M. Zochtchenko – Un vol à la coopérative (02)

Petites nouvelles russes - Les voleurs
"Tu veux connaître les voleurs, pilleurs de biens publics, les voici", Photographie des années 1930 en Union soviétique

Un curieux vol à la coopérative
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Интере́сная кра́жа в кооперати́ве

Episode deux - Второй эпизод

Тут они́ на́чали составля́ть акт в прису́тствии мили́ции. На́чали говори́ть ци́фры. Подсчи́тывать. Прики́дывать. И всё тако́е.

Бедня́га-дво́рник то́лько рука́ми всплёскивает и чуть не пла́чет до того́, вида́ть, гражда́нски страда́ет челове́к, сочу́вствует госуда́рству и унижа́ет себя́ за со́нное состоя́ние.

Заве́дующий говори́т:

Пиши́те: Де́вять пудо́в рафина́ду. Папиро́с сто шестьдеся́т па́чек. Да́мские чулки́ две дю́жины. Во́семь круго́в колбасы́…

Он дикту́ет, а дво́рник пря́мо подпры́гивает при ка́ждой ци́фре.

Вдруг касси́рша говори́т:

Из ка́ссы, запиши́те, спёрли бо́ны на сто три́дцать два рубля́. Три черни́льных карандаша́ и но́жницы.

При э́тих слова́х дво́рник на́чал да́же хрю́кать и приседа́ть до того́, вида́ть, огорчи́лся челове́к от грома́дных убы́тков.

Заве́дующий говори́т мили́ции:

Убери́те э́того дво́рника! Он то́лько меша́ет свои́м хрю́каньем.

Милиционе́р говори́т:

Слу́шай, дя́дя, уходи́ домо́й! Тебя́ попро́сят, когда́ на́до бу́дет.

В э́то вре́мя счетово́д кричи́т из за́дней ко́мнаты:

У меня́ висе́ло шёлковое кашне́ на стене́ тепе́рь его́ не́ту. Прошу́ записа́ть, я потре́бую возмести́ть понесённые мне убы́тки.

Дво́рник вдруг говори́т:

Ах он подле́ц! Я не брал у него́ кашне́. И во́семь круго́в колбасы́ э́то пря́мо издева́тельство! Взя́то два кру́га колбасы́.

Тут наступи́ла в магази́не отча́янная тишина́.

Дво́рник говори́т:

Пёс с ва́ми! Сознаю́сь. Я сворова́л. Но я сравни́тельно че́стный челове́к. И меня́, мо́жет быть, возмуща́ет тако́е составле́ние а́кта. Я не дозво́лю ли́шнее припи́сывать.

Милиционе́р говори́т:

Как же э́то так? Зна́чит, дя́дя, выхо́дит, что э́то ты прони́к в магази́н?

Дво́рник говори́т:

Я прони́к. Но я не тро́гал э́ти бо́ны, и но́жницы, и э́то сволочно́е кашне́. Я, говори́т, взял, е́сли хоти́те знать, полмешка́ са́хару, да́мские чулки́ одну́ дю́жину и два кру́га колбасы́. И я, говори́т, не дозво́лю име́ть тако́е жу́льничество под мои́м фла́гом. Я стою́ на стра́же госуда́рственных интере́сов. И меня́ как сове́тского челове́ка возмуща́ет, что тут де́лается, кака́я идёт наха́льная припи́ска под мою́ ру́ку.

Заве́дующий говори́т:

Коне́чно, мы мо́жем ошиби́ться. Но мы прове́рим. Я о́чень рад, е́сли ме́ньше укра́ли. Сейча́с мы всё э́то прики́нем на весы́.

Касси́рша говори́т:

Пардо́н, бо́ны завали́лись в у́гол. Бо́ны не взя́ты. Но но́жниц не́ту.

Дво́рник говори́т:

Ах, я ей плю́ну сейча́с в её бессты́жие глаза́! Я не брал у неё ножне́й. А ну, ищи́ лу́чше, кури́ная нога́! И́ли я тебя́ сейча́с из ка́ссы вы́ну.

Касси́рша говори́т:

Ах, ве́рно, но́жницы нашли́сь. Они́ у меня́ за ка́ссу завали́лись. И там лежа́т.

Счетово́д говори́т:

Кашне́ то́же на́йдено. Оно́ у меня́ в боково́м карма́не заболта́лось.

Заве́дующий говори́т:

Вот что, перепиши́те акт. Са́хару действи́тельно не хвата́ет полмешка́.

Дво́рник говори́т:

Счита́й, холе́ра, колбасу́. И́ли я за себя́ не отвеча́ю. У меня́, е́сли на то пошло́, есть свиде́тельница тётя Ню́ша.

Вско́ре подсчита́ли това́р. Оказа́лось, укра́ли всё, как сказа́л дво́рник.

Его́ взя́ли под мики́тки и увели́ в отделе́ние.

И его́ тётю Ню́шу то́же задержа́ли. У ней э́ти проду́кты бы́ли спря́таны.

Так что, как ви́дите, тут спёрли на копе́йку, а наверну́ли на ты́сячу. И в э́том видна́, так сказа́ть, игра́ кова́рной фанта́зии и ко́е-кака́я филосо́фская мысль.

А без э́того, говоря́т, сейча́с ника́к нельзя́. Без э́того то́лько дура́к вору́ет. И вско́ре попада́ется.

Так что в э́том де́ле хи́трость и кова́рство вступи́ли в свои́ пра́ва. И да́же в друго́й раз бра́тья Кант и Ни́цше ка́жутся пря́мо щенка́ми про́тив совреме́нной мы́сли.

И в нижесле́дующем расска́зе э́то мо́жно вполне́ ви́деть.

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Là, en présence de la milice, l’inventaire commence. On fait parler les chiffres. On compte. On pèse. Et tutti quanti.

Le pauvre gardien lève les bras au ciel, pleure presque. Apparemment l’homme souffre et, en bon citoyen, exprime sa compassion envers l'État se reprochant son sommeil coupable.

Le gérant : - Écrivez : cent cinquante kilos¹ de sucre raffiné. Cent soixante paquets de cigarettes. Deux douzaines de bas pour dames. Huit saucissons...

Il dicte, et le gardien sursaute à chaque chiffre.

Soudain, la caissière intervient : - Dans la caisse, notez bien qu’on a chouravé des bons d'une valeur de cent trente-deux roubles. Trois stylos-encre et une paire de ciseaux.

A ces mots, le gardien se met à grommeler. Il en a les jambes coupées. Visiblement, le bonhomme est bouleversé par l’énormité des pertes.

Le gérant ordonne à la milice : - Ecartez donc ce bonhomme ! Il ne fait que nous gêner avec ses grognements.

Le milicien : - Écoute, tonton², rentre chez toi ! On te convoquera si nécessaire.

A ce moment, le comptable s’écrie depuis l'arrière-boutique : - J’avais une écharpe en soie suspendue au mur et maintenant elle n’y est plus. S'il vous plaît, écrivez cela ! j'exigerai qu’on m’indemnise !

Le gardien rétorque soudain : - Oh, le scélérat ! Son écharpe, je l’ai pas prise. Quant aux huit saucissons, c’est à se moquer du monde ! Juste deux que j’ai fauchés !

Un accablant silence envahit alors le magasin.

Le gardien : - Allez tous vous faire pendre ! J'avoue. J’ai volé. Mais moi je suis un citoyen relativement honnête. Et il se pourrait bien que vos déclarations me révoltent. Je ne vous autoriserai pas à en ajouter tant et plus.

Le milicien : - Comment, comment ? Alors, tonton, c'est donc toi qui t’es introduit par effraction dans le magasin ?

Le gardien admet : - C’est moi l’infracteur, en effet. Mais j’ai pas touché ni aux bons ni aux ciseaux ni à cette putain d’écharpe. Si vous voulez savoir, j'ai chouravé, avoue-t-il, un demi-sac de sucre, une douzaine de bas et deux saucissons. Mais, poursuit-il, je ne saurais couvrir une telle filouterie de leur part. Moi, j’ai le souci des intérêts de l'État. Et, en tant que citoyen soviétique, je suis indigné de ce qui se passe ici et de l’effronterie de certains à vouloir mettre tout ça en sus sur mon compte.

Le gérant intervient : - Bien sûr, nous pouvons avoir fait une erreur. Mais nous allons vérifier. Je me réjouis si moins de choses ont disparu. Nous allons tout de suite réévaluer tout cela.

La caissière ajoute : - Toutes mes excuses, les bons étaient tombés dans un recoin. Aucun ne manque. Mais les ciseaux, si.

Le gardien : - Oh, je vais lui cracher dans les yeux à cette dévergondée ! Ses ciseaux, c’est pas moi qui lui ai fauchés. Eh bien, cherche mieux, cuisse de dinde ! Ou je vais te sortir de derrière ta caisse !

La caissière : - Ah, c'est exact, j'ai remis la main dessus. Là, derrière ma caisse. Les voilà !

Le comptable ajoute : - Mon écharpe aussi, je l’ai retrouvée. Dans la poche intérieure de mon manteau.

Le gérant intervient : - Vous savez quoi : en va réécrire le constat. Il n’y a effectivement qu’un demi-sac de sucre qui manque.

Le gardien proteste : - Recompte aussi tes saucissons, peste que tu es, ou je ne réponds plus de moi ! D'ailleurs, s’il le faut, j'ai un témoin : tata Nioucha.

Bientôt, les marchandises sont recomptées. Il s'avérera que ce qui avait été volé correspondait à ce qu’avait dit le gardien.

On le saisit et on l’emmène au poste.

Et la tata Nioucha sera également appréhendée. C’est chez elle qu’était cachée la marchandise.

Donc, comme vous pouvez le voir, à partir d’un vol à deux sous, certains voulaient en récupérer mille fois plus. On peut là y déceler, pour ainsi dire, le jeu de l’insidieuse fantaisie, et, en quelque sorte, un sens philosophique.

Et sans cela, comme on dit, de nos jours rien n’est possible. Sans ce talent, seul l’imbécile vole et se fait bien vite pincer.

1- Il s’agit ici de 9 pouds : le poud (пуд), ancienne unité de mesure, équivalant à 16,38 kg, soit exactement ici 147,42 kg.

2- Oncle (дядя) est un terme largement employé en Russie, avec ou sans connotation familiale, par les enfants et les adultes envers un homme plus âgé.

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