M. Zochtchenko – Les souffrances du jeune Werther (01)

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
Les Souffrances du jeune Werther*
Страда́ния молодо́го Ве́ртера
Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)
(1935)
* ‘Les Souffrances du jeune Werther’ (Die Leiden des jungen Werthers), 1774/1787, est initialement le titre du premier roman - considéré comme le précurseur du romantisme allemand - de Johann Wolfgang von Goethe. Goethe y dépeint les déconvenues d'un jeune homme amoureux, Werther. Le roman s'achève sur le suicide du jeune homme. (Lire en allemand)
Premier épisode - Первый эпизод
Я éхал однáжды на велосипéде.
У меня́ довóльно хорóший велосипéд. Англи́йская мáрка Б.С.А.
Прили́чный велосипéд, на котóром я иногдá соверша́ю прогу́лки для успокое́ния нéрвов и для душéвного равновéсия.
Óчень хорóшая, слáвная совремéнная маши́на. Жáлко тóлько колёсья не все. То есть колёсья все, но тóлько они́ сбóрные. Однó англи́йское Три ружья́, а другóе немéцкое Дукс. И руль украи́нский. Но всё-таки éхать мóжно. В суху́ю погóду.
Конéчно, откровéнно говоря́, éхать сплошнóе мучéнье, но для душéвной бóдрости и когдá жизнь не осóбенно дорогá я выезжа́ю.
И вот, стáло быть, éду однáжды на велосипéде.
Каменноострóвский проспéкт. Бульвáр. Свора́чиваю на бокову́ю аллéю вдоль бульвáра и éду себé.
Осéнняя прирóда разворáчивается передо мно́й. Пожелтéвшая трáвка. Гря́дка с увя́дшими цветóчками. Жёлтые ли́стья на дорóге. Чухóнское¹ нéбо нáдо мной.
Пти́чки щебéчут. Ворóна клюёт му́сор. Сéренькая собáчка лáет у ворóт.
Я гляжу́ на э́ту осéннюю карти́нку, и вдруг сéрдце у меня́ смягчáется, и мне неохóта ду́мать о плохóм. Рису́ется замечáтельная жизнь. Ми́лые, понимáющие лю́ди. Уважéние к ли́чности. И мя́гкость нрáвов. И любóвь к бли́зким. И отсýтствие брáни и гру́бости.
И вдруг от таки́х мы́слей мне захоте́лось всех обня́ть, захоте́лось сказáть что́-нибудь хорóшее. Захоте́лось кри́кнуть: Брáтцы, глáвные тру́дности позади́. Скóро мы заживём, как фон-барóны.
Но вдруг раздаётся вдалекé свистóк.
Кто-нибудь проштра́фился, говорю́ я сам себé, кто-нибудь, навéрное, не так ýлицу перешёл. В дальнéйшем, вероя́тно, э́того не бу́дет. Не бу́дем так чáсто слы́шать э́тих рéзких свисткóв, напоминáющих о простýпках, штрáфах и правонарушéниях.
Снóва недалекó от меня́ раздаётся тревóжный свистóк и каки́е-то óкрики и гру́бая брáнь.
Так гру́бо, вероя́тно, и крича́ть не бу́дут. Ну, крича́ть-то, мóжет быть, бу́дут, но не бу́дет э́той тяжёлой, оскорби́тельной брáни.
Кто-то, слы́шу, бежи́т позади́ меня́. И кричи́т оси́пшим гóлосом:
Ты чего́ ж э́то, су́ка, удира́ешь, чёрт твою́ двáдцать!
Останови́сь сию́ минýту.
За кем-то гóнятся, говорю́ я сам себé и ти́хо, но бóдро éду.
1 - Чухóнский : устар. относящийся к чухонцам, дореволюционное название финнов и эстонцев, населявших окрестности Петербурга.

Un jour, je faisais du vélo.
J'ai un assez bon vélo. De la marque anglaise BSA.
Un vélo comme il faut, que j'utilise parfois pour me balader afin de me calmer les nerfs et avoir l'esprit tranquille.
Une très bel et bon engin moderne. Dommage qu’il manque les roues. Je veux dire : il a toutes ses roues, mais elles ne sont pas d’origine. L’une est une Three Guns anglaise et l’autre une Dux importée d’Allemagne. Quant au guidon, il est ukrainien. Mais par temps sec l’engin peut rouler.
Bien sûr, à vrai dire, rouler sur cette bécane est un supplice complet, mais pour la vigueur mentale et quand ma vie ne m’est pas particulièrement chère, je sors pédaler.
Et donc, un jour, je sors faire du vélo.
Je prends la perspective Kamennoostrovsky¹. Puis je bifurque et longe une allée latérale et me laisse ainsi emporter.
Une Nature automnale s’offre à moi. Herbe jaunie. Parterre de fleurs fanées. Feuilles jaunes jonchant la chaussée. Et, au-dessus de moi, un ciel de Finlande.
Les oiseaux gazouillent. Un corbeau picore un tas d’ordures. Un chien gris aboie près d’un portail.
Je regarde ce tableau automnal et tout à coup mon cœur s’adoucit et je veux chasser toutes mauvaises pensées. Une vie merveilleuse se dessine devant moi. De braves gens, gentils et compréhensifs. Du respect envers chacun. Des mœurs pleines de douceur. De l'amour pour nos proches. Et plus d’abus ni d’impolitesse.
Et soudain, à cause de toutes ces pensées, j'ai envie de serrer tout le monde dans mes bras, j'ai envie de dire quelque chose de bien. J’ai envie de crier : - Frères, les principales difficultés sont derrière nous. Bientôt, nous vivrons comme des néo-barons².
Mais soudain, un coup de sifflet retentit au loin.
« Quelqu’un a commis quelque infraction, me dis-je, quelqu’un a probablement traversé hors des clous. Cela n’arrivera probablement plus à l’avenir. Bientôt nous n’entendrons plus aussi souvent ces sifflements stridents qui n’évoquent à nos oreilles que délits, amendes et infractions... »
De nouveau, non loin de moi, un coup de sifflet et puis des cris et des mots grossiers.
« On ne criera même plus probablement aussi grossièrement. Bon, peut-être qu’on criera toujours, mais plus de telles offensantes ni graves injures... »
J'entends courir derrière moi. Et quelqu'un qui crie d'une voix rauque : - Pourquoi tu t'enfuis, petite salope, putain d’tes morts ! Arrête-toi tout d’suite…
« Ils poursuivent quelqu'un, me dis-je » et je continue tranquillement et gaiement à pédaler.
1- La perspective Kamennoostrovsky est la plus longue avenue de Saint-Pétersbourg.
2- ‘Von Baron’ (фон-барон) : Zochtchenko emploie ici ce terme ironique – savant mélange d’allemand et de français - qu’on pourrait traduire par ‘parvenu’.

