A. Nekrassov – Le capitaine Wrounguel Chapitre 21b

Petites nouvelles russes : Les sosies 4
"Lom et Fuchs se sont habilement départis de leur double...", illustration Vadim Tchélak (Вадим Челак)

Les aventures du capitaine Wrounguel
Приключе́ния капита́на Вру́нгеля
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Chapitre XXI - Wrounguel voit double

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Second épisode - Второ́й эпизо́д

Ну́жно вам сказа́ть, что я ни в каку́ю чертовщи́ну не ве́рю, но тут пришло́сь призаду́маться. А как же, понима́ете? Стои́т передо мной живо́е привиде́ние и разгова́ривает са́мым наха́льным о́бразом.

А гла́вное, я в дура́цком положе́нии. Вро́де э́такого мистифика́тора и́ли самозва́нца… «Ну ла́дно, — ду́маю, — погляди́м, что да́льше бу́дет».

И вот, зна́ете, схо́дят они́ на бе́рег. Я стремлю́сь вы́яснить положе́ние, пробира́юсь к ним, но меня́ оттира́ют, и слы́шу, тому́ Вру́нгелю расска́зывают, что тут есть уже́ оди́н Вру́нгель с кома́ндой.

Он останови́лся, осмотре́лся круго́м и вдруг заявля́ет:

— Ерунда́! Не мо́жет быть никако́го Вру́нгеля: я его́ сам потопи́л в Ти́хом океа́не.

Я как услы́шал, так сра́зу всё по́нял. Ви́жу, что ста́рый прия́тель, адмира́л, господи́н Хаму́ра Куса́ки под меня́ рабо́тает.

Ну проби́лся я со свое́й кома́ндой, подхожу́ вплотну́ю к нему́.

— Здра́вствуйте, — говорю́, — адмира́л! Как дое́хали?

Он растеря́лся, молчи́т. А тут Лом подступи́л, да как размахнётся — и Ло́ма но́мер два одни́м богаты́рским уда́ром пове́рг на́земь. Тот упа́л, и гляди́м — у него́ вме́сто ног ходу́ли торча́т из брюк.

Тут Фукс осмеле́л, подлете́л к Фу́ксу но́мер два, вцепи́лся ему́ в бо́роду и оторва́л ра́зом.

Ло́му-то с Фуксом хорошо́: у одного́ рост, у друго́го борода́, а у меня́ никаки́х характе́рных при́знаков… «Чем же, — ду́маю, — мне-то своего́ двойника́ доня́ть?»

И вот, пока́ ду́мал, он сам приду́мал лу́чше меня́. Ви́дит, де́ло дрянь, достаёт ко́ртик, хвата́ет двумя́ рука́ми — раз-ра́з! — и распоро́л живо́т на́крест… Хараки́ри, са́мый самура́йский аттракцио́н… Я да́же зажму́рился. Не могу́ я, молодо́й челове́к, на таки́е ве́щи хладнокро́вно смотре́ть. Так с закры́тыми глаза́ми и стою́, жду.

Вдруг слы́шу — наро́д на берегу́ тихо́нько посме́ивается, пото́м погро́мче, а там и хо́хот пошёл. Тогда́ я откры́л глаза́ — и опя́ть ничего́ не понима́ю: тепло́, со́лнце све́тит, и не́бо чи́стое, а отку́да-то вро́де снег идёт.

Ну, пригляде́лся, ви́жу — двойни́к мой заме́тно похуде́л, одна́ко жив, а на животе́ у него́ зия́ет огро́мная ра́на и из неё пух лети́т по всему́ бе́регу…

Тут, зна́ете, ко́ртик у него́ отобра́ли, взя́ли под бе́лые ру́ки дово́льно ве́жливо и повели́. И кома́нду его́ повели́. А мы не успе́ли опо́мниться, смо́трим — кача́ют нас.

Ну, покача́ли, успоко́ились, вы́яснили отноше́ния, пото́м пошли́ я́хту осма́тривать.

Я ви́жу — не моя́ я́хта, одна́ко о́чень похо́жа. Не обошёл бы я на свое́й весь мир — сам мог бы перепу́тать. Да. Ну, заприхо́довали э́ту посу́дину, как полага́ется а на друго́й день и парохо́д пришёл.

Распроща́лись мы, a Лом там оста́лся, кома́ндовать э́той я́хтой. Я с Фу́ксом уе́хал и вот, ви́дите, до сих пор жив, здоро́в и мо́лод душо́й. Фукс испра́вился, поступи́л на кинофа́брику злоде́ев игра́ть: у него́ вне́шность для э́того подходя́щая.

Вско́ре я от Ло́ма письмо́ получи́л. Писа́л он, что ничего́, справля́ется, и я́хта непло́хо хо́дит. Коне́чно, э́та «Беда́» не «Беда́». Ну, да э́то не беда́, всё-таки пла́вает… Да.

Вот та́к-то, молодо́й челове́к. А вы говори́те, что я не пла́вал. Я, ба́тенька мой, пла́вал, да ещё как пла́вал! Вот, зна́ете, стар стал, па́мять слабе́ет, а то бы я вам рассказа́л, как я пла́вал.

Petites nouvelles russes : Les sosies 2
Les sosies, Illustration Radna Sakhaltouev (Радна Сахалтуев)

Il faut vous dire que, bien que je ne croie en aucune façon à la sorcellerie, tout ça me laisse pantois. Et comment ne pas l’être ? Il y a là un fantôme, bien en chair, qui se tient devant moi et qui s’adresse à tous en mon nom de la plus effrontée des manières.

Et surtout, je me retrouve, gros bêta, comme si j’étais moi-même quelque imposteur, le mystificateur de service...

« OK, pensé-je, attendons de voir de quoi il en retourne… »

Et les voilà qui s’avancent sur le quai. Moi, tentant d’éclaircir la chose, je me dirige droit sur eux, mais aussitôt on m’écarte. Et j'entends les gens qui racontent à ce drôle de Wrounguel qu’il y a déjà en ville un autre Wrounguel et son équipage…

Celui-ci s'arrête, regarde autour et déclare sans ambages : - N'importe quoi ! Il ne peut y avoir de Wrounguel : je l'ai moi-même envoyé par le fond, dans l'océan Pacifique...

Dès que j’entends ces mots, je comprends tout. Je reconnais bien là encore un vilain tour de mon vieil ami, l'amiral Hamoura Kézako.

Eh bien, avec Lom et Fuchs je me fraie un chemin et me colle devant lui : - Bien le bonjour amiral ! Avez-vous fait bon voyage ?

Honteux et tout confus, Kézako, ne trouve rien à redire. Et voilà que mon Lom se tourne et s’en va ficher un sacré coup de poing au Lom numéro deux qui, illico, s’effondre. Et on peut voir alors, dépassant de son pantalon, qu'au lieu de jambes, il porte des échasses.

Ici, Fuchs – mon Fuchs à moi - s'enhardit, se précipite sur le Fuchs numéro deux, l’attrape par la barbe et la lui arrache.

Bon, Lom et Fuchs se sont habilement départis de leur double : l’un était grand, l’autre avait une barbe. Mais moi, je n'ai aucun signe distinctif... « Comment, me dis-je, confondre mon sosie ? »

Et pendant que je réfléchis, mon double a une meilleure idée. Voyant que les choses tournent mal, il sort sa dague, la saisit des deux mains, et, flip-flop !, il s’ouvre le ventre par le travers...

L’amiral Kézako vient de se faire hara-kiri, le geste samouraï le plus sensationnel... je ferme même les yeux pour ne pas regarder. Savez-vous, jeune homme, je n’aime pas voir de telles effusions de sang-froid.

Alors je me tiens les yeux clos, sans bouger...

Soudain, j'entends des gens autour commencer doucement à rire, puis de plus en plus fort, et enfin à gorge déployée. J’ouvre les yeux, encore une fois sans comprendre : il faisait chaud ce jour-là, le soleil brillait et le ciel était sans nuage, mais on aurait pourtant dit qu’il neigeait.

Eh bien, je regarde de plus près et me rends compte que mon sosie a sensiblement perdu de son embonpoint, mais qu'il est toujours bien en vie. De sa bedaine, une énorme plaie béante laisse échapper des peluches et des plumes qui bientôt voltigent sur la berge.

Là, bien entendu, les gens se précipitent sur lui pour lui saisir sa dague, l’empoignent courtoisement mais fermement puis l’embarquent au poste. Et son équipage itou. Avant que nous puissions reprendre nos esprits, on nous portait en triomphe.

Après cet instant de gloire, tout le monde s’étant calmé, nous avons pu éclaircir toute l’histoire. Puis nous sommes allés inspecter le voilier.

Là, je m’aperçois que ce n'est pas le vrai « Pitoyable » mais qu’il lui ressemble beaucoup. Si je n’avais pas parcouru le monde à bord de l’original, j’aurais pu moi-même m’y tromper. Voilà. Puis le faux « Pitoyable » fut bien évidemment mis sous séquestres et nationalisé.

Le lendemain, un vapeur appareillait.

Nous avons fait nos adieux mais Lom, lui, a choisi de s’établir là-bas. Depuis, il commande le voilier. Fuchs et moi sommes rentrés. Et, comme vous le voyez, je suis de nos jours encore bien vivant, en bonne santé et resté jeune au fond de mon cœur.

Fuchs depuis s’est amendé : il travaille à présent pour les studios de cinéma où il joue des rôles de méchant : il a le physique de l’emploi.

Il y a peu, j'ai reçu une lettre de Lom où il me dit que va tout bien, qu'il se débrouille pas mal et que le voilier est un bon bateau. « Bien sûr, ce n’est pas LE « Pitoyable », mais, ajoute-t-il, inutile de s’apitoyer : il flotte, et après tout c’est là le plus important... »

Voici l’histoire, jeune homme. Et vous dites que je n’ai jamais navigué ! Moi, mon garçon, bien sûr que j'ai navigué, et comment ! Savez-vous, je me fais vieux à présent, et ma mémoire faiblit, sinon je vous raconterais tous mes voyages...