En mauvaise compagnie – Chapitre 1 (03)

Petites nouvelles russes - En mauvaise compagnie - La comtesse
La comtesse

В дурном обществе – En mauvaise compagnie

 

Развалины (I.03) Les ruines

Потомки этого графа давно уже оставили жилище предков. Большая часть дукатов и всяких сокровищ, от которых прежде ломились сундуки графов, перешла за мост, в еврейские лачуги, и последние представители славного рода выстроили себе прозаическое белое здание на горе, подальше от города. Там протекало их скучное, но всё же торжественное существование в презрительно-величавом уединении.

Изредка только старый граф, такая же мрачная развалина, как и зáмок на острове, появлялся в городе на своей старой английской кляче. Рядом с ним, в чёрной амазонке, величавая и сухая, проезжала по городским улицам его дочь, а сзади почтительно следовал шталмейстер. Величественной графине суждено было навсегда остаться девой. Равные ей по происхождению женихи, в погоне за деньгами купеческих дочек за границей, малодушно рассеялись по свету, оставив родовые зáмки или продав их на слом евреям, а в городишке, расстилавшемся у подножия её дворца, не было юноши, который бы осмелился поднять глаза на красавицу-графиню. Завидев этих трёх всадников, мы, малые ребята, как стая птиц, снимались с мягкой уличной пыли и, быстро рассеявшись по дворам, испуганно любопытными глазами следили за мрачными владельцами страшного зáмка.

В западной стороне, на горе, среди истлевших крестов и провалившихся могил, стояла давно заброшенная униатская часовня. Это была родная дочь расстилавшегося в долине собственно обывательского города. Некогда в ней собирались, по звону колокола, горожане в чистых, хотя и не роскошных кунтушах, с палками в руках вместо сабель, которыми гремела мелкая шляхта, тоже являвшаяся на зов звонкого униатского колокола из окрестных деревень и хуторов.

Отсюда был виден остров и его тёмные громадные тополи, но зáмок сердито и презрительно закрывался от часовни густою зеленью, и только в те минуты, когда юго-западный ветер вырывался из-за камышей и налетал на остров, тополи гулко качались, и из-за них проблескивали окна, и зáмок, казалось, кидал на часовню угрюмые взгляды. Теперь и он, и она были трупы. У него глаза потухли, и в них не сверкали отблески вечернего солнца; у неё кое-где провалилась крыша, стены осыпались, и, вместо гулкого, с высоким тоном, медного колокола, совы заводили в ней по ночам свои зловещие песни.

Но старая, историческая рознь, разделявшая некогда гордый панский зáмок и мещанскую униатскую часовню, продолжалась и после их смерти: её поддерживали копошившиеся в этих дряхлых трупах черви, занимавшие уцелевшие углы подземелья, подвалы. Этими могильными червями умерших зданий были люди.

Petites nouvelles russes - En mauvaise compagnie - Le château 2

Les descendants du terrible comte avaient depuis longtemps abandonné le vieux manoir, demeure de leur aïeul. La plus grande partie des ducats et autres richesses qui, jadis, débordaient de leurs coffres, avaient franchi le pont pour s’en aller trouver asile dans les masures délabrées des Juifs. Les derniers représentants de cette glorieuse famille s’étaient fait bâtir une résidence prosaïquement blanche sur les hauteurs, loin au-dessus de la ville. Et c’est là, depuis lors, qu’ils menaient une existence terne mais toujours solennelle, reclus dans une méprisante et hautaine solitude.

A de longs intervalles, le vieux comte à la triste figure, la mine pareille à celle du château de son ancêtre, se rendait en ville monté sur une vieille haridelle de race anglaise. A ses côtés chevauchait sa fille, digne et sèche, vêtue en amazone noire. Derrière eux les suivait, à distance respectable, un grand écuyer.

La majestueuse comtesse était destinée à rester demoiselle à jamais. Dans notre bourgade qui s’étalait en contrebas de la résidence seigneuriale ne se trouvait aucun jeune homme assez hardi pour oser lever les yeux vers elle. Depuis longtemps, les jeunes gens à marier de même engeance avaient préféré s’expatrier, à la poursuite de la dot de filles de riches marchands. S’étant enfuis lâchement de par le monde, ils avaient abandonné leur demeure familiale, voire l'avaient vendue aux Juifs au vil prix de la pierre.

Nous, petits gamins, au passage de ces trois cavaliers, nous envolions comme des moineaux, soulevant la fine poussière des rues, nous dispersant par les cours et les jardins. Là, cachés, curieux et apeurés, nous suivions des yeux le cortège des sombres propriétaires de l’effrayant manoir…

***

A l'ouest, située sur une hauteur, au milieu de croix vermoulues et des tombes disloquées d'un ancien cimetière, se dressait une chapelle uniate¹ depuis longtemps abandonnée, jadis fille bien-aimée du bourg et de ses environs. A cette lointaine époque, au son de sa cloche, les gens de la ville, en kountouchi² propres mais modestes, un bâton à la main leur tenant lieu de sabre, s'y réunissaient ; tandis qu’arrivant des villages et des hameaux environnants, les petits nobles, répondant à son appel, y faisaient tinter leur arme pendue au côté.

De cet endroit, on pouvait voir l'île et ses sombres peupliers, mais le château, comme fâché et méprisant, se dérobait, enveloppé par une végétation touffue. Et seulement quand le vent du sud-ouest se levait au-dessus des roseaux et soufflait sur l’île, que les grands arbres oscillaient et grondaient, depuis ses fenêtres vides le vieux manoir semblait, à travers les frondaisons, daigner jeter vers la chapelle un bien mauvais regard.

A présent lui et elle n’étaient plus que des corps sans vie. Les yeux de l’imposante forteresse depuis longtemps s’étaient éteints : les reflets du soleil couchant n’y scintillaient plus. La chapelle elle-même avait piteuse allure. Son toit par endroits s’était effondré et ses murs s’écroulaient. Au lieu de l’appel puissant de sa cloche d’airain, les hiboux y donnaient la nuit des concerts augurant de lugubres présages.

Mais la vieille et historique querelle qui opposait jadis la fière demeure des pans et la mesquine chapelle uniate se poursuivait encore, même après que l’une et l’autre ne furent plus que des ruines. L’ancienne rancune de ces cadavres transis était à présent alimentée par des vers grouillants qui tentaient de survivre dans les dédales et les souterrains du château.

Et ces macabres vers se trouvaient être des hommes et des femmes faits de chair et d’os…

___

1. L'Église gréco-romaine ukrainienne (parfois péjorativement qualifiée d’uniate) reconnaît l’autorité du Pape (catholique), à l’inverse de l’Église orthodoxe russe autocéphale. Elle fut formellement interdite au XIX° siècle par le pouvoir tsariste.

2. Koutouch : vêtement traditionnel masculin ou féminin d’Europe centrale et d’Ukraine.