Stenka Razine 3
Stenka Razine et Louis Mandrin :
deux destins parallèles.
Stenka Razine (1630 ?-1671) :
un héros (pré)-révolutionnaire ?
La légende de Stenka Razine, interprétée par
Charles Aznavour et les Compagnons de la chanson (1962)
‘Je suis venu donner à tous la liberté et la délivrance...’
(Я пришёл дать вам всем свободу и избавление)
Stenka Razine de son vrai nom Stéphane Razine (Степан Тимофеевич Разин) fut un chef cosaque, brigand et pirate qui mena un soulèvement contre la noblesse et le pouvoir impérial tsariste dans le sud de la Russie.
Issu d'une riche famille, décrit par ses contemporains comme un homme d'expérience, énergique et intelligent, il se fit d'abord connaître comme ataman (chef militaire) des Cosaques du Don. Puis sa vie bascula et il choisit de devenir son propre maître, chef d'une communauté de bandits de grand chemin, vivant de pillages et de vols. Son armée de Cosaques fut bientôt rejointe par des paysans qui tentaient ainsi d'échapper aux lourdes taxes, à la conscription, au servage, ainsi que par de nombreux laisser-pour-compte d'une société fortement inégalitaire. Parmi eux figuraient nombre de membres d'ethnies non russes opprimées.
On raconte que Razine descendit la Volga à la tête d'une flotte de quarante-cinq galères, s'emparant de forts importants et dévastant la contrée. Puis il mena une expédition jusqu'en Perse (actuel Iran). Peut-être est-ce de ces régions lointaines qu'il ramena sa belle princesse captive dont parle le poème (et la chanson) ? Nul ne le sait précisément.
Le petit peuple du sud de la Russie se passionna pour ses aventures. Les potentats locaux ainsi que le pouvoir central ne pouvaient plus ignorer la puissance de Stenka et le risque qu'il représentait pour l'ordre impérial. En 1670, il s'empara d'Astrakhan (ville située sur le cours inférieur de la Volga) et y fonda une république cosaque dont il devint le souverain (государь). Mais quelques semaines plus tard, alors qu’il marchait sur Moscou, ses troupes furent mises en déroute et Razine s’enfuit, abandonnant sur le champ de bataille près de 20 000 combattants.
Mais la rébellion qu’il avait initiée se propagea. Razine proclamait que son objectif était de renverser les boyards et les officiers, d'installer l'absolue égalité dans toute la Moscovie, en abolissant toute hiérarchie. Le petit peuple et les simples soldats firent bon accueil à ses idées. Les populations de la Volga se joignirent aux insurgés. Dans les villes investies, les élites locales fuyaient sous peine d’être massacrées. Toute une grande partie du sud de la Russie venait de se soulever contre ses oppresseurs.
Mais tout à une fin...
En 1671, après de sanglantes batailles, Stenka Razine et son frère cadet Frol (Фрол Тимофеевич Разин) furent capturés et furent conduits jusqu’à Moscou. Stenka fut équarri et brûlé sur la Place rouge. Son frère obtint un sursis. Emprisonné, il ne fut exécuté que quelques années plus tard, en 1676.
Le pouvoir impérial et la noblesse avaient triomphé mais la mémoire des exploits de Stenka Razine survécut, et de nombreux récits, poèmes et chansons racontèrent l’histoire de ce héros devenu populaire. Les Bolcheviks voyaient même en lui l’un des précurseurs de la Révolution prolétarienne et paysanne à venir…
Pour en savoir plus (en russe) : Степан Разин: Я пришёл дать вам всем свободу и избавление.
‘La complainte de Mandrin’ interprétée par Yves Montand (1959)
Comment ne pas faire le parallèle entre ces deux héros, dont les parcours de vie, et les légendes qu’ils suscitèrent après leur mort paraissent, par bien des aspects, similaires ?
« Beau de visage, blond de cheveux, bien fait de corps, robuste et agile. À ces qualités physiques, il joint un esprit vif et prompt, des manières aisées et polies. Il est d'une hardiesse, d'un sang-froid à toute épreuve. Son courage lui fait tout supporter pour satisfaire son ambition... »¹
Aîné d'une famille autrefois riche, mais sur le déclin, Louis Mandrin, à la mort de son père, alors qu’il avait dix-sept ans, devient chef de famille. Très tôt, dès 1748, alors qu’il n’a que vingt-trois ans, il connaît ses premiers démêlés avec la Ferme générale, chargée au nom du roi (à l’époque : Louis XV), de lever l’impôt et les taxes.
Le 27 juillet 1753, à la suite d'une rixe mortelle, Louis Mandrin est condamné à mort. Pierre Mandrin, son frère cadet, est lui pendu. Réussissant à échapper au gibet, Louis déclare alors la guerre aux fermiers généraux, haïs par une population écrasée d’impôts et de taxes.
Mandrin se fait alors contrebandier, passant les frontières, de Suisse en Savoie (alors indépendante du Royaume) et de Savoie en France, au sein d’une bande dont il devient vite le chef. Il se proclame alors lui-même « capitaine général des contrebandiers de France ».
Sa cible principale est la Ferme générale, et non le peuple. Des prisons, il libère seulement les prisonniers victimes de conflits avec l'administration des impôts, et se garde de s'entourer de brigands et d'assassins. En France, son brigandage rayonne bien au-delà du Dauphiné, sur une zone couvrant pratiquement les régions actuelles de Rhône-Alpes et Auvergne, de Franche-Comté, ainsi qu'une partie de la Bourgogne.
En 1754, à la tête de centaines d'hommes, « ni voleurs, ni assassins », il organise six campagnes en investissant des villes par surprise. La population est enchantée, son aura s’accroît et Mandrin gagne même l'admiration d'un personnage tel que Voltaire.
Mais tout à une fin…
La Ferme générale, exaspérée par ce « bandit » devenant chaque jour plus populaire, demande le concours de l'armée du roi. Mandrin parvient à se réfugier en Savoie, mais il est appréhendé par une troupe de cinq cents hommes déguisés en paysans qui ont illégalement franchi la frontière pour le capturer.
Très rapidement jugé, condamné et exécuté, Louis Mandrin est soumis au supplice de la roue, le 26 mai 1755, dans la ville de Valence, devant 6 000 curieux. Il aurait enduré son calvaire sans une plainte et aurait même demandé à la population de poursuivre sa révolte.
L'homme est mort. C'est alors le début de la légende du bandit justicier qui aura lutté contre l'iniquité des taxes de l'Ancien Régime. Son nom même, ‘Mandrin’, devient à l'époque un nom commun résonnant tel le terme de ‘malandrin’. Son portrait gravé et ses aventures finissent par être colportés par tout le pays.
Dès 1755, paraît à Genève (à l’abri de la censure royale française) le ‘Testament politique de Louis Mandrin’ portant le sous-titre : ‘Généralissime des Troupes de contrebandiers, écrit par Lui-même dans sa prison’².
« J'ai cherché la cause de cette grande affluence de Peuple qui venait chaque jour s'enrôler sous mes drapeaux ; en remontant à sa source, j'ai découvert qu'elle prenait elle-même son origine dans le système des Fermes... »
En particulier, une chanson ‘La complainte de Mandrin’, devenue très populaire, et que chantaient les Communards lors du soulèvement de la Commune de Paris en 1871, raconte sa légende. On ne sait quand ni par qui cet air fut composé et ses paroles écrites. (Lire les paroles de la Complainte de Mandrin.)
Pour en savoir plus : https://www.mandrin.org/
2. En fait, le véritable auteur de cet ‘autobiographie’ posthume était un certain Ange Goudar (1708-1791 ?).
Voici une version toute récente, interprétée par le chanteur Renaud. Comme quoi la légende de Mandrin est toujours vivace...
La Complainte de Mandrin, Renaud (2022)