Zochtchenko – Un incident au sein d’une administration (01)

Petites nouvelles russes - La bureaucratie
La bureaucratien illustrateur inconnu

Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
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Un incident au sein d’une administration

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Интере́сное происше́ствие в канцеля́рии

 

Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)

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(1935)

La nouvelle est adaptée d’un premier récit, publié en 1927, sous le titre ‘Paperasserie’ (Волокита),

Premier épisode - Первый эпизод

Недáвно оди́н уважáемый товáрищ, Кулькóв Фёдор Алексéевич, изобрёл спóсоб прóтив бюрократи́зма. Вот госудáрственная башкá-то!

А спóсоб до тогó действи́тельный, до тогó дешёвый, что нáдо бы патéнт взять, да, к глубóкому сожалéнию, Фёдор Алексéевич Кулькóв в тюрьмé сиди́т за свой óпыт. Нет прорóка в отéчестве своём.

А прóтив бюрократи́зма Фёдор Кулькóв такóй óстрый спóсоб приду́мал.

Кулькóв, ви́дите ли, в однý канцеля́рию ходи́л óчень чáсто. По однóму своéму дéлу. И не то он мéсяц тудá ходи́л, не то два. Ежеднéвно. И всё никаки́х результáтов. То есть не обращáют на негó внимáния бюрокрáты, хоть плачь. Не оты́скивают ему́ егó делá. То в рáзные этажи́ посылáют. То зáвтраками кóрмят. То прóсто в отвéт гру́бо сморкáются.

С однóй стороны́, э́то бы́ло дáже удиви́тельно наблюдáть к нему́ такóе бюрократи́ческое отношéние. Поскóльку канцеля́рия сейчáс у нас нахóдится на большóй высотé.

А с другóй стороны́, бы́ло отчáсти поня́тно. Они́ о́сенью переезжáли в другóе помещéние, и э́то кулькóвское дéло кудá-то засýнули. И́ли они́ егó потеря́ли. Они́, во вся́ком слýчае, не могли́ егó срáзу найти́. И вдобáвок, навéрно, искáли без осóбой охóты.

И вот, есте́ственно, тяну́ли. Хоте́ли, мо́жет, на сро́ках отыгра́ться. Там, ду́мают, оты́щут в дальне́йшем. Ли́бо, ду́мают, посети́тель захвора́ет и помрёт. И тогда́ всё само́ собо́й вста́нет на ме́сто. Не на́до бу́дет иска́ть. Ли́бо ещё чего́-нибудь бу́дет.

Мо́жет быть, они́ так поду́мали и ста́ли тяну́ть с ним каните́ль. И вдоба́вок ему́ об э́тих подро́бностях ничего́ не говори́ли. Стесня́лись э́то ему́ в глаза́ сказа́ть.

И он, как дура́к, знай себе́ хо́дит в э́ту канцеля́рию.

И там, есте́ственно, он всех возненави́дел.

Он пря́мо не мог ви́деть уже́ э́тих канцеля́рских рабо́тников, кото́рые сиде́ли за свои́ми столáми и что́-то такóе де́лали.

Он приходи́л в у́жас от них. Но крепи́лся.

И то́лько говори́л с ни́ми немно́го бо́лее визгли́во, чем полага́ется. Но всё-таки сде́рживался.

Одна́жды он пришёл туда́ и ду́мает:

Е́сли сего́дня де́ло не ко́нчу, то, я так ду́маю, они́ меня́ ещё свы́ше ме́сяца затаска́ют.

И с э́тими мы́слями он спра́шивает кого́-то там:

Ну, как? Тот говори́т:

Ещё, говори́т, не проясни́лось.

Наш Кулько́в в смяще́нии чувств выбега́ет от э́того рабо́тника, чтоб скоре́й вы́йти на у́лицу отдыша́ться.

И вдруг на пути́, в одно́й ко́мнате, ви́дит таку́ю возмути́тельную карти́ну.

Petites nouvelles russes - Koullkov
illustration Dimitri Oboznenko (Д. Обозненко)

Récemment, un camarade respecté, Fiodor Alekséévicth Koulkov, a inventé une méthode contre le bureaucratisme. Quel brillant esprit, ce type !

Et la méthode est si pertinente, si bon marché, qu'il serait nécessaire de lui délivrer un brevet. Mais malheureusement, Fiodor Alekséévitch Koulkov dort depuis en prison pour cette expérimentation. Nul n’est prophète en son pays.

Et pourtant la méthode imaginée par Fiodor Koulkov contre la bureaucratie est pour de bon vraiment sophistiquée !

Koulkov, voyez-vous, se rendait très souvent au sein d’une de ces administrations. Afin de suivre une de ses propres affaires. Et il y a passé bien un mois ou deux. Tous les jours qu’il s’y rendait. Et à chaque fois sans résultat aucun. Pour le dire, les bureaucrates ne lui prêtaient aucune attention, même s’il avait pleuré devant eux. Ils ne s’y retrouvaient pas dans son affaire. Ou on le renvoyait vers d’autres services. Ou bien on lui disait de repasser. Ou simplement, en guise de réponse, on se mouchait devant lui de façon grossière.

D’un côté, c’est quand même bien surprenant d’observer une telle attitude de la part de ces bureaucrates. Le fait est que nos administrations sont désormais vraiment à la hauteur.

D’un autre côté, c’est en partie compréhensible. À l'automne dernier, le service avait emménagé dans de nouveaux locaux et le dossier Koulkov devait se trouver enfoui quelque part. Ou alors l’avait-on perdu. De toute façon, impossible de mettre la main dessus. Ajoutons qu’ils le cherchaient probablement sans grande motivation.

Et donc, naturellement, ils ont laissé traîné l’affaire. Pensant peut-être retrouver sa trace tôt ou tard. Se disant qu'ils mettraient bien la main dessus. Ou bien ils se sont dit que l’infortuné tomberait malade et en mourrait. Et puis que tout rentrerait dans l’ordre tout seul. Inutile donc de chercher. Ou d’autres choses comme ça...

Peut-être est-ce ainsi qu’ils ont pensé et ils ont commencé à le faire lanterner. Et en plus de ça, ils ne lui ont donné aucune explication. Gênés qu’ils étaient de lui dire tout ça en face.

Et lui, comme un imbécile, tu vois, il s’y rend tous les jours dans cette administration.

Et là, naturellement, il commence à en vouloir à tout le monde.

Il ne peut simplement plus voir en peinture tous ces fonctionnaires assis sur leur ronds-de-cuir qui n’en font qu’à leur tête.

Il arrive à en avoir horreur. Mais il se retient.

Juste a-t-il un peu haussé le ton, plus qu'il n'aurait dû. Mais quand même il ronge son frein.

Un jour, il se rend là-bas et se dit : « Si je ne règle pas mon affaire aujourd’hui, je pense qu’ils vont me faire poireauter plus d’un mois encore. »

Et il arrive avec ces pensées. Là, il apostrophe un bonhomme : - Eh bien, et alors ?

- Toujours pas réglé, qu’on lui répond.

Notre Koulkov, submergé de confusion, tourne le dos et sort d’un pas rapide afin de retrouver ses esprits.

Et soudain, passant devant un bureau, il découvre un spectacle carrément scandaleux...