Valse de guerre – Sur les hauteurs de Mandchourie
Sur les hauteurs de Mandchourie
На сопках Маньчжурии
Compositeur : Ilia Alekseïevitch Chatrov (Илья Алексеевич Шатров) 1906
Une valse en souvenir de ceux tombés au combat…
Interprétée par Youlia Zapolskaïa (Юлия Запольская)
A l’origine, partition seulement instrumentale, c’est par la suite que des paroles furent rajoutées.
Une version 'd'avant la Révolution d'octobre' (1917)
d'après les vers de Stepan Petrov (Степан Петров ‘Скиталец’)
Тихо вокруг.
Сопки покрыты мглой.
Вот из-за туч блеснула луна,
Могилы хранят покой.
Белеют кресты —
Это герои спят.
Прошлого тени кружатся вновь,
О жертвах боёв твердят.
Тихо вокруг,
Ветер туман унёс,
На сопках манчжурских воины спят
И русских не слышат слёз.
Плачет, плачет мать родная,
Плачет молодая жена,
Плачут все, как один человек,
Злой рок и судьбу кляня.
Пусть гаолян
Вам навевает сны,
Спите, герои русской земли,
Отчизны родной сыны.
Вы пали за Русь,
Погибли за Отчизну.
Но верьте, мы за вас отомстим
И справим мы славную тризну.
Tout autour c’est le calme.
Les hauteurs sont couvertes de brume.
Derrière les nuages, la lune a frissonné,
Les tombes montent la garde en paix.
Les croix blanchissent -
C’est là que dorment les héros.
Les ombres du passé à nouveau surgissent
Rappelant les victimes des anciennes batailles.
Tout autour c’est le calme.
Le vent a emporté le brouillard,
Sur les hauteurs, les soldats de Mandchourie
Dorment sans entendre les larmes russes.
Elle pleure, elle pleure la mère,
Elle pleure la jeune épouse,
Tous pleurent comme un seul être,
Maudissant le mauvais sort et le destin.
Que les hautes herbes¹
Vous apportent le sommeil.
Dormez, héros de la terre russe,
Fils de la Mère-patrie.
Vous êtes tombés pour la Russie,
Vous êtes morts pour la Mère-patrie
Mais soyez sûrs que nous vous vengerons
Et partagerons pour vos funérailles un repas de gloire².
2- La tradition funéraire russe orthodoxe veut qu’une offrande de nourriture est faite au défunt.
«… Le lendemain du décès la maîtresse de maison, ayant fait cuire une galette de seigle, la portait au défunt en disant ‘Monsieur mon père, Madame ma mère, voici une galette pour ton déjeuner, tu n’as pas dîné chez moi hier et aujourd’hui tu n’as pas pris de déjeuner’... » in Kremleva, I. A., Les rites funéraires chez les Russes : un lien entre les vivants et les morts, Cahiers slaves Année 1997 1 pp. 132-133 – Source : Portail Persée.
Quelques mots sur l’histoire de cette valse
Ilia Chatrov (Илья Алексеевич Шатров) (1879-1952), fut l’un des 7 musiciens rescapés parmi les 60 membres l’orchestre de son régiment lors de la bataille de Moukden (Мукденское сражение), durant le conflit russo-japonais de 1904-1905. Son régiment, encerclé par les troupes nippones, fut décimé et seuls 700 hommes sur 4 000 survécurent. Une année plus tard, Ilia Chatrov compose une valse dédiée aux hommes de son régiment tombés au combat sous le titre : ‘Le Régiment Mokchanski sur les hauteurs de Mandchourie’ (Мокшанский полк на сопках Маньчжурии).
Dès 1906, le poète Stepan Petrov (dit le Chemineau, celui qui voyage et vagabonde) (Степан Петров ‘Скиталец’) y ajouta les premières paroles. Un texte original qui, semble-t-il, n’a pas survécu.
La référence au régiment Mokchan, voulue par le compositeur, disparut par la suite du titre de l’œuvre…
A partir de ces premières paroles, différentes versions (avant et après la Révolution d’octobre, avant et après la Seconde guerre mondiale, avant et après la fin de l’URSS) ont été réécrites et il est parfois bien difficile d’en connaître les paroliers (Lire en russe). Voici trois autres versions, dont la dernière, très contemporaine, a été écrite en 2017, soit plus d’un siècle après la composition de la valse originelle par Ilia Chatrov…
Version ‘d’après la Révolution d’Octobre’ (1920)
Sur des paroles d’Alexeï Machistov (Алексей Машистов)
Interprétée par Dmitri Hvorostovski (Дмитрий Хворостовсий)
Ночь подошла,
Сумрак на землю лёг,
Тонут во мгле пустынные сопки,
Тучей закрыт восток.
Здесь, под землёй
Наши герои спят
Песню над ними ветер поёт
И звёзды с небес глядят.
То не залп с полей пролетел —
Это гром вдали прогремел.
И опять кругом всё спокойно,
Всё молчит в тишине ночной.
Спите бойцы,
Спите спокойным сном.
Пусть вам приснятся нивы родные,
Отчий далёкий дом.
Пусть погибли вы в боях с врагами,
Подвиг ваш к борьбе нас зовёт!
Кровью народной омытое знамя
Мы понесём вперёд!
Мы пойдём навстречу новой жизни,
Сбросим бремя рабских оков!
И не забудут народ и Отчизна
Доблесть своих сынов!
Спите, бойцы,
Слава навеки вам.
Нашу отчизну, край наш родимый
Не покорить врагам!
Ночь. Тишина.
Лишь гаолян шумит.
Спите, герои, память о вас
Родина-мать хранит.
La nuit est venue,
Le crépuscule a recouvert le sol,
Les hauteurs désertes se noient dans les ténèbres,
L’orient se couvre de nuages.
Ici, sous terre
Nos héros dorment
Le vent chante au-dessus d'eux
Et les étoiles les regardent du ciel.
Alors ce n’était pas une salve de canon -
C’était le tonnerre au loin sur les champs.
Puis de nouveau tout autour le calme,
Tout se tait dans le silence de la nuit.
Dormez, vous les soldats !
Dormez d’un sommeil tranquille.
Puissiez-vous rêver des champs de la patrie,
Et de la lointaine maison paternelle.
Qu’au moins, si vous deviez périr au combat avec nos ennemis,
Vos exploits nous appellent à combattre !
Nous porterons plus avant
Votre étendard trempé du sang du peuple !
Nous irons à la rencontre d'une vie nouvelle,
Déchargés du fardeau des chaînes de l’esclave !
Et le peuple et la Patrie n'oublieront pas la
Vaillance de leurs fils !
Dormez, combattants,
Gloire à vous pour toujours.
Les ennemis ne pourront soumettre
Notre patrie, notre chère terre !
Nuit. Silence.
Seules hautes herbes bruissent.
Dormez, héros,
La Mère-Patrie garde le souvenir de vous.
Notons ici la ‘disparition’ du nom de la ‘mère-patrie’ : la Russie (Русь), présente dans les versions d’avant la fondation de l’URSS.
Version de 1945 sur des paroles Pavel Choubine (Павел Шубин)
En 1945, аprès la Seconde guerre mondiale et la défaite du Japon (alors que la guerre russo-japonaise de 1904-1905 s’était soldée par une victoire de ce dernier), Pavel Choubine (Павел Шубин), - poète et journaliste, correspondant de première ligne pendant la Grande Guerre patriotique et la guerre soviéto-japonaise - , ‘réactualisa’ le texte…
Меркнет костёр,
Сопки покрыл туман.
Лёгкие звуки старого вальса
Тихо вёдет баян.
С музыкой в лад,
Припомнил герой-солдат
Росы, берёзы, русые косы,
Девичий милый взгляд
Там, где ждут сегодня нас,
На лугу в вечерний час,
С самой строгою недотрогою
Танцевали мы этот вальс.
Вечера свиданий робких
Давно прошли и скрылись во тьму...
Спят под луною маньчжурские сопки
В пороховом дыму.
Мы сберегли
Славу родной земли.
В битвах жестоких мы на Востоке,
Сотни дорог прошли.
Но и в бою,
В дальнем чужом краю,
Припоминаем в светлой печали
Родину-мать свою.
Далека ах, далека
В этот миг от огонька.
В ночи хмурые из Маньчжурии
Уплывают к ней облака.
В тёмный простор,
Мимо ночных озёр,
Легче, чем птицы, выше границы
Выше сибирских гор.
Покидая край угрюмый,
Летят за нами в радостный путь
Все наши самые светлые думы,
Наша любовь и грусть.
Le feu s’éteint,
Le brouillard a recouvert les hauteurs.
L'accordéon joue doucement
Le son léger d’une vieille valse.
Dans un accord de musique
Ressurgit le souvenir du soldat héros :
Celui de la rosée, des bouleaux, des tresses châtain,
Et le jolie regard de son amour.
Aujourd’hui, là-bas, on nous attend :
Dans les prairies, à l’heure du soir.
Là où nous dansions cette valse
Au bras de la plus timorée d’entre toutes.
Timides soirées de rendez-vous
Depuis longtemps disparues dans l'obscurité ...
Les hauteurs de Mandchourie dorment sous la lune
Dans la fumée et la poudre des armes.
Nous avons protégé
La gloire de notre terre natale.
Au travers de batailles féroces, en Orient,
Nous avons cheminé par des centaines de routes.
Et même durant les combats,
Sur cette lointaine terre étrangère
Nous gardons en mémoire, remplis de chagrin,
Le souvenir de notre mère-patrie.
Dans les nuits sombres de Mandchourie
Les nuages courent vers elle,
Si lointaine, si lointaine,
Ici, à ce moment, autour d’un petit feu,
Passant au-dessus des lacs nocturnes,
Dans les grands et sombres espaces
Plus légers que les oiseaux, par-delà la frontière
Plus haut que les montagnes de Sibérie.
Quittant cette sombre contrée,
Toutes nos pensées les plus lumineuses,
Notre amour et notre tristesse,
S’envolent avec nous sur un chemin de joie.
Version de 2017 sur des paroles de Guennadi Venediktov (Геннадий Венедиктов)
Une volonté de 'restaurer la justice historique' (Восстановление исторической справедливости)
Voici une dernière version, bien plus récente. Le parolier, Guennadi Venediktov (Геннадий Венедиктов) s’est départi du texte original de Stepan Petrov et a tenté un nouveau récit qui, selon lui, retrace 'la vérité historique' de la bataille qui inspira le compositeur Ilia Chatrov.
Ecrit plus d’un siècle après cet événement, l’auteur a tenter de retrouver, si ce n’est les mots de l’époque, tout au moins la graphie puisque le texte est rédigé avec l’orthographe russe d’avant la réforme ‘révolutionnaire’ adoptée en 1918.
Въ утренней мглѣ
Горнъ проигралъ сигналъ.
Сопокъ уснувшихъ чуткій покой
Маршъ боевой взорвалъ.
Шквальный огонь
Встрѣтилъ пѣхоты цѣпь.
Дыбомъ предъ ней вставала земля,
Въ небѣ рвалась шрапнель.
Замолчалъ альтистъ молодой,
Еле слышенъ маршъ боевой,
И корнетъ умолкъ, и валторна,
Лишь играетъ трубачъ сѣдой.
Вверхъ и впередъ!
Близокъ окоповъ рядъ.
Гибель свинецъ навстрѣчу несетъ,
Но нѣтъ намъ пути назадъ.
Рукопашный бой удалый
Разыгрался въ морѣ огня –
Врагъ не забудетъ день схватки кровавой,
Русскій нашъ штыкъ кляня.
Вѣнскій вальсъ оркестру полковому
Въ паркѣ городскомъ не играть.
И трубачу и альтисту младому
Въ сопкахъ судьба лежать.
Горечь утратъ
Болью сжимаетъ грудь:
Павшихъ героевъ тѣни кружатъ –
Вальсъ навѣваетъ грусть.
Спите, бойцы,
Вѣчная память вамъ –
Нерукотворный всталъ къ небесамъ
Славы нетлѣнный Храмъ.
И не крестъ на сопкахъ стоитъ,
Не гранитъ покой вашъ хранитъ.
О бояхъ и товарищахъ павшихъ
Вальсъ Маньчжурскій въ сердцахъ звучитъ.
Dans la brume matinale
Le clairon a sonné.
Le son de la marche a déchiré
Le silence des hauteurs endormies.
Un feu nourri
A frappé la ligne d'infanterie.
La terre a jailli devant elle,
Des éclats d'obus ont explosé dans le ciel.
Le jeune altiste s’était tu,
La marche de bataille était à peine audible,
On n’entendait ni le son du cornet ni le cor d’harmonie,
Seul jouait le trompettiste aux tempes grises.
Allez ! en avant !
Jusqu’à la prochaine tranchée !
A la rencontre du plomb qui nous tuera :
Sans pouvoir faire demi-tour !
Combats au corps à corps
Dans une mer de feu -
L'ennemi n'oubliera pas ce jour sanglant
Maudissant nos baïonnettes russes.
Désormais, l’orchestre du régiment ne joue plus
Cette valse de Vienne dans les jardins publics :
Le trompettiste et le jeune altiste reposent
A présent sur ces hauteurs, tel est leur destin.
L’amertume de la perte
Nous étreint la poitrine de douleur :
Les ombres des héros déchus tournent autour de nous,
La valse inspire à la tristesse.
Dormez, vous les combattants !
A vous notre éternelle mémoire -
Sanctuaire impérissable de votre gloire
Qui s’élève, immatériel, vers le ciel.
Et il n'y a pas de croix sur les hauteurs,
Aucune pierre de granit pour vous garder en paix.
Seule la valse mandchoue résonne dans nos cœurs
Nous rappelant nos camarades tombés au combat.
Lire les paroles transcrites en russe moderne.
Pour en savoir plus :
Voir (en russe) : https://youtu.be/Y2H0kn4vD30
Lire (en russe) : https://alski.spb.ru/files/articles/proschanie_essay.pdf