Grégory Oster : Jurons au champ d’honneur

Petites nouvelles russes : Jurons au champ d'honneur 1
Jurons au champ d'honneur : 'Les nôtres', illustration Nikolaï Vorontsov (Николай Воронцов)

Grégory Oster - Григорий Остер

Légendes et mythes de l’allée de Lavrov

Леге́нды и ми́фы Лавро́вого переу́лка

Jurons au champ d’honneur* - По́ле бра́ни

* Il y a un clin d’œil dans ce titre : en effet, en russe, si ‘polié brani’ (поле брани) signifie bien ‘le champ d’honneur’ (ou de bataille), l’expression peut tout aussi bien avoir le sens de ‘champ des jurons’ (de gros mots).

Говоря́т, что в стари́нные времена́ Лавро́вого переу́лка во́все не́ было. Его́ пото́м постро́или вме́сте с го́родом. А тогда́ бы́ло на ме́сте Лавро́вого переу́лка По́ле Бра́ни.

Э́то бы́ло тако́е специа́льное по́ле большо́го разме́ра, на кото́ром встреча́лись ра́зные войска́. Войска́ бы́ли ра́зные, но ка́ждый раз обяза́тельно в одно́м во́йске бы́ли на́ши, а в друго́м враги́.

Войска́ появля́лись на по́ле с двух сторо́н и осторо́жно подходи́ли побли́же друг к дру́гу. Враги́ всегда́ начина́ли пе́рвыми. Они́ выходи́ли на са́мую середи́ну По́ля Бра́ни, станови́лись пе́ред на́шими и начина́ли брани́ться.

— Ду-ра-ки́! Ду-ра-ки́! — крича́ли враги́ хо́ром. И разма́хивали рука́ми.

А на́ши им споко́йно отвеча́ли:

— От та-ки́х же слы́шим! От та-ки́х же слы́-шим!

Тогда́ враги́ начина́ли волнова́ться и крича́ли:

— Ма́-мень-ки́-ны сы-но́ч-ки! Ма́-мень-ки-ны сы-но́ч-ки!

А на́ши отвеча́ли:

— Са́-ми та-ки́-е! Са́-ми та-ки́-е!

Тут враги́ совсе́м выходи́ли из себя́, и от зло́сти начина́ли пу́таться. Одна́ полови́на враго́в крича́ла: — Тру-сы́! — Сла-ба-ки́!

И так как они́ крича́ли одновреме́нно и все сра́зу, у них получа́лось:

— Тру-ба-сы́!

— Сла-сы́!

— Ба-сы́!

— Ки-сы́!

Враги́ начина́ли са́ми себя́ не понима́ть и от э́того смуща́лись и терпе́ли пораже́ние. А на́ши с побе́дой возвраща́лись домо́й и всю доро́гу смея́лись.

И так продолжа́лось до тех пор, пока́ враги́ одна́жды не оби́делись.

— Почему́ э́то мы всё вре́мя враги́?! — сказа́ли враги́. — А вы всё вре́мя на́ши? Э́то о́чень нече́стно и несправедли́во. Дава́йте меня́ться. Мы то́же хоти́м быть на́ши.

— Меня́ться мы не ста́нем! — сказа́ли на́ши. — Но е́сли вы хоти́те то́же быть на́ши, то бу́дьте. Пожа́луйста.

И враги́ ста́ли на́ши. И переста́ли брани́ться. И По́ле Бра́ни ста́ло уже́ не По́ле Бра́ни, а про́сто по́ле. И на э́том по́ле на́ши и бы́вшие враги́, кото́рые бы́ли тепе́рь уже́ не враги́, а то́же на́ши, постро́или го́род. А внутри́ го́рода Лавро́вый переу́лок. И всё ста́ло так, как оно́ сейча́с есть.

Petites nouvelles russes : Le garçon qui ne se lavait jamais la figure

On dit que dans les temps anciens, l'allée de Lavrov n'existait pas du tout. Elle fut ensuite construite en même temps que la ville. A cette époque, là où se trouvait l’allée, il y avait, dit-on, auparavant un champ de bataille.

C'était un très grand champ, un champ d’honneur, spécialement fait pour que différentes armées puissent venir en découdre. Des armées à chaque fois différentes, mais où, obligatoirement, figuraient aussi les nôtres. D’un côté il y avait l'ennemi, et de l'autre, les nôtres.

Et voici que les deux troupes s’avancent, chacune venue de son côté, se rapprochant, avec prudence. C’étaient toujours les ennemis qui lançaient les hostilités en premier. Et du milieu du champ d’honneur, bravant les nôtres, les voilà qu’ils commencent à jurer et injurier :

- I-di-ots ! Bande d’im-bé-ciles ! crient-ils en chœur tout en agitant leurs bras.

Et les nôtres leur répondent avec calme :

- C’est-celui-qui-dit-qui-l’est ! C’est-celui-qui-dit-qui-l’est !

Alors les ennemis commencent à s’exciter et crient de plus belle :

- Fem-me-lettes ! Fem-me-lettes !

Et les nôtres leur répondent :

- Fem-me-lettes-vous-mêmes ! Fem-me-lettes-vous-mêmes !

A ce moment-là, les ennemis se sont complètement mis en colère et ont commencé à s'embrouiller. Une moitié des ennemis crient : - Frou-ssards ! Et l’autre : Mau-viettes !

Et comme ils crient tous en même temps cela donne : - Frou-viettes ! Mau-ssards ! Sard-viettes !

Les ennemis ont commencé à ne plus se comprendre et, à cause de ça, ils ont été vaincus. Et les nôtres sont revenus victorieux et ont même rigolé tout le long du chemin.

Et cela a continué jusqu'à ce qu'un jour les ennemis ne l’aient plus supporté.

- Et pourquoi c’est toujours nous qui devons être ‘les ennemis’, ont dit les ennemis, et vous toujours ‘les nôtres’ ? C'est vraiment pas juste ! Changeons ! Nous voulons aussi être une fois ‘les nôtres’ !

- Nous ne changerons pas ! ont répondu les nôtres. Mais si vous voulez vous aussi être des nôtres, alors soit ! Bienvenus !

Et c’est ainsi que nos ennemis sont à présent des nôtres, et qu’ils ont cessé d’injurier. On ne jure plus sur ce champ qui n’est plus un champ d’honneur, mais un simple champ.

Et c’est là que les nôtres et nos anciens ennemis, qui n'étaient plus nos ennemis mais à présent des nôtres, construisirent notre ville. Et quelque part dans cette ville se trouve aujourd’hui l’allée de Lavrov et que tout est devenu comme c’est maintenant.

Petites nouvelles russes : Jurons au champ d'honneur 2
Nos ennemis, illustration Nikolaï Vorontsov (Николай Воронцов)

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