Алые паруса – Les voiles écarlates

Глава вторая - Chapitre deux

Грэй - Grey

Грэй (II.1a) Grey

Si César estimait qu'il valait mieux être le premier dans son village que le deuxième à Rome, alors Arthur Grey n’aurait sûrement pas envié César ni approuvé son adage. Il était né capitaine, voulut l’être et le devint.

L'immense demeure dans laquelle il naquit était sombre à l'intérieur et majestueuse à l'extérieur. Un jardin fleuri et une partie du parc jouxtaient la façade. Les plus belles tulipes violettes, bleues argentées et noires ombrées de rose serpentaient sur la pelouse, telles des colliers de perles aux lignes fantasques.

Les vieux arbres du parc somnolaient, couvrant de leur pénombre les plantes d’eau, au-dessus d’un ruisseau sinueux. La clôture du château – puisqu’il s’agissait d’un véritable château – était en fonte torsadée reliée par des arabesques de fer. Chaque colonne portait à son sommet une coupelle en forme de fleur de lys qu’on remplissait d'huile les jours solennels, et qu’on allumait alors la nuit pour chasser l’obscurité.

Le père et la mère de Grey étaient nés soumis aux servitudes de leur position sociale. Arrogants de leur richesse, ils s’identifiaient à cette société et à ses règles où l’on dit « Nous » quand on parle de soi. Une partie de leur âme - la moins intéressante - occupait la galerie de portraits de leurs ancêtres, l'autre partie se projetait dans la continuation de cette galerie où figurait déjà le petit Grey. L’enfant était condamné, selon ce plan bien établi, à vivre et à mourir pour que son portrait puisse être un jour accroché sur ces murs sans que jamais cela ne porte atteinte à cet honorable ordonnancement.

Mais dans ce plan une petite erreur s’était glissée : Arthur Grey lui-même ! Son âme était bien vivante et le rendit complètement réticent à s’inscrire dans le dessein familial. Sa vie durant, il serait une sorte de chevalier au caractère fantasque, toujours en quête, un faiseur de miracles : le genre d’individu qui, parmi la variété innombrable des voies que la vie et la providence nous offrent, choisit la plus risquée mais aussi lа plus émouvante.

Son esprit rétif se manifesta dès sa huitième année lorsqu’il monta un jour sur une chaise et eut l’idée de ‘soulager’ les souffrances d’un Christ en croix, tout simplement en recouvrant ses mains sanglantes d’une peinture bleue qu’il avait subtilisée. Il était convaincu que la peinture serait plus supportable que les clous. Emporté par son élan, il commençait déjà à badigeonner les pieds du crucifié quand il fut retenu par son père. Le vieil homme descendit le gamin de la chaise en l’empoignant par les oreilles :

"– Pourquoi abîmes-tu ce tableau ? – Mais je ne l’abîme pas ! – Sais-tu bien que c’est l'œuvre d'un peintre célèbre ? – Je m'en moque : moi je ne supporte pas de voir ses mains qui saignent, percées de clous. Non, ça je n’veux pas !"

A la réponse de son fils, Lionel Grey, son père, cachant un sourire sous sa moustache, se reconnut bien là et s’abstint de le punir.

Грэй (II.1b) Grey

Le père d’Arthur Grey, Lionel Grey, était habituellement tout absorbé par d'innombrables procès familiaux, dont les débuts se perdaient au temps de l’invention de l’imprimerie et qui s’achèveraient… par la mort de tous ces chicaneurs !

En outre, les affaires de l’État et les affaires de successions, la dictée de ses mémoires, ses parties de chasse, la lecture des journaux et une correspondance nombreuse et compliquée le tenaient éloigné de sa famille. Pour ainsi dire, il voyait si rarement son fils qu'il oubliait parfois l’âge qu’il avait.

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.15) La prophétie

Une demi-heure plus tard, le mendiant était assis à la taverne, attablé en compagnie d’une dizaine de pêcheurs. Derrière eux, tentant de tirer leurs maris par la manche ou prenant par-dessus leur épaule un verre de vodka, se tenaient de fortes femmes aux sourcils épais et aux bras ronds et solides comme des fûts de canons.

Le mendiant, encore tout bouillonnant de rage racontait : "... Et il ne m'a même pas donné une pincée de tabac. « Tu grandiras, disait-il à sa fille, puis un bateau rouge, ‘spécial’, viendra te chercher. Puisque ton destin est d'épouser un prince... » Et là-dessus il a rajouté : « Oui, je crois le sorcier... » Mais moi je lui ai dit : « Réveille-la, réveille-la, allez, file-moi du tabac ! » C’est alors qu’il a bondi et m’a poursuivi presque la moitié du chemin !"

"Qui ? Quoi ? De qui parle-t-il ?" demandèrent d’une voix curieuse les femmes. Un pêcheur, tournant à peine la tête, leur expliqua avec un sourire aux lèvres : "Longren et sa fille s’en sont pris comme des sauvages à ce bougre : ils sont bien dérangés de la tête ces deux-là ! Voilà ce qu’il nous raconte... Et il y avait paraît-il un méchant sorcier chez eux. Ils attendent un prince venu d’au-delà des mers… Mes commères, vous ne voudriez pas manquer ça ?! Et même un vaisseau aux voiles rouges !"

Trois jours plus tard, de retour de la ville où elle s’était rendue, Solène entendit pour la première fois : "Hé, graine de potence ! Solène ! Vise un peu par là-bas ! Ces voiles rouges sur la mer !"

La fillette, surprise, jeta involontairement un regard vers le large. Puis elle se tourna vers l’endroit d’où venaient les exclamations : là, à une vingtaine de pas, se tenait une poignée de garçons qui lui faisaient des grimaces et lui tiraient la langue. Poussant un gros soupir, la fillette courut jusqu’à la maison.

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.14) La prophétie

Solène s’était endormie sur l’épaule de son père. Celui-ci, de sa main libre, alluma sa pipe. Le vent poussa la fumée par-delà la clôture. Derrière, au pied d’un buisson, un jeune mendiant était assis qui cassait la croûte. Il avait entendu la conversation et cela le mit de bonne humeur. Le parfum du tabac lui laissait augurer une bonne prise.

"– Mon bon maître, donneras-tu un peu de tabac à un pauvre ? dit-il à travers le treillis. Le mien, comparé à l’odeur du tien est un véritable poison… – Je t’en donnerais bien mais il est dans mon autre poche et je ne veux pas réveiller la petite, répondit Longren à voix basse en désignant Solène. – Si ce n’est que ça ! Réveille-la, elle se rendormira aussitôt, et le vagabond que je suis aura de quoi fumer… – Je te répète que je ne veux pas la réveiller, et d’ailleurs tu viens de me dire que tu as du tabac, objecta Longren. Repasse plus tard si tu veux..."

Le mendiant cracha avec mépris, saisit son baluchon et dit d’un ton mordant : "– En voilà une princesse. C’est toi qui lui as mis ces histoires de bateaux venus d’ailleurs dans la tête ! Vieil excentrique que tu es… – Écoute-moi bien, espèce de vaurien, lui chuchota Longren, si je dois la réveiller, ce sera pour te tordre le cou. Fiche le camp !"

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.13) La prophétie

Longren travaillait dans son petit potager à bêcher ses plants de pommes de terre. Levant les yeux, il vit Solène courir vers lui à toutes jambes, le visage joyeux et impatiente de raconter son histoire.

"Papa, Papa !"... dit-elle, luttant pour reprendre son souffle. Elle attrapa le tablier de son père de ses deux mains. "Écoute... Au bord de la mer, là-bas, très loin, il y a un magicien..."

Elle parla d’abord de sa rencontre et de l’étrange prédiction. Ses pensées étaient si entremêlées qu’elle avait du mal à trouver ses mots. Vint ensuite une description du vieil homme et puis, seulement après, l’histoire de la poursuite du yacht perdu.

Longren l’écouta sans l’interrompre, sans sourire, et quand elle eut fini, il se figura la rencontre de sa fille avec un vieil inconnu tenant dans une main une fiasque de vodka aromatique et un jouet de l’autre.

Il hésita, mais, se souvenant qu’il faut, dans les grandes occasions de la vie des enfants, les prendre au sérieux, tout empreint de surprise, il hocha solennellement la tête et dit : "Oui, c’est vrai, de toute évidence, ce ne pouvait être personne d'autre qu’un grand sorcier... J'aurais aimé le rencontrer... Mais toi, quand tu iras de nouveau en ville, ne quitte pas le chemin. On peut facilement se perdre dans cette forêt."

Posant sa bêche, il s'assit au pied de la clôture et mit la fillette sur ses genoux. Epuisée, elle tenta bien d'ajouter quelques détails, mais la chaleur, l'excitation et la fatigue lui fermaient déjà les paupières ; sa tête tomba contre la solide épaule de son père. Mais avant que de partir au pays des rêves, saisie d'un doute soudain, elle se redressa, et posant ses petits poings sur le gilet de Longren s’exclama :

"– Est-ce que tu penses que le bateau magique viendra pour moi un jour ? – Il viendra, répondit calmement le marin ; puisqu'il te l’a dit, alors il viendra."

"Elle va grandir et elle oubliera, pensa-t-il. Et pour l'instant... garde dans ta tête ce petit jouet. Après tout, beaucoup de mauvaises voiles pourront surgir à l’avenir, qui, de loin, te paraîtront élégantes et propres, mais de plus près : sales, arrogantes et prédatrices... Un homme qui passait a voulu plaisanter avec ma fille. Bien ! Bonne blague ! Rien d’autre qu’une blague ! Regardez comme elle est épuisée : toute une demi-journée à courir dans la forêt... Et quant aux voiles écarlates ?… Dors et rêve : je sais moi que des voiles écarlates viendront un jour pour toi…"

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.12) La prophétie

"J'étais à Caperna, dans le village d'où tu dois venir. Moi qui adore les contes de fées et les chansons, je me suis assis là-bas toute la journée afin d’y entendre quelque histoire, quelque chanson nouvelles. Mais les gens n’y racontent pas d'histoires ni ne chantent de chansons. Et quand ils racontent ou chantent, ces histoires ne parlent que de paysans madrés et de la soldatesque, en glorifiant éternellement les mauvais coups et les arnaques. Ce ne sont que des grossièretés, comme des pieds mal lavés, des borborygmes, des gargouillis dans l'estomac, de courts quatrains, d’affreux couplets vulgaires... Attends, je m’égare… Je reprends...

Après avoir réfléchi, il continua comme ceci :

"Je ne sais combien d'années s'écouleront, mais je sais qu’à Caperna, un jour, un conte de fées dont on se souviendra longtemps fleurira. Tu auras grandi, Solène, et un matin au loin, sous le soleil, une voile écarlate scintillera. Un voilier tout blanc, brillant, à la voilure vermeille, fendra les vagues et viendra pour toi. Et ce magnifique navire s’avancera doucement, sans heurts ni coups de canon…

"Les gens se rassembleront sur le rivage, interrogatifs, pleins de oh ! et de ah !. Et toi aussi tu seras là. Majestueusement, il s’approchera de la grève, au son d'une belle musique. Un esquif alerte, élégant, recouvert de tapis, paré d’or et de fleurs, s’en détachera.

"« Pourquoi êtes-vous venus ? Qui cherchez-vous ? » demanderont les gens.

"Là, devant toi paraîtra un beau prince courageux qui te tendra la main. « Bonjour Solène ! dira-t-il. Loin, loin d'ici, je t'ai vue en rêve et suis venu pour t'emmener pour toujours dans mon royaume. Tu vivras avec moi dans une vallée de roses. Tous tes vœux seront exaucés : nous y vivrons si amicalement et gaiement que ton cœur ne connaîtra plus jamais les larmes et les chagrins. »

"Et le prince te prendra dans sa chaloupe et te conduira à bord de son navire, et vous partirez pour toujours dans un pays de lumière où chaque matin le soleil se lèvera et où chaque soir les étoiles scintilleront en ton honneur."

"Tout ça pour moi ?" demanda doucement la fillette. Ses petits yeux, si graves d’habitude, rayonnaient, pleins de confiance. "Un méchant sorcier, pour sûr, ne parlerait pas comme ça", pensa-t-elle.

Elle se rapprocha du vieil homme : "– Peut-être qu'il est déjà arrivé... ce bateau ? – Pas encore, lui répondit Egel : d’abord, comme je te l'ai dit, il te faudra grandir. Ensuite... comment dire ? Ça arrivera, un point c’est tout...

"– Que feras-tu alors ? – Moi ?..." Elle regarda dans son panier, mais n'y trouva apparemment rien d’assez digne pour récompenser le vieil homme. "...Je l'aimerai, souffla-t-elle, en rajoutant d’une petite voix : s’il ne me bat pas... – Non, il ne te battra pas", dit le sorcier en lui faisant un clin d'œil malicieux. Il ne le fera pas, je te le garantis…

"Allez, ma fille, et n'oublie pas ce que je t'ai dit. Va maintenant et que la vie te soit douce !"

Egel, racontait tout cela entre deux gorgées de vodka aromatique, en portant déjà toute sa réflexion sur des chansons qu’on chante au sein des prisons...

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.11) La prophétie

"Parfait..." professa le vieil homme, sans détourner son regard amical, dans un jargon bien incompréhensible pour la fillette. "En fait, je n’avais pas besoin de te demander ton nom. Mais c’est bien qu'il soit si étrange, si musical, comme le sifflement d'une flèche ou le bruissement de la mer au creux d’un coquillage. Qu’aurais-je dit si on t’avait donné un de ces prénoms harmonieux mais insupportablement familiers qui ne conviennent pas à une Belle Inconnue ? De plus, je n’ai pas besoin de savoir qui sont tes parents et quelle est ta vie...

"Pourquoi briser le charme ? poursuivit-il. Tout à l’heure, je me consacrais, assis sur cette pierre, à une étude comparative de poèmes finlandais et japonais quand soudain, le ruisseau a jeté ce voilier à mes pieds, et puis tu es apparue... telle que tu es. Quant à moi, ma douce, je suis un poète dans l’âme – bien que je n’aie jamais rien écrit..."

"– Qu'y a-t-il dans ton petit panier ? – Des petits bateaux, répondit Solène en agitant le panier : un bateau à vapeur et trois autres bâtiments portant drapeaux. Des soldats y montent la garde..."

"– Bien... continua Egel. On t’a envoyée les vendre en ville et en chemin tu t’es arrêtée pour jouer avec. Tu as voulu voir comment le yacht naviguerait et puis le courant l’a emporté, n’est-ce pas ?... – Tu as donc tout vu ? demanda Solène, tout étonnée. (Elle essayait de se rappeler si c’était elle qui le lui avait dit.) Quelqu'un t’a raconté ou t’as deviné ? – Je le savais, lui répondit Egel – Comment ça ? – Parce que je suis le plus grand des sorciers..."

Solène était toute troublée. Ces derniers mots l’effrayèrent. Le rivage désert, le silence, la poursuite aventureuse et harassante du voilier, le discours incompréhensible du vieil homme aux yeux étincelants, la majesté de sa barbe et de sa chevelure semblaient mêler, pour la fillette, le surnaturel à la réalité.

Si à cet instant Egel avait fait quelque grimace ou élevé la voix, Solène se serait enfuie en pleurant, submergée par la peur. Mais le vieil homme, remarquant l’inquiétude dans les yeux de l’enfant, changea de ton.

"Tu n’as rien à craindre de moi, lui dit-il avec le plus grand sérieux. Au contraire, je vais te parler à cœur ouvert..."

C’est seulement à ce moment, en la dévisageant plus attentivement, qu’il se rendit compte de l’impression marquante qu’elle lui faisait. "Sans qu’elle le veuille et s’y attende, destinée à un bel et heureux avenir... prédit-il. ...Ah, pourquoi ne suis-je pas né écrivain ? Quel beau sujet de roman cela ferait..."

"Alors..." poursuivit Egel sur sa lancée (son inclination à inventer des histoires - résultat de son labeur incessant - était plus forte que la peur de faire germer de faux espoirs dans ce cœur innocent) "...Alors, Solène, écoute-moi bien attentivement…"

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.10) La prophétie

Du haut de l’escarpement qui descendait vers la mer, Solène vit un homme de dos, assis sur une grande pierre plate près du ruisseau. Il tenait dans ses mains le voilier qu’elle poursuivait et l’examinait avec la curiosité d'un éléphant qui eut attrapé un papillon.

En partie rassurée que le jouet soit sauf, Solène se laissa glisser jusqu’en bas de la pente et, s'approchant de l’inconnu, le scruta d’un regard curieux, attendant qu'il lève la tête. Mais celui-ci était si absorbé par la trouvaille que la forêt lui avait offerte, que la fillette eut le temps de l'examiner de la tête aux pieds.

Jamais elle n’avait vu un tel personnage.

C’est que devant elle se tenait Egel, le fameux conteur ambulant, bien connu pour les chansons, les légendes, les traditions et fables qu’il récoltait et colportait de lieu en lieu. Sous son chapeau de paille, de larges boucles de cheveux blanchissants dépassaient. Sa blouse grise engoncée dans un pantalon bleu et ses hautes bottes le faisaient ressembler à un chasseur. Son col blanc, sa cravate, la ceinture cerclée de plaques d'argent, sa canne et son sac où brillait un fermoir en nickel, tout indiquait l’homme venu de la ville.

Son visage, ou ce qu’on pouvait à peine en voir - un nez, des lèvres et des yeux, qu’on devinait entre une barbe rayonnante et exubérante et une moustache épaisse dont les pointes se dressaient fièrement -, était pâle et d’une douce banalité. Mais son regard, gris comme du sable, plein de force et de courage, brillait comme du pur acier.

"Maintenant, rends-le-moi, demanda timidement la fillette. Tu as assez joué avec... Comment l'as-tu attrapé ?"

Egel leva la tête. Il fut si surpris par cette petite voix inquiète que le voilier lui glissa des doigts. Pendant une longue minute, le vieil homme regarda Solène puis il sourit et caressa sa barbe de sa main noueuse.

Les jambes fines de la fillette dépassaient d’une robe d’étoffe indienne aux couleurs délavées. Ses cheveux noirs, tirés en arrière et tenus par un fichu en dentelle, lui descendaient jusqu’aux épaules. Le visage de Solène était pur et expressif. Ses traits, légèrement irréguliers, étaient légers comme le vol d'une hirondelle. Sa peau, naturellement blanche et saine, hâlée par le soleil, la rendait plus charmante encore. Sa petite bouche entrouverte rayonnait d'un doux sourire. Seuls ses yeux, sombres avec un brin de tristesse, la faisaient paraître plus âgée.

"– Je jure par les Frères Grimm, par Esope et Andersen, dit Egel en regardant la fillette puis le voilier, que voilà bien quelque chose d’extraordinaire !… Dis-moi, petite fleur, est-il à toi ? – Oui, j'ai couru derrière tout le long du ruisseau. Je pensais que j'allais mourir… Il était là ? – A mes pieds, répondit Egel."

Et il rajouta : "En ma qualité de pirate de la côte, je puis te confier ma prise : ce navire naufragé, abandonné par son équipage, drossé par une vague gigantesque, haute de trois pouces, et qui s’est échoué ici, sur le sable, entre mon talon gauche et la pointe de mon bâton." Et il frappa le sol de sa canne.

"– Quel est ton nom, ma petite ? – Solène," dit la fillette, en remettant prestement dans son panier le jouet qu’Egel venait de lui rendre.

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.9) La prophétie

/.../ «Ты откуда приехал, капитан?» — важно спросила Ассоль воображённое лицо и, отвечая сама себе, сказала: «Я приехал… приехал... приехал я из Китая». — «А что ты привёз?» — «Что привёз, о том не скажу». — «Ах, ты так, капитан! Ну, тогда я тебя посажу обратно в корзину». Только что капитан приготовился смиренно ответить, что он пошутил и что готов показать слона, как вдруг тихий отбёг береговой струи повернул яхту носом к середине ручья, и, как настоящая, полным ходом покинув берег, она ровно поплыла вниз. Мгновенно изменился масштаб видимого: ручей казался теперь девочке огромной рекой, а яхта — далёким, большим судном, к которому, едва не падая в воду, испуганная и оторопевшая, протягивала она руки. «Капитан испугался», — подумала она и побежала за уплывающей игрушкой, надеясь, что её где-нибудь прибьёт к берегу. Поспешно таща не тяжёлую, но мешающую корзинку, Ассоль твердила: «Ах господи! Ведь случись же...»

Она старалась не терять из вида красивый, плавно убегающий треугольник парусов, спотыкалась, падала и снова бежала.

Ассоль никогда не бывала так глубоко в лесу, как теперь. Ей, поглощённой нетерпеливым желанием поймать игрушку, не смотрелось по сторонам; возле берега, где она суетилась, было довольно препятствий, занимавших внимание. Мшистые стволы упавших деревьев, ямы, высокий папоротник, шиповник, жасмин и орешник мешали ей на каждом шагу; одолевая их, она постепенно теряла силы, останавливаясь всё чаще и чаще, чтобы передохнуть или смахнуть с лица липкую паутину. Когда потянулись, в более широких местах, осоковые и тростниковые заросли, Ассоль совсем было потеряла из вида алое сверкание парусов, но, обежав излучину течения, снова увидела их, степенно и неуклонно бегущих прочь. Раз она оглянулась, и лесная громада с её пестротой, переходящей от дымных столбов света в листве к тёмным расселинам дремучего сумрака, глубоко поразила девочку. На мгновение оробев, она вспомнила вновь об игрушке и, несколько раз выпустив глубокое «ф-фу-у-у», побежала изо всех сил.

В такой безуспешной и тревожной погоне прошло около часу, когда с удивлением, но и с облегчением Ассоль увидела, что деревья впереди свободно раздвинулись, пропустив синий разлив моря, облака и край жёлтого песчаного обрыва, на который она выбежала, почти падая от усталости. Здесь было устье ручья; разлившись нешироко и мелко, так что виднелась струящаяся голубизна камней, он пропадал в встречной морской волне. 

"D'où viens-tu, capitaine ?" demanda Solène en interrogeant un personnage imaginaire, et, répondant elle-même, elle dit : "– Je suis venu... venu... venu de Chine… – Et qu'as-tu rapporté ? – Je ne vous le dirai pas... – Eh bien mon Capitaine, si c’est comme ça je te remets dans ton panier !"

Le capitaine voulut répondre humblement qu'il plaisantait et qu'il était prêt à présenter l'éléphant qu’il ramenait de Chine, quand une vaguelette poussa le yacht au milieu du ruisseau et l’éloigna prestement du rivage, l’entraînant vers l’aval.

D’un coup, tout changea de dimension : le ruisseau parut devenir une immense rivière, et le voilier - un grand navire qui prenait le large. Solène, tombant presque à l'eau, effrayée et stupéfaite, tendit les mains pour tenter de le rattraper.

"Le capitaine a eu peur", pensa-t-elle, et elle courut à la poursuite du jouet, espérant qu’il s’échouerait sur le bord un peu plus loin. Elle traînait derrière elle son panier qui l’encombrait plus qu’il ne lui pesait. "Ah, mon Dieu, il fallait que ça m’arrive !" se répétait-elle…

Elle courut, trébucha, se releva et courut à nouveau, essayant de ne pas perdre de vue les belles voiles triangulaires qui s’enfuyaient.

Solène ne s’était jamais aventurée aussi profondément dans la forêt. Impatiente de remettre la main sur le jouet, elle ne regardait rien autour d'elle : le long du ruisseau, de nombreux obstacles lui barraient le chemin. A chaque pas, il lui fallait faire attention aux troncs moussus d’arbres tombés, aux trous, aux grandes fougères, aux églantiers, aux jasmins et aux noisetiers. Elle s’épuisa rapidement, s'arrêtant de plus en plus souvent pour reprendre son souffle ou pour balayer les toiles d'araignées qui lui collaient au visage.

Solène perdit complètement de vue les voiles scintillantes là où la laîche s’étendait et les roseaux poussaient trop haut. Puis après avoir fait un détour, dans un coude du ruisseau, elle les aperçut de nouveau qui sans relâche fuyaient toujours plus loin.

Juste une fois, elle porta son regard sur la forêt qui l’entourait : elle fut saisie par toutes ses nuances de couleurs, depuis les grands troncs au feuillage embrumé de lumière jusqu’à ses plus sombres anfractuosités plongées dans un épais crépuscule. Un court moment elle resta là, comme abasourdie, mais bientôt elle se souvint du jouet. "Pfou !" souffla-t-elle à plusieurs reprises et puis elle se remit à courir.

La poursuite - infructueuse et harassante - durait déjà depuis une bonne heure lorsqu’enfin, avec surprise mais aussi grand soulagement, Solène vit que les arbres devenaient moins denses. Non loin se laissaient deviner la mer toute proche, les nuages et le bord du ravin de sable jaune. Le ruisseau, à sa modeste embouchure, se faufilait entre les pierres en minces filets bleutés que les vagues emportaient. Arrivée là, près du rivage, éreintée de fatigue, la fillette faillit presque s’écrouler...

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.8) La prophétie

A la maison, Longren s’occupait de tout : il coupait le bois, ramenait l'eau, faisait chauffer le poêle. Il cuisinait, lavait, repassait le linge et, en plus de tout ça, trouvait le temps de travailler et de gagner de quoi vivre pour deux.

Quand Solène eut huit ans, son père lui apprit à lire et à écrire. Occasionnellement il l'emmenait aussi avec lui en ville, puis, plus tard, il lui permit de s’y rendre toute seule afin d’aller récupérer un peu d'argent à la boutique ou bien d’y déposer quelques jouets. Pourtant cela arrivait rarement : Liss ne se trouvait qu’à seulement quatre miles, mais la route qui y menait traversait la forêt, et dans une forêt beaucoup de choses peuvent effrayer les enfants, en plus du danger réel que Longren gardait à l’esprit, bien que cependant la forêt se situât en lisière des premières maisons.

Ainsi Longren la laissait-il se rendre à Liss seulement par beau temps, le matin lorsque les fourrés silencieux bordant la route, arrosés de soleil, se couvraient de fleurs, afin qu’aucun fantôme ne vienne menacer l’imagination de la fillette.

Un jour, en route vers la ville, Solène s'assit au bord du chemin pour manger un morceau de tarte qu’elle tira de son panier. Tout en grignotant, elle s’amusa à trier les jouets. Deux ou trois d'entre eux étaient nouveaux pour elle : Longren devait les avoir achevés durant la nuit.

Parmi ceux-ci se trouvait un yacht de course miniature. C'était un bateau blanc aux voiles vermeilles, des voiles faites d’une soie dont se servait généralement Longren pour décorer les cabines de petits bateaux à vapeur qu’il destinait à un riche acheteur, amateur de jouets. Ici, apparemment, il n'avait pas dû trouver le tissu approprié pour le gréement du voilier et avait utilisé ce qu’il avait sous la main : des lambeaux de soie écarlate. Solène fut saisie d’admiration : cette couleur joyeuse et ardente brillait tant qu’on aurait dit qu’elle tenait du feu dans sa main.

Un petit pont de bois passait là au-dessus d’un ruisseau qui venait et puis allait se perdre dans la forêt.

"Et si je le mettais un peu dans l'eau pour le voir naviguer, songea-t-elle ; il ne sera pas beaucoup mouillé et puis je l'essuierai..."

Elle s’éloigna légèrement du chemin, au-delà du pont sous les grands arbres, et déposa avec précaution le précieux vaisseau. L’onde claire aussitôt scintilla d’un reflet écarlate. La couleur pénétrante des voiles se dispersa en un rayonnement rose et tremblotant jusque sur les pierres blanches du fond du ruisseau.

Алые паруса – Les voiles écarlates

Предсказание (I.7) La prophétie

Le soir ou bien les jours de repos, Longren enlevait son tablier, laissant de côté ses boîtes de colle, ses outils et ses maquettes inachevées. Et lorsqu’il s’asseyait pour se reposer, la pipe entre les dents, le passe-temps favori de Solène était de grimper sur ses genoux. En se tortillant entre ses bras, elle s’amusait à toucher les jouets en l’interrogeant sur tel ou tel élément.

Ainsi commencèrent des leçons de choses, – des leçons sur la vie et sur les gens – que Longren, grâce à sa longue expérience de marin savait rendre uniques et fantastiques. Alors, le hasard des rencontres et les évènements parfois bizarres, frappants ou inhabituels qu’il avait vécus prenaient une place prépondérante.

Longren, apprenait à la fillette le nom des palans, des voiles, les termes en usage dans la marine... et puis il se laissait emporter : illustrant ses explications techniques par divers épisodes dans lesquels un guindeau ou un volant, un mât ou un type de bateau avaient eu à jouer un rôle particulier. Et puis il racontait les errances marines - mélange de superstitions et de réalité, une réalité qu’il entremêlait d’images sorties tout droit de son imagination.

Alors surgissaient un chat noir, annonciateur de naufrage, ou un poisson-volant à qui il fallait obéir sous peine de courir au désastre. Et puis il parlait du Vaisseau fantôme et de son équipage diabolique, des présages, des spectres, des sirènes, des pirates – bref, de toutes les fables qui passent par la tête des marins les jours de calme plat sur la mer ou lorsqu’ils divaguent au fond d’une taverne.

Longren racontait aussi comment des naufragés, retournés à la vie sauvage, avaient perdu l’usage de la parole ; il parlait de trésors mystérieux, de mutineries et de bien d’autres choses encore. Et la fillette l’écoutait avec plus d’attention peut-être que lorsque à la cour d’Espagne on entendit Christophe Colomb faire pour la première fois récit de la découverte d’un nouveau monde.

"Raconte encore !", demandait-elle à Longren lorsque celui-ci réfléchissant, se taisait… Jusqu’à ce qu’enfin elle finisse par s’endormir sur la poitrine de son père, la tête encore pleine de rêves merveilleux...

C’était aussi avec grand intérêt qu’elle guettait l'apparition du commis de la boutique qui venait de la ville pour acheter les jouets de Longren. Un intérêt tout matériel mais ô combien important. Pour adoucir le père et ne pas trop devoir négocier, le commis prenait toujours avec lui quelques pommes, une tarte sucrée et une poignée de noix qu’il destinait à la fillette.

Par aversion du marchandage Longren demandait généralement le juste prix de son ouvrage, mais le commis tentait toujours de transiger : "Allons, lui disait Longren, j’ai passé une bonne semaine sur ce bateau : son envergure est de cinq verchoks ! Regarde : quelle puissance, quel tirant d’eau, quelle allure ! Sur ce voilier, un équipage de quinze hommes saura naviguer par tous les temps…"

Le résultat était toujours le même : devant l’attente impatiente de la fillette qui convoitait la pomme, Longren finissait par perdre l’envie de discuter davantage : il cédait à chaque fois et l'employé, emplissant son panier des magnifiques jouets, s’en allait, tout en gloussant derrière sa moustache.