• Le blocus de Léningrad – Annexe – Les chats de l’Ermitage

    Des chats au pays des Tsars

    ‘Des chats au pays des Tsars’ (2008) - Arte

    Annexe 6

    Les chats de l'Ermitage

    Bien avant tous les événements que nous venons de conter, les Romanov avaient commencé à rassembler une collection d'objets d'art provenant de l'Europe entière, notamment au Palais d’Hiver – devenu depuis partie du musée de l'Ermitage. Pour protéger ces œuvres - en particulier les toiles - des rongeurs, l’impératrice Elisabeth Ière, fille de Pierre le Grand, promulgua en 1745 un oukase afin que l’on ramenât trente des meilleurs chats (de la race Bleue) depuis la ville de Kazan (Казань), située à plus de 1 500 kilomètres de Saint-Petersbourg.

    Si, dans les méandres du complexe de l’Ermitage, les descendants de ces chats survécurent aux aléas de l’Histoire, à la chute de l’Empire et à la Révolution d’Octobre, aucun d’entre eux ne réchappa au Blocus : tous disparurent, la plupart mangés. De nos jours, ce sont en majorité les dignes héritiers des chats sibériens (et de Yaroslavl) qui hantent les sous-sols (et parfois aussi les salles d’exposition) du plus grand musée du monde. Leur odeur seule terrorise tout rat assez téméraire qui oserait s’y aventurer.

    Plus d’une cinquantaine de ces chats, qui portent fièrement le titre de Chats de l'Ermitage, y sont logés, nourris et choyés par des employés du musée spécialement affectés à cette noble tâche. En 1998, la Journée du chat de l'Ermitage (День эрмитажного кота) a été instituée pour honorer ces sauveteurs et gardiens des chefs-d’œuvre de l’art mondial.

    Le musée du Chat de Vsevolojsk :

    A Vsevolojsk (Всеволожск), bourgade située à quelques kilomètres de Saint-Petersbourg, se trouve l’adorable musée du Chat (Музей Кошки) où plusieurs de ces animaux estampillés ‘Chats de l'Ermitage’ mènent une retraite paisible. Une exposition leur est consacrée ainsi qu’aux chats de toutes les Russies. Vous découvrirez dès votre arrivée ses façades ornées des plus beaux chefs-d’œuvres (détournés) de la peinture mondiale. Une annexe du musée de l’Ermitage, en quelque sorte.

    Pour en savoir (et en voir) plus : visitez le musée du Chat de Vsevolojsk.

    Petites nouvelles russes - 'Je t'ai apporté une souris...'
    'Je t'ai apporté une souris...'

    Dimitri Kouprevitch (Дмитрий Купревич)
    ­

    Je t'ai apporté une souris morte…
    (Я принёс тебе дохлую мышь...)

    Я принёс тебе дохлую мышь.
    Вон, на коврике. Можешь потрогать.
    Ну чего ты, как дура, кричишь?!
    Это мышь, а не сломанный ноготь.

    Я с любовью её приволок,
    Это так романтично и мило.
    Ну куда ты её на совок?!
    Съела б сразу, пока не остыла!

    Извини, но ты просто балда!
    Я полночи в засаде под крышей…
    Твой мужчина тебе никогда
    Не принёс даже хвостик от мыши!

    И вот как мне, простому коту,
    На тебя не шипеть и не злиться?
    Ладно. Помни мою доброту -
    Вон, в углу, ещё дохлая птица.

    Je t'ai apporté une souris morte.
    Là, sur le tapis. Tu peux la toucher...
    Mais pourquoi cries-tu comme une idiote ?!
    C'est une souris, pas un ongle cassé.

    C’est avec amour que je l'ai capturée,
    C'est si romantique et si doux.
    Eh bien, pourquoi cette pelle et cette balayette ? !
    Mange-la bien vite avant qu’elle ne refroidisse !

    Je suis désolé, mais tu n'es qu'une nigaude !
    La moitié de la nuit sous le toit j’étais en embuscade...
    Ton mari, lui, jamais n’a su t’apporter
    Ni même la queue d’une souris !

    Et dis-moi : moi, simple chat,
    Comment ne pas être bougon et méchant contre toi ?
    Allons... Souviens-toi de ma gentillesse.
    Dans le coin là-bas, vois aussi cet oiseau mort.

    Lire (en russe) d’autres poèmes et aphorismes de cet auteur biélorusse contemporain : Dimitri Kouprevitch (Дмитрий Купревич).

    Petites nouvelles russes - Enfant du Blocus
    Enfant du Blocus

    ***

    Voici enfin un extrait d’un journal d’un enfant de 10 ans écrit durant le blocus : « 3 décembre 1941. Aujourd’hui nous avons mangé du chat en friture. C’était délicieux... » (‘3 декабря 1941 года. Сегодня съели жареную кошку. Очень вкусно...’)

    Et voici la réaction à ce petit récit d’un lecteur contemporain sur internet (rédigée en lettres capitales !) :

    ‘NE MANGEZ EN AUCUN CAS QUELQU'UN QUE VOUS AIMEZ !!!’

    (НЕЛЬЗЯ ЕСТЬ КОГО ЛЮБИШЬ НИ ПРИ КАКИХ ОБСТОЯТЕЛЬСТВАХ!!!)

    Voilà un conseil fort avisé que prodiguait déjà Victor Hugo à l’ogre de Moscovie ! ☺ (Lire : L'Ogre et la Fée).

  • Le blocus de Léningrad – Annexe – Les chats du Blocus

    Petites nouvelles russes - Les chats du Blocus
    Les chats du Blocus de Leningrad - © Даша Ожерельева - Ridus.ru

    Annexe 5

    Les chats du Blocus

    A Svetlana W., pour son amour des chats et de Saint-Pétersbourg.

    Les chats de Saint-Pétersbourg Eliceï et Vassilissa

    Vassilissa et Eliceï, les chats propitiatoires de Saint-Pétersbourg :

    On peut voir à Saint-Pétersbourg, rue Malaya Sadovaya (Малая Садовая ул.) deux petites statues de bronze perchées sur des corniches, l’une en face de l’autre. La première est celle du matou Eliceï (Кот Елисей), la seconde celle de la chatte Vassilissa (Кошка Василиса). Elles auraient été érigées, dit-on, à la mémoire des chats du Blocus, qui concoururent, à leur manière, à sauver la Ville. Sculptées par Vladimir Petrovichev (Владимир Алексеевич Петровичев), ces deux adorables figurines furent installées en l’an 2000.

    Petites nouvelles russes - Eliceï cambriolé
    Le chat Eliceï cambriolé

    La légende urbaine veut que si vous jetez une pièce sur le piédestal sur lequel est perché le chat Eliceï, et que celle-ci ne retombe pas, la fortune vous sourira. Depuis, certains n’hésitent pas à grimper tout là-haut - à une hauteur de cinq mètres quand même ! -, pour récupérer le ‘magot’. On dit même que des ‘hooligans’ auraient tenté de subtiliser le matou, sûrement pour profiter des bienfaits de l’animal sans débourser un kopeck. Mais Eliceï, et sa consœur Vassilissa, tiennent bon et veillent au grain : que les ‘monte-en-l’air’ ne s’y trompent pas : si un chat sait toujours retomber sur ses pattes, pour ceux-là la chute pourrait s’avérer plus rude !

    Lire (en russe) et voir la vidéo : 'À Saint-Pétersbourg, le chat Elicéï a de nouveau été cambriolé'.

    On peut entrapercevoir également, rue des Compositeurs (ул. Композиторов), un autre matou qui se blottit là été comme hiver. Le ‘monument’ (pas bien grand non plus), consacré ‘à la mémoire des chats du Blocus de Leningrad’ (в память о кошках Блокадного Ленинграда), est une création de la sculptrice Natalia Rysseva (Наталья Рысева), inaugurée en 2016.

    Le chat de la rue des Compositeurs, ‘à la mémoire des chats du Blocus de Leningrad’

    Petites nouvelles russes - Le Blocs de Leningrad - Rats alliés des nazis
    Les rats alliés des nazis

    Les rats du Blocus :

    Dès les premiers mois du Blocus de Leningrad, alors que les réserves alimentaires s’étaient taries, les habitants affamés mangèrent tout ce qui rampait, volait, aboyait et miaulait. Mais bientôt un nouveau fléau s’abattit : des hordes de rats envahirent la ville, se nourrissant de tout ce qu’ils trouvaient, s’attaquant même aux dépouilles humaines, laissées sans sépulture dans les rues. Bientôt les rats devinrent aussi une menace pour les vivants, sans compter les risques d’épidémies dont ils pouvaient être vecteurs.

    Et pendant que les défenseurs héroïques de Leningrad résistaient face à l’envahisseur nazi, rien ni personne ne semblait pouvoir contenir ces légions de rongeurs affamés.

    Une survivante du blocus se souvient : « On tirait sur les rats, nos soldats tentaient de les écraser sous les chenilles de leurs tanks, mais rien n’y faisait... C'était un ennemi organisé, intelligent et cruel... »

    Petites nouvelles russes - La 'division miaou' de Yaroslavl
    La 'division miaou' de Yaroslavl

    Quand la division ‘miaou’ de Yaroslavl vient à la rescousse :

    Au printemps 1943, après une première percée – partielle - du Blocus, le Conseil de la Ville (Ленсовет) publia un décret afin d’acheminer à Leningrad, par l’unique voie de chemin de fer traversant le Lac Ladoga pris par les glaces, plusieurs wagons de chats originaires de Yaroslavl¹ (Ярославль). Dès leur arrivée, certains de ces attrapeurs de rats furent relâchés directement, d’autres remis aux habitants de la ville.

    On a rapporté qu’à Leningrad, en janvier 1944, un chaton coûtait 500 roubles alors que le prix d’un kilogramme de pain, quand on en trouvait, était de 50 roubles, et le salaire d’un concierge 120 roubles par mois.

    Les chats de cette première escouade - ‘la division miaou’ «мяукающая дивизия» comme elle fut surnommée avec humour - s’acquittèrent au mieux de leur tâche mais leur nombre restait insuffisant pour débarrasser entièrement la ville de l’envahisseur.

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    1. Yaroslavl : ville située à près de 700 kilomètres de Saint-Pétersbourg.

    Les chats qui sauvèrent Leningrad
    (en russe - sous-titrage possible en français)

    La mobilisation décisive des chats de Sibérie :

    Dès la fin des hostilités, un nouvel ‘appel aux chats’ (Кошачий призыв) fut lancé. Ce furent alors environ 5 000 chats que l’on rapporta de Sibérie - d'Omsk, de Tioumen et d’Irkoutsk. C’étaient de solides mistigris (мурки) sibériens, bâtis pour terrasser les rats les plus féroces.

    Petites nouvelles russes - Tioumen- Le carré des chats du Blocus
    Tioumen- Le carré des chats du Blocus

    De nos jours, dans la ville de Tioumen (Тюмень), en Sibérie occidentale, à plus de 2 600 kilomètres de Saint-Petersbourg, on peut visiter le ‘Carré des Chats sibériens’ (Сквер сибирских кошек), inauguré en 2008. Sur cette place, située en centre-ville, plusieurs plates-formes se dressent, sur lesquelles trônent des sculptures dorées de chats qui scintillent de mille feux, ainsi qu’une plaque commémorative en l’honneur de ces ‘héros sibériens’ qui délivrèrent Leningrad du fléau des rats.

    Petites nouvelles russes - Les chats du Blocus - Chats de Sibérie
    Chats de Sibérie
    Мильоны — вас. Нас — тьмы, и тьмы, и тьмы.
    Попробуйте, сразитесь с нами!
    Да, скифы — мы! Да, азиаты — мы,
    С раскосыми и жадными очами!

    Vous êtes des millions. Nous, nous sommes des nuées et des nuées encore.
    Essayez seulement de vous mesurer à nous !
    Oui, nous sommes des Scythes, des Asiatiques
    Aux yeux bridés et avides !

    (Extrait du poème ‘Les Scythes’ d’Alexandre Blok (1918) (Александр Блок, Скифы - отрывок))

  • Boris Smirnov – Marquis, le chat revenu du front (03)

    Petites nouvelles russes - Blocus de Leningrad - Marquis le chat
    Marquis, le chat revenu du front

    Вставная челюсть кота Маркиза
     Marquis, le chat revenu du front

    Тре́тий эпизод - Episode trois

    Две недели пролетели мгновенно, и снова мы в НИИ стоматологии. На примерку собрался весь персонал института. Протез надели на штыри, и Маркиз стал похож на артиста оригинального жанра, для которого улыбка - творческая необходимость.

    Но протез не понравился Маркизу по вкусу, он яростно пытался вытащить его изо рта. Неизвестно, чем бы закончилась эта возня, если бы санитарка не догадалась дать ему кусочек отварного мяса. Маркиз давно не пробовал такого лакомства и, забыв про протез, стал его жадно жевать. Кот сразу почувствовал огромное преимущество нового приспособления. На его морде отразилась усиленная умственная работа. Маркиз навсегда связал свою жизнь с новой челюстью.

    Между завтраком, обедом и ужином челюсть покоилась в стаканчике с водой. Рядом стояли стаканчики со вставными челюстями бабушки и отца. По нескольку раз в день, а то и ночью Маркиз подходил к стаканчику и, убедившись, что его челюсть на месте, шёл дремать на огромный бабушкин диван.

    А сколько переживаний досталось коту, когда он однажды заметил отсутствие своих зубов в стаканчике! Целый день, обнажая свои беззубые дёсны, Маркиз орал, как бы спрашивая домашних, куда они задевали его приспособление. Челюсть он обнаружил сам - она закатилась под раковину. После этого случая кот большую часть времени сидел рядом - сторожил свой стаканчик.

    Так, с искусственной челюстью, кот прожил 16 лет. Когда ему пошёл 24-й год, он почувствовал свой уход в вечность. За несколько дней до смерти он уже более не подходил к своему заветному стаканчику. Только в самый последний день, собрав все силы, он взобрался на раковину, встал на задние лапы и смахнул с полки стаканчик на пол. Затем, словно мышь, взял челюсть в свою беззубую пасть, перенёс на диван и, обняв её передними лапами, посмотрел на меня долгим звериным взглядом, промурлыкал последнюю в своей жизни песенку и ушёл навсегда.

    ___

    1- НИИ: Научно-Исследовательский Институт стоматологии.

    Ces deux semaines d’attente passèrent comme deux secondes, et quand nous retournâmes à l'Institut toute l'équipe était rassemblée pour l'essayage. La prothèse fut fixée sur des pivots d’argent et Marquis redevint tel l’artiste pour qui son sourire est un outil professionnel.

    Mais l’animal nous fit vite savoir qu’il n’appréciait pas sa nouvelle dentition : il tenta furieusement de la retirer de sa gueule. Pour éviter plus de tapage, une infirmière eut la bonne idée de lui proposer un bout de viande bouillie. Notre chat, qui n'avait pas goûté pareille friandise depuis longtemps, oubliant la prothèse, se mit à mastiquer goulûment. Ainsi put-il apprécier l'énorme avantage que lui procurait son nouvel appareil. Un gigantesque travail mental se reflétait jusque sur son museau.

    La vie de Marquis fut dès lors à jamais liée à son nouveau dentier.

    Entre le moment du petit-déjeuner, du repas de midi et du dîner, la mâchoire de l’animal trempait dans un verre d'eau, juste à côté des verres où baignaient le dentier de mon père et celui de grand-mère. Plusieurs fois par jour, et même la nuit, Marquis s'approchait du verre afin de s'assurer que sa dentition de substitution était bien à sa place, puis s’en retournait somnoler sur l’immense canapé de mon aïeule.

    O combien montra-t-il son désarroi la fois où il remarqua l'absence de ses dents dans le verre ! Toute la journée, nous exposant ses gencives édentées, Marquis hurla, miaula, comme s'il demandait à toute la famille où on avait bien pu cacher son appareil. Et c’est lui-même qui le retrouva : il avait roulé sous l'évier ! Après cette alerte, le chat décida de rester la plupart du temps à proximité de ses nouvelles dents, montant la garde à côté du verre.

    Ainsi appareillé, Marquis vécut encore seize années. Quand il eut atteint l’âge vénérable de vingt-quatre ans, il sentit que le temps était venu pour lui de gagner le repos éternel. Avant sa mort, pendant quelques jours, il ne s’approcha plus de son verre chéri. Ce n'est que le tout dernier jour, après avoir rassemblé toutes ses forces, qu'il grimpa sur l'évier. Assis sur ses pattes de derrière, il donna un coup de griffe et renversa le verre sur le sol. Puis, telle une souris, il saisit de sa bouche édentée le dentier et, l’apportant jusque sur le canapé, il le tint serré entre ses pattes. Il me regarda alors avec un long regard félin, ronronna une dernière comptine et nous quitta pour toujours.

    Voici une autre version sonore, illustrée, en russe :

  • Boris Smirnov – Marquis, le chat revenu du front (02)

    Вставная челюсть кота Маркиза
     Marquis, le chat revenu du front

    Второ́й эпизод - Episode deux

    Petites nouvelles russes - Blocus de Leningrad - Vieux chat
    Marquis, le chat revenu du front

    В 1948 году у Маркиза начались неприятности - выпали все зубы верхней челюсти. Кот стал угасать буквально на глазах. Ветврачи были категоричны: усыпить. И вот мы с матерью с зарёванными физиономиями сидим в зоополиклинике со своим мохнатым другом на руках, ожидая очереди на его усыпление.

    - Какой красивый у вас кот, - сказал мужчина с маленькой собачкой на руках. - Что с ним?

    И мы, задыхаясь от слёз, поведали ему печальную историю.

    - Разрешите осмотреть вашего зверя. -Мужчина взял Маркиза, бесцеремонно открыл ему пасть.

    - Что ж, жду вас завтра на кафедре НИИ стоматологии. Мы обязательно поможем вашему Маркизу.

    Когда на следующий день в НИИ мы вытаскивали Маркиза из корзины, собрались все сотрудники кафедры. Наш знакомый, оказавшийся профессором кафедры протезирования, рассказал своим коллегам о военной судьбе Маркиза, о перенесённой им блокаде, которая и стала основной причиной выпадения зубов. Маркизу наложили на морду эфирную маску, и когда он впал в глубокий сон, одна группа медиков сделала слепок, другая вколачивала в кровоточащую челюсть серебряные штыри, третья накладывала ватные тампоны.

    Когда всё закончилось, нам сказали прийти за протезами через две недели, а кота кормить мясными отварами, жидкой кашей, молоком и сметаной с творогом, что в то время было весьма проблематично. Но наша семья, урезая свои суточные пайки, справилась.

    En 1948, Marquis commença à connaître des problèmes de santé : il perdait toutes ses dents du haut et dépérissait à vue d’œil. Les vétérinaires consultés furent catégoriques : il fallait piquer l’animal. Dans le cabinet vétérinaire, ma mère et moi étions assis, sanglotants, notre ami à quatre pattes dans nos bras, attendant notre tour pour l’euthanasie.

    - Quel beau chat que le vôtre ! nous dit un homme qui tenait un petit chien contre sa poitrine. Qu’est-ce qu’il a ?

    Et nous, étouffés de larmes, lui racontâmes toute la triste histoire.

    - Vous permettez que j’examine votre animal ?

    L'homme prit Marquis et lui ouvrit sa petite gueule sans ménagement.

    - Ecoutez donc, nous dit-il : je vous attends demain à l'Institut de médecine dentaire. Nous allons certainement pouvoir aider votre Marquis.

    A l'institut où nous nous rendîmes le lendemain, lorsque nous sortîmes Marquis de son panier, tout le personnel était rassemblé.

    La personne que nous avions croisée la veille était professeur au sein du département de prothèse dentaire. Il raconta à l’ensemble de ses collègues le destin de l’animal durant la guerre, et déclara que la principale cause de la chute de ses dents était les privations qu’il avait endurées pendant le blocus.

    On posa un tampon imbibé d’éther sur le museau de Marquis, et quand il fut plongé dans un sommeil profond, une première équipe prit des empreintes de ses dents, une autre enfonça des aiguilles d'argent dans sa mâchoire saignante, pendant qu’une troisième appliquait des compresses de coton.

    Quand tout fut fini, on nous dit de revenir deux semaines plus tard, quand ses prothèses seraient prêtes. Durant cet intervalle, nous dûmes nourrir Marquis de bouillons de viande, de bouillie, de lait, de crème fraîche et de fromage blanc, choses qui à l'époque étaient bien difficiles à trouver. Mais, acceptant de réduire nos propres rations, nous y parvînmes.

  • Boris Smirnov – Marquis, le chat revenu du front

    Petites nouvelles russes - Blocus de Leningrad - Chat du blocus
    Dessin d'enfant : un chat du Blocus

    Борис Васильевич Смирнов
    Boris Smirnov

    Вставная челюсть кота Маркиза
     Marquis, le chat revenu du front

    Avertissement : Un récit en quête d’auteur...
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    Ce petit texte est parfois faussement attribué à Alexandre Rakov (Александр Раков), qui l’a diffusé dans la presse, en livre papier et sur le Net. Lire en russe : Alexandre Rakov, ‘Les chats du Blocus’ (Блокадные кошки).

    Pourtant Alexandre Rakov a reconnu ne pas en être l’auteur original (‘Рассказ написан не мной, я лишь раскопал его и попросил разрешение опубликовать в газете, в книге (…) и на Проза.ру.’). Il a, selon ses termes, ‘déterré’ ce récit trouvé sur Internet, et aurait demandé à son auteur, un certain Boris Smirnov (Борис Васильевич Смирнов) l’autorisation de le publier… avant qu’en définitive il ne le supprime de l’ensemble de ses parutions (!).

    Ce texte ‘circule’ donc sur Internet, plus ou moins tronqué parfois...

    Je n’ai pu, jusqu’à présent, retrouver trace de ce Boris Smirnov. Le récit original aurait été publié en 2009 dans le journal ‘Le réveil de la miséricorde’ (Возрождение Милосердия, Спб).

    Pour en savoir plus (en russe) : Proza.ru.

    Source du texte (en russe) : Livejournal.com.

    Enregistrements sonores :

    - En russe : Miliza ;
    - En français : Bernard Pollet.

    Que je remercie infiniment.

    Autres remerciements :

    -  Svetlana Weiss, pour son accompagnement à la traduction ;
    - Olga Moutouh, pour sa relecture et remarques côté russe ;
    - Monsieur Bernard Pollet, pour sa relecture et ses corrections, côté français.

    Первый эпизод - Premier épisode

    Расскажу о долгой бескорыстной дружбе с котом — совершенно замечательной личностью, с которым под одной крышей провёл 24 радостных года.

    Маркиз родился на два года раньше меня, ещё до Великой Отечественной войны. Когда фашисты сомкнули вокруг города кольцо блокады, кот пропал. Это нас не удивило: город голодал, съедали всё, что летало, ползало, лаяло и мяукало.

    Вскоре мы уехали в тыл и вернулись только в 1946 году. Именно в этот год в Ленинград со всех концов России стали завозить котов эшелонами, так как крысы одолели своей наглостью и прожорливостью…

    Однажды ранним утром некто стал рвать когтями дверь и во всю мочь орать. Родители открыли дверь и ахнули: на пороге стоял огромный чёрно-белый котище и не моргая глядел на отца и мать. Да, это был Маркиз, вернувшийся с войны. Шрамы, следы ранений, укороченный хвост и рваное ухо говорили о пережитых им бомбёжках. Несмотря на это, он был силён, здоров и упитан. Никаких сомнений в том, что это Маркиз, не было: на спине у него с самого рождения катался жировик, а на белоснежной шее красовалась чёрная артистическая «бабочка».

    Кот обнюхал хозяев, меня, вещи в комнате, рухнул на диван и проспал трое суток без пищи и воды. Он судорожно перебирал во сне лапками, подмяукивал, иногда даже мурлыкал песенку, затем вдруг оскаливал клыки и грозно шипел на невидимого врага. Маркиз не ел крыс, в его повседневный рацион входило всё то, что мог позволить себе человек в то голодное время: макаронные изделия с рыбой, выловленной из Невы, птицы и пивные дрожжи. Что касается последнего, в этом ему отказа не было. На улице стоял павильон с лечебными пивными дрожжами, и продавщица всегда наливала коту 100-150 граммов, как она говорила, «фронтовых»¹

    Маркиз быстро привык к мирной, созидательной жизни. Каждое утро он провожал родителей до завода в двух километрах от дома, прибегал обратно, забирался на диван и ещё два часа отдыхал до моего подъёма.

    Надо отметить, что крысоловом он был отличным. Ежедневно к порогу комнаты он складывал несколько десятков крыс. И хотя зрелище это было не совсем приятным, но поощрение за честное выполнение профессионального долга он получал сполна. Маркиз не ел крыс, в его повседневный рацион входило всё то, что мог позволить себе человек в то голодное время: макаронные изделия с рыбой, выловленной из Невы, птицы и пивные дрожжи. Что касается последнего, в этом ему отказа не было. На улице стоял павильон с лечебными пивными дрожжами, и продавщица всегда наливала коту 100-150 граммов, как она говорила, «фронтовых»¹.

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    1- Фронтовые :«Наркомовские сто грамм» - неофициальный термин, имевший хождение в 1940-х годах в период ведения Красной Армией боевых действий, которым обозначали норму выдачи алкоголя (водки) военнослужащим.

    Permettez-moi de vous conter l’histoire de ma longue amitié avec un chat, un être désintéressé et véritablement merveilleux, avec qui j'ai vécu sous le même toit durant vingt-quatre heureuses années.

    Marquis était né deux ans avant moi. C’était avant la Grande guerre patriotique. Après que les nazis eurent totalement encerclé la ville, le chat disparut. Cela ne nous surprit pas : les habitants étaient affamés, ils mangeaient tout ce qui rampait, volait, aboyait et miaulait.

    Bientôt, nous fûmes évacués vers l'arrière et ne revînmes qu'en 1946. C'est cette année-là qu’on commença à ramener de toute la Russie par trains entiers des chats à Leningrad. A cette époque, dans la ville, les rats dépassaient toutes les bornes de l’impudence et de la voracité...

    Un jour, tôt le matin, on entendit brailler et gratter à la porte. Mes parents ouvrirent et en eurent le souffle coupé : un énorme chat noir et blanc se tenait sur le seuil, fixant mon père et ma mère sans sourciller. Oui, c'était bien lui ! C’était Marquis qui revenait du front. Ses cicatrices, les marques de ses blessures, sa queue raccourcie et une oreille déchirée témoignaient de la guerre et des bombardements qu’il avait endurés. Malgré cela, il paraissait en bonne santé, bien nourri et toujours vigoureux. Sans aucun doute ce ne pouvait être que Marquis : un lipome courait sur son dos depuis sa naissance et un ‘papillon’ dessinant une arabesque noire ornait sa gorge blanche, blanche comme neige.

    Le chat nous flaira, mes parents et moi, renifla les objets de la pièce, puis alla s’effondrer sur le canapé et dormit durant trois jours, sans chercher à se nourrir ou boire. Dans son sommeil, il remuait convulsivement ses pattes, miaulait et, même parfois, ronronnait, comme s’il se fredonnait une comptine. A d’autres moments, soudain, il montrait les crocs et feulait, menaçant, contre quelque ennemi invisible.

    Par la suite, Marquis reprit rapidement sa palpitante et paisible vie de chat domestique. Chaque matin, il accompagnait mes parents jusqu’à l'usine, située à deux kilomètres de la maison, et puis s’en revenait trottinant, grimpait sur le canapé et paressait encore deux heures avant que moi-même ne me lève.

    Je dois ici témoigner que Marquis était un excellent attrape-rats. Chaque jour, au seuil de notre séjour, il en déposait plusieurs dizaines. Et bien que ce spectacle ne fût pas des plus ragoûtants, il recevait félicitations et moult encouragements pour son zèle à accomplir de façon tout à fait honorable son devoir professionnel.

    Marquis ne mangeait pas de rats, son alimentation quotidienne se composait de tout ce qu’on pouvait se permettre de lui offrir en cette période de rationnement : des pâtes - accompagnées de poissons pêchés dans la Neva -, des oiseaux et de la levure de bière. Quant à cette dernière, jamais on ne l’en privait. Au coin de la rue, il y avait un kiosque où l’on pouvait s’en procurer, et la vendeuse nous en mettait toujours de côté cent à cent cinquante grammes pour Marquis. Cent grammes : exactement comme la ration de vodka¹ qu’on distribuait aux soldats sur le front !

    ___
    1- En Russie, les alcools forts – la vodka en particulier – sont mesurés en grammes et non en centilitres… Tels les ‘poilus’ de la Guerre de 14, les soldats de l’Armée Rouge recevaient durant la Grande guerre patriotique quotidiennement 100 grammes de vodka, pour les aider à ‘tenir’.

  • Le blocus de Léningrad – Annexe 3 – L’encerclement brisé

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Mémorial de 'L'encerclement brisé'
    Мемориал «Разорванное кольцо» / Mémorial de 'L'encerclement brisé'

    Annexe 3

    L'encerclement brisé

    La Route de la vie

    Situé à une vingtaine de kilomètres au nord de l’actuelle Chlisselbourg avenue, au nord de la commune de Kokkorevo, le Mémorial de 'L'encerclement brisé' (Мемориал «Разорванное кольцо») a été inauguré en 1966. Il symbolise la volonté farouche des Russes de briser, durant le siège de Léningrad, l’encerclement de la ville et marque le départ de la Route de la vie à travers les glaces du lac Ladoga.

    Au pied du monument il est inscrit :

    Потомок, знай: в суровые года,
    Верны народу, долгу и Отчизне,
    Через торосы ладожского льда
    Отсюда мы вели дорогу Жизни,
    Чтоб жизнь не умирала никогда.

    Бронислав Кежун (1914-1984)

    Vous qui venez après nous,
    sachez que dans les années difficiles,
    Fidèles au peuple, à notre devoir et à la Patrie,
    Par les glaces du lac Ladoga
    D'ici nous avons suivi le chemin de la Vie,
    Pour que la vie ne meure jamais.

    Bronislav Kejoun (1914-1984)

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Carte - Léningrad encerclée
    Carte - Léningrad encerclée

    En septembre 1941, les troupes hitlériennes encerclèrent la ville, la coupant du reste du pays. Léningrad et ses habitants se retrouvèrent enfermés. Il semblait que tout soit perdu et que la ville allait tomber aux mains des ennemis...

    Mais Léningrad résista et un mince cordon lui permit de tenir durant des mois de siège : la Route de la vie (Дорога жизни).

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Дорога Жизни
    Дорога Жизни / La route de la vie

    La Route de la vie fut l'unique accès à la ville de Léningrad assiégée pendant les mois d'hiver de novembre 1941 à janvier 1943. Elle traversait le lac Ladoga gelé et constituait le seul lien avec le reste du pays qui n’était pas aux mains des troupes ennemies.

    La Route de la vie commença à fonctionner le 20 novembre 1941, lorsqu’un premier convoi de traîneaux tirés par des chevaux apporta des approvisionnements à la ville. Peu après, ce furent les camions qui purent l’emprunter. Durant l'hiver 1941–1942, la Route de la vie fonctionna sur le lac gelé pendant 152 jours. Pendant l'été, Léningrad put être reliée par de petits bateaux et des péniches, toujours par le lac Ladoga, et toujours sous les menaces des bombardements aériens et des tirs.

    Ainsi Léningrad put-elle être (difficilement) ravitaillée en nourriture et autres biens. Environ 1 300 000 personnes purent quitter Léningrad assiégée par la Route de la vie, essentiellement des femmes et des enfants, des invalides et des personnes blessées ou malades.

    En 1943, le cinéaste américain Frank Capra réalise pour l’armée des Etats-Unis plusieurs séries de films réunis sous le titre ‘Why We Fight’ (Pourquoi nous combattons). Deux de ces films sont consacrés au conflit en URSS  : ‘Battle of Russia’ I et II (La Bataille de Russie). Un court extrait traite de la Route de la vie.

    Frank Capra, La Bataille de Russie II. (extrait), 1943

  • Le blocus de Léningrad – Annexe 2 – Les cartes de rationnement

    Ничего не могу забыть – Je ne peux rien oublier

    Annexe 2 - Les cartes de rationnement

    Le système soviétique durant la Seconde guerre mondiale

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Carte de rationnement
    Carte de rationnement pour le pain - 1941

    Les 'cartes de rationnement' – ou coupons de rationnement - fut un système d'approvisionnement mis en place en URSS à destination de la population civile pour faire face aux pénuries alimentaires et aux pénuries industrielles. Il définissait diverses normes pour les biens alimentaires (et pour certains biens manufacturés) par personne et par mois.

    La nourriture n'était pas distribuée à titre gratuit à la population (contrairement aux rations alimentaires destinées à l'armée), mais vendue. Les civils avaient le droit d'acheter une quantité limitée de produits vitaux et de produits manufacturés.

    L’objectif était de freiner l'effondrement du système monétaire pendant la guerre, d'empêcher la spéculation et le marché noir, de réduire les tensions sociales parmi la population civile et d’éviter la famine.

    En URSS, la population était familiarisée avec ce système avant même le début de la Seconde guerre mondiale. Après l'annonce de la politique du ‘communisme de guerre’ en 1917, pour la première fois, des cartes de rationnement pour le pain avaient été introduites. Etendues par la suite à d’autres produits alimentaires puis à certains produits manufacturés, elle furent avant la Seconde guerre mondiale plusieurs fois supprimées puis rétablies pour faire face aux difficultés d’approvisionnement.

    Dès le début de la Grande Guerre patriotique (1941-1945), le système de rationnement centralisé fut réintroduit. Le 16 juillet 1941, par un arrêté du Commissariat du peuple au commerce « Sur l'introduction de cartes pour certains produits alimentaires et industriels dans les villes de Moscou, Léningrad et dans certaines villes des régions de Moscou et de Léningrad » les cartes alimentaires et manufacturées s'étendirent au pain, aux céréales, au sucre, à la confiserie, à l'huile, aux chaussures, aux tissus et à l'habillement. En novembre 1942, elles étaient déjà en circulation dans 58 grandes villes du pays.

    La population fut divisée en quatre sous-catégories et un guide de référence rapide fut élaboré pour clarifier à quelle catégorie et à quelle sous-catégorie les groupes spécifiques appartenaient.

    Selon les cartes pour une personne par jour, les normes suivantes pour la distribution du pain furent établies :

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Normes de rationnement

    Des normes semblables furent mises en place pour les autres biens de nécessité – y compris certains biens manufacturés.

    Pour couvrir les coûts associés à la délivrance de cartes de rationnement alimentaire, une redevance fut fixée pour chaque carte de 10 kopecks.

    Un des objectifs aussi était de « ne permettre en aucun cas les files d'attente pour le pain ». Ce qui ne fut pas, à proprement parlé, toujours et partout le cas !

    Des fraudes et des abus...

    Le système créa, comme on peut l’imaginer, un vaste champ de fraude et de spéculation : la pratique consistant à falsifier des certificats pour obtenir des coupons supplémentaires était répandue et le vol de cartes était également monnaie courante.

    Durant le blocus de Leningrad, ces violations devinrent un problème récurrent et massif. Au cours des mois les plus difficiles (en particulier lors de l’hiver 1942), il arriva que des parents ou des voisins laissent le cadavre d’un défunt sans sépulture afin de s’approprier ses cartes, ou bien d’en acquérir (Elles étaient distribuées mensuellement). Avec l'arrivée du printemps, la menace d'épidémies plana sur la ville.

    De plus, alors que les bombardements et les tirs se déchaînaient, le nombre de cas de perte de cartes commença à croître comme boule de neige : « Fuyant les bombardements, je l'ai perdue. », « Les cartes se trouvaient dans l'appartement, mais l’immeuble a été détruit. », « On nous les a volées dans la confusion... », etc. En conséquence, l'État réagit de manière soviétique : la réémission de cartes fut purement et simplement interdite. Cela ne pouvait être fait que dans de rares cas, et même alors presque toujours après l'ordre personnel d’Andreï Jdanov qui dirigea le Conseil Militaire du Front de Léningrad pendant toute la guerre.

    Ce système de cartes fut aboli en URSS en 1947.

    Source : La défense et le blocus de Léningrad – Système des cartes de rationnement : Lire en russe.

    Indiquons enfin qu’en France un système similaire fut mis en place durant la période de l’Occupation, à partir de mars 1940, et ne fut levé que le 1er décembre 1949.

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Tickets de rationnement en France- 1943
    Tickets de rationnement en France- 1943
  • Le blocus de Léningrad – Annexe 1 – Plans et Cartes

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Dessin d'enfant - La porte de l'Amirauté devant le Palais d'hiver
    Dessin d'enfant - La porte de l'Amirauté devant le Palais d'hiver

    Ничего не могу забыть – Je ne peux rien oublier

    En un peu plus de 300 ans d'existence, Saint-Pétersbourg a changé quatre fois de nom ! s'appelant successivement Saint-Pétersbourg, peu après sa fondation en 1703 par le tsar Pierre le Grand, puis Pétrograd en 1914 quand éclate la Première guerre mondiale, puis Léningrad, en 1924, à la mort du premier dirigeant de l'Union soviétique, et, enfin, à nouveau Saint-Pétersbourg, en 1991, à l'effondrement de l'URSS, à la suite d'un référendum auprès de sa population.

    Annexe 1 - Plans et cartes

    Plan de Saint-Pétersbourg
    Plan de Saint-Pétersbourg

    avenue avenue Izmaïlovski (Измайловский проспект) - Chapitre I.4 - Lire (première occurrence).

    avenue anciens entrepôts alimentaires de Badaïevsk, aujourd'hui disparus (Бадаевские склады) - Chapitre II.1 - Lire.

    avenue Palais d'hiver / Musée de l'Ermitage (Зимний дворец / Музей Эрмитажа)  - Chapitre V.2 - Lire ; Flèche de l'Amirauté (Адмиралтейская игла)  - Chapitre VI.1 - Lire ; Place du Palais  (Дворцовая площадь) - Chapitre VIII.5 - Lire ; Cathédrale Saint-Isaac (Исаакиевский собор)  - Chapitre II.2 - Lire.

    avenue avenue Zagorodni (Загородный проспект) - Chapitre VI.1 - Lire ; rue Gorokhovaïa (Гороховая улица) ex-rue Dzerjinski (улица Дзержинского) - Chapitre VI.1 - Lire ; gare de Vitebsk (Витебский вокзал) - Chapitre VI.1 - Lire ; allée Ilitch (переулок Ильича) - Chapitre VI.1 - Lire ;

    avenue avenue Izmaïlovski (Измайловский проспект) - Chapitre I.4 - Lire ; Borne-verste 3/21 (Верстовой столб 3/21) - Chapitre VIII.2 - Lire ; emplacement de l'ancien cinéma 'Olympia' (кинотеатр «Олимпия») et du marché Klinski (Клинского рынка ) tous deux détruits en 1942 sur l'emplacement desquels se trouve aujourd'hui un jardin  - Chapitre VI.2 - Lire. et Chapitre VIII.2 - Lire.

    avenue rue Egorov (улица Егорова) - Chapitre VIII.1 - Lire.

    avenue avenue Zagorodni (Загородный проспект) - Chapitre VIII.3 - Lire ; statue de Plekhanov (Памятник Г. В. Плеханову) - Chapitre VIII.2 - Lire.

    avenue Le canal Obvodni (Обводный канал) - 8 km de longueur - Chapitre III. - Lire.

    avenue avenue Vladimirski (Владимирский проспект) - Chapitre VIII.5 - Lire.

    avenue perspective Nevski (Невский проспект) - Chapitre VIII.5 - Lire ; avenue Liteïni (Литейный проспект) ex-avenue Volodarski - Chapitre VIII.5 - Lire.

    avenue La Maison des officiers anciennement la Maison de l’Armée Rouge (Дом офицеров / Дом Красной Армии) - Chapitre VIII.5 - Lire ; rue Pestel (улица Пестеля)  - Chapitre VIII.6 - Lire.

    avenue allée Solianoïe (Соляной переулок) - Chapitre VII.7 - Lire. Aujourd’hui, au numéro 9 de l’allée Solianoïe se trouve le musée du Blocus de Léningrad (Музей обороны и блокады Ленинграда)

    avenue Rue Chpalernaïa (Шпалерная улица) - Chapitre XI.1 - Lire.

    avenue rue Ivan Chernykh (улица Ивана Черных) - Chapitre VIII.7 - Lire.

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - District de Léningrad
    District de Léningrad

    avenue cimetière mémorial de Piskarevskoïe (Пискаревское мемориальное кладбище) - Chapitre I.1 - Lire.

    avenue Fleuve Néva (река Нева) - Chapitre I.4 - Lire.

    avenue le lac Ladoga (Ладожское озеро) - Chapitre IV.1 - Lire.

    avenue Chlisselbourg - entre 1944 et 1992 : Petrokrepost (Шлиссельбург/ Петрокрепость) - Chapitre II.1 - Lire.

    avenue résidence impériale de Peterhof (Петергофский дворец) - Chapitre VIII.2 - Lire.

  • Le blocus de Léningrad – Des années plus tard 4

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Tcheremenets - Le lac et le monastère
    Tcheremenets : Le lac et le monastère

    Ничего не могу забыть – Je ne peux rien oublier

    Годы спустя (4) Des années plus tard

    Шли трудные послевоенные годы. По специальности я работала недолго, сказалось слабое здоровье, и мне пришлось оставить свою профессию... И вот, спустя семь лет после моего блокадного визита к директору, я вновь пришла в институт, где работал папа. Помещался теперь институт не в Соляном переулке, и директора прежнего уже не было. За столом сидел худощавый мужчина в тёмном военном кителе. Он поднял голову и вопросительно посмотрел на меня. Я объяснила причину прихода. «Аудиенция» была краткой. Выслушав меня, директор подписал бумагу, и мы вместе вышли в приёмную. Так я стала работать на той же кафедре, где до последних дней преподавал папа....

    Прошли десятилетия. Вырос и стал взрослым сын. От моих родителей его отделяют четыре года войны и тридцать шесть лет мира. Цена этого мира мне, как и каждому ленинградцу, перенесшёму блокаду, хорошо известна.

    Я стою у гранитной плиты. На ней всего две даты: 1941—1942. Горит Вечный огонь. Чуть заметное дуновение ветра — и пламя, отрываясь, несколько мгновений мерцает в воздухе. Затем горелка притягивает огонёк, и круг чугунной решётки вновь освещается изнутри. У меня нет их могил, но вот уже сорок лет я думаю о них.

    Журнал «Звезда». 1982. №1.С.100-123

    Séparateur 3

    Les années d’après-guerre furent difficiles. Ma santé défaillante m’empêcha de travailler longtemps dans ma spécialité : je dus abandonner mon métier. Un jour, sept ans après ma rencontre durant le blocus avec son directeur, je me présentai à l’Institut où papa avait travaillé. L’Institut ne se trouvait plus sur l’allée Solianoïe¹ et son directeur n’était plus le même. Un homme maigrelet en uniforme sombre, assis derrière un bureau, leva vers moi un regard interrogateur. Je lui expliquai le but de ma visite. ‘L’audience’ fut brève. Après m’avoir écoutée, il apposa sa signature en bas d’une feuille et, ensemble, nous nous rendîmes à la réception.

    C’est ainsi que je fus embauchée au sein du même institut où notre père avait enseigné jusqu’à ses derniers jours.

    ...Depuis, des décennies ont passé. Mon fils a grandi, c’est un adulte maintenant. Quatre années de guerre et trente six ans de paix le séparent de mes parents. Comme tous les habitants de Léningrad qui ont survécu au blocus je sais quel fut le prix de cette paix.

    Je me tiens près d'une dalle de granit. Dessus, seulement deux dates : 1941-1942. La Flamme éternelle brûle. Un souffle de vent, à peine perceptible, et la flamme, qui se détache, vacille dans l'air pendant quelques instants. Ensuite, le brûleur l’attire et le cercle de la grille en fonte s’illumine à nouveau en son cœur. Je ne sais quelle est leur tombe, mais depuis quarante ans je pense à eux².

    Paru dans le magazine ‘Etoile’. 1982 / Traduction Georges Fernandez, 2021

    ___

    1. Il se situe depuis les années 1950 rue Ivan Chernykh (улица Ивана Черных, 4)  rue Ivan Chernykh.

    2. Le blocus de Léningrad dura 872 jours et fit des centaines de milliers de morts parmi la population civile.

  • Le blocus de Léningrad – Des années plus tard 3

    Petites nouvelles russes - Blocus de Léningrad - Dessin d'enfant - Souvenirs
    Dessin d'enfant - Souvenir de maman

    Ничего не могу забыть – Je ne peux rien oublier

    Годы спустя (3) Des années plus tard

    Молчание длилось невыносимо долго. Наконец Галина Васильевна заговорила.— В тот день Ольга Леонидовна позвонила в институт и сказала Александру Константиновичу о смерти сына. Родители думали о том, как спасти вам жизнь. Александр Константинович должен был работать, а Ольга Леонидовна оставалась с вами одна, без всякой поддержки.

    В то время сотрудники, работавшие в институте, сдавали свои карточки в столовую и находились на институтском довольствии. Пока вы жили в Эрмитаже, отец мог приносить немного еды. Родители отдавали вам часть своего хлеба. Приходить же из института домой и возвращаться обратно у Александра Константиновича не было сил.

    Смерть Юры показала, насколько все истощены. Мы, взрослые, конечно, надеялись, что положение скоро изменится, но пока нужно было продержаться. А как? Что делать? Вот и собрались, чтобы обсудить... Приходилось учитывать, что квартира моя на половине пути от вашего дома до института. Сил-то ходить не было…

    У меня было немного крупы — часть я отдала Ольге Леонидовне. Всё, что могли сделать для спасения ваших жизней, родители сделали. Ольга Леонидовна, умирая, думала, что о вас будет заботиться отец. Через месяц скончался Александр Константинович. Перед смертью он просил меня, чтобы я не оставила вас одних. Я ему обещала и сделала то, что было в моих силах.

    Галина Васильевна замолчала. Что-то мучительное было в её лице и голосе.

    Я подошла к ней и, закрыв глаза, прижалась к её щеке. Затем, обняв её худенькие плечи, я долго молча стояла, не решаясь отойти…

    Séparateur 3

    Après un long silence, insoutenable, Galina Vassilievna finit par dire :

    – Ce jour-là, Olga, votre mère, venait d’appeler l'Institut et avait informé votre père de la mort de Youra. Vos parents réfléchirent alors aux moyens de vous garder en vie ta sœur et toi. Votre père devait continuer à travailler et votre maman à s’occuper seule de vous sans soutien d’aucune sorte…

    ...A cette époque, poursuivit-elle, tous les employés de l’Institut devaient remettre leurs cartes de rationnement au responsable de la cantine en échange des repas qu’on leur servait. Tant que vous aviez été hébergés à l’Ermitage votre père avait pu vous apporter un peu de nourriture. Vos parents vous donnaient une part de leur propre ration. Mais bientôt votre père n’eut plus assez de force pour faire les allers-retours de l’Institut à chez vous.

    ...La mort de Youra nous prouvait à quel point nous étions tous à bout de force. Evidemment nous, les adultes, nous espérions que la situation allait pouvoir s’améliorer, mais en attendant il fallait tenir le coup. Mais comment ? et quoi faire ? Donc nous nous sommes retrouvés ce jour-là pour en discuter.

    …Nous prîmes en compte que mon appartement se trouvait à mi-chemin entre l’Institut et votre domicile, que votre père n’avait plus suffisamment de force…

    ...Il me restait encore quelques céréales et, avant que vous ne repartiez, j’en donnai la moitié à votre mère. Vos parents ont tout fait pour que vous restiez en vie.

    ...Votre mère, mourante, pensait que votre père s’occuperait de vous, mais un mois plus tard lui aussi décédait. Avant de mourir il m’avait demandé de ne pas vous abandonner. Je le lui promis et je fis dès lors tout ce qui était en mon pouvoir...

    Galina Vassilievna s’était arrêtée de parler. Une douleur profonde se lisait sur son visage et s’entendait dans sa voix.

    Je m’approchai d’elle et, fermant les yeux, j’appuyai ma joue contre la sienne. Puis je pris dans mes bras ses minces épaules. Je restai ainsi longtemps sans rien dire, sans pouvoir desserrer mon étreinte…