• Valse de guerre – Les vagues…

    Petites nouvelles russes - Valse de guerre - Danube - les Portes de fer
    Le Danube près des Portes de fer en Roumanie

    Les vagues du Danube - Дунайские волны

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    Titre original :

    Valurile Dunării (en roumain), Дунавски валови (en serbe)


    Compositeur : Iosif/Ion Ivanovici (1880)

    Auteur des paroles en russe : Ievgueni Dolmatovski (Евгений Долматовский) (1948)

    Une valse pas tout à fait russe… !

    A l’origine, partition seulement musicale, par la suite plusieurs paroliers russes ont ajouté leur vers. La version que nous vous présentons évoque ici, bien entendu, la guerre et ses soldats. Elle a été écrite par le poète russe Ievgueni Dolmatovski (Евгений Долматовский) après la Seconde guerre mondiale. Elle évoque la 'libération' par les troupes soviétiques des pays parcourus par le grand fleuve...

    Видел, друзья, я Дунай голубой,
    Занесён был сюда я солдатской судьбой.
    Я не слыхал этот вальс при луне,-
    Там нас ветер качал на Дунайской волне.

    Видел отважных советских ребят,
    Славных друзей и хороших солдат.
    Тех, что на Волге сраженье вели
    И на Дунай пришли.

    Девушки нежно смотрели им вслед,
    Шли они дальше дорогой побед
    И отражением Волжской волны
    Были глаза полны.

    Нынче друзья собрались за столом,
    О знакомых местах, о Дунае споем.
    В жарких боях защитив этот край,
    Мы свободу твою отстояли, Дунай!

    J'ai vu, mes amis, le Danube bleu,
    J’ai été amené jusque là par le sort du soldat.
    Je n'ai pas entendu cette valse au clair de lune, -
    Là, le vent nous a bercés sur les vagues du Danube.

    J'ai vu de braves garçons soviétiques
    De bons amis et de bons soldats.
    Ceux qui ont combattu sur la Volga
    Et qui ont atteint le Danube.

    Les filles les regardaient avec tendresse,
    Ils sont allés toujours plus loin sur la route des victoires,
    Leurs yeux reflétant les flots de la Volga.
    .
    Aujourd'hui mes amis, réunis autour d’une table,
    Nous chanterons ces lieux qui nous sont familiers,
    Nous chanterons le Danube.
    Après avoir défendu cette terre dans d’âpres batailles,
    Au combat, nous avons sauvé ta liberté, ô Danube !

    "Au combat, nous avons sauvé ta liberté, ô Danube !"...

    Cette valse fut composée en 1880 par Iosif/Ion Ivanovici, Roumain d’origine serbe, qui occupait à l’époque le poste de chef d'orchestre de la fanfare du 6e régiment d'infanterie roumaine de Galati en Roumanie, aux portes du delta du Danube. La valse devint dans les années qui suivirent internationalement célèbre.

    En Russie, cette valse a toujours été très populaire, et même pendant longtemps, elle fut considérée comme une ancienne valse russe, publiée comme telle dans les éditions musicales. (Ah ! ces Russes qui allègrement font fi des droits d’auteur !)

    En 1886, Iosif/Ion Ivanovici (Ион Иванович) visite la Russie tsariste, Moscou et Saint-Pétersbourg. C'est là qu’il se rendit compte combien sa valse était jouée dans l’Empire du Tsar Alexandre III. En souvenir de son séjour dans ce pays, Ivanovici composa de nouvelles valses : "Souvenirs de Moscou", "Un Rêve sur la Volga" et "Au bord de la Neva".

    Source (en russe) : la création de la valse'.

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    Voici une autre valse évoquant un autre grand fleuve, celui-ci s'écoulant plus à l'est, en Extrême-orient russe...

    Les vagues de l’Amour – Амурские волны

     

    Compositeur : Max Kuss (Макс Авелевич Кюсс)
    1909 - peut-être auparavant ?

    Auteurs : Constantin Vasiliev et Sérafim Popov (Константин Васильев и Серафим Попов)
    (1944 ? Premier enregistrement 1952)

    Плавно Амур свои волны несёт,
    Ветер сибирский им песни поёт.
    Тихо шумит над Амуром тайга,
    Ходит пенная волна
    Пенная волна плещет,
    Величава и вольна.

    Там, где багряное солнце встаёт,
    Песню матрос об Амуре поёт.
    Песня летит над широкой рекой,
    Льётся песня широко
    Песня широко льётся,
    И несётся далеко.

    Красоты и силы полны,
    Хороши Амура волны.
    Серебрятся волны
    Серебрятся волны,
    Славой Родины горды.
    Плещут, плещут, силы полны,
    И стремятся к морю волны.
    Серебрятся волны
    Серебрятся волны,
    Славой русскою горды.

    Красива Амура волна,
    И вольностью дышит она.
    Знает волна —
    Стерегут её покой.
    Спокойны реки берега,
    Шумит золотая тайга.
    Дышит волна
    Её чудной красотой.

    Величав Амур седой,
    Мы храним его покой.
    Корабли вперёд плывут,
    Волны бегут и бегут:
    Ты шуми, Амур родной.
    Ты шуми седой волной,
    В грозном беге прославляй
    Наш советский вольный край.

    Плавно Амур свои волны несёт,
    Ветер сибирский им песни поёт.
    Тихо шумит над Амуром тайга,
    Ходит пенная волна
    Пенная волна плещет,
    Величава и вольна.

    Doucement le fleuve Amour porte ses vagues au loin,
    Le vent de Sibérie leur chante des chansons.
    La taïga bruisse tranquillement sur l'Amour,
    Dont les flots écumants
    S’en vont, éclaboussant,
    Majestueux et libres.

    Là où le soleil rougeoyant se lève,
    Sur l’Amour le matelot chante une chanson.
    Son chant s'envole au-dessus du large fleuve,
    Son chant s'écoule vers le large,
    Vers le large il s'écoule,
    Emporté au loin.

    Emplies de beauté et de force,
    Sont les vagues de l’Amour, si généreuses.
    Ses vagues sont d'argent,
    Argentés sont ses flots,
    Fiers de porter la gloire de la Patrie.
    Ils jaillissent et éclatent, pleins de force,
    S'élançant vers la mer.
    Ses flots sont d'argent,
    Argentées sont ses vagues,
    Fières de porter la gloire de la Russie.

    Belle vague du fleuve Amour,
    Qui respire en toute liberté,
    Vague qui connaît bien
    Ceux qui veillent sur elle.
    Les rives du fleuve sont tranquilles,
    La taïga dorée bruisse.
    Et les vagues respirent
    De leur merveilleuse beauté.

    Nous protégeons le fleuve Amour,
    Aux vagues grises, si majestueux.
    Les bateaux s’avancent,
    Les vagues courent et courent :
    Résonne, notre cher Amour !
    Sois bruyant avec tes vagues grises,
    Dans leur course formidable
    Glorifie notre libre terre soviétique !

    Doucement le fleuve Amour porte ses vagues au loin,
    Le vent de Sibérie leur chante des chansons.
    La taïga bruisse tranquillement le long du fleuve Amour
    Dont les flots écumants
    S’en vont, éclaboussant,
    Majestueux et libres.

    Petites nouvelles russes - Les voiles écarlates - Grine - Un grand coeur d'amour

    Valse de guerre ou… valse d’amour ?

    Dans nos oreilles françaises, ce nom : ‘Amour’ signifie avant tout… amour (‘любовь’ en russe). Pour les Russes, il évoque d’abord le long fleuve de plus de 4 300 kilomètres qui marque aujourd'hui la frontière entre la Russie et la Chine*.

    J’émets ici la supposition que pour certains Russophones le mot ‘Amour’ (Амур) évoque peut-être aussi le mot français et sa connotation romantique. C’est ainsi, de mon côté, que je l’ai tout d’abord perçu. Amour et Guerre ne font-ils pas souvent bon ménage ? En Mésopotamie Ishtar était à la fois déesse de l’un et de l’autre, et dans la mythologie grecque et romaine Aphrodite / Vénus, déesse de l'amour, femme infidèle d'Héphaïstos / Vulcain, le dieu forgeron, difforme et boiteux, ne fut-elle pas l'amante éphémère de Mars / Arès, le dieu de la guerre ?

    * Le nom du fleuve Amour (Амур) proviendrait d'un terme autochtone signifiant ‘grande rivière’ (ou bien ‘boueux’, ce qui est moins romantique...)

    Brève histoire de la valse…

    La partition musicale fut composée en 1909 (peut-être auparavant à la veille de la guerre russo-japonaise de 1904-1905) par Max Kuss (Макс Авелевич Кюсс), chef de l’orchestre militaire du 11e régiment de Sibérie orientale, stationné alors à Vladivostok.

    Titrée d’abord 'La baie d’amour du fleuve Amour' (Амурский залив любви), elle devint populaire dans la première partie du XX° siècle sous sa forme instrumentale puis fut oubliée. Elle connaîtra une seconde jeunesse, devant en quelque sorte ‘l’hymne’ de l’Extrême-orient soviétique, lorsque des paroles lui furent ajoutées dans le milieu des années 1940 par l'acteur Serafim Popov (Серафим Александрович Попов), texte quelque peu ‘revisité’ par le chanteur-soliste de l’orchestre de la Flotte de la Baltique Constantin Vasiliev (Константин Васильев).

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    Source (en russe) : L'histoire d'une chanson.

  • Valse de guerre – Les bouleaux de Russie – suite

    Petites nouvelles russes - Valse de guerre - Les bouleaux de Russie

    Les bouleaux de Russie (suite)

    Le bouleau (l’arbre) est intimement lié à la culture russe...

    Мы переехали горы, и первый предмет, поразивший меня, была берёза, северная берёза! сердце моё сжалось…’ А. Пушкин.

    ‘Nous franchîmes les montagnes, et la première chose qui me frappa ce furent les bouleaux, les bouleaux septentrionaux ! mon cœur alors se serra…’ Alexandre Pouchkine.

    Source : 'Pourquoi le bouleau est-il considéré comme un symbole en Russie ? ’Lire en russe.

    Interprétée en 1961 par Alexeï Ousmanov et Victor Selivanov
    (Алексей Усманов и Виктор Селиванов)

    Les bouleaux (Берёзы) 1959


    Paroles de Vladimir Lazarev - Musique de Marc Fradkine

    Слова: Владимир Лазарев - Музыка: Марк Фрадкин

    Я трогаю русые косы,
    Ловлю твой задумчивый взгляд.
    Над нами весь вечер берёзы
    О чем-то чуть слышно шумят.
    Берёзы, берёзы,
    Родные берёзы не спят.

    Быть может, они напевают
    Знакомую песню войны,
    Быть может, они вспоминают
    Суровые годы войны?
    Берёзы, берёзы,
    Родные берёзы не спят.

    Неужто свинцовой метелью
    Земля запылает окрест
    И снова в солдатских шинелях
    Ребята уйдут от невест?
    Берёзы, берёзы,
    Родные берёзы не спят.

    Я трогаю русые косы,
    Ловлю твой задумчивый взгляд.
    Не спят под Москвою берёзы,
    В Париже каштаны не спят.
    Берёзы, берёзы,
    Родные берёзы не спят.

    Je caresse tes tresses châtain-clair
    Je saisis ton regard pensif.
    Toute la soirée, au-dessus de nous les bouleaux
    Bruissent d’un murmure à peine audible.
    Bouleaux, bouleaux,
    Nos chers bouleaux ne dorment pas.

    Peut-être qu'ils fredonnent
    Un air martial familier,
    Peut-être se souviennent-ils
    Des dures années de guerre ?
    Bouleaux, bouleaux,
    Nos chers bouleaux ne dorment pas.

    Tout autour, par un blizzard de poudre et de plomb,
    La terre s’enflammera-t-elle,
    Et qu’encore vêtus de leur uniforme
    Les garçons devront-ils quitter leur promise ?
    Bouleaux, bouleaux,
    Nos chers bouleaux ne dorment pas.

    Je caresse tes tresses châtain-clair
    Je saisis ton regard pensif.
    Tout autour de Moscou les bouleaux ne dorment pas,
    A Paris les marronniers ne dorment pas.
    Bouleaux, bouleaux,
    Nos chers bouleaux ne dorment pas.

    Quelques mots sur cette chanson...

    Chanson extraite du film ‘Le premier jour de paix’ (Первый день мира) réalisé en 1959 par Jacob Segel (Яков Сегель) qui relate le retour dans son village le soldat Mikhaïl Platonov aux premiers jours de paix, en 1945. Mais l’écho de la guerre est encore dans toutes les têtes et les mémoires, et la machine infernale de la haine ne peut s'arrêter tout de suite. Mikhaïl mourra à la veille de l'aube d’un monde fait d’amours inassouvis, de rêves inassouvis… (Visionner)

    ***

    Bouleau de Russie – Russie des bouleaux (Берёза-Россия)


    Paroles de Andreï Govrilov - Musique de Boris Chapiro

    Слова: Андрей Гаврилов - Музыка: Борис Шапиро

    Я дерево видел в затихшем лесу
    И память о нём в своём сердце несу.
    Берёза.

    Сквозь каску бойца она проросла
    И сколько в ней грусти и сколько тепла. Берёза.

    Как будто узнала о том, что весной
    Весною военной, весной грозовой
    Убит здесь мальчишка, ровесник мой.

    В отверстии от пули зелёный росток
    Кривясь и царапаясь выбрался, смог.
    Берёза.

    Хотя ему было совсем невдомёк
    Что горе как дыма берёзовый сок.
    Берёза.

    Природа привычкам своим верна
    Весною другая сменилась весна
    И в воздухе мирный берёзовый запах.
    Война уходила на запад, на запад
    Берёза-Россия, Россия-берёза!

    Я дерево видел в затихшем лесу
    И память о нём в своём сердце несу.
    Берёза.

    Какую же веру в себе обрести
    Чтоб через железо до звёзд прорасти.
    Берёза.

    Я верю в берёзу, я верю в Россию
    И если придётся – все грозы осилю
    Я верю в берёзу, я верю в Россию
    Я грозы осилю, я верю в Россию!

    J'ai vu un arbre dans une forêt paisible
    Et je garde son souvenir dans mon cœur.
    Bouleau...

    Il a poussé, transperçant le casque du soldat ;
    Oh combien en lui de tristesse et de chaleur il y a !
    Bouleau...

    Comme s’il avait su qu'au printemps
    - Un printemps martial, un printemps orageux -
    Un garçon de mon âge était tombé ici.

    Une pousse verte s’est extirpée et a poussé
    Par le trou laissé par la balle.
    Bouleau...

    Ignorant, inconscient du chagrin,
    Telle les vapeurs de son eau, de sa sève¹.
    Bouleau…

    La nature est fidèle et a ses habitudes :
    Le printemps a fait place à un autre printemps
    Et un parfum de bouleau, paisible, est dans l'air.
    La guerre s’en est allée à l'ouest, plus à l'ouest.
    Bouleau de Russie, Russie des bouleaux !

    J'ai vu un arbre dans une forêt paisible
    Et je garde son souvenir dans mon cœur.
    Bouleau...

    Combien de confiance lui faut-il
    Pour qu’il puisse ainsi croître à travers le métal
    Et rejoindre les étoiles ! Bouleau...

    Je crois au bouleau, je crois en la Russie
    Et, s'il le faut, je surmonterai tous les orages
    Je crois au bouleau, je crois en la Russie
    Je surmonterai les orages, je crois en la Russie !

    1- Les Russes emploient la sève du bouleau comme boisson ou, en y ajoutant du houblon et de la levure, en tirent une sorte de bière.

    ***

    Aujourd’hui encore, au XXI° siècle, cette image du bouleau comme symbole de la Russie, d’une Russie profonde liée à la terre et aux arbres, reste vivace…

    Les bouleaux (Берёзы) 2002


    Paroles de Mikhaïl Andreev - Musique d'Igor Matvienko

    Слова: Михаил Андреев - Музыка: Игор Матвиенко

    Отчего так в России берёзы шумят,
    Отчего белоствольные всё понимают,
    У дорог, прислонившись, по ветру стоят,
    И листву так печально кидают.

    Я пойду по дороге, простору я рад
    Может это лишь всё, что я в жизни узнаю,
    Отчего так печальные листья летят,
    Под рубахою душу лаская

    А на сердце опять горячо, горячо,
    И опять и опять без ответа
    А листочек с берёзки упал на плечо
    Он как я оторвался от веток

    Посидим на дорожку родная с тобой
    Ты пойми я вернусь, не печалься не стоит
    И старуха махнёт на прощанье рукой
    И за мною калитку закроет

    Отчего так в России берёзы шумят,
    Отчего хорошо так гармошка играет,
    Пальцы ветром по кнопочкам враз пролетят,
    А последняя, эх, западает.

    А на сердце опять горячо, горячо,
    И опять и опять без ответа,
    А листочек с берёзки упал на плечо,
    Он как я оторвался от веток

    (Два раза)

    Pourquoi les bouleaux bruissent-ils si fort en Russie,
    Pourquoi leur tronc blanc comprend-il tout,
    Au bord des routes, adossés au vent, ils se tiennent debout,
    Et dispersent-ils leurs feuilles si tristement.

    Je vais suivre la route, je suis heureux d'être dans ces vastes espaces.
    Peut-être, de la vie, est-ce juste tout ce que j’apprendrai :
    Pourquoi ces feuilles tristes s’envolent-elles
    Et viennent-elles jusque sous ma blouse afin de caresser mon âme...

    Et sur mon cœur à nouveau, si chaudement,
    Et encore et toujours sans donner de réponse,
    Du bouleau une feuille est tombée sur mon épaule ;
    Elle, comme moi, détachée de sa branche.

    Prenons le temps, ma mère, avant que je m’en aille...
    Tu sais que je reviendrai : ne sois pas triste !
    Et la vieille me fera ses adieux
    Et derrière moi refermera la porte.

    Pourquoi les bouleaux bruissent-ils si fort en Russie,
    Pourquoi le bandonéon joue-t-il si bien ?
    Les doigts comme le vent survoleront tous les boutons,
    Et seul le dernier, hélas, lui se bloquera !

    Et sur mon cœur à nouveau, si chaudement,
    Et encore et toujours sans donner de réponse,
    Du bouleau une feuille est tombée sur mon épaule ;
    Elle, comme moi, détachée de sa branche.

    (Bis)

    La chanson fut interprétée dans la série télévisuelle ‘Le poste de police’ (Участок), réalisé par Alexandre Baranov (Александр Баранов) en 2003, racontant les démêlés au quotidien d’un lieutenant de police affecté dans un district rural. Visionner.

  • Valse de guerre – Les bouleaux de Russie

    Comme les Gaulois avaient le chêne,
    les Russes célèbrent les bouleaux, dans leur imaginaire...

    Le jeune bouleau - Берёзка

    (1906)


    Compositeur : Evguéni Dreizine (Евгений Дрейзин)

    Auteur des paroles : Alexandre Bézymenski (Александр Безыменский)

    A l’origine, partition seulement instrumentale, c’est par la suite que des paroles furent rajoutées.

    Средь сосен суровых, меж тёмных ракит
    В серебряном платье берёзка стоит.
    Склонились деревья, цветы и кусты
    Пред гордым величьем её красоты.

    И нежна, и стройна, и всегда величава она.
    Весела и светла, и земле родной верна.

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    Чу! Шелестит листва густая…
    Это она, берёзка родная,
    Милой земле в ответ
    Посылает любовь и привет.

    Только лишь встретишься с нею,
    Сердце забьётся сильнее.
    Сердце! Ведь всегда с тобой
    Образ берёзки родной.

    Средь сосен суровых, меж тёмных ракит
    В серебряном платье берёзка стоит.
    Склонились деревья, цветы и кусты
    Пред гордым величьем её красоты.

    И не зря наш народ о берёзоньке
    песни поёт.
    Целый мир обойдёшь, но такой
    красоты не найдёшь.

    Символ родины, символ России.

    Parmi les pins sévères, parmi les saules obscurs
    Il y a un jeune bouleau dans sa robe d'argent.
    Les arbres, les fleurs et les buissons se courbent
    Devant la fière majesté de sa beauté.

    Et tendre, et mince, l’arbrisseau reste toujours digne,
    Joyeux et lumineux, fidèle à sa terre natale.

    Chut ! Le feuillage épais bruisse...
    C'est lui, ce cher bouleau,
    Qui adresse à la douce terre
    Des mots d'amour et de salutations.

    Juste le revoir à nouveau,
    Le cœur battant plus fort :
    Toi mon cœur, qui gardes toujours
    L'image de ce cher petit arbre !

    Parmi les pins sévères, parmi les saules obscurs
    Il y a un jeune bouleau dans sa robe d'argent.
    Les arbres, les fleurs et les buissons se courbent
    Devant la fière majesté de sa beauté.

    Ce n'est pas sans raison que notre peuple te chante, jeune bouleau :
    Même en faisant le tour du monde entier, vous ne trouverez nulle part une telle beauté !

    Toi, symbole de la terre natale, symbole de la Russie…

    Petites nouvelles russes - Valse de guerre - Dessin d'enfant
    Une jeune fille - bouleau

    Une valse qui ne parle pas de guerre...

    Précisons ici d'emblée que le bouleau (берёза), l'arbre, en russe est féminin : 'une bouleau' aurais-je dû traduire... En Russie dans de nombreuses chansons et poèmes, les jeunes filles, les jeunes femmes sont très souvent comparées à cet arbre. On dit d'elles qu'elles sont douces, élancées, majestueuses... comme un bouleau !

    Le thème de la chanson s'inscrit donc dans cette comparaison : jeune bouleau = jolie jeune fille...

    Cette valse ne nous parle donc pas de guerre, de soldats en bataille, d'attentes mêlées d'angoisse ou de nostalgie autour d'un bivouac. Non : elle parle d'un jeune arbre, d'un petit arbre, pour évoquer l'image d'une jolie jeune fille, comme un poète français de la Renaissance nous parlerait d'une rose pour décrire une beauté ravissante et fragile...

    Après la Révolution d'Octobre, la chanson se fana et tomba dans l'oubli...

    Il faudra ensuite attendre les années soixante pour que cette vieille valse resurgisse dans les mémoires russes. Le film 'Le printemps des jeunes filles' (Девичья весна), coréalisé par Benjamin Dormane (Вениамин Дорман) et Henrich Oranessian (Генрих Оганесян), en 1960, lui rendit une nouvelle jeunesse : la valse y accompagne gracieusement un ballet de jeunes femmes, telle une danse des fleurs (en l'occurrence, ici, de jeunes bouleaux !).

    Pourquoi alors une 'valse de guerre' ?

    Il faut se pencher pour le savoir sur son compositeur, Evguéni Dreizine (Евгений Mikhaĭlovich Дрейзин) - 1878-1932 -, et sur les circonstances de sa composition.

    En 1903, après avoir achevé la classe de violon du Conservatoire impérial de Moscou, il rejoint L'Extrême-Orient russe et embarque, en tant que civil, comme chef de musique sur le croiseur Askold (крейсер 'Аскольд') de l'escadre du Pacifique. Chaque bataillon, chaque corps d’armée étaient à l’époque accompagnés d’un orchestre militaire.

    Petites nouvelles russes - Valse de guerre - Дрейзин

    Une valse écrite en captivité

    Le 8 février 1904, le Japon attaque par surprise l'escadre navale de Port-Arthur.

    C’est le début de la guerre russo-japonaise (1904-1905). Evguéni Dreizine et ses musiciens jouent alors sur les champs de bataille marches militaires et autres musiques pour porter et soutenir les soldats, les musiciens se retrouvant souvent au milieu des combats.

    "...les cuivres de l'orchestre brillaient au soleil et on entendait les sons revigorants de la musique militaire. C'était le régiment de fusiliers de Sibérie orientale..." (Extrait du roman d'Alexandre Stepanov (Александр Николаевич Степанов) 'Port-Arthur' (Порт-Артур) publié en 1940-1942 - Lire en ligne)

    La guerre s'acheva sur une lourde défaite de l'Empire russe. Port-Arthur capitulera en janvier 1905. Les militaires survivants furent faits prisonniers. Bien que civil, Evguéni Dreizine, resta volontairement auprès des troupes russes captives des Japonais. C'est lors de cette détention - qui s'acheva en 1906 - qu'il composa sa valse 'Le jeune bouleau' (Берёзка), comme un appel, un élan d'amour pour sa terre natale, pour la Russie, évoquant sa nature unique, sa beauté.

    Petites nouvelles russes - Valse de guerre - La croix de Saint-Georges
    La Croix de Saint-Georges

    Après son retour de captivité, Evguéni Dreizine sera de nouveau enrôlé : en 1911, il est nommé chef d'orchestre principal division dans la région d'Irkousk. Pour sa bravoure durant le siège de Port-Arthur, Evguéni Dreizine reçut la Croix de Saint-Georges récompensant ses mérites militaires.

    Plus tard, durant la Première guerre mondiale, il dirigera l'orchestre de son régiment sur le front russo-allemand. En 1916, la quatrième édition de sa valse fut annotée de la mention : "Armée d'active" (Действующая армия)...

    Les origines du thème de la valse

    Les premières notes de la valse sont reprises d'une œuvre de jeunesse, "Cœur brisé" (Разбитое сердце), composée en 1848 par le pianiste, compositeur et chef d'orchestre russe Anton Rubinstein (Антон Григорьевич Рубинштейн) 1829-1894, une romance accompagnant les vers de l'Allemand Rudolf Löwenstein - 'Ich sah' mal Blimle...' - adaptés en russe par Viktor Krylov (Виктор Крылов).

    Cœur brisé - Разбитое сердце

    (1848)

     

    Compositeur : Anton Rubinstein (Антон Григорьевич Рубинштейн)
    Sur des vers de Rudolf Löwenstein - adaptés en russe par Viktor Krylov (Виктор Крылов)

    Я видел берёзку: сломилась она...
    Верхушкой к земле наклонилась она...
    Но листья не блёкли на тонких ветвях,
    Пока не спряталось солнце в горах.

    ­
    Я бабочку видел с разбитым крылом:
    Бедняжка под солнечным грелась лучом,
    Стараясь и слабость, и смерть превозмочь,
    Пока не настала холодная ночь.

    Я видел, как лань стрелок подстрелил:
    Бедняжка упала без крови и сил,
    И мало со смертью бороться могла,
    И жить перестала, как солнце зашло.

    ­
    Ах, мне изменила подружка моя,
    И солнце померкло давно для меня.
    Но смерть и покой я напрасно зову
    И с сердцем разбитым "живу да живу".

    J'ai vu un jeune bouleau : meurtri, brisé
    Se courbant vers le sol...
    Mais quand le soleil s’est caché dans les montagnes
    Sur ses fines branches, ses feuilles ne se sont pas flétries.

    J'ai vu un papillon avec une aile brisée :
    Le pauvret se réchauffait sous les rayons du soleil,
    Tout faible, essayant de surmonter la mort
    Avant que ne vienne la nuit froide.

    J'ai vu comment la flèche de l’archer a atteint la biche :
    La pauvre bête sans plus de force tomba exsangue,
    Sans plus pouvoir combattre la mort,
    Elle cessa de vivre au coucher du soleil.

    Ah, mon amour m’a trahi
    Et le soleil pour moi s’est estompé à jamais !
    O Mort, ô Paix, en vain je vous appelle,
    Encore vivant, toujours vivant, le cœur brisé...

    Cette romance, peu jouée aujourd'hui en Russie, fait presque de nos jours partie en Ukraine du répertoire traditionnel, le cœur brisé étant un des thèmes favoris de la chanson lyrique. Voici une version interprétée par Boris Gmyria (Борис Гмиря), en langue ukrainienne, sous le titre 'Я бачив як вітер берізку зломив' (J'ai vu le vent briser le jeune bouleau)...

    Source (en russe) : Histoire d'une chanson.

    ***

    ­

    Voici une autre romance, composée plus tardivement, qui reprend le thème du bouleau, cher à l’imaginaire russe...

    Interprétée en 1982 par Ivan Samafatov (Иван Самофатов)
    et l'Ensemble Bannière rouge de la Flotte de la Mer noire (ансамбль КЧФ)

    Rêves de bouleaux - Берёзовые сны
    (1979)

     

    Musique : Vitali Guevigsman (Виталий Гевиксман)

    Paroles : Guéorgui Féré (Георгий Фере)

    Земля снегов и лебединых облаков,
    Земля берёзовых закатов…
    С печалью светлой, молча, смотрят
    на меня
    России синие глаза…

    Припев:

    Земля моя, я сын твоих берёз.
    Я землю русскую от недруга сберёг,
    Я отдал всё, чтоб в рощах золотых
    Вовек не замолкали соловьи…
    Земля моя, я сын твоих берёз.
    Берёзки белые от бурь я уберёг,
    Чтоб вечно снились Родине моей
    Берёзовые сны…

    Солдатом шёл я по обугленной земле,
    Пылали дымные закаты.
    Сухие трещины натруженных дорог,
    Как руки матери моей…

    Припев.

    Когда уйду в края, откуда нет дорог,
    Я сам навек Россией стану.
    Ночами росными в стволах твоих
    берёз
    Струиться будет кровь моя…

    Pays des neiges, Pays des nuages comme des cygnes,
    Pays des couchers de soleil sur les bouleaux...
    Avec une tendre mélancolie, en silence,
    Me regardent les yeux bleus de la Russie...

    ­
    Refrain :

    O ma terre, je suis le fils de tes bouleaux.
    Ma terre russe, je t’ai protégée de l'ennemi,
    J'ai tout donné pour que dans tes bosquets dorés
    Les rossignols ne se taisent jamais...
    Ma terre, je suis le fils de tes bouleaux.
    J'ai sauvé tes bouleaux blancs des tempêtes,
    Pour que ma patrie fasse toujours des rêves,
    Que toujours elle rêve de ses arbres...

    Soldat, j'ai marché sur la terre brûlée,
    Aux couchers de soleil enfumés, enflammés,
    Par des routes usées, gercées
    Comme le sont les mains de ma mère...

    Refrain.

    Quand j’irai là d’où personne jamais ne revient,
    Je serai la Russie pour toujours,
    Et mon sang coulera comme la rosée nocturne
    Sous l’écorce de ses arbres...

    Ecrite à l'origine pour une série télévisuelle documentaire soviéto-américaine 'La guerre inconnue' (The Unknown War en anglais) en 20 épisodes - titrée en russe 'La Grande guerre patriotique' (Великая Отечественная) -, réalisée en 1978 par Roman Karmen (Роман Кармен) la chanson ne fut pas retenue. Les Américains pouvaient-ils vraiment comprendre ce que signifiait pour les Russes ‘rêves de bouleaux’ ?!

    'La guerre inconnue' (The Unknown War) - Visionner la version américaine - fut réalisée à partir de documents d'archive qu'il avait déjà réunis en 1965 dans un documentaire éponyme russe. Visionner.

  • Valse de guerre – Sur les hauteurs de Mandchourie

    Petites nouvelles russes - Le régiment d'infanterie de Mokchane sur les hauteurs de Mandchourie
    Illustration : Le régiment d'infanterie de Mokchan sur les hauteurs de Mandchourie (1904-1905)

     Sur les hauteurs de Mandchourie

    На сопках Маньчжурии


    Compositeur : Ilia Alekseïevitch Chatrov (Илья Алексеевич Шатров) 1906

    Une valse en souvenir de ceux tombés au combat…

    Interprétée par Youlia Zapolskaïa (Юлия Запольская)

    A l’origine, partition seulement instrumentale, c’est par la suite que des paroles furent rajoutées.

     

    Une version 'd'avant la Révolution d'octobre' (1917)
    d'après les vers de Stepan Petrov (Степан Петров ‘Скиталец’)

    Тихо вокруг.
    Сопки покрыты мглой.
    Вот из-за туч блеснула луна,
    Могилы хранят покой.

    Белеют кресты —
    Это герои спят.
    Прошлого тени кружатся вновь,
    О жертвах боёв твердят.

    Тихо вокруг,
    Ветер туман унёс,
    На сопках манчжурских воины спят
    И русских не слышат слёз.

    Плачет, плачет мать родная,
    Плачет молодая жена,
    Плачут все, как один человек,
    Злой рок и судьбу кляня.

    Пусть гаолян
    Вам навевает сны,
    Спите, герои русской земли,
    Отчизны родной сыны.

    Вы пали за Русь,
    Погибли за Отчизну.
    Но верьте, мы за вас отомстим
    И справим мы славную тризну.

    Tout autour c’est le calme.
    Les hauteurs sont couvertes de brume.
    Derrière les nuages, la lune a frissonné,
    Les tombes montent la garde en paix.

    Les croix blanchissent -
    C’est là que dorment les héros.
    Les ombres du passé à nouveau surgissent
    Rappelant les victimes des anciennes batailles.

    Tout autour c’est le calme.
    Le vent a emporté le brouillard,
    Sur les hauteurs, les soldats de Mandchourie
    Dorment sans entendre les larmes russes.

    Elle pleure, elle pleure la mère,
    Elle pleure la jeune épouse,
    Tous pleurent comme un seul être,
    Maudissant le mauvais sort et le destin.

    Que les hautes herbes¹
    Vous apportent le sommeil.
    Dormez, héros de la terre russe,
    Fils de la Mère-patrie.

    Vous êtes tombés pour la Russie,
    Vous êtes morts pour la Mère-patrie
    Mais soyez sûrs que nous vous vengerons
    Et partagerons pour vos funérailles un repas de gloire².

    1- Le texte russe parle ici du ‘gaoliang’, graminée de la même famille que le sorgho.
    2- La tradition funéraire russe orthodoxe veut qu’une offrande de nourriture est faite au défunt.
    «… Le lendemain du décès la maîtresse de maison, ayant fait cuire une galette de seigle, la portait au défunt en disant ‘Monsieur mon père, Madame ma mère, voici une galette pour ton déjeuner, tu n’as pas dîné chez moi hier et aujourd’hui tu n’as pas pris de déjeuner’... » in Kremleva, I. A., Les rites funéraires chez les Russes : un lien entre les vivants et les morts, Cahiers slaves Année 1997 1 pp. 132-133 – Source : Portail Persée.
    Petites nouvelles russes - На сопках Маньчжурии Сергей Лебедянцев - 2008
    На сопках Маньчжурии Сергей Лебедянцев - 2008

    Quelques mots sur l’histoire de cette valse

    Ilia Chatrov (Илья Алексеевич Шатров) (1879-1952), fut l’un des 7 musiciens rescapés parmi les 60 membres l’orchestre de son régiment lors de la bataille de Moukden (Мукденское сражение), durant le conflit russo-japonais de 1904-1905. Son régiment, encerclé par les troupes nippones, fut décimé et seuls 700 hommes sur 4 000 survécurent. Une année plus tard, Ilia Chatrov compose une valse dédiée aux hommes de son régiment tombés au combat sous le titre : ‘Le Régiment Mokchanski sur les hauteurs de Mandchourie’ (Мокшанский полк на сопках Маньчжурии).

    Dès 1906, le poète Stepan Petrov (dit le Chemineau, celui qui voyage et vagabonde) (Степан Петров ‘Скиталец’) y ajouta les premières paroles. Un texte original qui, semble-t-il, n’a pas survécu.

    La référence au régiment Mokchan, voulue par le compositeur, disparut par la suite du titre de l’œuvre…

    A partir de ces premières paroles, différentes versions (avant et après la Révolution d’octobre, avant et après la Seconde guerre mondiale, avant et après la fin de l’URSS) ont été réécrites et il est parfois bien difficile d’en connaître les paroliers (Lire en russe). Voici trois autres versions, dont la dernière, très contemporaine, a été écrite en 2017, soit plus d’un siècle après la composition de la valse originelle par Ilia Chatrov…

    Version ‘d’après la Révolution d’Octobre’ (1920)
    Sur des paroles d’Alexeï Machistov (Алексей Машистов)

    Interprétée par Dmitri Hvorostovski (Дмитрий Хворостовсий)

    Petites nouvelles russes - Dimitri Hvorostovski

    Ночь подошла,
    Сумрак на землю лёг,
    Тонут во мгле пустынные сопки,
    Тучей закрыт восток.

    Здесь, под землёй
    Наши герои спят
    Песню над ними ветер поёт
    И звёзды с небес глядят.

    То не залп с полей пролетел —
    Это гром вдали прогремел.
    И опять кругом всё спокойно,
    Всё молчит в тишине ночной.

    Спите бойцы,
    Спите спокойным сном.
    Пусть вам приснятся нивы родные,
    Отчий далёкий дом.

    Пусть погибли вы в боях с врагами,
    Подвиг ваш к борьбе нас зовёт!
    Кровью народной омытое знамя
    Мы понесём вперёд!

    Мы пойдём навстречу новой жизни,
    Сбросим бремя рабских оков!
    И не забудут народ и Отчизна
    Доблесть своих сынов!

    Спите, бойцы,
    Слава навеки вам.
    Нашу отчизну, край наш родимый
    Не покорить врагам!

    Ночь. Тишина.
    Лишь гаолян шумит.
    Спите, герои, память о вас
    Родина-мать хранит.

    La nuit est venue,
    Le crépuscule a recouvert le sol,
    Les hauteurs désertes se noient dans les ténèbres,
    L’orient se couvre de nuages.

    Ici, sous terre
    Nos héros dorment
    Le vent chante au-dessus d'eux
    Et les étoiles les regardent du ciel.

    Alors ce n’était pas une salve de canon -
    C’était le tonnerre au loin sur les champs.
    Puis de nouveau tout autour le calme,
    Tout se tait dans le silence de la nuit.

    Dormez, vous les soldats !
    Dormez d’un sommeil tranquille.
    Puissiez-vous rêver des champs de la patrie,
    Et de la lointaine maison paternelle.

    Qu’au moins, si vous deviez périr au combat avec nos ennemis,
    Vos exploits nous appellent à combattre !
    Nous porterons plus avant
    Votre étendard trempé du sang du peuple !

    Nous irons à la rencontre d'une vie nouvelle,
    Déchargés du fardeau des chaînes de l’esclave !
    Et le peuple et la Patrie n'oublieront pas la
    Vaillance de leurs fils !

    Dormez, combattants,
    Gloire à vous pour toujours.
    Les ennemis ne pourront soumettre
    Notre patrie, notre chère terre !

    Nuit. Silence.
    Seules hautes herbes bruissent.
    Dormez, héros,
    La Mère-Patrie garde le souvenir de vous.

    Notons ici la ‘disparition’ du nom de la ‘mère-patrie’ : la Russie (Русь), présente dans les versions d’avant la fondation de l’URSS.

    Version de 1945 sur des paroles Pavel Choubine (Павел Шубин)

    En 1945, аprès la Seconde guerre mondiale et la défaite du Japon (alors que la guerre russo-japonaise de 1904-1905 s’était soldée par une victoire de ce dernier), Pavel Choubine (Павел Шубин), - poète et journaliste, correspondant de première ligne pendant la Grande Guerre patriotique et la guerre soviéto-japonaise - , ‘réactualisa’ le texte…

    Меркнет костёр,
    Сопки покрыл туман.
    Лёгкие звуки старого вальса
    Тихо вёдет баян.

    С музыкой в лад,
    Припомнил герой-солдат
    Росы, берёзы, русые косы,
    Девичий милый взгляд

    Там, где ждут сегодня нас,
    На лугу в вечерний час,
    С самой строгою недотрогою
    Танцевали мы этот вальс.

    Вечера свиданий робких
    Давно прошли и скрылись во тьму...
    Спят под луною маньчжурские сопки
    В пороховом дыму.

    Мы сберегли
    Славу родной земли.
    В битвах жестоких мы на Востоке,
    Сотни дорог прошли.

    Но и в бою,
    В дальнем чужом краю,
    Припоминаем в светлой печали
    Родину-мать свою.

    Далека ах, далека
    В этот миг от огонька.
    В ночи хмурые из Маньчжурии
    Уплывают к ней облака.

    В тёмный простор,
    Мимо ночных озёр,
    Легче, чем птицы, выше границы
    Выше сибирских гор.

    Покидая край угрюмый,
    Летят за нами в радостный путь
    Все наши самые светлые думы,
    Наша любовь и грусть.

    Le feu s’éteint,
    Le brouillard a recouvert les hauteurs.
    L'accordéon joue doucement
    Le son léger d’une vieille valse.

    Dans un accord de musique
    Ressurgit le souvenir du soldat héros :
    Celui de la rosée, des bouleaux, des tresses châtain,
    Et le jolie regard de son amour.

    Aujourd’hui, là-bas, on nous attend :
    Dans les prairies, à l’heure du soir.
    Là où nous dansions cette valse
    Au bras de la plus timorée d’entre toutes.

    Timides soirées de rendez-vous
    Depuis longtemps disparues dans l'obscurité ...
    Les hauteurs de Mandchourie dorment sous la lune
    Dans la fumée et la poudre des armes.

    Nous avons protégé
    La gloire de notre terre natale.
    Au travers de batailles féroces, en Orient,
    Nous avons cheminé par des centaines de routes.

    Et même durant les combats,
    Sur cette lointaine terre étrangère
    Nous gardons en mémoire, remplis de chagrin,
    Le souvenir de notre mère-patrie.

    Dans les nuits sombres de Mandchourie
    Les nuages courent vers elle,
    Si lointaine, si lointaine,
    Ici, à ce moment, autour d’un petit feu,

    Passant au-dessus des lacs nocturnes,
    Dans les grands et sombres espaces
    Plus légers que les oiseaux, par-delà la frontière
    Plus haut que les montagnes de Sibérie.

    Quittant cette sombre contrée,
    Toutes nos pensées les plus lumineuses,
    Notre amour et notre tristesse,
    S’envolent avec nous sur un chemin de joie.

    Version de 2017 sur des paroles de Guennadi Venediktov (Геннадий Венедиктов)

    Une volonté de 'restaurer la justice historique' (Восстановление исторической справедливости)

    Voici une dernière version, bien plus récente. Le parolier, Guennadi Venediktov (Геннадий Венедиктов) s’est départi du texte original de Stepan Petrov et a tenté un nouveau récit qui, selon lui, retrace 'la vérité historique' de la bataille qui inspira le compositeur Ilia Chatrov.

    Ecrit plus d’un siècle après cet événement, l’auteur a tenter de retrouver, si ce n’est les mots de l’époque, tout au moins la graphie puisque le texte est rédigé avec l’orthographe russe d’avant la réforme ‘révolutionnaire’ adoptée en 1918.

    Pour en savoir plus sur l'évolution de la langue russe au XX° siècle : "Comment les bolcheviks ont révolutionné la langue russe".

    Въ утренней мглѣ
    Горнъ проигралъ сигналъ.
    Сопокъ уснувшихъ чуткій покой
    Маршъ боевой взорвалъ.

    Шквальный огонь
    Встрѣтилъ пѣхоты цѣпь.
    Дыбомъ предъ ней вставала земля,
    Въ небѣ рвалась шрапнель.

    Замолчалъ альтистъ молодой,
    Еле слышенъ маршъ боевой,
    И корнетъ умолкъ, и валторна,
    Лишь играетъ трубачъ сѣдой.

    Вверхъ и впередъ!
    Близокъ окоповъ рядъ.
    Гибель свинецъ навстрѣчу несетъ,
    Но нѣтъ намъ пути назадъ.

    Рукопашный бой удалый
    Разыгрался въ морѣ огня –
    Врагъ не забудетъ день схватки кровавой,
    Русскій нашъ штыкъ кляня.

    Вѣнскій вальсъ оркестру полковому
    Въ паркѣ городскомъ не играть.
    И трубачу и альтисту младому
    Въ сопкахъ судьба лежать.

    Горечь утратъ
    Болью сжимаетъ грудь:
    Павшихъ героевъ тѣни кружатъ –
    Вальсъ навѣваетъ грусть.

    Спите, бойцы,
    Вѣчная память вамъ –
    Нерукотворный всталъ къ небесамъ
    Славы нетлѣнный Храмъ.

    И не крестъ на сопкахъ стоитъ,
    Не гранитъ покой вашъ хранитъ.
    О бояхъ и товарищахъ павшихъ
    Вальсъ Маньчжурскій въ сердцахъ звучитъ.

    Dans la brume matinale
    Le clairon a sonné.
    Le son de la marche a déchiré
    Le silence des hauteurs endormies.

    Un feu nourri
    A frappé la ligne d'infanterie.
    La terre a jailli devant elle,
    Des éclats d'obus ont explosé dans le ciel.

    Le jeune altiste s’était tu,
    La marche de bataille était à peine audible,
    On n’entendait ni le son du cornet ni le cor d’harmonie,
    Seul jouait le trompettiste aux tempes grises.

    Allez ! en avant !
    Jusqu’à la prochaine tranchée !
    A la rencontre du plomb qui nous tuera :
    Sans pouvoir faire demi-tour !

    Combats au corps à corps
    Dans une mer de feu -
    L'ennemi n'oubliera pas ce jour sanglant
    Maudissant nos baïonnettes russes.

    Désormais, l’orchestre du régiment ne joue plus
    Cette valse de Vienne dans les jardins publics :
    Le trompettiste et le jeune altiste reposent
    A présent sur ces hauteurs, tel est leur destin.

    L’amertume de la perte
    Nous étreint la poitrine de douleur :
    Les ombres des héros déchus tournent autour de nous,
    La valse inspire à la tristesse.

    Dormez, vous les combattants !
    A vous notre éternelle mémoire -
    Sanctuaire impérissable de votre gloire
    Qui s’élève, immatériel, vers le ciel.

    Et il n'y a pas de croix sur les hauteurs,
    Aucune pierre de granit pour vous garder en paix.
    Seule la valse mandchoue résonne dans nos cœurs
    Nous rappelant nos camarades tombés au combat.

  • Vladimir Vyssotski : Il n’est pas revenu du combat

    Vladimir Vyssotski, 'Il n'est pas revenu du combat'
    (Он не вернулся из боя) - 1969

     Vladimir Vyssotski - Владимир Высоцкий

     Il n'est pas revenu du combat - Он не вернулся из боя

    Petites nouvelles russes - Vyssotski - Chansons de guerre

    ­'Il n'est pas revenu du combat' raconte l’absence, l’irrémédiable absence d’un camarade tombé au combat, d’un ami perdu à jamais. Penser à lui, lui parler encore et toujours, quand seul le silence vous répond…
    ­

    Je vous laisse lire et écouter, vous souvenir peut-être...

    Почему всё не так, вроде, всё, как всегда,
    То же небо опять голубое,
    Тот же лес, тот же воздух и та же вода,
    Только он не вернулся из боя.
    Тот же лес, тот же воздух и та же вода,
    Только он не вернулся из боя.

    ­
    Мне теперь не понять,
    Кто же прав был из нас
    В наших спорах без сна и покоя.
    Мне не стало хватать его только сейчас,
    Когда он не вернулся из боя.
    Мне не стало хватать его только сейчас,
    Когда он не вернулся из боя.

    Он молчал невпопад
    И не в такт подпевал,
    Он всегда говорил про другое.
    Он мне спать не давал,
    Он с восходом вставал,
    А вчера не вернулся из боя.
    Он мне спать не давал,
    Он с восходом вставал,
    А вчера не вернулся из боя.

    То, что пусто теперь, не про то разговор,
    Вдруг заметил я - нас было двое.
    Для меня будто ветром задуло костёр,
    Когда он не вернулся из боя.
    Для меня будто ветром задуло костёр,
    Когда он не вернулся из боя.

    Нынче вырвалась словно
    Из плена весна,
    По ошибке окликнул его я -
    Друг, оставь покурить, а в ответ тишина,
    Он вчера не вернулся из боя.
    Друг, оставь покурить, а в ответ тишина,
    Он вчера не вернулся из боя.

    Наши мёртвые нас не оставят в беде,
    Наши павшие, как часовые.
    Отражается небо в лесу, как в воде,
    И деревья стоят голубые.
    Отражается небо в лесу, как в воде,
    И деревья стоят голубые.

    Нам и места в землянке
    Хватало вполне,
    Нам и время текло для обоих.
    Всё теперь одному, только кажется мне
    Это я не вернулся из боя.
    Всё теперь одному, только кажется мне
    Это я не вернулся из боя.­

    Pourquoi rien ne va, tout est pourtant comme d’habitude :
    Le même ciel à nouveau bleu,
    La même forêt, le même air, la même eau...
    Lui seul n’est pas revenu du combat.
    La même forêt, le même air, la même eau...
    Lui seul n’est pas revenu du combat.

    A présent je ne sais plus
    Qui de nous deux avait raison
    Dans nos discussions sans sommeil ni repos.
    C’est seulement maintenant qu’il me manque :
    Il n’est pas revenu du combat.
    C’est seulement maintenant qu’il me manque :
    Il n’est pas revenu du combat.

    Il se taisait sans raison,
    Il se mettait à chanter à contretemps,
    Il parlait toujours mal à propos.
    Il ne me laissait pas dormir la nuit,
    Il se levait au petit jour,
    Mais hier il n’est pas revenu du combat.
    Il ne me laissait pas dormir,
    Il se levait au petit jour,
    Mais hier il n’est pas revenu du combat.

    Que tout soit désert, ce n’est pas le sujet :
    Je me rends compte soudain
    que nous étions deux.
    Et pour moi, c’est comme si le vent avait soufflé
    La flamme du feu de camp
    Lorsqu’il n’est pas revenu du combat.

    C’est comme si on avait arraché
    Le printemps de sa prison :
    Je m’adresse à lui sans raison -
    ‘Ami, garde tes cigarettes !’
    Mais seul le silence me répond.
    Hier, il n’est pas revenu du combat.
    ­­

    Nos morts nous gardent du malheur,
    Ceux qui sont tombés sont comme des sentinelles.
    Le ciel se reflète sur la forêt comme sur un miroir d’eau,
    Et les arbres se dressent – bleus comme le ciel.

    Pour deux, dans notre casemate,
    La place suffisait amplement,
    Pour nous deux le temps s’écoulait tout pareil.
    Un seul a tout pour lui à présent,
    Pourtant il me semble que c’est moi
    Qui ne suis pas revenu du combat.
    C’est moi qui ne suis pas revenu du combat.

    Petites nouvelles russes - Affiche du film 'Les fils partent au combat
    Les fils partent au combat, 1969

    Voici pour moi la chanson de Vladimir Vyssotski la plus poignante. Peut-être parce que j’ai tenté pour la première fois d’en comprendre les paroles lors d’une mission qui m’avait entraîné à la frontière tchéchène, pendant une guerre – je ne sais plus laquelle –, une guerre qui, autour de moi, n’offrait que désolation, malheurs, destruction et mort.

    'Il n'est pas revenu du combat' est extrait du film : ‘Les fils partent au combat’ (Сыновья уходят в бой) - voir sur Youtube., réalisé en 1969 par Victor Tourov (Виктор Туров). Dans ce film Vladimir Vyssotski y interprète trois autres chansons : 'Les fils partent au combat' (Сыновья уходят в бой) - titre éponyme du film -, 'Le chant de la Terre' (Песня о Земле) et 'L'obscurité' (Темнота), dont il est pour les deux premières l'auteur-compositeur ; la  musique de la troisième étant, quant à elle, de Stanislav Pojlakov, les paroles de V. Vyssotski.

    V. Vyssotski Les fils partent au combat
    Сыновья уходят в бой (1969)

    Vladimir Vyssotski - Le chant de la Terre
    Песня о Земле (1969)

    Petites nouvelles russes - Vyssotski - premier enregistrement 1972
    Pochette d'un des tout premiers enregistrements de Vladimr Vyssotski en Russie - 1972 - dédicacé par le compositeur

    Un disque introuvable

     

    En 1972, alors que déjà les enregistrements clandestins de Vyssotski circulaient largement 'sous le manteau', la patrie du Grand Lénine autorisa la sortie d'un microsillon regroupant quatre chansons extraites de films relatant des épisodes de la Grande guerre patriotique (la Seconde guerre mondiale). Un mini-album aujourd'hui introuvable.

    Outre 'Il n'est pas revenu du combat' et 'Le chant de la Terre' figuraient deux autres titres : Fosses communes (Братские могилы), extrait du film 'Je sors de l'enfance' (Я родом из детства), et 'Chanson pour des temps nouveaux' (Песня о новом времени) interprétée par Vladimir Vyssotski dans 'La guerre sous les toits' (Война под крышами). Les deux films furent réalisés par Victor Kourov, respectivement en 1965—66 pour le premier et en 1967 pour le second.

    Aujourd'hui, bien entendu, il est possible d'écouter tout (?) le répertoire de Vladimir Vyssotski. Ecoutez un florilège de ses meilleurs succès sur Youtube.

    Vladimir Vyssotski - Fosses communes
    Братские могилы (1963 / 1965)

    V. Vyssotski - Chanson pour des temps nouveaux
    Песня о новом времени (1967)

  • Vladimir Vyssotski : Les chevaux capricieux

     Vladimir Vyssotski - Владимир Высоцкий

    Les chevaux capricieux (1972) Ко́ни привере́дливые

    Вдоль обры́ва, по-над про́пастью, по са́мому по кра́ю
    Я коне́й свои́х нага́йкою стега́ю, погоня́ю…
    Что-то во́здуху мне ма́ло — ве́тер пью, тума́н глота́ю…
    Чу́ю с ги́бельным восто́ргом: пропада́ю, пропада́ю!

    Чуть поме́дленнее, ко́ни, чуть поме́дленнее!
    Вы тугу́ю не слу́шайте плеть!
    Но что-то ко́ни мне попа́лись привере́дливые —
    И дожи́ть не успе́л, мне допе́ть не успе́ть.

    Я коне́й напою́, я купле́т допою́, —
    Хоть мгнове́нье ещё постою́ на краю́…

    Сги́ну я — меня́ пуши́нкой урага́н сметёт с ладо́ни,
    И в саня́х мен́я гало́пом повлеку́т по сне́гу у́тром…
    Вы на шаг неторопли́вый перейди́те, мои́ ко́ни,
    Хоть не́много, но продли́те путь к после́днему прию́ту!

    Чуть поме́дленнее, ко́ни, чуть поме́дленнее!
    Не ука́зчики вам кнут и плеть!
    Но что-то ко́ни мне попа́лись привере́дливые
    И дожи́ть не успе́л, мне допе́ть не успе́ть.

    Я коне́й напою́, я купле́т допою́, —
    Хоть мгнове́нье ещё постою́ на краю́…

    Мы успе́ли: в го́сти к Бо́гу не быва́ет опозда́ний.
    Так что ж там а́нгелы пою́т таки́ми злы́ми голоса́ми?!
    И́ли э́то колоко́льчик весь зашёлся от рыда́ний,
    И́ли я кричу́ коня́м, чтоб не несли́ так бы́стро са́ни?!

    Чуть поме́дленнее, ко́ни, чуть поме́дленнее!
    Умоля́ю вас вскачь не лете́ть!
    Но что-то ко́ни мне попа́лись привере́дливые…
    Коль дожи́ть не успе́л, так хотя́ бы — допе́ть!

    Я коне́й напою́, я купле́т допою́, —
    Хоть мгнове́нье ещё постою́ на краю́…

    Séparateur 3

    Le long de la falaise, au bord même de l’abîme,
    Je pousse mes chevaux à grands coups de cravache.
    Presque sans pouvoir respirer, je bois le vent, J’avale le brouillard,
    Pris d’une joie désemparée de me savoir perdu, perdu, perdu.

    Holà, plus lentement, mes chevaux ! un peu plus lentement !
    Soyez durs d’oreille, n'écoutez pas mon dur fouet !
    Mais que ces chevaux sont capricieux !
    Je n’ai pas eu le temps de vivre plus longtemps,
    Ni n’aurai le temps de terminer ma chanson.

    J'abreuverai mes chevaux, je finirai mon couplet,
    Juste un instant encore, au bord de l’abîme...

    Et je disparaîtrai : l’ouragan me balaiera
    comme une plume sur la paume de la main,
    Et au matin dans la neige, en traîneau,
    Au grand galop, ils m’emporteront...
    Marchez au pas, plus lentement, mes chevaux.
    Au moins encore un peu, prolongez le chemin
    Qui conduit vers le dernier refuge.

    Holà, plus lentement, mes chevaux ! un peu plus lentement !
    Ni cravache, ni fouet ne sont vos maîtres !
    Mais que ces chevaux sont capricieux !
    Je n’ai pas eu le temps de vivre plus longtemps,
    Ni n’aurai le temps de terminer ma chanson.

    J'abreuverai mes chevaux, je finirai mon couplet,
    Juste un instant encore, au bord de l’abîme...

    Déjà nous y sommes :
    Chez Dieu les hôtes se doivent d’être à l’heure.
    Mais pourquoi les anges chantent-ils d’une voix si méchante ?
    Ou bien est-ce la cloche qui, murmurant, sanglote ?
    Ou moi qui crie à mes chevaux de ralentir le pas ?

    Holà, plus lentement, mes chevaux ! un peu plus lentement !
    Je vous supplie : ne volez pas au grand galop !
    Mais que ces chevaux sont capricieux !
    Si je n'ai pas le temps de vivre plus longtemps,
    Qu’au moins je puisse terminer ma chanson !

    J'abreuverai mes chevaux, je finirai mon couplet,
    Juste un instant encore, au bord de l’abîme...

    Petites nouvelles russes - Высоцкий - Кони привередливые
    Vladimr Vyssotski – Les chevaux capricieux

    Il s’agit là, peut-être, du texte de Vissotsky ayant donné lieu au plus grand nombre d’analyses et d’interprétations. De nombreux critiques littéraires s’y sont essayés, chacun tentant d’en décrypter le sens profond ainsi que ses nombreuses références intertextuelles.

    Pour en savoir plus en russe : Андрей Скобелев, « "Кони привередливые" в поле интертекстовом », 2009 : www.academia.edu.

  • Vladimir Vyssotski : Le Malheur

     Vladimir Vyssotski - Владимир Высоцкий

    Le Malheur (1972) Беда

    Я несла свою Беду
    по весеннему по льду,
    Обломился лёд — душа оборвалася,
    Камнем под воду пошла...
    а Беда - хоть тяжела —
    А за острые края задержалася.

    И Беда с того вот дня
    ищет по свету меня,
    Слухи ходят вместе с ней с Кривотолками.
    А что я не умерла,
    знала голая ветла
    И ещё перепела с перепёлками.

    Кто ж из них сказал ему,
    господину моему, —
    Только выдали меня, проболталися.
    И, от страсти сам не свой,
    он отправился за мной,
    Ну а с ним Беда с Молвой увязалися.

    Он настиг меня, догнал,
    обнял, на руки поднял,
    Рядом с ним в седле Беда ухмылялася...
    Но остаться он не мог —
    был всего один денёк,
    А Беда на вечный срок задержалася...

    J'ai porté mon Malheur
    sur la glace de printemps,
    La glace s'est brisée et mon âme a sombré,
    Telle une pierre au fond de l'eau...
    mais mon Malheur - pourtant si lourd -
    Est resté, s’agrippant à ses bords acérés.

    Et le Malheur depuis ce jour
    de par le monde me poursuit,
    Potins et médisances marchent à ses côtés.
    Et que ne suis-je morte,
    Seul l'a su le saule aux branches dénudées
    Et encore un couple d'étourneaux.

    Qui d'entre eux le lui a dit,
    à Lui, mon seigneur et mon maître -
    Seulement m'ont-ils trahie et dénoncée.
    Et lui, fou de passion,
    s'est lancé sur mes pas,
    Et, à sa suite, rumeurs et malheur.

    Il m'a traquée, m'a rattrapée,
    m'a étreinte, m’a soulevée,
    Pendant que le malheur, narquois, chevauchait à ses côtés...
    Il ne demeura avec moi
    qu'une petite journée,
    Mais le Malheur, lui, depuis s'est attardé éternellement...

    Et que ne suis-je morte...’ - Vladimir Vissotski…

    J’en mourrai peut-être’ - Guillaume Apollinaire

    Il est tentant ici de faire le parallèle entre ce texte émouvant de Vissotski et la naïveté du poème d’Apollinaire : ‘Les cloches’ (1901) - Lire : ici et là, deux femmes disent, pour l’une son malheur, et pour l’autre sa honte, d’avoir aimé, peut-être trop aimé, un amant de passage…

    Ecoutez sur Youbube 'Les cloches' mis en musique et interprété par Léo Ferré.

    Marina Vlady, la dernière égérie de l’artiste :

    Marina et Vladimir se sont connus à Moscou en 1967 alors que le comédien jouait sur la scène du théâtre de la Taganka (театр на Таганке). Ils officialisèrent leur union en 1970 et restèrent unis jusqu’au décès du chanteur en 1980. Lui, citoyen soviétique, longtemps privé de sortie de son pays et elle, Française, ne pouvant se rendre en URSS que sur invitation, munie d’un visa touristique.

    Petites nouvelles russes - Marina Vlady
    Marina Vlady

    Marina est née en France, en 1938, d’une famille russe immigrée, de son vrai nom : Catherine Marina de Poliakoff-Baïdaroff (Екатерина Марина Владимировна Полякова-Байдарова). Son union avec Vladimir Vyssotski offrira au poète l’opportunité de voyager en France. C’est ainsi que lors de ces séjours il enregistrera enfin, en 1977, un premier album trente-trois tours, chose à l’époque, impensable pour lui en URSS.

    Lire (en russe) l’histoire de leur rencontre et de leur amour et Voir sur Youtube (en russe, sous-titré en anglais) : ‘Le dernier baiser (Последний поцелуй), réalisé par N. Guguyeva (Н. Гугуева) et A. Kogan (А. Коган), 2007

    Vladimir Vissotsky en France :

    ‘Je respire donc j’aime, j'aime donc je vis…’

    En 1976, Vladimir Vissotski obtient enfin l’autorisation de voyager hors d’URSS et se rend aux Etats-Unis, au Mexique et, bien sûr, en France où il donna en 1977 deux récitals. Ci-dessus un des rares interviews de Vladimir Vissotski à la télévision française où il interpréta deux de ses chansons : ‘Ballade d’amour’ (Баллада о любви) et ‘La chasse aux loups’ (Охота на волков).

    Petites nouvelles russes - Vladimir Vissotski

    ‘Le vol arrêté’ : une chanson, un album, un livre mémoire :

    En 1987, Marina Vlady publiera ‘Vladimir ou le vol arrêté’ un livre hommage, en mémoire de Vladimir Vyssotski. L’année suivante, en 1988, paraîtra l’album ‘Vlady – Vissotsky’ dans lequel Marina interprétera des chansons du barde soviétique. Ecoutez sur Youtube l'album ‘Vlady – Vissotsky’ dans son intégralitée.

    Voici enfin une dernière version du ‘Malheur’ (Беда), interprétée par Nina Troufanova (Инна Труфанова) :

  • Vladimir Vyssotski : Chanson sur l’ami

    Vladimir Vyssotski, 'Chanson sur l'ami ' (Песня о друге) - 1967
    extrait du film Vertical (Вертикаль), réalisé par S. Govoroukhine et B. Durov

     Vladimir Vyssotski - Владимир Высоцкий

     Chanson sur l'ami - Песня о друге

    Petites nouvelles russes - Timbre représentant Vladimir Vyssotski
    Timbre de la poste russe représentant Vladimir Vyssotski (1999)

    Vladimir Vyssotski (Владимир Семёнович Высоцкий) était un artiste complet, auteur, compositeur et interprète de ses chansons, bien entendu, mais aussi comédien, acteur de théâtre et de cinéma. C'est par ce média qu'il a su se faire connaître, sous l'ère soviétique, et qu'il a pu se faire entendre -'officiellement' - auprès d'un large public...

    A ma connaissance, en dehors de ses prestations cinématographiques et de quelques enregistrements extraits de ces films (voir ci-dessous), le premier album de Vladimir Vyssotski commercialisé en URSS le fut en 1980*, l'année même de son décès : son titre 'Chansons' (Песни). Son premier morceau est justement Chanson sur l'ami...

    * A l'exception d'une adaptation du conte de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles (Алиса в стране чудес), paru en 1977 - écoutez sur Youtube.

    Песня о друге

    Если друг оказался вдруг
    И не друг, и не враг, а - так,
    Если сразу не разберёшь,
    Плох он или хорош,-

    Парня в горы тяни - рискни!
    Не бросай одного его,
    Пусть он в связке в одной с тобой -
    Там поймёшь, кто такой.

    Если парень в горах - не ах,
    Если сразу раскис и - вниз,
    Шаг ступил на ледник и - сник,
    Оступился - и в крик,-

    Значит, рядом с тобой - чужой,
    Ты его не брани - гони:
    Вверх таких не берут, и тут
    Про таких не поют.

    Если ж он не скулил, не ныл,
    Пусть он хмур был и зол, но - шёл,
    А когда ты упал со скал,
    Он стонал, но - держал,

    Если шёл за тобой, как в бой,
    На вершине стоял хмельной,-
    Значит, как на себя самого,
    Положись на него.

    Chanson sur l'ami

    Si tu veux savoir si l’ami
    est celui qu’il prétend, vraiment
    Et savoir s’il a dans le sang
    du courage ou du vent

    Les montagnes sont là pour ça
    vers les cimes avec lui, vas-y
    Dans la même cordée, liés
    tu sauras qui il est

    Si très vite accablé, crevé
    il se traîne, il se braque et craque
    Trébuchant sur le roc crissant
    s’il s’écroule en braillant

    Celui-là n’est pas un des tiens
    arrache-le de ta vie, sans cri
    On n’amène pas ceux-là là-bas
    et on ne les chante pas

    Mais s’il n’a pas bronché, flanché
    même sombre et méchant, marchant
    Et quand t’as dévissé, glacées
    ses mains t’ont pas lâché

    S’il te suivait comme au combat
    debout, ivres, au sommet, soudés
    C’est que les yeux fermés tu pourras
    compter sur celui-là

    Traduction française d'Annie-Pénélope Dussault © 2002 - Adaptation : Bia Krieger pour l'album d'Yves Desrosiers, 'Volodia' (2002).

    'Attends un peu !' - Extraits où est fredonné l'air de la 'Chanson sur l'ami'.

    'La Chanson à un ami’ en dessin animé :

    En 1969, le réalisateur Génnadine Sokolski (Геннадий Михайлович Сокольский) (1937-2014) s’apprête à réaliser un dessin animé intitulé ‘Attend sun peu !’ (Ну, погоди!), l’histoire d’un loup malchanceux qui ne rêve que de lièvre (en friture). Sokolski avait dès l’abord songé à la voix de Vladimir Vyssotski pour interpréter la voix du loup. Mais la censure soviétique interdit à l’artiste ce rôle (de composition ☺). Pourtant, l’air de la 'Chanson sur l’ami’ sera fredonné dans quelques épisodes de la série (dans les moments où il faut se hisser à la force des bras sur une corde, tel un alpiniste).

    La voix de Vladimir Vyssotski au cinéma

    Petites nouvelles russes - Vyssotski - Disque souple 'Vertical' 1968
    Couverture du premier disque de Vladimir Vyssotski (1968)

    En­ 1968­­ paraît­­ un­­ tout­‍ premier enregistrement sur disque souple comprenant, outre 'Chanson sur l'ami', les trois autres chansons que Vladimir Vyssotski interprète dans le film 'Vertical' (Вертикаль), réalisé par S. Govoroukhine et B. Durov (1967) : 'L'adieu aux montagnes' (Прощание с горами) - écoutez sur Youtube ; 'Chanson de guerre' (Военная песня) - écoutez sur Youtube ; 'Le sommet' (Вершина) - écoutez sur Youtube.

    De son vivant, Vladimir Vyssotski put, en quelque sorte, échapper à la censure soviétique grâce aux nombreux films dans lesquels il tourna - pas moins de 25 ! - et dans lesquels on peut l'entendre interpréter plusieurs de ses créations musicales.

    Les chansons de Vladimir Vyssotski
    au cinéma (1966-1974)

    Les chansons de Vladimir Vyssotski
    au cinéma (1975-1980)

  • Deux guitares – Rien ne va !

     Deux guitares - Две гитары

    Quand 'Plus rien ne va !'

    Vladimir Vyssotski, 'La tsigane' (Цыганская) - 1967
    extrait du film Courtes rencontres (Короткие встречи), réalisé par Koura Mouratov

    Vladimir Vyssotski (1938 – 1980) est un des rares chanteurs russes de variété à avoir acquis une notoriété certaine à l’extérieur de son pays – à l’époque, on parlait de l’URSS. Son mariage avec la française Marina Vlady lui a permis de séjourner dans notre pays et d'y faire connaître son répertoire.

    Longtemps, à quelques exceptions près, ses chansons furent interdites en Union soviétique, ses textes ne s'inscrivant pas dans les canons voulus par le système. Il est donc parfois difficile de connaître la date exacte de composition de toutes ses œuvres. Certaines ne seront officiellement diffusées dans le commerce que bien après sa mort, après la chute de l’URSS…

    Vladimir Vyssotski semble avoir beaucoup appréciée ‘Deux guitares’, puisqu'il aurait enregistré jusqu'à 34 (!) versions de la chanson entre 1967 et 1979 (dont une en français). Les premières reprenant les paroles traditionnelles, librement inspirées par les vers d’Apollon Grigoriev.

    Vladimir Vyssotski, Parle-moi donc, guitare !
    (Поговори хоть ты со мной), 1967

    Поговори хоть ты со мной, гитара,
    Гитара семиструнная, вся душа,
    Вся душа полна тобой, а ночь,
    А ночь такая лунная.

    Эх раз, раз, да ещё раз,
    Да ещё много-много раз.

    В чистом поле васильки
    Вам, дальняя дорога.
    Эх сердце стонет от тоски,
    А в глазах тревога.

    Эх раз, раз, да ещё раз,
    Да ещё много-много раз.

    На горе стоит ольха, а под горою вишня.
    Полюбил цыганку я, а она, она замуж вышла.

    Эх раз, раз, да ещё раз,
    Да ещё много-много раз.

    У меня жена была, она меня любила.
    Изменила только раз, а потом решила.

    Эх раз, раз, да ещё раз,
    Да ещё много-много раз.

    Если вас целуют раз,
    вы наверно вскрикните,
    Эх раз, да ещё раз,
    а потом привыкните.

    Эх раз, раз, да ещё раз,
    Да ещё много-много раз.

    Parle-moi donc, guitare !
    Guitare aux sept cordes : toute mon âme,
    Toute mon âme est pénétrée par toi. Et la nuit,
    La nuit s’illumine d’une lune pleine.

    Allez, encore une fois,
    Oui, encore de nombreuses, nombreuses fois.

    Pour vous une plaine couverte de bleuets
    et une longue route,
    Le cœur est affligé
    et l'anxiété trouble les yeux.

    Allez, encore une fois,
    Oui, encore de nombreuses, nombreuses fois.

    Sur la montagne ne se dresse qu’un seul aune,
    Et plus bas seulement un cerisier.
    J’ai aimé la Tzigane,
    mais elle a préféré se marier avec un autre.
    Allez, encore une fois,…

    J’ai épousé une femme qui m’aimait.
    Elle ne m’a trompé qu’une fois,
    et puis elle a recommencé...

    Encore une fois,
    Oui, encore de nombreuses, nombreuses fois.

    Si on vous embrasse une seule fois,
    peut-être sursauterez-vous,
    une fois, et puis encore une fois...
    ensuite vous vous y habituerez.

    Allez, encore une fois,
    Oui, encore de nombreuses, nombreuses fois.

    Rien ne va !

    L’enregistrement le plus connu, ‘Rien ne va !' (Всё не так, как надо) date de 1977 et fut gravé en France. Son texte , ‘existentialiste’, s’éloigne considérablement des poèmes originaux d’Apollon Grigoriev – même si on y retrouve certaines allusions.

    В сон мне – жёлтые огни,
    И хриплю во сне я:
    – Повремени, повремени, –
    Утро мудренее!
    Но и утром всё не так,
    Нет того веселья:
    Или куришь натощак,
    Или пьёшь с похмелья.

    Да, эх раз, раз, да ещё раз,
    Да ещё много-много-много раз.
    Да ещё раз, или пьёшь с похмелья.

    В кабаках – зелёный штоф,
    И белые салфетки.
    Рай для нищих и шутов,
    Мне ж – как птице в клетке!
    В церкви смрад и полумрак,
    Дьяки курят ладан.
    Нет! И в церкви всё не так,
    Всё не так, как надо.

    Эх раз, раз, да ещё раз,
    Да ещё много-много-много раз.
    Да ещё раз, всё не так, как надо.

    Я – на гору впопыхах,
    Чтоб чего не вышло.
    А на горе стоит ольха,
    А под горою вишня.
    Хоть бы склон увить плющом,
    Мне б и то отрада,
    Хоть бы что-нибудь ещё.
    Всё не так, как надо!

    Эх раз, раз, да ещё раз,...

    Я тогда по полю, вдоль реки.
    Света – тьма, нет бога!
    А в чистом поле васильки,
    Дальняя дорога.
    Вдоль дороги – лес густой
    С Бабами-Ягами,
    А в конце дороги той –
    Плаха с топорами.

    Эх раз, раз, да ещё раз,...

    Где-то кони пляшут в такт,
    Нехотя и плавно.
    Вдоль дороги всё не так,
    А в конце – подавно.
    И ни церковь, ни кабак –
    Ничего не свято!
    Нет, ребята, всё не так,
    Всё не так, ребята!

    Эх, раз, да ещё раз,
    Да ещё много, много-много-много раз,
    Да ещё раз: Всё не так, ребята!

    Dans mon rêve, dans les feux des gyrophares,
    Je râle. Dans mon sommeil je me répète :
    Pas tout de suite, juste attendre un peu,
    Au matin tout devrait finir par s’éclaircir...
    Mais quand arrive le matin rien ne va,
    Je n’y trouve aucune joie :
    Ou bien fumer à jeun,
    Ou boire encore avec une bonne gueule de bois,

    Allez, une fois, encore une fois,
    Encore de nombreuses, nombreuses fois !
    Oui encore une fois ou bien boire avec une gueule de bois

    Dans les troquets aux murs vert damassé,
    Dans les troquets aux serviettes blanches,
    Paradis pour les mendiants et les bouffons,
    Je tourne comme un oiseau en cage !
    Dans la puanteur et la pénombre des églises,
    Où des diacres font brûler l’encens,
    Rien ne va ! Non, même dans les églises,
    Rien ne va comme il faudrait.

    Allez, une fois, encore une fois...
    Oui encore de nombreuses, nombreuses fois !
    Encore une fois, rien ne va comme il faudrait.

    J’ai escaladé en toute hâte la montagne,
    Pour que rien de mal n’arrive.
    Mais sur la montagne je n’y voit qu’un seul aulne,
    Seul plus bas pousse un cerisier.
    Ah, si la pente pouvait se couvrir de lierre,
    Cela serait déjà bien suffisant pour moi !
    Juste y trouver encore quelque chose !
    Mais là-haut aussi rien ne va comme il faudrait !

    Allez, une fois, encore une fois...

    J’irai donc par les champs, le long de la rivière,
    Dans une nuée de lumière, et sans dieu aucun :
    Seulement dans la plaine des bleuets à perte de vue,
    Seulement la longue route.
    Mais le long de la route la forêt est profonde -
    C’est le domaine des sorcières maléfiques -,
    Et au bout de cette route juste
    Le billot du bourreau et ses haches qui m’attendent.

    Allez, une fois, encore une fois...

    Quelque part, là où des chevaux marquent le pas
    Et dansent sans entrain, lentement,
    Tout au long de cette route rien ne va,
    Et au bout, à la fin, c’est pire encore  !
    Il n’y a aucune église, aucun troquet,
    Rien de sacré !
    Rien, les gars, plus rien ne va !
    Plus rien ne va, les gars !

    Allez, une fois, encore une fois...
    Oui encore de nombreuses, nombreuses fois !
    Oui, encore une fois : rien ne va comme il faudrait, les gars.

    Deux guitares… en version française

    Vladimir Vyssotski a enregistré une version en langue française de sa chanson… à mon avis, moins convaincante...

    Vladimir Vyssotski, Plus rien de va !
    (version française de Charles Level, 1977)

    Voici enfin une autre version de 'Deux guitares' en français, chantée celle-là par Charles Aznavour, un Arménien d’origine et donc… presque un Tsigane !

  • Deux guitares – Une chanson tsigane ?

    Deux guitares - Две гитары 

    Une chanson tsigane ? Oui… et non !

    La mélodie, autant que les paroles de ‘Deux guitares’ sont à l’évidence d’inspiration tsigane, et résonnent comme nombre de leurs chants et de leurs danses. (Ci-dessous : une interprétation empreinte de liberté et de sensualité d'une chanson et d'une danse tsiganes par Sonia Timofeeva)

    Si ‘Deux guitares’ est aujourd’hui considérée comme une chanson tsigane traditionnelle, pour ne pas dire ‘éternelle’, et qu’elle est depuis longtemps chantée dans toutes les tavernes et restaurants russes, son histoire et sa naissance sont plus surprenantes.

    En effet, la première version, la version d’origine, date de la deuxième moitié du XIX° siècle, et elle n’a pas été écrite ni composée, comme on pourrait le croire, par des Tsiganes… mais bien par des Russes-Russes*.

    L'auteur des paroles originales en fut le poète Apollon Aleksandrovitch Grigoriev (en russe : Аполло́н Алекса́ндрович Григо́рьев) – 1822-1864 -. Il écrivit en 1857 deux poèmes: "La danse hongroise des Tsiganes" (Цыганская венгерка) et "Ô Toi, au moins, parle-moi" (О, говори хоть ты со мной…). Un de ses amis, Ivan Vasilievich Vasiliev (1810 - 1870), mis ses vers en musique, l’accompagnant à la guitare.

    Petites nouvelles russes - Apollon Gregoriev
    Apollon Aleksandrovitch Grigoriev (Аполло́н Алекса́ндрович Григо́рьев) – 1822-1864 -

    * Les Russes distinguent habituellement ‘citoyenneté’ de ‘nationalité’ : on peut être Russe (de citoyenneté) mais d’être d’une autre ‘nationalité’ : tatare, ukrainienne, juive, arménienne, tchouvache, etc. En 1989, au moment de la dislocation de l’ex-URSS, le pays comptait 128 nationalités. A la suite de nombreuses réformes constitutionnelles, on parle aujourd'hui d’« entités nationales » (21 républiques, 10 districts [okroug] autonomes, plus la Région autonome des Juifs)  – Source :  Anne GAZIER, « Régions et nationalités en Russie : aspects institutionnels et juridiques », openedition, 2006 ).

    Pour en savoir plus :  Qui est russe aujourd’hui ?’, The Conversation, mai 2018

    Apollon Alexandrovitch Grigoriev (1857)

    Аполлон Александрович Григорьев

    Цыганская венгерка
    (отрывок)

    Две гитары, зазвенев,
    Жалобно заныли...
    С детства памятный напев,
    Старый друг мой — ты ли?

    Как тебя мне не узнать?
    На тебе лежит печать
    Буйного похмелья,
    Горького веселья!

    Это ты, загул лихой,
    Ты — слиянье грусти злой
    С сладострастьем баядерки —
    Ты, мотив венгерки!

    Квинты резко дребезжат,
    Сыплют дробью звуки...
    Звуки ноют и визжат,
    Словно стоны муки.

    Что за горе? Плюнь да пей!
    Ты завей его, завей
    Веревочкой горе!
    Топи тоску в море!

    Вот проходка по баскам
    С удалью небрежной,
    А за нею — звон и гам
    Буйный и мятежный.

    Перебор... и квинта вновь
    Ноет-завывает;
    Приливает к сердцу кровь,
    Голова пылает.

    La danse hongroise des Tziganes
    (extrait)

    Deux guitares résonnent
    D’une plainte lancinante...
    Depuis l'enfance, une mélodie inoubliable,
    Mon vieil ami, est-ce toi ?

    Comment me serais-tu inconnu ?
    Toi, marqué par le sceau
    d’une violente gueule de bois,
    d’une amère joie.

    C'est toi, ô débauche plein de bravoure,
    Toi qui réunit la tristesse maligne
    Et la volupté d’une danse venue d’Inde -
    Toi, mélodie d’une danse hongroise !

    Les accords brusquement résonnent,
    Les sons répandent leurs éclats…
    Les sons geignent et grincent
    Pareils à des gémissements tourmentés.

    Quel est ce chagrin ?
    Crache-lui dessus et puis bois !
    Tords le cou au malheur
    Et pends-le au bout d’une corde !
    Noie ton cafard dans la mer !

    Et voici l’accord des basses
    D’une hardiesse nonchalante,
    Suivi de sonneries et vacarme
    Violents et rebelles.

    Les doigts glissent sur les cordes…
    Et un accord à nouveau qui gémit et puis hurle ;
    Le sang remplit le cœur,
    La tête brûle.

    О, говори хоть ты со мной...

    О, говори хоть ты со мной,
    Подруга семиструнная!
    Душа полна такой тоской,
    А ночь такая лунная!

    Вон там звезда одна горит
    Так ярко и мучительно,
    Лучами сердце шевелит,
    Дразня его язвительно.

    Чего от сердца нужно ей?
    Ведь знает без того она,
    Что к ней тоскою долгих дней
    Вся жизнь моя прикована…

    И сердце ведает моё,
    Отравою облитое,
    Что я впивал в себя её
    Дыханье ядовитое...

    Я от зари и до зари
    Тоскую, мучусь, сетую...
    Допой же мне - договори
    Ты песню недопетую.

    Договори сестры твоей
    Все недомолвки странные...
    Смотри: звезда горит ярчей...
    О, пой, моя желанная!

    И до зари готов с тобой
    Вести беседу эту я...
    Договори лишь мне, допой
    Ты песню недопетую!

    Ô Toi, au moins, parle-moi...

    Ô Toi, au moins, parle-moi,
    Mon amie aux sept cordes !
    Mon âme est pénétrée de tristesse,
    Alors qu’une lune pleine illumine la nuit !

    Là-bas brûle une étoile unique,
    Si brillante et douloureuse,
    Ses rayons font trembler mon cœur,
    Le taquinant avec sarcasme.

    Que veut-elle de mon cœur ?
    Déjà elle sait bien
    Que par elle toute ma vie est enchaînée
    A la tristesse des longues journées.

    Et mon cœur arrosé
    Par ce poison sait bien
    Que j’ai bu jusqu’à la lie
    Son parfum toxique…

    Et d'aube en aube
    Je vais soupirant, me tourmentant, me lamentant.
    Parle-moi donc et chante jusqu’au bout
    Тa chanson inachevée.

    Dis-moi guitare
    Toutes les étranges réticences de ta sœur...
    Regarde : l'étoile brûle plus fort ...
    Ô, chante encore, Toi, mon désir !

    Et jusqu’à l'aube avec toi je suis prêt
    A poursuivre ce dialogue...
    Continue seulement à chanter pour moi
    Тa chanson toujours inachevée !

    Rares sont, parmi les nombreuses versions que l'on peut écouter, celles qui indiquent les noms de l’auteur et du compositeur originaux. La rançon du succès sans doute. Voilà un oubli ici enfin réparé !