Le blocus de Léningrad – Entre la vie et la mort 5

Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Dans le froid et la neige
Художник / Illustration : Неизвестный / Inconnu

Ничего не могу забыть – Je ne peux rien oublier

Между жизнью и смертью (5) Entre la vie et la mort

Я шла по Загородному, а ему всё не было конца. Стояла, скособочившись, занесённая снегом разбитая грузовая машина. Кое-где свисали разорванные провода. На пустынной улице застыли трамваи с выбитыми окнами. Иногда я видела лежащих в снегу покойников. Видимо, у родных не хватило сил найти их и похоронить. Мама всё говорила, что ближе к весне мы похороним брата, что «земле надо предать», как положено. А теперь как? С мамой, братом… Я вышла на Владимирскую 9 - Владимирский проспект, тогда — площадь Нахимсона. Здесь неподалёку жил папин товарищ по Артиллерийской академии. Был он смешливым, и нас, детей, всё поддразнивал. Папу же он звал «Викинг». К ним можно было бы зайти, передохнуть немного, но они всей семьёй эвакуировались ещё летом. А мы остались…

Перед войной папа преподавал в этой академии. Носил военную форму— гимнастёрку, перехваченную широким кожаным поясом, галифе и высокие, начищенные до блеска, сапоги.

Как-то папа в своей длинной, почти до пола, шинели прошёл в комнату, не раздеваясь. Он расстегнул шинель и вынул из ножен шашку. Мы потеряли дар речи. Папа, довольный произведённым впечатлением, разрешил посмотреть и даже потрогать оружие. Затем, аккуратно вложив в ножны шашку, поставил её в шкаф и закрыл.

Мы повисли у папы на руках, теребя и расспрашивая — откуда шашка, зачем он её принёс? И тут папа своим ответом поразил нас ещё больше. Завтра он пройдёт с шашкой на военном параде по площади Урицкого (Дворцовой) 3 - Place du Palais. Мама улыбалась, сестра и брат задавали какие-то вопросы, а я смотрела на папу и всё представляла, как он с шашкой «наголо» проходит парадным шагом под звуки марша.

Думая о папе, я прошла проспект Нахимсона и очутилась на проспекте 25 Октября, так тогда назывался Невский 10 - Невский проспект. Здесь был какой-то островок жизни. Появились закутанные, замёрзшие фигуры. Многие тащили санки, на которых стояли бидоны и кастрюли с водой. На Литейном 10 - avenue Liteïni — в то время он назывался проспект Володарского — вновь стало безлюдно, и мне не у кого было спросить — правильно ли я иду. Сестра несколько раз говорила о Доме Красной Армии 11 -Дом Красной Армии. Но нужно ли его пройти или свернуть раньше, мне никак не удавалось вспомнить. Неужели заблужусь?

Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Dessin d'enfant - seul dans la rue
Dessin d'enfant - seule dans la rue

Je remontais l’avenue Zagorodni– elle n’en finissait pas¹. Il y avait une camionnette accidentée qui avait versé sur le côté, recouverte d’un manteau neigeux ; des câbles arrachés pendaient çà et là, et puis, dans une rue déserte, des tramways aux vitres brisées, abandonnés, pris par le froid.

Parfois je longeais des cadavres qui gisaient dans la neige. Apparemment leurs proches n’avaient pas eu assez de force pour les retrouver et les enterrer. Maman sans cesse nous avait répété qu’à l’approche du printemps on inhumerait Youra, qu’il fallait le mettre en terre comme cela se devait. Et maintenant comment allions nous faire ? avec maman, avec notre frère ?…

J’arrivai sur Vladimirski 9 - avenue Vladimirski, alors avenue Nakhimson, aussi vaste qu'une place. Non loin de là habitait un camarade de papa, un homme qu’il avait connu à l’Académie d’artillerie. Il était drôle et il nous taquinait souvent, nous, les enfants. Il surnommait papa le « Viking » . J’aurais pu tenter d’y passer, me reposer un peu... si lui et sa famille n’avaient pas tous été évacués l’été précédent. Mais nous, nous étions restés…

Avant la guerre, papa avait enseigné au sein de cette académie. Il portait alors l’uniforme militaire – une tunique avec une large ceinture de cuir, un pantalon bouffant et de hautes bottes toujours bien cirées.

Une fois, papa était rentré vêtu de son manteau qui lui descendait presque jusque au sol. Après l’avoir déboutonné il avait sorti son sabre et l’avais tiré de son fourreau. Nous en étions restés sans voix. Content de l’effet produit, il nous autorisa à l’examiner de près et même à le toucher, puis, soigneusement, il le rengaina, le rangea dans l’armoire puis en referma la porte.

Nous lui avions sauté dans les bras, le titillant sans cesser de l’interroger : d’où venait le sabre ? pourquoi l’avait-il rapporté à la maison ? Et la réponse qu’il nous fit nous étonna plus encore : le lendemain il allait défiler lors d’une parade militaire sur la place Ouritski, l’actuelle place du Palais 3 - Place du Palais. Maman souriait, Assia et Youra le bombardaient de questions et moi je le regardais et je l’imaginais marchant, ‘sabre au clair’, au son d’une marche militaire.

En pensant à papa je dépassai l’avenue Nakhimson puis j’arrivai sur l’avenue du 25 Octobre - comme s’appelait alors la perspective Nevski 10 - La perspective Nevski. Il y avait là comme un îlot de vie. Des silhouettes emmitouflées, transies de froid, allaient et venaient, beaucoup traînant des luges chargées de bidons et de casseroles d’eau.

Plus loin, je tombai sur l’avenue Liteïni 10 - avenue Leteïni – à l’époque l’avenue Volodarski – qui, elle, était déserte. Il n’y avait personne à qui je pouvais demander mon chemin. Assia m’avait parlé plusieurs fois de la Maison de l’Armée Rouge Maison de l'Armée rouge. Mais est-ce que je devais passer devant ou tourner avant ? Je n’arrivais pas à me le rappeler. M’étais-je égarée ?

 

1. Sa longueur totale, que parcourut l’auteure, est de plus de 2 km, depuis le repère 7 - avenue Liteïni jusqu’au 9 - avenue Liteïni.