Grégory Oster : Un amiral sans épée
Grégory Oster - Григорий Остер
Légendes et mythes de l’allée de Lavrov
Леге́нды и ми́фы Лавро́вого переу́лка
Un amiral sans épée* - Адмира́л без ко́ртика
(*En Russie, les amiraux de la flotte portent une ‘dague’ (кортик). De leur côté, les amiraux français arboraient, jusqu’à la III° république, une ‘épée’– pour en savoir plus sur le port de la dague par les officiers de marine russes - lire en russe)
Э́ту исто́рию в Лавро́вом переу́лке расска́зывают сра́зу. В оди́н присе́ст. То есть садя́тся и расска́зывают с нача́ла до конца́. И пока́ не расска́жут — не встаю́т. А пото́м встаю́т и ухо́дят. А тот, кому́ расска́зывали, до́лго ещё сиди́т и ду́мает: «Ну и ну! Быва́ет же тако́е!»
Но на са́мом деле́ исто́рия э́та случи́лась не сра́зу. Она́ случи́лась постепе́нно. И снача́ла, когда́ э́та исто́рия ещё то́лько начала́ случа́ться, никто́ и предста́вить себе́ не мог, что бу́дет да́льше.
В Лавро́вом переу́лке жил ма́льчик Лёня, и у э́того Лёни был о́чень стро́гий па́па. Ка́ждый день па́па говори́л Лёне: «Не шали́!», и́ли: «Мой ру́ки пе́ред едо́й», и́ли: «Убери́ со стола́ ло́кти», и́ли: «Не подпры́гивай, когда́ идёшь ря́дом», и́ли: «Вынь ру́ки из карма́нов». А Лёня был о́чень послу́шным ма́льчиком. Он не шали́л, мыл ру́ки пе́ред едо́й и вынима́л их из карма́нов.
Но одна́жды, когда́ па́па объясня́л Лёне, почему́ нельзя́ гуля́ть по у́лице без пальто́, в органи́зме у па́пы что-то щёлкнуло, и с тех са́мых пор Лёнин па́па на́чал молоде́ть. Па́па молоде́л не сра́зу, а ме́дленно, поэ́тому снача́ла никто́ ничего́ не заме́тил. Но к тому́ вре́мени, когда́ ма́льчик Лёня вы́рос и стал взро́слым Леони́дом Степа́новичем, Лёнин па́па уже́ так си́льно помолоде́л, что стал ма́льчиком Стёпой.
И когда́ взро́слый Леони́д Степа́нович выходи́л со свои́м па́пой гуля́ть, па́па засо́вывал ру́ки в карма́ны, бежа́л ря́дом и подпры́гивал.
— Па́па, — удивля́лся Леони́д Степа́нович, — заче́м же ты подпры́гиваешь и почему́ ты засу́нул ру́ки в карма́ны?
— Сыно́к, — отве́чал па́па, — а почему́ бы мне не подпры́гивать и не держа́ть ру́ки в карма́нах. По-мо́ему, так гу́лять гора́здо интере́сней.
Но когда́ па́па, кото́рого тепе́рь все ребя́та в переу́лке зва́ли Стёпкой, принёс домо́й рога́тку, Леони́д Степа́нович не вы́держал.
— Па́па! — закрича́л Леони́д Степа́нович. — Неуже́ли ты собира́ешься стреля́ть в птиц и бить стёкла?
— Ни в ко́ем слу́чае, сыно́к, — сказа́л па́па. — Ни за что я не бу́ду стреля́ть в птиц. И стёкла бить не ста́ну, ра́зве что случа́йно како́е-нибу́дь одно́.
— Но тогда́ заче́м же тебе́ рога́тка?! — воскликну́л Леони́д Степа́нович. — Заче́м ты её но́сишь?
— Ви́дишь ли, сыно́к, — отве́тил па́па, — как бы тебе́ объясни́ть… Ну вот, наприме́р, адмира́л но́сит ко́ртик. Казало́сь бы, ну заче́м адмира́лу ко́ртик? А с друго́й стороны́, что э́то за адмира́л без ко́ртика? Где ты ви́дел тако́го адмира́ла?
— Нигде́ не ви́дел, — че́стно призна́лся Леони́д Степа́нович.
— Ну вот, — сказа́л па́па, — а ма́льчишка без рога́тки всё равно́ что адмира́л без ко́ртика.
И когда́ па́па так сказа́л, в органи́зме у него́ опя́ть что-то щёлкнуло и он на́чал взросле́ть. За каки́х-нибу́дь две неде́ли па́па стал совсе́м взро́слым и да́же Леони́да Степа́новича обогна́л.
Говоря́т, что в Лавро́вом переу́лке мо́жно и сего́дня посмотре́ть, как взро́слый па́па гуля́ет со свои́м взро́слым сы́ном Леони́дом Степа́новичем. О́ба они́ де́ржат ру́ки в карма́нах и немно́жко подпры́гивают. Э́то, коне́чно, не о́чень краси́во, но е́сли им так нра́вится, то почему́ бы им не подпры́гивать?
Dans l’allée de Lavrov, cette histoire se raconte d’un trait. En une fois. Autrement dit, on s'assoit et la raconte du début à la fin. Et avant qu'elle ne soit terminée on ne se lève pas. Alors on se lève et on s’en va. Et celui à qui on l'a racontée reste longtemps à se dire : « Eh bien, eh bien ! En voilà une histoire ! »
Mais en réalité, cette histoire ne s’est pas passée comme ça, d’un seul coup. Tout est arrivé petit à petit. Et au début, alors que cette histoire commençait à peine, personne ne pouvait imaginer ce qui allait suivre.
Dans l’allée de Lavrov habitait un garçon, Léonid – mais que tout le monde appelait le p’tit Léo -, et ce garçon avait un père très strict. Chaque jour, son père lui répétait : « Léo, ne fais pas de bêtises ! », ou : « Léo, lave-toi les mains avant de manger ! » ou bien : « Ne mets pas les coudes sur la table ! » ou encore : « Ne sautille pas quand tu marches près de moi ! », « Léo, sors tes mains des poches ! » Et Léo qui était un garçon très obéissant se tenait bien gentil, se lavait les mains avant de manger et les sortait de ses poches quand il marchait.
Mais un jour, alors que son père expliquait pourquoi il ne fallait pas sortir sans manteau, quelque chose survint dans son corps, et à partir de ce moment-là, il commença à rajeunir. Il ne rajeunit pas immédiatement, non, mais petit à petit, progressivement. Et donc, au début, personne ne remarqua rien.
Quant à Léo, il continuait à grandir et devint finalement adulte. On ne l’appelait plus Léo mais Léonid Stéphanovitch¹, comme il convient à une grande personne. Quant à son père, entre temps, il avait tellement rajeuni qu'il ressemblait à un enfant. Tous le surnommaient à présent le P’tit Steph.
Et quand Léonid Stéphanovitch, à présent adulte, sortait se promener en compagnie de son père, celui-ci, le P’tit Steph, mettait constamment les mains dans ses poches, et sautillait à ses côtés.
- Papa ! s’étonnait Léonid Stéphanovitch, pourquoi sautilles-tu et pourquoi mets-tu les mains dans tes poches ?
- Mon fils, lui répondait son père, pourquoi devrais-je arrêter de sautiller et ôter les mains de mes poches ? À mon avis, c’est beaucoup plus amusant de marcher ainsi.
Mais quand celui-ci, que tous les enfants de la ruelle surnommaient désormais le P’tit Steph, ramena un jour une fronde à la maison, Léonid Stéphanovitch, son fils, ne put le supporter.
- Papa ! s’écria-t-il. Vas-tu vraiment t’amuser à viser les oiseaux ou à casser des carreaux ?
- Non mon fils, lui répondit son père, le P’tit Steph. Je ne viserai pas les oiseaux ni ne casserai de vitre, ou juste une, à l’occasion.
- Mais alors pourquoi as-tu besoin d'une fronde ?! questionna Léonid.
- Tu vois, mon fils, répondit le père, comment t'expliquer ça... Eh bien, par exemple, un amiral porte toujours une épée ou une dague. Et pourtant, a-t-il vraiment besoin d’une épée ou d’une dague ? Mais d’un autre côté, a-t-on déjà vu un amiral sans épée ou sans dague ? Quel genre d’amiral ce serait ?
- C’est vrai, reconnut avec honnêteté Léonid Stéphanovitch : un amiral sans épée ou sans dague, ça ne s’est jamais vu !
- Eh bien, dit le père, un garçon sans fronde c’est pareil.
Et à peine le père eut-il prononcé ces paroles que quelque chose se produisit à nouveau dans son corps et il commença à grandir. En seulement deux semaines, il retrouva sa taille normale et redevint une grande personne, plus grand même que son fils.
On dit que dans l’allée de Lavrov, on peut voir de nos jours encore un père et son fils, tous deux adultes à présent, se baladant ensemble. Les deux tiennent leurs mains dans les poches et parfois sautillent aussi. Bien sûr, ce n’est pas très convenable, mais si ça leur plaît de se balader ainsi, pourquoi n’en auraient-ils pas le droit ?
1- Outre le nom de famille (фамилия) et le prénom (имя), chaque Russe possède généralement un patronyme (отчество). Celui se construit à partir du prénom du père. Ici le père de Léo se prénomme Stéphane et, donc, le patronyme dérivé de ce nom est Stéphanovitch. Devenu adulte, Léo est à présent couramment appelé Léonid Stéphanovitch (Леонид Степанович).