que le premier type, l’intellectuel à longue tignasse, vient se mêler de la conversation.

Je ne sais pourquoi, il se tourne vers moi et commence à m’entretenir de diverses choses sans importance : de la vie, où je me rends, du prix du chou, et s’il y a de par chez moi et par les temps qui courent une crise du logement.

Chez nous, me dit-il, nous ne connaissons aucune crise de logement. De surcroît, nous possédons notre propre domaine et habitons notre manoir.

Moi, tout  surpris : - Et quoi, avez-vous une chambre à vous, ou bien logez-vous dans quelque chenil ?

- Qui vous parle d’une chambre ? Visez plus haut, mon cher. J'ai neuf chambres, sans compter, bien entendu, les dépendances pour mes gens, les granges, les toilettes, etc.

Moi : - Ce sont des sornettes ou quoi ? N'avez-vous pas été exproprié à la Révolution, ou alors est-ce dans un sovkhoz¹ que vous logez ?

- Non, m’affirme-t-il, c'est mon domaine familial, un vrai manoir. Venez donc nous rendre visite à l’occasion. Je vis encore dans le luxe, entouré de fontaines. Parfois, j'organise des fêtes. Des orchestres symphoniques y jouent sans discontinuer des valses endiablées²...

Excusez-moi, mais qui donc êtes-vous ? seriez-vous locataire ou est-ce votre bien propre ?

- Oui, me répond-il, mon bien propre : je suis, d’ailleurs, propriétaire foncier...

- Permettez, comment dois-je comprendre ? Êtes-vous un ancien propriétaire terrien ? Pourtant, la révolution prolétarienne vous a rayé de la carte, vous et les gens de votre classe ! Je suis désolé, mais il y a quelque chose que je n'arrive pas à piger dans toute cette histoire. Nous avons fait la révolution, dis-je, nous avons le socialisme ; quel genre de propriétaires fonciers peut-il encore y avoir ? … Ou peut-être vous a-t-on offert ce domaine pour services rendus à la Révolution ?

Lui : – C'est cela, oui : pour services rendus… Sachez qu'on peut tout à fait être de nos jours propriétaire terrien. Oui, mon cher, et je le suis. J'ai survécu à toute votre révolution, ainsi qu'à votre soi-disant socialisme, et, ajoute-t-il, je me fiche pas mal de tout le monde : moi, je vis comme un dieu...

Je le regarde avec étonnement et je ne comprends rien à rien à ce qu'il me raconte.

Lui : - Mais, je vous en prie, venez donc et vous verrez. Eh bien, souhaiteriez-vous vous y arrêter maintenant ? Vous constaterez combien je vis dans le luxe, en grand seigneur. Allons-y ! Vous verrez bien !

Bon sang ! que je me dis, si nous allions voir comment il a survécu à la révolution prolétarienne. Ou bien, c’est qu’il me roule dans la farine.

D’ailleurs, je vois que de son côté l’homme aux cheveux gris continue à s’esclaffer : « Hi, hi, hi ! »

Au moment où je m'apprête à le morigéner pour son rire déplacé, je vois le type moustachu poser sur la table le canif avec lequel il vient de découper la pomme, et, tout en déglutissant le dernier quartier, m’interpeller d'une voix forte : - Vous devriez arrêter de leur parler. Ce sont des malades mentaux. Vous ne le voyez donc pas ?

1- Un sovkhoze (совхоз) est une entreprise agricole directement gérée par l’État, à la différence d’un kolkhoze (колхоз) qui est censé être une coopérative de paysans librement associés, censés élire un leader parmi les leurs. Pour en savoir plus (en russe) :Sovkhoze et Kolkhoze, quelle différence ?

2-L’auteur parle ici de ‘valses de chiens’ (собачий вальс), évoquant une musique pour débutants, en référence à la ‘Valse des puces’ (Flohwalzer) attribuée (?) au compositeur allemand Ferdinand Loh (1839-1927). Ecouter sur Youtube.