Stenka Razine 1

La chanson de Stenka Razine (Из-за острова на стрежень...)
interprétée en 1973 par Boris Chtokolov (Борис Штоколов)

La chanson de Stenka Razine - Стенька Разин

L’histoire d’un héros devenu légendaire...

D’après un poème de Dimitri Sadovnikov (1883)
На стихи Дмитрия Николаевича Садовникова (1883 г.)

Musique :
Mikhail Ippolitov-Ivanov (1908) Михаил Михайлович Ипполитов-Иванов

Les paroles de cette chanson ont connu – comme nombre d’airs populaires russes – plusieurs variantes – certains vers ayant été modifiés, certains couplets déplacés ou tout simplement ignorés. J’ai mis entre parenthèses () les vers et strophes absents dans l’interprétation ci-dessus.

Из-за острова на стрежень,
На простор речной волны
Выплывают расписные
Стеньки Разина челны.
(Острогрудые челны.)
­­­

­На переднем Стенька Разин
Обнявшись сидит с княжной,
Свадьбу новую справляет,
Сам весёлый и хмельной.

Позади их слышен ропот:
"Нас на бабу променял,
Только ночь с ней провожжался,
Сам наутро бабой стал"

Этот ропот и насмешки
Слышит грозный атаман,
И он мощною рукою
Обнял персиянки стан…

(Брови чёрные сошлися,
Надвигается гроза.
Буйной кровью налилися
Атамановы глаза.)

"Всё отдам не пожалею,
Буйну голову отдам!", -
Раздаётся голос властный
По окрестным берегам.

А она, потупя очи,
Не жива и не мертва,
Молча слушает хмельные
Атамановы слова.

"Волга-Волга, Мать родная,
Волга - русская река!
Не видала ты подарка
От донского казака!"

("Чтобы не было раздора
Между вольными людьми,
Волга, Волга, мать родная,
На, красавицу прими!")

Мощным взмахом поднимает
Он красавицу княжну
И за борт её бросает
В набежавшую волну...

("Что ж вы, братцы, приуныли?
Эй ты, Филька, чёрт, пляши!
Грянем песню удалую
На помин её души!..")

Depuis l’île, au plus fort du courant,
Jusqu’au large, sur les vagues du fleuve,
Fondant les flots de leurs rames,
Courent les vaisseaux aux vives couleurs
De Stenka Razine.
(Les vaisseaux à la proue acérée.)

A l’avant se tient Stenka Razine.
Enlaçant sa princesse assise à ses côtés,
Joyeux et tout grisé,
Il fête ses nouvelles noces.

Derrière eux, un murmure se fait entendre :
"Il nous a échangés contre une femme,
Une seule nuit avec elle a suffi,
Et au matin le voilà lui-même devenu femme."

Le redoutable ataman¹
Entendant ces murmures et ces moqueries
D'une main puissante
Saisit sa princesse persane...

(Ses sourcils noirs se froncent,
Une tempête est à venir.
Les yeux de l’ataman
Se gorgent d’un sang violent.)

"Je donnerai tout, sans regret,
J’offrirai ma tête impétueuse !", -
Sa voix puissante résonne
Le long des rives environnantes.

Et elle, baissant les yeux,
Ni vivante ni morte,
Écoute en silence
Les paroles de l’ataman, pleines d’ivresse :

"Volga-Volga, chère mère,
Volga - fleuve russe !
Tu n'as pas vu encore le cadeau
Que t’offre le Cosaque du Don !"

("Pour éviter la discorde
Entre les hommes libres
Volga, Volga, chère mère,
Tiens, prends la belle !")

Et d’un geste puissant il soulève
La belle princesse
Et la jette par-dessus bord
Dans le flot du courant…

("Pourquoi donc, mes frères, êtes-vous tristes ?
Eh toi, Filka, mon ami, que diable, danse donc !
Entonnons une chanson
En mémoire de son âme !... ")

___
1. Un ataman était un chef de guerre cosaque.

Voici une autre version interprétée par les Chœurs de l’Armée rouge :

Alexeï Sergeev (Алексей Сергеев) et le chœur Alexandrov de l'Armée Rouge (1965)  

Petites-nouvelles-russes - Stenka Razine - Dimitri Sadovnikov
Dimitri Sadovnikov (1847-1883)

Un air sur des paroles originelles du poète Dimitri Sadovnikov :

Avec quelques différences mineures (et quelques raccourcis), la chanson reprend les paroles d'un poème de Dimitri Sadovnikov (Дмитри Николаевич Садовников) (1847-1883) - poète, folkloriste et ethnographe. Le poème, intitulé 'Chanson' (Песния) fut publié en 1883. L’auteur s’inspira de nombreux airs et récits populaires qui circulaient en Russie sur ce personnage quasi-mythique du XVII° siècle, ainsi que des ‘Chants dédiés à Stenka Razine’ (Песни о Стеньке Разине) écrits en 1826 par Alexandre Pouchkine.

La chanson de Stenka Razine (Песния), poème de Dimitri Sadovnikov (1883).
Lecture : Vladimir Antonik (Владимир Антоник)

Песния

Из-за острова на стрежень,
На простор речной волны
Выбегают расписные,
Острогрудые челны.

На переднем Стенька Разин,
Обнявшись с своей княжной,
Свадьбу новую справляет,
И весёлый и хмельной.

А княжна, склонивши очи,
Ни жива и ни мертва,
Робко слушает хмельные,
Неразумные слова.

"Ничего не пожалею!
Буйну голову отдам!" –
Раздаётся по окрестным
Берегам и островам.

"Ишь ты, братцы, атаман-то
Нас на бабу променял!
Ночку с нею провозился –
Сам наутро бабой стал..."

Ошалел... Насмешки, шёпот
Слышит пьяный атаман –
Персиянки полонённой
Крепко обнял полный стан.

Гневно кровью налилися
Атамановы глаза,
Брови чёрные нависли,
Собирается гроза...

"Эх, кормилица родная,
Волга-матушка река!
Не видала ты подарков
От донского казака!..

Чтобы не было зазорно
Перед вольными людьми,
Перед вольною рекою, –
На, кормилица... возьми!"

Мощным взмахом поднимает
Полонённую княжну
И, не глядя, прочь кидает
В набежавшую волну...

"Что затихли, удалые?..
Эй ты, Фролка, чёрт, пляши!..
Грянь, ребята, хоровую
За помин её души!.."

Chanson

Depuis l’île, au plus fort du courant,
Jusqu’au large, sur les vagues du fleuve,
Fondant les flots de leurs rames,
Courent les vaisseaux aux vives couleurs,
A la proue acérée.

A l’avant se tient Stenka Razine.
Enlaçant sa princesse assise à ses côtés,
Joyeux et tout grisé,
Il fête ses nouvelles noces.

Et la princesse, les yeux baissés,
ni vivante ni morte,
Écoute timidement
Les folles paroles de l’ataman ivre :

"Je n’aurai aucun regret !
J’offrirai ma tête impétueuse !"
Ses mots résonnent alentour,
Sur les rives et jusqu’aux îles.

"Voyez donc, mes frères, comment l'ataman
Nous a échangés contre une femme !
Une petite nuit avec elle a suffi,
Et au matin, lui-même est devenu femme..."

Il a perdu la tête... Voilà les railleries,
Les chuchotements qu’entend l’ataman ivre.
Et il enlace de toutes ses forces
La Persane captive aux formes généreuses.

Les yeux de l’ataman
Débordent d’une colère sanguinaire,
Ses sourcils noirs se froncent,
Prémices de tempête...

"Oh, douce nourrice,
Volga-Petite mère !
Tu n'as pas vu encore les présents
Que t’offre le Cosaque du Don ! ..

"Pour ne pas subir l’opprobre
De tous ces hommes libres,
L’opprobre de la rivière qui court librement -
Voilà, nourrice... prends-la !"

Et d’un geste puissant il soulève
La princesse captive
Et, sans un regard, la précipite
Dans le flot du courant…

"Pourquoi ce silence, mes braves ?...
Eh toi, Frol, mon frère²,
Que diable, danse donc !...
Grondez, les gars, chantez en chœur,
A la mémoire de son âme !..."

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2. Frol Razine était le frère cadet de Stenka Razine.

Dimitri Sadovnikov écrivit par ailleurs un autre poème sur ce héros, 'L'ataman et le iessaoul' (Атаман и есаул). Lire (en russe)

Voici une version de la chanson interprétée par le Chœur des Cosaques du Don.

Chœur des Cosaques du Don Sergueï Jarov
(Хор донских казаков Сергея Жарова)

Stenka Razine au cinéma :

Si l’imaginaire populaire s’est emparé très tôt de ce héros, dès son apparition en Russie le cinéma ne fut pas en reste. Ainsi, dès 1908, Stenka Razine fut porté à l’écran dans ce qui est considéré comme le premier film russe, réalisé par Vladimir Romachkov (Владимир Фёдорович Ромашков), sous le titre ‘La liberté en aval [de la Volga]’ (Понизовая вольница).

'La liberté sur la Volga' (Понизовая вольница) - 1908

Le film, muet, de moins d’une dizaine de minutes, projeté pour la première fois à Saint-Pétersbourg, bénéficia à sa sortie d’un accompagnement musical : la Chanson de Stenka Razine (Из-за острова на стрежень...), enregistrée pour l’occasion sur gramophone. Composé par Mikhail Ippolitov-Ivanov (Михаил Михайлович Ипполитов-Иванов), cet air était initialement destiné à une pièce de théâtre écrite par Vassili Goncharov (Василий Михайлович Гончаров).

Petites-nouvelles-russes - Stenka Razine - Affiche
Stenka Razine - affiche du film (1908)

Ce fut là, en l’occurrence, le premier cas attesté de violation du droit d'auteur par un cinéaste. En effet, le producteur du film, Alexandre Drankov (Александр Осипович Дранков), n’avait conclu aucun contrat formel ni avec Vassili Goncharov, l'auteur du scénario original de la pièce de théâtre, ni avec Mikhail Ippolitov-Ivanov, le compositeur de la musique. Peut-être est-ce pour cela que, depuis, la Chanson de Stenka Razine est considérée, la plupart du temps, comme un air du répertoire folklorique et que le nom de son compositeur est passé sous silence. Voici ici que justice lui est rendue !

Source : Stenka Razine - Cinéma russe et soviétique. Lire.

En 1939, Ivan Pravov (Иван Правов) et Olga Preobrajenskaïa (Ольга Преображенская) réalisèrent un long métrage ‘Stéphane Razine’ (Степан Разин), qui n’eut pas, semble-t-il, le succès escompté.

‘Stéphane Razine’ (Степан Разин) 1939, réalisé par
I. Pravov (И. Правов) et O. Preobrajenskaïa (О. Преображенская)