M. Zochtchenko – Un incident sur la Volga (01)
Mikhaïl Zochtchenko - Михаил Зощенко
Un incident sur la Volga
Происше́ствие на Во́лге
Extrait du Livre bleu ciel (Голуба́я кни́га)
(1935)
Premier épisode - Первый эпизод
Для начáла мы вам собирáемся рассказáть об однóй забáвной мáленькой неуда́че.
Э́та неуда́ча заключáлась и́менно в том, что гру́ппа отдыхáющих получи́ла морáльное потрясéние по слу́чаю одногó недоразумéния.
Вот как э́то случи́лось. Э́то быль.
В пéрвые ещё гóды револю́ции, когдá установи́лась жизнь и по Вóлге стáли курси́ровать чу́дные парохóды с первоклáссными каю́тами и с подáчей пассажи́рам горя́чей пи́щи, гру́ппа отдыхáющих грáждан шесть контóрщиков и в том числé я выéхала отдохну́ть на Вóлгу.
Нам все совéтовали прокати́ться по Вóлге. Поскóльку там чу́дный óтдых. Прирóда. Берегá. Водá, едá и каю́та.
И, знáчит, гру́ппа контóрщиков, уста́вшая, так сказáть, от грóхота револю́ции, вы́ехала освежи́ться.
Попáлся чу́дный первоклáссный парохóд под назвáнием Товáрищ Пéнкин.
Мы стáли интересовáться, кто такóй э́тот Пéнкин, нам говоря́т: какóй-то, кáжется, рабóтник вóдного трáнспорта.
Нам бы́ло, сóбственно, всё равнó, и мы, конéчно, поéхали на э́том неизвéстном товáрище.
Прие́хали в Сама́ру.
Вы́лезли свое́й гру́ппой, пошли́ осма́тривать го́род. Осма́триваем. Вдруг слы́шим каки́е-то гудки́.
Нам говоря́т:
Расписа́ние сейча́с нето́чное. Возьмёт ещё и уйдёт наш Пе́нкин. Дава́йте вернёмся.
И вот, кое-как осмотре́в го́род, верну́лись.
Подхо́дим к при́стани, ви́дим уже́ не́ту на́шего парохо́да. Ушёл.
Кри́ки подняли́сь, во́пли.
Оди́н из нас кричи́т: Я там в штанáх свои́ докуме́нты оста́вил. Не́которые крича́т: А мы бага́ж и де́ньги. Что ж тепе́рь де́лать?.. У́жас!
Я говорю́:
Дава́йте ся́дем на э́тот встре́чный парохо́д и вернёмся назад.
Гляди́м, действи́тельно, стои́т у при́стани како́й-то во́лжский парохо́д под назва́нием Гроза́.
Спра́шиваем пу́блику плаче́вным го́лосом: давно́ ли, де́скать, Пе́нкин ушёл. Мо́жет, его́ мо́жно по бе́регу догна́ть.
Пу́блика говори́т:
Заче́м вам догоня́ть? Э́вон Пе́нкин стои́т. То́лько э́то тепе́рь Гроза́. Он бы́вший Пе́нкин. Ему́ перекра́сили назва́ние.
Тут мы обра́довались чрезвыча́йно. Бро́сились на э́тот свой парохо́д и до са́мого Сара́това с него́ не сходи́ли. Боя́лись.
Ме́жду прóчим, спроси́ли капитáна, почему́ такóй забáвный факт и такáя срóчность.
Капитáн говори́т:
Ви́дите, у нас э́то наименовáние дáли парохóду отчáсти оши́бочно. Пе́нкин и́меется в рядáх вóдного трáнспорта, но тóлько он отчáсти не́ был на высотé своегó положéния. И в настоéщее врéмя он нахóдится под судóм за превышéние влáсти. И мы получи́ли телегрáмму закрáсить егó назвáние. Вот мы и назвáли егó Грозá.
Тут мы сказáли:
Ах, вот что! и безразли́чно засмея́лись.
Tout d’abord, nous allons vous raconter une drôle de petite mésaventure.
Une mésaventure, précisément, due à un choc moral subi par un groupe de vacanciers. Tout ça à cause d’un quiproquo.
Voici comment cela s'est passé. Pour de vrai.
Dans les premières années après la Révolution, lorsque la vie s'était stabilisée et que de merveilleux bateaux à vapeur dotés de cabines première classe et servant des plats chauds commençaient à sillonner la Volga, un groupe de citoyens en vacances, six employés de bureau, dont moi-même, sommes allés nous reposer sur la Volga.
Tout le monde nous avait conseillé de faire une croisière sur la Volga. Parce qu’on y passe de merveilleuses vacances. La Nature, ses rives, son eau, la nourriture et les cabines.
Bref, un groupe d'employés de bureau, fatigués, pour ainsi dire, des mugissements de la Révolution, est parti se changer d’air.
Nous sommes tombés sur un merveilleux bateau : « Le Camarade Penkine » , un vapeur de première.
Nous avons commencé à nous demander qui pouvait bien être ce Penkine. On nous a répondu qu’il s’agissait d’un type travaillant, semble-t-il, au transport fluvial.
En fait, cela nous était bien égal et, bien sûr, nous sommes montés sur ce camarade inconnu.
Ainsi arrivons-nous à Samara¹.
Notre groupe descend explorer la ville. Nous explorons... quand, soudain, nous entendons une sirène.
On se dit : - De nos jours, les horaires ne sont plus les bons. Et si notre Penkine avait décidé de larguer les amarres... Vite, rebroussons chemin !
Et ainsi, après avoir plus ou moins exploré Samara, nous faisons demi-tour.
En approchant du quai, nous constatons que notre bateau n'est plus là. Envolé.
Des cris s’élèvent et des gémissements.
L'un de nous s’écrie : - J'ai laissé tous mes papiers dans mon pantalon, sur le Penkine.
Certains : - Et nous nos bagages et notre argent. Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? Quelle horreur !
Je propose : - Prenons ce bateau-là qui se dirige en sens inverse et rentrons chez nous.
En effet sur la jetée, trône un vapeur de croisière. Son nom : « L’Orage ».
Nous demandons autour de nous d'une voix triste : - Depuis combien de temps le Penkine est-il parti ? Peut-être que nous pourrions le rattraper en suivant la rive ?
On nous répond : - Pourquoi vouloir le rattraper ? Le Penkine est devant vous. Seulement, maintenant il s’appelle « L’Orage ». C'est l’ancien Penkine. On a juste repeint son nom.
Oh là là quel ineffable bonheur ! Nous nous sommes précipités à bord et, de crainte, n’en sommes plus descendus jusqu'à Saratov.
Plus tard, nous avons interrogé le capitaine : - Pourquoi une chose si drôle et une telle urgence à changer le nom du navire ?
Le capitaine nous explique : - Vous voyez, c’est en partie par erreur que nous lui avions donné ce nom. Penkine travaille au transport fluvial, mais, plus ou moins, il n'était pas à la hauteur de son poste. On le juge actuellement pour abus de pouvoir. Et nous avons reçu une dépêche nous enjoignant de repeindre le nom du navire. Alors, nous l'avons appelé « L’Orage ».
- Ah, c'est pour ça ! avons-nous répondu, et nous en avons ri avec indifférence...
1- Samara (Самара), ville sur la Volga à environ 1 000 km au sud est de Moscou.
Voici la singulière histoire d'un vieux vapeur - en illustration : qu'on avait baptisé à l'origine 'La grande Duchesse Olga Nikolaevna' (Великая княжна Ольга Николаевна), en 1914, un mois avant le début de la Grande guerre.
En février 1917, lors de la première Révolution, il fut d'abord renommé 'L'Aliocha Popovitch' (Алёша Попович), avant qu'il ne s'échoue et soit renfloué. Un an et demi plus tard, après la Révolution d'Octobre, on le rebaptisera du nom du révolutionnaire V. Volodarsky (В. Володарский).
Encore en pleine Guerre civile, dès 1920, 'Le Volodarsky' reprit ses rotations entre Nijni Novgorod et Astrakhan.
Pendant la Grande famine dans la région de la Volga, il transporta de la nourriture aux populations affamées. Pendant la Grande Guerre Patriotique (1941-1945), ils évacuera des réfugiés en sens inverse.
En 1989, après plus de 70 ans de bons et loyaux services (et de nombreuses avaries), 'Le Volodarsky' fut mis hors service en raison d'un accident de machine. En 1991, il sera finalement désarmé. En 2000, le vieux vapeur, qui gisait dans les bras morts du Don, près de la ville d'Aksai (Аксай), partit en fumée. Ses restes furent démantelés et envoyés à la casse.