Valse de guerre – Les bouleaux de Russie

Interprétée par Oleg Pogoudine (Олег Погудин)

Comme les Gaulois avaient le chêne,
les Russes célèbrent les bouleaux, dans leur imaginaire...

Le jeune bouleau - Берёзка

(1906)


Compositeur : Evguéni Dreizine (Евгений Дрейзин)

Auteur des paroles : Alexandre Bézymenski (Александр Безыменский)

A l’origine, partition seulement musicale, c’est par la suite que des paroles furent rajoutées.

Средь сосен суровых, меж тёмных ракит
В серебряном платье берёзка стоит.
Склонились деревья, цветы и кусты
Пред гордым величьем её красоты.

И нежна, и стройна, и всегда величава она.
Весела и светла, и земле родной верна.

­
Чу! Шелестит листва густая…
Это она, берёзка родная,
Милой земле в ответ
Посылает любовь и привет.

Только лишь встретишься с нею,
Сердце забьётся сильнее.
Сердце! Ведь всегда с тобой
Образ берёзки родной.

Средь сосен суровых, меж тёмных ракит
В серебряном платье берёзка стоит.
Склонились деревья, цветы и кусты
Пред гордым величьем её красоты.

И не зря наш народ о берёзоньке
песни поёт.
Целый мир обойдёшь, но такой
красоты не найдёшь.

Символ родины, символ России.

Parmi les pins sévères, parmi les saules obscurs
Il y a un jeune bouleau dans sa robe d'argent.
Les arbres, les fleurs et les buissons se courbent
Devant la fière majesté de sa beauté.

Et tendre, et mince, l’arbrisseau reste toujours digne,
Joyeux et lumineux, fidèle à sa terre natale.

Chut ! Le feuillage épais bruisse...
C'est lui, ce cher bouleau,
Qui adresse à la douce terre
Des mots d'amour et de salutations.

Juste le revoir à nouveau,
Le cœur battant plus fort :
Toi mon cœur, qui gardes toujours
L'image de ce cher petit arbre !

Parmi les pins sévères, parmi les saules obscurs
Il y a un jeune bouleau dans sa robe d'argent.
Les arbres, les fleurs et les buissons se courbent
Devant la fière majesté de sa beauté.

Ce n'est pas sans raison que notre peuple te chante, jeune bouleau :
Même en faisant le tour du monde entier, vous ne trouverez nulle part une telle beauté !

Toi, symbole de la terre natale, symbole de la Russie…

Petites nouvelles russes - Valse de guerre - Dessin d'enfant
Une jeune fille - bouleau

Une valse qui ne parle pas de guerre...

Précisons ici d'emblée que le bouleau (берёза), l'arbre, en russe est féminin : 'une bouleau' aurais-je dû traduire... En Russie dans de nombreuses chansons et poèmes, les jeunes filles, les jeunes femmes sont très souvent comparées à cet arbre. On dit d'elles qu'elles sont douces, élancées, majestueuses... comme un bouleau !

Le thème de la chanson s'inscrit donc dans cette comparaison : jeune bouleau = jolie jeune fille...

Cette valse ne nous parle donc pas de guerre, de soldats en bataille, d'attentes mêlées d'angoisse ou de nostalgie autour d'un bivouac. Non : elle parle d'un jeune arbre, d'un petit arbre, pour évoquer l'image d'une jolie jeune fille, comme un poète français de la Renaissance nous parlerait d'une rose pour décrire une beauté ravissante et fragile...

Après la Révolution d'Octobre, la chanson se fana et tomba dans l'oubli...

Il faudra ensuite attendre les années soixante pour que cette vieille valse resurgisse dans les mémoires russes. Le film 'Le printemps des jeunes filles' (Девичья весна), coréalisé par Benjamin Dormane (Вениамин Дорман) et Henrich Oranessian (Генрих Оганесян), en 1960, lui rendit une nouvelle jeunesse : la valse y accompagne gracieusement un ballet de jeunes femmes, telle une danse des fleurs (en l'occurrence, ici, de jeunes bouleaux !).

Extrait du film 'Le printemps des jeunes filles' (Девичья весна) - 1960

(Visionner le film en totalité)

Pourquoi alors une 'valse de guerre' ?

Il faut se pencher pour le savoir sur son compositeur, Evguéni Dreizine (Евгений Mikhaĭlovich Дрейзин) - 1878-1932 -, et sur les circonstances de sa composition.

En 1903, après avoir achevé la classe de violon du Conservatoire impérial de Moscou, il rejoint L'Extrême-Orient russe et embarque, en tant que civil, comme chef de musique sur le croiseur Askold (крейсер 'Аскольд') de l'escadre du Pacifique. Chaque bataillon, chaque corps d’armée étaient à l’époque accompagnés d’un orchestre militaire.

Petites nouvelles russes - Valse de guerre - Дрейзин

Une valse écrite en captivité

Le 8 février 1904, le Japon attaque par surprise l'escadre navale de Port-Arthur.

C’est le début de la guerre russo-japonaise (1904-1905). Evguéni Dreizine et ses musiciens jouent alors sur les champs de bataille marches militaires et autres musiques pour porter et soutenir les soldats, les musiciens se retrouvant souvent au milieu des combats.

"...les cuivres de l'orchestre brillaient au soleil et on entendait les sons revigorants de la musique militaire. C'était le régiment de fusiliers de Sibérie orientale..." (Extrait du roman d'Alexandre Stepanov (Александр Николаевич Степанов) 'Port-Arthur' (Порт-Артур) publié en 1940-1942 - Lire en ligne)

La guerre s'acheva sur une lourde défaite de l'Empire russe. Port-Arthur capitulera en janvier 1905. Les militaires survivants furent faits prisonniers. Bien que civil, Evguéni Dreizine, resta volontairement auprès des troupes russes captives des Japonais. C'est lors de cette détention - qui s'acheva en 1906 - qu'il composa sa valse 'Le jeune bouleau' (Берёзка), comme un appel, un élan d'amour pour sa terre natale, pour la Russie, évoquant sa nature unique, sa beauté.

Petites nouvelles russes - Valse de guerre - La croix de Saint-Georges
La Croix de Saint-Georges

Après son retour de captivité, Evguéni Dreizine sera de nouveau enrôlé : en 1911, il est nommé chef d'orchestre principal division dans la région d'Irkousk. Pour sa bravoure durant le siège de Port-Arthur, Evguéni Dreizine reçut la Croix de Saint-Georges récompensant ses mérites militaires.

Plus tard, durant la Première guerre mondiale, il dirigera l'orchestre de son régiment sur le front russo-allemand. En 1916, la quatrième édition de sa valse fut annotée de la mention : "Armée d'active" (Действующая армия)...

Le jeune bouleau - Берёзка
interprétée par Lioudmila Zykina (Людмила Зыкина)

Les origines du thème de la valse

Les premières notes de la valse sont reprises d'une œuvre de jeunesse, "Cœur brisé" (Разбитое сердце), composée en 1848 par le pianiste, compositeur et chef d'orchestre russe Anton Rubinstein (Антон Григорьевич Рубинштейн) 1829-1894, une romance accompagnant les vers de l'Allemand Rudolf Löwenstein - 'Ich sah' mal Blimle...' - adaptés en russe par Viktor Krylov (Виктор Крылов).

Cœur brisé - Разбитое сердце

(1848)

 

Compositeur : Anton Rubinstein (Антон Григорьевич Рубинштейн)
Sur des vers de Rudolf Löwenstein - adaptés en russe par Viktor Krylov (Виктор Крылов)

Я видел берёзку: сломилась она...
Верхушкой к земле наклонилась она...
Но листья не блёкли на тонких ветвях,
Пока не спряталось солнце в горах.

­
Я бабочку видел с разбитым крылом:
Бедняжка под солнечным грелась лучом,
Стараясь и слабость, и смерть превозмочь,
Пока не настала холодная ночь.

Я видел, как лань стрелок подстрелил:
Бедняжка упала без крови и сил,
И мало со смертью бороться могла,
И жить перестала, как солнце зашло.

­
Ах, мне изменила подружка моя,
И солнце померкло давно для меня.
Но смерть и покой я напрасно зову
И с сердцем разбитым "живу да живу".

J'ai vu un jeune bouleau : meurtri, brisé
Se courbant vers le sol...
Mais quand le soleil s’est caché dans les montagnes
Sur ses fines branches, ses feuilles ne se sont pas flétries.

J'ai vu un papillon avec une aile brisée :
Le pauvret se réchauffait sous les rayons du soleil,
Tout faible, essayant de surmonter la mort
Avant que ne vienne la nuit froide.

J'ai vu comment la flèche de l’archer a atteint la biche :
La pauvre bête sans plus de force tomba exsangue,
Sans plus pouvoir combattre la mort,
Elle cessa de vivre au coucher du soleil.

Ah, mon amour m’a trahi
Et le soleil pour moi s’est estompé à jamais !
O Mort, ô Paix, en vain je vous appelle,
Encore vivant, toujours vivant, le cœur brisé...

Cette romance, peu jouée aujourd'hui en Russie, fait presque de nos jours partie en Ukraine du répertoire traditionnel, le cœur brisé étant un des thèmes favoris de la chanson lyrique. Voici une version interprétée par Boris Gmyria (Борис Гмиря), en langue ukrainienne, sous le titre 'Я бачив як вітер берізку зломив' (J'ai vu le vent briser le jeune bouleau)...

Source (en russe) : Histoire d'une chanson.

Interprétée par Boris Gmyria (Борис Гмиря)

***

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Voici une autre romance, composée plus tardivement, qui reprend le thème du bouleau, cher à l’imaginaire russe...

Interprétée en 1982 par Ivan Samafatov (Иван Самофатов)
et l'Ensemble Bannière rouge de la Flotte de la Mer noire (ансамбль КЧФ)

Rêves de bouleaux - Берёзовые сны
(1979)

 

Musique : Vitali Guevigsman (Виталий Гевиксман)

Paroles : Guéorgui Féré (Георгий Фере)

Земля снегов и лебединых облаков,
Земля берёзовых закатов…
С печалью светлой, молча, смотрят
на меня
России синие глаза…

Припев:

Земля моя, я сын твоих берёз.
Я землю русскую от недруга сберёг,
Я отдал всё, чтоб в рощах золотых
Вовек не замолкали соловьи…
Земля моя, я сын твоих берёз.
Берёзки белые от бурь я уберёг,
Чтоб вечно снились Родине моей
Берёзовые сны…

Солдатом шёл я по обугленной земле,
Пылали дымные закаты.
Сухие трещины натруженных дорог,
Как руки матери моей…

Припев.

Когда уйду в края, откуда нет дорог,
Я сам навек Россией стану.
Ночами росными в стволах твоих
берёз
Струиться будет кровь моя…

Pays des neiges, Pays des nuages comme des cygnes,
Pays des couchers de soleil sur les bouleaux...
Avec une tendre mélancolie, en silence,
Me regardent les yeux bleus de la Russie...

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Refrain :

O ma terre, je suis le fils de tes bouleaux.
Ma terre russe, je t’ai protégée de l'ennemi,
J'ai tout donné pour que dans tes bosquets dorés
Les rossignols ne se taisent jamais...
Ma terre, je suis le fils de tes bouleaux.
J'ai sauvé tes bouleaux blancs des tempêtes,
Pour que ma patrie fasse toujours des rêves,
Que toujours elle rêve de ses arbres...

Soldat, j'ai marché sur la terre brûlée,
Aux couchers de soleil enfumés, enflammés,
Par des routes usées, gercées
Comme le sont les mains de ma mère...

Refrain.

Quand j’irai là d’où personne jamais ne revient,
Je serai la Russie pour toujours,
Et mon sang coulera comme la rosée nocturne
Sous l’écorce de ses arbres...

Ecrite à l'origine pour une série télévisuelle documentaire soviéto-américaine 'La guerre inconnue' (The Unknown War en anglais) en 20 épisodes - titrée en russe 'La Grande guerre patriotique' (Великая Отечественная) -, réalisée en 1978 par Roman Karmen (Роман Кармен) la chanson ne fut pas retenue. Les Américains pouvaient-ils vraiment comprendre ce que signifiait pour les Russes ‘rêves de bouleaux’ ?!

'La guerre inconnue' (The Unknown War) - Visionner la version américaine - fut réalisée à partir de documents d'archive qu'il avait déjà réunis en 1965 dans un documentaire éponyme russe. Visionner.

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