A. Nekrassov – Le capitaine Wrounguel Chapitre 14a

Petites nouvelles russes : Le gouverneur de Para
Le gouverneur de Para, illustration Evgueni Soloviev (Евгений Соловьёв)

Andreï Nekrassov - Андрей Некрасов
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Les aventures du capitaine Wrounguel
Приключе́ния капита́на Вру́нгеля
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Chapitre XIV - L’intouchable capitaine Wrounguel

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Premier épisode - Пе́рвый эпизо́д

Глава́ XIV, в нача́ле кото́рой Вру́нгель стано́вится же́ртвой вероло́мства, а в конце́ сно́ва попада́ет на «Беду́»

Наконе́ц всё-таки при́были в порт Па́ра. Городи́шко, по со́вести говоря́, нева́жный, та́к себе городи́шко. Гря́зно, пы́льно, жара́, по у́лицам соба́ки бро́дят. Наро́д свире́пый, вои́нственный, все с ножа́ми, с револьве́рами, по у́лице пройти́ стра́шно…

Да. Ну, побри́лись мы, почи́стились по́сле де́брей лесо́в Амазо́нки. Спу́тники на́ши распроща́лись, се́ли на парохо́ды и разъе́хались кто куда́.

Хоте́ли и мы с Фу́ксом поскоре́е отсю́да вы́браться, да ничего́ не вы́шло: без докуме́нтов не выпуска́ют. Ну, застря́ли мы с ним, как ра́ки на мели́, на чужо́м берегу́, без кро́ва, без определённых заня́тий, без средств к существова́нию. Ду́мали работёнку каку́ю найти́ — куда́ там! То́лько и есть вака́нсии на рези́новых планта́циях, но э́то опя́ть на́до на Амазо́нку, а мы уже́ там побыва́ли, по второ́му ра́зу что-то не тя́нет.

Поброди́ли по го́роду туда́-сюда́ и усе́лись на бульва́рчике под па́льмой обсуди́ть положе́ние.

Вдруг подхо́дит полице́йский и приглаша́ет нас к губерна́тору. Э́то, коне́чно, ле́стно, но я не люби́тель всех э́тих официа́льных приёмов и встреч с высокопоста́вленными осо́бами. Да тут ниче́го не поде́лаешь: приглаша́ют — зна́чит, на́до идти́.

Ну, прихо́дим. Смо́трим — сиди́т в ва́нне э́такая ту́ша с ве́ером в рука́х, фы́ркает, как бегемо́т, плеска́ется, сопи́т. А по бока́м — два адъюта́нта в пара́дной фо́рме.

— Вы, — спра́шивает губерна́тор, — кто таки́е, отку́да?

Я в о́бщих черта́х обрисова́л положе́ние, объясни́л, ка́к это всё́ получи́лось, предста́вился.

— Э́то — говорю́, — мой матро́с Фукс, на́нят в Кале́, а я капита́н Вру́нгель. Слыха́ли, наве́рное?

Губерна́тор, как услыха́л, а́хнул, у́хнул в ва́нну совсе́м с голово́й, ве́ер свой урони́л, пуска́ет пузыри́, захлёбывается, чуть не поги́б. Спаси́бо, адъюта́нты не да́ли потону́ть, спасли́.

— Как, — говори́т, — капита́н Вру́нгель? Тот са́мый? Э́то что же тепе́рь бу́дет? Беспоря́дки, пожа́р, револю́ция?..

... Ну, зна́ете, коне́чно, восхищён ва́шим му́жеством и ничего́ не име́ю про́тив вас ли́чно, но как лицо́ официа́льное прика́зываю вам неме́дленно поки́нуть вве́ренную мне террито́рию и к сему́ препя́тствий чини́ть не бу́ду… Адъюта́нт, вы́дайте капита́ну разреше́ние на вы́езд.

Адъюта́нт рад стара́ться, момента́льно сочини́л бума́гу, шлёпнул печа́ть, подаёт.

А мне то́лько того́ и на́до. Я поклони́лся, взял под козырёк.

— Спаси́бо, — говорю́, — ва́ше превосходи́тельство! Весьма́ призна́телен за любе́зность. Соверше́нно удовлетворён ва́шими распоряже́ниями. Разреши́те откла́няться?

Поверну́лся и вы́шел. Пошёл и Фукс за мно́й. Идём пря́мо к при́стани. Вдруг слы́шу — сза́ди како́й-то шум, то́пот. Я оберну́лся, смотрю ́— челове́к со́рок в шта́тском, в широкопо́лых шля́пах, в сапога́х, с ножа́ми, с ручны́ми пулемётами бегу́т за на́ми, пыля́т, облива́ются по́том.

— Вон они́, вон они́! — крича́т.

Гляжу́ — за на́ми охо́тятся. Мгнове́нно взве́сил соотноше́ние сил и ви́жу — де́лать не́чего, надо бежа́ть. Ну, побежа́ли… Добежа́ли до како́й-то бу́дочки. Я изнемо́г, останови́лся дух перевести́, се́рдце так и коло́тится — уста́л. А ка́к же… и во́зраст и жара́. А Фукс — тому́ хоть бы что, он лё́гок был на ходу́.

Пото́м вдруг повеселе́л и так фамилья́рно хло́пает меня́ по спине́.

— Ну, — говори́т, — капита́н, сто́йте здесь. Я оди́н побегу́, а вас не тро́нут.

И пусти́лся, то́лько пя́тки сверка́ют.

Petites nouvelles russes : Poursuivis par les bandits
Poursuivis par les bandits, illustration Vitold Bordzilovsky (Витольд Бордзиловский)

Chapitre au début duquel Wrounguel se sentira trahi, puis, à la fin, retrouvera le « Pitoyable »

Finalement, nous sommes arrivés au port de Pará¹. La ville, pour être honnête, n’était pas très florissante, juste une simple bourgade. Sale, poussiéreuse, accablée de chaleur et de chiens errants. Et les gens : féroces, batailleurs, tous armés de couteaux, de revolvers. C’était bien effrayant de déambuler dans ses rues…

Après nos dernières pérégrinations dans la jungle amazonienne, nous avons pu enfin nous laver et nous raser. Puis nous avons dit au revoir à nos compagnons qui, à bord de vapeurs, s’en sont allés chacun de leur son côté.

Fuchs et moi voulions aussi quitter ce bled au plus vite, mais rien n’y fit : n’ayant aucun papier d’identité, nous étions coincés comme des écrevisses dans leur trou. Egarés sur ces rives étrangères, sans toit, désœuvrés, sans aucun moyen de subsistance. Nous avons tenté de trouver du travail sur place, mais sans succès. Il n’y avait que dans les plantations d'hévéas qu’on embauchait, mais cela nous aurait conduits à nouveau au cœur de la forêt amazonienne. Nous n’avions aucune envie d’y retourner.

Nous avons ainsi erré dans la ville, de ci, de là, jusqu’à ce enfin, sur un petit boulevard, nous nous posions à l’ombre d’un palmier. Là, avec Fuchs nous réfléchissons à la situation.

Soudain, un policier arrive et nous invite à nous rendre chez le gouverneur. C’était bien sûr très flatteur, bien que je ne sois pas friand de toutes ces rencontres avec des huiles et des réceptions officielles. Mais je ne pouvais pas refuser : quand on est invité, faut y aller !

Eh bien, nous voilà dans les appartements du gouverneur. Nous découvrons un gros plein de soupe qui fait trempette dans sa baignoire, un éventail dans ses mains, ruminant des narines comme un hippopotame et éclaboussant l’eau partout. A ses côtés se tiennent deux adjudants en grand uniforme.

- Qui êtes-vous ? me demande-t-il, et d’où venez-vous ?

Je lui résume la situation et les événements qui nous ont conduits jusqu’ici : - Et voici, ajouté-je, Fuchs, un matelot que j’ai recruté à Calais, en France. Je suis le capitaine Wrounguel. Vous avez probablement entendu parler de moi, n’est-ce pas ?

En entendant mon nom, le gouverneur s’affale dans son bain et, haletant, laisse tomber son éventail et commence à faire des bulles, s’étouffant presque à se noyer. Dieu merci, que ses adjudants viennent à sa rescousse et le repêchent.

- Comment ça, dit-il, vous ? le capitaine Wrounguel ? Celui-là même ? A quoi doit-on s’attendre à présent ? Émeutes, incendies, révolutions ?…

…Bien entendu, poursuit-il, vous savez, j'admire votre courage et je n'ai rien contre vous personnellement, mais en tant que gouverneur, je vous intime l’ordre de quitter immédiatement le territoire placé sous mon autorité. Je n’y mettrai aucun obstacle, au contraire... Adjudant, que l’on remette au capitaine Wrounguel un sauf-conduit !

Heureux d'obtempérer, l'adjudant rédige immédiatement le document, y appose un sceau et me le remet.

C'est exactement ce dont j'ai besoin. Je m’incline et salue le gouverneur : - Merci votre excellence ! Je vous suis très reconnaissant de votre gratitude. Vos dispositions me comblent. Puis-je prendre congé ?

Je fais demi-tour et sors, Fuchs à ma suite.

Nous nous rendons directement à l'embarcadère. Soudain, j'entends un bruit de foule derrière moi. Je me retourne et vois une quarantaine d'hommes soulevant la poussière, des types en civil portant des chapeaux à larges bords, des bottes, armés de couteaux et de mitrailleuses légères, qui, en sueur, courent après nous.

- Les voilà, les voilà ! vocifèrent-ils.

Et je constate qu'ils sont vraiment à nos trousses. Evaluant le rapport des forces je comprends immédiatement qu’il n’y a rien à faire que de prendre la tangente. Bon : on court, on court... Nous avons ainsi couru jusqu’à une sorte de guérite. Là, épuisé, le souffle coupé, j’ai le cœur qui bat la chamade, brisé par l’âge et la chaleur ; alors que Fuchs, lui, comme si de rien n’était, avait galopé tout le long d’un pas alerte....

Puis, soudain je le vois sourire et d'un geste familier il me tapote le dos : - Eh bien, dit-il, capitaine, reposez-vous ici. C’est moi qu’ils poursuivront, vous n’aurez rien à craindre...

Et le voilà qui s’envole tel Achille aux pieds légers…

1- Le Pará, contrairement à ce qu’affirme Wrounguel, n’est pas une ville mais un État du nord-est du Brésil, situé autour de l'estuaire de l'Amazone. Sa capitale est Belém.